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18 décembre 2013
Cour d’appel de Paris
RG n°
12/07594
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2013
(n° 286, 18 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 12/07594
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Septembre 2007 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 06/17460
APPELANT
Monsieur [DU] [YC]
[Adresse 6]
[Localité 6]
Représenté par Me Alain FISSELIER de la SCP FISSELIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, plaidant
assisté de Me Bernard JOUANNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A96, plaidant
INTIMÉS
1°) Monsieur [N] [S]
[Adresse 4]
[Localité 4]
2°) Madame [E] [ST]
venant aux droits de [I] [AC]
c/o Maître Georges KIEJMAN
[Adresse 7]
[Localité 5]
3°) Madame [T] [AC] épouse [KD]
venant aux droits de [I] [AC]
c/o Maître Georges KIEJMAN
[Adresse 7]
[Localité 5]
4°) Monsieur [LG] [AC]
venant aux droits de [I] [AC]
c/o Maître Georges KEIJMAN
[Adresse 7]
[Localité 5]
5°) Madame [W] [O] [R] [AC] divorcée [VY]
[Adresse 1]
[Adresse 15]
[Localité 7]
6°) Monsieur [RS] [AC]
[Adresse 8]
[Localité 1] (ETATS-UNIS)
7°) Madame [B] [BJ]
venant aux droits de [UX] [AC]
c/o Maître Georges KIEJMAN
[Adresse 7]
[Localité 5]
8°) Mademoiselle [O] [AC]
venant aux droits de [UX] [AC]
C/O Maître Georges KIEJMAN
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentés par Me Jacques PELLERIN de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, postulant
assistés de Me Lorenzo VALENTIN de la SCP KIEJMAN MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P200, plaidant
9°) Monsieur [Y] [MH] [QP]
[Adresse 10]
[Adresse 2]
Représenté par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, postulant
assisté de Me Michel-Paul ESCANDE, avocat au barreau de PARIS, toque : R266, plaidant
10°) Monsieur [N] [MH] [QP]
pris tant en son nom personnel qu’en qualité d’administrateur de la succession [QP] [JC], Madame [UV] [GZ] néé Madame [MH] [QP] et Madame [EV] [MH] [QP] qu’es qualité de gérant de [QP] ADMINISTRATION
[Adresse 13]
[Localité 3]
11°) Madame [JC] [MH] [QP]
prise en son nom personnel
[Adresse 3]
[Adresse 14]
[Localité 2]
Représentés par Me Thierry SERRA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280, postulant
assistés de Me Jean-Jacques NEUER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0362, plaidant
12°) Madame [GZ] [MH] [QP] épouse [UV]
prise en son nom personnel
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représentée par Me Thierry SERRA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280, postulant
assistée de Me Elena GANTZER de la SCP KIEJMAN MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque :P200, plaidant
13°) EURL [QP] ADMINISTRATION
[Adresse 13]
[Localité 3]
Représentée par Me Thierry SERRA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280, postulant
assistée de Me Jean-Jacques NEUER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0362, plaidant
14°) Madame [FX] [A] [ON] épouse [AC]
[Adresse 5]
[Localité 11] (ETATS-UNIS)
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l’affaire a été débattue le 15 octobre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Dominique REYGNER, président,
Madame Nathalie AUROY, conseiller
Madame Monique MAUMUS, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier :
lors des débats et du prononcé de l’arrêt : Madame Marie-France MEGNIEN
ARRÊT :
– par défaut
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Dominique REYGNER, président, et par Madame Marie-France MEGNIEN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
[L] [ZD], riche industriel russe, a constitué au début du XXème siècle une importante collection de tableaux de peintres modernes, parmi lesquels figuraient des oeuvres de [QP] et de [AC]. Celle-ci était exposée en son palais de la rue [Adresse 16].
Par décret du 29 octobre 1918, publié le 5 novembre 1918, Lénine a proclamé cette collection d’art propriété publique de la République Socialiste Fédérative de Russie, l’affectant au Commissariat du Peuple à l’instruction publique.
[L] [ZD], parti se réfugier en France en 1919, est décédé le [Date décès 1] 1921 à [Localité 9], où il se trouvait momentanément, en l’état d’un testament authentique du 18 avril 1921 instituant son épouse [X] [AO] légataire universelle.
[X] [AO] veuve [ZD] est décédée le [Date décès 4] 1959, en laissant pour lui succéder sa fille unique [X] [ZD], épouse [PO], divorcée [YC].
[X] [ZD], épouse [PO] est décédée le [Date décès 2] 1974, en laissant pour lui succéder son fils unique [G] dit ‘[K]’ [YC].
[K] [YC] est décédé le [Date décès 3] 2003, en laissant pour lui succéder son fils unique M. [DU] [YC] et en l’état d’un testament olographe daté du 12 mars 2001 instituant notamment ses deux petits-enfants, Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC], et deux autres proches légataires universels.
Les tableaux de [AC] et de [QP] acquis par [L] [ZD] sont aujourd’hui présentés au public dans les musées [3] à [Localité 10] et de l'[2] à [Localité 12].
[K] [ZD], en intervenant volontairement dans une procédure engagée en 1993 par les héritiers d’un autre grand collectionneur russe, [TU] [M], à l’occasion d’une exposition au [1] intitulée ‘[Q] [AC] 1904-1917″, avait tenté d’obtenir la mise sous séquestre de diverses oeuvres que les musées russes avaient prêtées au musée français. Par jugement du 16 juin 1993, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté leurs demandes au motif qu’un Etat étranger, dont la souveraineté a été reconnue, ne saurait d’aucune manière répondre d’un acte de puissance publique qu’il a été amené à prendre sur son territoire à l’encontre de deux de ses ressortissants devant les tribunaux d’un autre Etat.
Il était encore intervenu volontairement et, à sa suite, son fils, dans une autre procédure également engagée par les héritiers [M], en 2000, pour voir juger que les droits d’auteur collectés à l’occasion d’une exposition à Rome des chefs d’oeuvre de l'[2] leur reviennent. Un jugement du 5 juin 2002 du tribunal de grande instance de Paris a déclaré irrecevable cette intervention volontaire, ‘faute de lien suffisant avec la demande principale’, dès lors que sa ‘demande port[tait] sur des oeuvres différentes de celles pour lesquelles les droits de reproduction sont revendiqués par les demandeurs principaux’. Si, par arrêt partiellement infirmatif du 11 juillet 2005, la cour d’appel a déclaré recevable l’action des héritiers [M] et dit que l’instance se poursuivra en tant que de besoin devant le tribunal de grande instance de Paris, aucune instance n’a été poursuivie après que le pourvoi formé contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par la Cour de cassation.
C’est dans ces conditions que, se prétendant titulaire du droit de reproduction sur les oeuvres acquises antérieurement à la publication de la loi du 09 avril 1910 M. [DU] [YC] a, par actes des 9 et 29 septembre 2002, fait assigner [N] [S], [I] [AC], Mme [W] [AC], M. [RS] [AC], [DU] [AC] (les consorts [AC]), M. [N] [QP] pris tant en son nom personnel qu’en qualité d’administrateur de la succession [QP] (composée de Mme [JC] [MH] [QP], Mme [GZ] [MH] [QP] épouse [UV], Mme [EV] [MH] [QP], M. [Y] [MH] [QP] et M. [N] [MH] [QP]), l’Eurl [QP] Administration représentée par son gérant M. [N] [QP], Mme [UV] et Mme [JC] [QP] (les consorts [QP]), ainsi que M. [Y] [MH] [QP], en restitution, dans la limite de la prescription de 30 ans, de droits de reproduction afférents à six oeuvres de [AC] (‘Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’ ; ‘Femme nue assise’ ; ‘Nature morte à la cruche bleue’ ou ”Pot blanc et bleu’ ; ‘Nature morte pot bleu et citron’ ; ‘Nature morte bronze et fruits’ ; ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse’) et une oeuvre de [QP] (‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’).
Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC] sont intervenus volontairement.
Par jugement du 26 septembre 2007, le tribunal de grande instance de Paris a notamment :
– pris acte du désistement d’instance de Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC],
– pris acte de l’intervention volontaire de Mme [E] [ST], Mme [T] [AC] épouse [KD], M. [LG] [AC] comme venant aux droits de [I] [AC],
– pris acte de l’intervention volontaire de Mme [B] [AC] et Mlle [O] [AC] comme venant aux droits de [UX] [AC],
– déclaré M. [DU] [YC] irrecevable pour défaut de qualité à agir,
– condamné M. [DU] [YC] à payer à chacun des défendeurs (les consorts [AC], les consorts [QP] et M. [Y] [MH] [QP]) la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné M. [DU] [YC] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maitre Escande, avocat, par application de l’article 699 du code de procédure civile.
M. [DU] [YC] a interjeté appel de cette décision le 19 février 2008.
Après retrait du rôle, ordonné à la demande des parties le 18 mai 2010, l’affaire a été réinscrite après dépôt de conclusions par M. [DU] [YC] le 23 avril 2012.
Dans ses dernières conclusions remises le 1er octobre 2013, l’appelant demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a pris acte du désistement et des interventions volontaires,
– l’infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,
– vu l’article 1er de la loi des 19 et 24 juillet 1793, l’article 1615 du code civil dans sa version de 1804, la loi du 9 avril 1910, les articles 724 et 1006 du code civil, l’article 11-3 du code de la propriété intellectuelle (antérieurement l’article 29 de la loi du 11 mars 1957, l’article 1315 du code civil, l’adage ‘Actori incombit probation reus in excipiendo fit ator’, le testament olographe d'[L] [ZD] du 18 avril 1921, l’ordonnance d’envoi en possession du 27 décembre 1921, l’acte de notoriété du 21 mai 1959, les articles 802 et 804 du code général des impôts issus de la loi du 13 juillet 1925 et du décret du 27 décembre 1934,
– rejeter tous moyens d’irrecevabilité,
– condamner respectivement les consorts [AC] et [QP] à lui restituer les droits de reproduction qui leur sont échus depuis le 30 août 1972 à laquelle la demande est limitée à raison de la prescription trentenaire, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs auteurs ou des diverses sociétés de perception en France et à l’étranger pour les consorts [AC] sur les six oeuvres litigieuses et pour les consorts [QP] sur le tableau litigieux,
– ordonner une expertise pour en faire le compte,
– condamner les consorts [QP] à lui payer à titre de provision la somme de 200 000 € à valoir sur les droits de reproduction du tableau,
– condamner les consorts [AC] à lui payer la somme de 500 000 € à titre de provision, à valoir sur les droits de reproduction des six oeuvres,
– juger que les droits de reproduction afférents aux oeuvres litigieuses collectés par les héritiers [AC] et par les héritiers [QP] depuis la mort de [QP], en tous cas depuis moins de 30 ans à compter de l’assignation, doivent lui revenir,
– ordonner la publication par extraits du dispositif de la décision à intervenir ou du texte d’un communiqué dont le texte sera déterminé par la cour dans 10 quotidiens français et 10 étrangers, ainsi que dans 6 magazines spécialisés dans le domaine des beaux-arts aux frais conjoints des consorts [QP] et [AC] dans la limite de 30 000 €,
– condamner les intimés solidairement à lui payer la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner solidairement en tous les dépens, avec bénéfice de l’article 699 du même code.
Dans leurs dernières conclusions remises le 13 septembre 2013, où Mme [D] [F] épouse [S] vient aux droits de [N] [S], décédé, les consorts [AC] demandent à la cour, au visa de la loi du 19 juillet 1793, la loi du 9 avril 1910 et ses travaux préparatoires, ainsi que la loi du 11 mars 1957 (article 29), de : – à titre principal,
– dire et juger qu’il appartient à M. [YC] de produire les actes d’acquisition dont il se prévaut et d’établir que les droits litigieux auraient été cédés sans restriction ni réserve par [Q] [AC] à des tiers qui les auraient eux-mêmes cédés par la suite à [L] [ZD], antérieurement à la promulgation de la loi du 9 avril 1910, en même temps que les oeuvres elles-mêmes,
– dire et juger que faute de rapporter une telle preuve, M. [YC] ne saurait, sur le fondement d’un arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 27 mai 1842, faire peser sur les intimés la charge d’une preuve qui lui incombe,
– constater au surplus que les consorts [AC] ont établi qu'[Q] [AC] avait entendu se réserver de façon générale les droits de reproduction aujourd’hui revendiqués par M. [YC],
– en conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a déclaré M.[YC] irrecevable à agir faute d’avoir établi qu'[L] [ZD] se serait vu transmettre le droit incorporel attaché à la propriété des oeuvres matérielles qu’il avait acquises,
– à titre subsidiaire, et à supposer même que les droits de reproduction attachés à ces
oeuvres aient pu être acquis par [L] [ZD],
– constater que la dévolution et la consistance de la succession d'[L] [ZD] ne sont
pas établies,
– constater qu’aucune des oeuvres ni aucun des droits de reproduction revendiqués ne
figurent dans les actes notariés communiqués,
– dire et juger que ces droits de reproduction n’ont pu, en tout état de cause, être recueillis par M. [YC] dès lors que les oeuvres matérielles auxquelles ils étaient incorporés n’avaient pas été transmises à l’appelant par ses auteurs du fait des mesures de nationalisation dont elles avaient fait l’objet en 1918,
– dire et juger que l’envoi en possession spécial, prévu par les anciens articles 802 et 804 du code général des impôts n’a pas été justifié et que M. [YC] ne peut avoir recueilli davantage de droits que n’en détenaient ses de cujus,
– en conséquence, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a retenu que M. [YC] ne pouvait détenir plus de droits que ses auteurs et déclaré, par conséquent, celui-ci irrecevable en son action pour défaut de qualité à agir,
– condamner M. [YC] à leur verser la somme de 10 000 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises le 16 septembre 2013, Mme [GZ] [QP] épouse [UV] demande à la cour au visa de la loi du 19 juillet 1793, la loi du 9 avril 1910 et ses travaux préparatoires, ainsi que la loi du 11 mars 1957 (article 29), de :
– à titre principal,
– dire et juger qu’il appartient à M. [YC] de produire les actes d’acquisition dont il se prévaut et d’établir que les de reproduction afférents à l’oeuvre de Paplo [QP] ‘les deux saltimbanques’ auraient été cédés sans restriction ni réserve par l’artiste au marchand [C] [MJ] qui les aurait lui-même cédés par la suite à [L] [ZD], antérieurement à la promulgation de la loi du 9 avril 1910, en même temps que les oeuvres elles-mêmes,
– dire et juger que faute de rapporter une telle preuve, M. [YC] ne saurait, sur le fondement d’un arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 27 mai 1842, faire peser sur les intimés la charge d’une preuve qui lui incombe,
– en conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a déclaré M.[YC] irrecevable à agir faute d’avoir établi qu'[L] [ZD] se serait vu transmettre le droit incorporel attaché à la propriété des oeuvres matérielles qu’il avait acquises,
– à titre subsidiaire, et à supposer même que les droits de reproduction attachés à cette
oeuvre aient pu être acquis par [L] [ZD],
– constater que la dévolution et la consistance de la succession d'[L] [ZD] ne sont
pas établies,
– constater que ni l’oeuvre en cause ni les droits de reproduction revendiqués ne
figurent dans les actes notariés communiqués,
– dire et juger que ces droits de reproduction n’ont pu, en tout état de cause, être recueillis par M. [YC] dès lors que l’oeuvre dont ils auraient servi d’accessoires n’avait pas été transmise à l’appelant par ses auteurs du fait des mesures de nationalisation dont elles avaient fait l’objet en 1918,
– dire et juger qu’il n’a pas été justifié de l’accomplissement de la formalité de l’envoi en possession spécial, prévu par les anciens articles 802 et 804 du code général des impôts et que M. [YC] ne peut avoir recueilli davantage de droits que n’en détenaient ses de cujus,
– en conséquence, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a retenu que M. [YC] ne pouvait détenir plus de droits que ses auteurs et déclaré, par conséquent, celui-ci irrecevable en son action pour défaut de qualité à agir,
– condamner M. [YC] à leur verser la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens, avec bénéfice de l’article 699 du même code.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 25 mars 2013, les consorts [QP] demandent à la cour, au visa de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1 du Protocole additionnel n° 1, l’article 111-3 du code de la propriété intellectuelle, les articles 73 et suivants, 122 et suivants du code de procédure civile, les articles 66 et 325 du même code, l’article 815-3 du code civil, la loi du 9 avril 1910 et ses travaux préparatoires, la loi de 1793, les articles 273 à 277 du décret du 27 décembre 1934, les articles 1604, 1615 et 1163 du code civil, l’article 1328 du même code, l’article 332 du code de procédure civile, l’article 378 du même code, de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions qui leur sont favorables,
– constater irrecevable l’intervention de M. [YC],
– dire et juger que M. [YC] ne justifie pas de sa qualité à agir et en conséquence le déclarer irrecevable,
– dire et juger que M. [YC] ne justifie pas de la démonstration de l’acquisition avant 1910 des oeuvres visées (date et imprécision de la demande), ni ne justifie du fait que les oeuvres acquises avant 1910 par un tiers et cédées postérieurement tant à Morosoff (sic) justifierait l’application d’un quelconque régime antérieur à la loi de 1910. En conséquence, le déclarer irrecevable,
– constater que M. [YC] ne justifie pas de l’envoi en possession et le déclarer irrecevable,
– constater la nécessité d’appeler l’Etat russe au litige et déclarer la demande irrecevable,
– subsidiairement,
– constater que ‘l’état du droit’ dont se prévalent le demandeur et les intervenants volontaires ne consiste qu’en une jurisprudence et non en une loi. En conséquence, le débouter de l’intégralité de ses griefs et demandes,
– dire et juger, en toute hypothèse, et en application des règles du code civil, que la vente d’une chose corporelle ne saurait comporter à titre d’accessoire la vente des droits intellectuels,
– dire et juger que le demandeur doit administrer la preuve de la volonté de l’artiste d’adjuger la propriété incorporelle en sus de la propriété corporelle de l’oeuvre,
– constater qu’un raisonnement consistant à insérer dans la cession corporelle la cession des droits incorporels constituerait une contrariété à la convention européenne des droits de l’homme,
– en conséquence, débouter M. [YC] de l’intégralité de ses griefs et demandes,
– condamner M. [YC] à payer à M. [N] [MH] [QP], en sa qualité d’administrateur de la succession [QP], la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises le 27 septembre 2013, M. [Y] [MH] [QP] demande à la cour, au visa des articles 386 et 393 du code de procédure civile, l’article 9 du même code, les articles 802 et 804 du code général des impôts, de :
– in limine litis, sous réserve de la péremption d’instance rejetée par l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 décembre 2012 (sic),
– débouter M. [YC] de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,
– confirmer le jugement,
– condamner M. [YC] à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux dépens, avec bénéfice de l’article 699 du même code.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a pris acte du désistement d’instance de Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC], pris acte de l’intervention volontaire de Mme [E] [ST], Mme [T] [AC] épouse [KD], M. [LG] [AC] comme venant aux droits de [I] [AC] et pris acte de l’intervention volontaire de Mme [B] [AC] et Mlle [O] [AC] comme venant aux droits de [UX] [AC] ; qu’il doit être confirmé de ces chefs ;
– sur la qualité d’héritier de M. [DU] [YC] :
Considérant que les consorts [QP] soulèvent l’irrecevabilité de la demande de M. [DU] [YC] pour défaut de qualité à agir ‘en amont’, les pièces produites ne permettant pas, selon eux, de démontrer que [K] [YC], et donc son fils M. [DU] [YC], vient aux droits de [L] [ZD] ; qu’ils font spécialement valoir qu’un extrait d’acte de mariage de [FW] [YC] avec [X] [ZD] – confirmé par un extrait des registres de l’administration diocésaine des Eglises orthodoxes russes en Europe – mentionne que celle-ci est fille de [K] (et non d'[L]) [ZD] et d'[X] [AO] et qu’un extrait d’acte de naissance – confirmé par l’acte de notoriété dressé au décès d'[X] [ZD] – témoigne de ce que [FW] [YC] et [X] [ZD] ont eu pour enfant né à [Localité 8] (Allemagne) le [Date naissance 1] 1922 [G] (et non [K]) [ZD] ;
Mais considérant que, sachant que le prénom [L], ou [G], est la variante Russe du prénom [K], les pièces produites, et notamment , outre celles citées par les consorts [QP], le certificat de constatation de décès d”[L] ([K])’ [ZD] du [Date décès 1] 1921, l’acte de notoriété établi les 10 et 18 novembre 1921 (M. ‘[K] [L]’ [ZD]) , le certificat de nationalité délivré à [K] [YC], qui le mentionne comme étant né le [Date naissance 1] 1922 à [Localité 8], démontrent qu'[L] et [K] [ZD] étaient la même personne, et qu’il en était de même pour [G] et [K] [YC] ;
Considérant que les consorts [QP] soulèvent aussi l’irrecevabilité de la demande de M. [DU] [YC] pour défaut de qualité à agir ‘en aval’ ; qu’il soutiennent que la disposition du testament de [K] [YC] attribuant à ses petits-enfants, Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC], ‘l’indemnité éventuelle [ZD] (succession [ZD])’ priverait leur père de ses droits sur une indemnité éventuelle au titre de ses droits auteurs ;
Mais considérant que ce moyen est inopérant dès lors que, par arrêt du 30 novembre 2006, devenu définitif, la cour d’appel de Versailles a, pour débouter M. [OL] [YC] et Mlle [XB] [YC] de leur appel principal et confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 17 février 2006 qui avait déclaré irrecevable, pour défaut de qualité à agir, leur action en recel successoral à l’encontre de leur père, retenu que leur acceptation de la succession de leur grand-père, intervenue postérieurement à leur renonciation, n’était pas valable, M. [DU] [YC] ayant entre temps accepté tacitement ladite succession ;
Considérant qu’il convient donc d’écarter ces deux fins de non recevoir, M. [DU] [YC] justifiant de sa qualité d’héritier d'[L] [YC] ;
– sur la titularité des droits de reproduction sur les oeuvres par [L] [ZD] :
Considérant que M. [DU] [YC] soutient que [L] [ZD] était titulaire des droits de reproduction sur les sept oeuvres litigieuses, pour les avoir acquises avant le 11 avril 1910 ;
Considérant que le décret des 19-24 juillet 1793, applicable en la cause, a consacré au profit des auteurs (dont les peintres) un monopole de reproduction sur leurs oeuvres, perdurant jusqu’à 10 ans après leur mort, en ces termes :
Article 1er : ‘ les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et les dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront durant leur vie entière du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République et d’en céder la propriété en tout ou en partie.’
Article 2 : ‘Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l’espace de dix ans, après la mort des auteurs’. ;
Considérant que par arrêt du 27 mai 1842, les chambres réunies de la Cour de cassation ont jugé que la vente d’un tableau faite sans réserve emportait celle du droit exclusif de le reproduire ;
Considérant que la loi du 9 avril 1910, ‘relative à la protection de droit des auteurs en matières de reproduction des oeuvres d’art’, a énoncé, dans un article unique, que ‘L’aliénation d’une oeuvre d’art n’entraîne pas, à moins de convention contraire, l’aliénation du droit de reproduction ‘, instituant ainsi une présomption légale de réserve du droit de reproduction au profit du vendeur, que celui-ci soit l’artiste lui-même, ou un tiers auquel il l’aurait vendu ;
Considérant que, dans des arrêts postérieurs – dont une espèce ne faisant pas état, comme dans l’arrêt de 1842, de l’existence d’un acte écrit de vente, sans stipulation particulière sur la cession du droit de reproduction -, la Cour de cassation a précisé que la loi de 1910 n’a ni caractère interprétatif, ni effet rétroactif, de sorte que les héritiers de l’auteur d’une oeuvre d’art ou littéraire vendue sans réserve avant sa promulgation n’ont aucun droit sur l’oeuvre ;
Considérant qu’il n’est pas contesté qu’il appartient à M. [DU] [YC] de démontrer que les oeuvres litigieuses ont été acquises avant le 11 avril 1910, date de publication de la loi ; que cette preuve est suffisamment rapportée par la production :
– pour les oeuvres de [AC] :
* ‘Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’ ([2]) : d’un ‘reçu’ délivré le 1er octobre 1907 par Benrheim Jeune à [L] [ZD] visant nommément le tableau,
* ‘Femme nue assise’ ([2]): d’un reçu délivré le 3 octobre 1908 par [U] [J] à [L] [ZD] visant nommément le tableau,
*’Nature morte à la cruche bleue’ ou ”Pot blanc et bleu’ (Musée [3]) : d’un extrait du registre d'[C] [MJ] portant mention, à la date du 16 septembre 1909, de la vente du tableau nommément visé à [L] [ZD],
* ‘Nature morte pot bleu et citron'([2]) : d’un ‘reçu’ délivré le 29 septembre 1909 par [U] [H] à [L] [ZD] visant une ‘nature morte H. [AC]’,
* ‘Nature morte bronze et fruits'(Musée [3]) et ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse'([2]) : de la correspondance de [ZD] à [AC] du 12 mai 1909 au 23 mars 1910 reproduite notamment dans l’ouvrage ‘[AC] et la Russie’ évoquant la commande de ‘2 natures mortes’ et leur réception à cette dernière date ; que l’identification de ces deux tableaux, qui résulte des commentaires des auteurs de cet ouvrage, même s’ils indiquent dans une autre partie de leur ouvrage que la première a été acquise par [L] [ZD] auprès de Bernheim Jeune, est confirmée par un autre ouvrage, ‘Peintures et sculptures dans les collections soviétiques’, produit par les consorts [AC], ainsi que par la circonstance qu’il n’est pas discuté que les cinq autres peintures de [AC] de la collection d'[L] [ZD], qui en comprend onze au total, ont toutes été acquises après 1910 et qu’il ressort au demeurant des pièces produites que cette oeuvre était effectivement initialement destinée à la vente chez Bernheim Jeune ; qu’elle forme d’ailleurs l’arrière-plan du ‘portrait d'[L] [ZD]’ réalisé en 1910 par [KF] [PM] ;
– pour l’oeuvre de [QP], ‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’ (Musée [3]) : de la page 1 d’une facture d'[C] [MJ] datée du 29 avril 1908 où celui-ci est nommément visé parmi les tableaux vendus à [L] [ZD], l’appellation et le prix (‘300″) figurant à l’identique sur une page du registre ou agenda du marchand daté du 29 avril, ces deux documents figurant dans l’extrait du catalogue de la peinture française du Musée [3] produit par M. [DU] [YC] ; qu’à cet égard, les consorts [QP] ne sont pas fondés à invoquer l’application de l’article 1328 du code civil
1:
‘Les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire.’
, qui conduirait à retenir, faute d’enregistrement, le jour du décès de [ZD], donc bien après 1910, comme date du transfert de l’oeuvre, cette disposition n’étant pas applicable aux contrats verbaux, comme en l’espèce, où aucun acte écrit de vente n’a été conclu ;
Considérant que la recherche de la commune intention des parties au moment de contracter commande d’avoir égard au droit positif de l’époque, à savoir – quelqu’aient pu être les critiques des auteurs et de la doctrine ayant conduit à l’adoption de la loi de 1910 – que la vente d’un tableau faite sans réserve emportait celle du droit exclusif de le reproduire ; qu’il incombe donc aux héritiers de [AC] et [QP] de rapporter la preuve que la réserve de l’artiste qu’ils invoquent existe et est entrée dans le champ contractuel et non à l’héritier d'[L] [ZD] de prouver l’absence de réserve de l’artiste ou la conscience du collectionneur d’acquérir les droits de reproduction ; qu’il ne peut, à cet égard, être utilement invoqué par les consorts [QP], ni une discrimination prohibée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, les héritiers du peintre n’étant pas placés dans la même situation de droit positif selon que les tableaux ont été vendus avant ou après 1910, ni une atteinte au droit de propriété individuelle protégé par la même Convention, l’auteur restant libre de convenir de réserver ses droits de reproduction sur l’oeuvre cédée ; qu’il convient, en l’absence d’acte écrit de vente, de se référer aux pratiques habituelles en la matière, étant observé que les longues années qui se sont écoulées avant que les héritiers [ZD] ne songent à revendiquer les droits de reproduction sur les oeuvres litigieuses ont nécessairement contribué à la déperdition des éléments de preuves ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble des pièces produites par les parties que, tant pour [AC] que pour [QP], il était de pratique habituelle lors de la vente d’un tableau par le peintre à un marchand d’art, que le vendeur délivre à l’acheteur un reçu des sommes perçues en paiement du prix, sur lequel pouvait, ou non, être portée la mention ‘avec tous droits de reproduction’, biffée ou non ; qu’il était ensuite délivré par le marchand d’art au collectionneur un ‘reçu’ plus informel des sommes acquittées en paiement du prix ;
Considérant que les consorts [AC] versent aux débats de nombreux documents attestant de la volonté ancienne et constante de [AC] de se réserver le droit exclusif de reproduction de ses oeuvres, soit :
– le catalogue publié par la Galerie Bernheim en 1995 dans lequel ont été reproduits les fac simile de 9 reçus signés par le peintre à l’occasion des ventes de 34 tableaux réalisés par son intermédiaire avant et après 1910, et désignant celui daté du 12 juillet 1907 pour ‘quatre tableaux’, payés 1 800 francs, comme incluant le tableau ‘Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’, compte tenu de la concordance de date avec une lettre de [AC] au directeur de la galerie du 13 juin 1907, annonçant l’expédition de quatre tableaux, deux ‘Paysages’ et deux ‘Fleurs’ et la revente du tableau à [L] [ZD] le 1er octobre 1907 ; sur tous ces bordereaux, [AC] a biffé la mention ‘avec tous droits de reproduction’ ;
– les lettres adressées par [AC] à la galerie Bernheim les 12 septembre et 3 octobre 1921 à l’occasion de la négociation d’un contrat de reproduction photographique, rappelant ‘qu’il n’a jamais été question entre la Maison Bernheim et moi de la vente de mon droit de reproduction d’aucun de mes tableaux vendus et qu’au contraire, je me suis toujours empressé de rayer la mention relative à une pareille cession’, la remarque du galeriste lui signalant la conservation d’un certain nombre de reçus signés par lui mentionnant les droits de reproduction ayant entraîné une réaction immédiate du peintre, lequel en appelait à la correction et la loyauté de leurs relations, douze reçus lui étant alors retournés pour y rayer les dites mentions ; qu’il importe à ce stade d’observer qu’il n’est nullement établi que le reçu délivré pour tableau ‘Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’ figure parmi ces reçus rectifiés ; que la pratique des reçus explique que la question de la cession des droits de reproduction n’ait pas été incluse dans les contrats d’exclusivité passés antérieurement entre l’artiste et le marchand d’art ;
– le règlement intérieur des salons d’automne de 1904, 1905, 1908, 1909 et 1910 mentionnant que ‘Toute vente faite par le bureau, sauf le cas d’entente spéciale entre l’artiste, réservera les droits de reproduction de ce dernier’, étant précisé que [AC] fit partie du bureau organisant ces manifestations à partir de 1905 ; que le reçu délivré le 3 octobre 1908 par [U] [J] à [L] [ZD] pour le tableau ‘Femme nue assise’ mentionne expressément qu’il provient du Salon d’automne ; que c’est ainsi que, pour reproduire la photographie de cette oeuvre dans un article intitulé ‘Notes d’un peintre’, paru le 25 décembre 1908, La Grande Revue a sollicité l’artiste le 22 octobre précédent ;
– la perception de droits d’auteurs sur certaines photographies de ses oeuvres (cf relevé pour l’année 1923), lesquelles étaient réalisées à sa demande par [U] [H] avant leur vente dès 1904 (factures de 1904, 1905, 1907, 1909, 1910) ;
– les multiples demandes d’autorisation de reproduction qui lui ont été adressées, sur recommandation des marchands d’art ou directement par les éditeurs, et même un autre peintre ([NK] en 1911) ; que c’est ainsi à lui que s’adressent les Cahiers d’art, le 1er juin 1928, pour solliciter une autorisation de reproduction de ses oeuvres en vue d’une publication qui paraîtra trois ans plus tard, et où figure la reproduction du tableau ‘Nature morte à la danse’ ;
Considérant que l’ensemble de ces éléments établissent qu’il était de notoriété publique dans le milieu des professionnels de l’art, et spécialement accepté par les marchands d’art, que [AC] avait toujours veillé à se réserver le droit exclusif de reproduction de l’ensemble de ses oeuvres ; qu’ils démontrent donc l’existence d’une clause de réserve convenue entre l’artiste et les marchands d’art, non seulement pour le tableau Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’, où cette réserve figure expressément sur le reçu délivré par [AC] à Berheim Jeune, et pour le tableau ‘Femme nue assise’, dès lors qu’il a été acheté par [U] [J] lors du salon d’automne de1908 où le règlement intérieur prévoyait également expressément cette clause de réserve, mais également pour les tableaux ‘Nature morte à la cruche bleue’ ou ‘Pot blanc et bleu’ et ‘Nature morte pot bleu et citron’, pour lesquels les reçus n’ont pu être produits, mais qui ont été achetés à l’artiste par des marchands d’art ;
Considérant qu’il importe donc peu, pour les tableaux Le bouquet’ ou ‘Vase à deux anses’ ou ‘Pot à deux anses’ et ‘Femme nue assise’, comme pour le tableau ‘Nature morte pot bleu et citron’, que M. [DU] [YC] produise des ‘reçus’ délivrés par les marchands d’art à [L] [ZD] ne comportant aucune réserve, dès lors que ceux-ci n’ont pu lui transmettre des droits de reproduction qu’ils n’avaient pas reçus de l’artiste ;
Considérant que les documents produits ne permettent pas de dégager de pratique habituelle concernant les ventes de tableaux conclues directement entre l’artiste et le collectionneur ; que, malgré son introduction dans le milieu de l’art et ses visites aux Salons d’automne, il ne peut en être déduit qu'[L] [ZD], compte tenu de son éloignement et de sa réputation de grand acheteur potentiel, avait connaissance de la volonté ancienne et constante de [AC] de se réserver le droit exclusif de reproduction de ses oeuvres ;
Considérant que le seul élément dont la cour dispose, à savoir la correspondance de [ZD] à [AC] du 12 mai 1909 au 23 mars 1910 susvisée, ne comprend pas les lettres de [AC] à [ZD] et n’évoque nullement la question de la cession des droits de reproduction ;
Considérant qu’en conséquence, les consorts [AC] n’étant pas en mesure d’établir que, dans ses rapports directs avec le collectionneur, l’artiste s’était explicitement réservé le droit exclusif de reproduction de ses oeuvres, les droits exclusifs de reproduction sur les deux tableaux ‘Nature morte bronze et fruits’ ; ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse’ sont réputés avoir été transmis à [L] [ZD] avec les oeuvres ;
Considérant que pour l’oeuvre de [QP], pour laquelle aucune réserve générale des droits de reproduction n’est invoquée, aucun des reçus délivrés par l’artiste à [C] [MJ] antérieurs au 11 avril 1910 versés aux débats ne porte mention de droits de reproduction ; que ceux postérieurs à la loi de 1910 portent la mention ‘et les droits de reproduction’ ou ‘avec le droit de reproduction’, satisfaisant ainsi aux exigences de la nouvelle loi pour que la transmission de ces droits avec l’oeuvre soit effective ;
Considérant que, pour l’achat du tableau ‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’, acquis le 29 avril 1908, deux reçus de l’artiste au marchand d’art datés des 11 mai 1906 (2 000 francs ‘pour 27 tableaux’) et 14 septembre 1907 (1 100 francs ‘pour 11 tableaux’ ) susceptibles de correspondre, où ne figurent aucune réserve, sont ainsi versés aux débats par M. [DU] [YC], qui déclare les tenir des consorts [QP] ; que Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP], sur qui repose la charge de la preuve, ne versent aux débats aucun autre reçu susceptible de l’établir ; qu’ils ne démontrent pas plus, ni que la vente de l’artiste au marchand d’art se serait conclue à l’occasion d’un séjour de [QP] en Espagne, ce qui selon eux, compte tenu de la nationalité espagnole du peintre, rendrait applicable le droit espagnol, ni qu’elle aurait été réalisée à l’occasion d’un Salon d’automne ;
Considérant qu’ainsi le droit exclusif de reproduction sur ce tableau est réputé avoir été transmis à [C] [MJ] avec l’oeuvre; que, ne pouvant pas plus être déduit l’existence d’une réserve dans les documents justifiant l’acquisition du tableau par [L] [ZD], le droit exclusif de reproduction sur ce tableau est réputé avoir été transmis à [L] [ZD] avec l’oeuvre ; que, d’ailleurs, M. [DU] [YC] justifie de l’exercice de ce droit par la production d’un numéro spécial de la revue ‘Apollon’ de 1913, consacré à [L] [ZD], qui reproduit en pleine page ‘Les deux saltimbanques’ ;
– sur la dévolution successorale jusqu’à M. [DU] [YC] :
* sur l’absence de document successoral faisant mention des droits litigieux :
Considérant que l’absence d’inventaire ou de tout autre document mentionnant expressément la composition du patrimoine transmis est sans incidence, la transmission de la propriété de la succession n’étant pas soumise à l’établissement de tels documents ;
* sur les effets du décret Lénine de 1918 :
Considérant que force est de constater que, n’étant pas contesté que les intimés ont pu exercer sans entrave les droits de reproduction sur les oeuvres litigieuses, la Russie, en les saisissant sans indemnité en 1918, ne s’est pas appropriée ces droits hors les limites de son territoire ; qu’il en résulte qu'[L] [ZD] est resté titulaire de ceux dont il vient d’être reconnu qu’ils lui avait été transmis et les a lui-même transmis à son épouse, instituée légataire universelle par testament du 18 avril 1921 ;
* sur l’absence d’envoi en possession spécial au décès d'[X] [AO] veuve [ZD] :
Considérant que le droit de reproduction d’une oeuvre est un attribut patrimonial du droit d’auteur, droit de propriété incorporel, indépendant de la propriété ou de la possession de l’oeuvre et partant du lieu où elle se trouve ;
Considérant que, dès lors, au décès d'[X] [AO] veuve [ZD] en France le [Date décès 4] 1959, sa fille unique [X] [ZD], épouse [PO], a, du seul fait de son décès, été saisie de plein droit des droits de reproduction sur les oeuvres de [AC] et [QP] figurant dans la succession, sans qu’il y ait lieu que ces droits aient à faire l’objet de l’envoi en possession spécial prévu par l’article 273 du décret du 27 décembre 1924 applicable à l’époque ‘dans tous les cas où une succession ouverte en France et régie par la loi française comprend des biens mobiliers ou immobiliers de quelque nature que ce soit , déposés ou existant à l’étranger’, peu important que l’exigence de cette formalité ait été rappelée dans l’acte de notoriété du 21 mai 1959 ;
* sur la renonciation de [L] [ZD] et de ses héritiers aux droits de reproduction :
Considérant qu’une telle renonciation doit être sans équivoque et ne saurait résulter de l’absence d’exercice de ses droits par [L] [ZD] après la confiscation sans indemnité par la Russie de l’ensemble de sa collection en 1918 ;
Considérant que l’unique allusion à une renonciation d'[L] [ZD] concernant sa collection se trouve dans une note du 29 avril 1965 du Secrétaire général du Ministère chargé des affaires culturelles, M [V] [P], à son ministre, lui rendant compte des recherches entreprises pour obtenir la renonciation à une action en revendication de la part d’éventuels ayants-droit sur la collection : ‘la fille unique de M. [ZD], seule héritière des droits de son père, Madame [PO], épouse du Conseil Général de France à [Localité 13], vient de vous adresser une lettre déclarant qu’elle s’abstiendrait de toute action en revendication des tableaux exposés, d’autant plus qu’elle n’a pas qualité pour intenter une action de ce genre, son père ayant fait donation de toute sa collection à l’Etat Russe’ , reprise dans une lettre du 30 avril 1965 adressée par le Ministre d’Etat chargé des affaires culturelles, André Malraux, au Ministre des Affaires étrangères, en ces termes :’La fille unique de M. [ZD], seule héritière des droits de son père, Madame [PO], épouse du Conseil Général de France à [Localité 13], s’est engagée téléphoniquement à me faire parvenir à très bref délai une lettre déclarant qu’elle s’abstiendrait de toute action en revendication des tableaux exposés, d’autant plus qu’elle n’estime avoir qualité pour intenter une action de ce genre, son père ayant toujours affirmé vouloir faire donation de toute sa collection à l’Etat Russe’ ;
qu’elle ne saurait non plus, compte tenu de ses termes généraux (‘sa collection’), contradictoires (‘ayant fait donation’/’ayant toujours affirmé vouloir faire donation’), du contexte diplomatique et de la forme administrative indirecte dans lequel ces déclarations ont été recueillies, établir l’existence d’une renonciation d'[L] [ZD] aux droits exclusifs de reproduction qu’il avait acquis sur les oeuvres litigieuses et, partant, de l’existence d’une renonciation de ses héritiers à ces droits ;
Considérant qu’en conséquence, il convient, infirmant de ces chefs le jugement de :
– rejeter toutes les fins de non recevoir,
– dire que les droits de reproduction afférents aux deux tableaux de [AC] ‘Nature morte bronze et fruits’ et ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse’ et au tableau de [QP] ‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’,
collectés par les héritiers [AC] et par les héritiers [QP] depuis le 30 août 1972, soit moins de 30 ans avant l’assignation, doivent revenir à M. [DU] [YC],
– condamner respectivement les consorts [AC] et Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP] à restituer à M. [DU] [YC] les droits de reproduction qui leur sont échus depuis le 30 août 1972, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs auteurs ou des diverses sociétés de perception en France et à l’étranger pour ces tableaux,
– ordonner une expertise pour en faire le compte et la confier à M. [IB] [Z] dans les termes précisés au dispositif,
– condamner les consorts [AC] à payer à M. [DU] [YC] une provision à valoir sur les droits de reproduction des deux tableaux, qu’il y a lieu de limiter à la somme de 50 000 €, en l’absence de production de tout élément chiffré s’y rapportant,
– condamner Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP] à lui payer la somme de 25 000 € à titre de provision, à valoir sur les droits de reproduction du tableau,
– rejeter le surplus des demandes ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en ce qu’il a pris acte du désistement d’instance de Mlle [XB] [YC] et M. [OL] [YC], pris acte de l’intervention volontaire de Mme [E] [ST], Mme [T] [AC] épouse [KD], M. [LG] [AC] comme venant aux droits de [I] [AC] et pris acte de l’intervention volontaire de Mme [B] [AC] et Mlle [O] [AC] comme venant aux droits de [UX] [AC],
L’infirme pour le surplus,
Rejette toutes les fins de non recevoir,
Dit que les droits de reproduction afférents aux deux tableaux de [AC] ‘Nature morte bronze et fruits’ et ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse’ et au tableau de [QP] ‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’, collectés par les héritiers [AC] et par les héritiers [QP] depuis le 30 août 1972, soit moins de 30 ans avant l’assignation, doivent revenir à M. [DU] [YC],
Condamne respectivement les consorts [AC] et Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP] à restituer à M. [DU] [YC] les droits de reproduction qui leur sont échus depuis le 30 août 1972, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs auteurs ou des diverses sociétés de perception en France et à l’étranger pour ces tableaux,
Avant dire droit sur le montant des sommes dues, ordonne une expertise,
Commet pour y procéder M. [IB] [Z], [Adresse 9], tél. :[XXXXXXXX01], fax :[XXXXXXXX02], Email : [Courriel 1], avec mission de :
– convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,
– se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
– faire le compte des droits de reproduction échus aux consorts [AC] depuis le 30 août 1972, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs auteurs ou des diverses sociétés de perception en France et à l’étranger pour les deux tableaux de [AC] ‘Nature morte bronze et fruits’ et ‘Nature morte à la danse’ ou ‘Fruits, fleurs, panneau la danse’,
– faire le compte des droits de reproduction échus à Mme [UV] , aux consorts [QP] et à M. [Y] [MH]-[QP] depuis le 30 août 1972, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs auteurs ou des diverses sociétés de perception en France et à l’étranger pour le tableau de [QP] ‘Les deux saltimbanques’ ou ‘Arlequin et sa compagne’,
– mettre, en temps utile, au terme des opérations d’expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations, qui seront annexées au rapport, et auxquelles il répondra,
Dit que l’expert, en concertation avec les parties, définira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l’issue de la première réunion d’expertise,
Dit qu’au plus tard un mois après la première réunion d’expertise, l’expert actualisera ce calendrier en informant les parties de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse,
Dit que l’expert adressera aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport, et arrêtera le calendrier de la phase conclusive de ses opérations :
– fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse,
– rappelant aux parties qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai,
– rappelant la date qui lui est impartie pour déposer son rapport,
Fixe à 10 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert que M. [YC] devra verser dans un délai de six semaines à compter de la présente décision entre les mains du régisseur d’avances et recettes de la cour d’appel de Paris, [Adresse 12],
Dit que l’expert devra faire connaître dans le mois de sa saisine le montant prévisible de sa rémunération définitive aux fins d’éventuelle consignation complémentaire,
Désigne le magistrat en charge de la mise en état de la chambre pour suivre le contrôle de l’expertise et rappelle qu’à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l’expert sera caduque, sauf motif légitime soumis à son appréciation,
Dit que toute correspondance en cours d’expertise émanant de l’expert ou des parties devra être adressée au greffier de la chambre,
Impartit à l’expert, pour le dépôt en double exemplaire du rapport d’expertise, un délai de huit mois à compter de l’avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision,
Condamne les consorts [AC] à payer à M. [DU] [YC] une provision de 50 000 € à valoir sur les droits de reproduction des deux tableaux,
Condamne Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP] à payer à M. [DU] [YC] la somme de 25 000 € à titre de provision, à valoir sur les droits de reproduction du tableau,
Rejette le surplus des demandes,
Vu l’article 700, rejette les demandes des consorts [AC], de Mme [UV], des consorts [QP] et de M. [Y] [MH]-[QP] et les condamne in solidum à payer à M. [DU] [YC] la somme de 20 000 €,
Condamne in solidum les consorts [AC], Mme [UV] , les consorts [QP] et M. [Y] [MH]-[QP] aux dépens,
Accorde à la SCP Fisselier et associés le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,