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5 février 2015
Cour d’appel de Paris
RG n°
11/02027
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 05 Février 2015
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 11/02027 – 12/00626
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Novembre 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 09-01342
APPELANTE
SARL ENCHÈRES RIVES GAUCHE
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Jean-paul CHAZAL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0182
INTIMÉES
URSSAF 75 – PARIS/RÉGION PARISIENNE
[Adresse 5]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Mme [F] en vertu d’un pouvoir général
MAISON DES ARTISTES
[Adresse 4]
[Localité 4]
représentée par Mme [I] en vertu d’un pouvoir spécial
PARTIE INTERVENANTE
SYNDICAT NATIONAL DES ANTIQUAIRES
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Bernard EDELMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D 97, substitué par Me Francine WAGNER-EDELMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1233
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 2]
[Localité 3]
avisé – non comparant
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 27 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Marion MÉLISSON, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Marion MÉLISSON, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
La Cour statue sur les appels régulièrement interjetés par la société Enchères Rive Gauche, aux droits de laquelle vient la société de Baecque et associés de deux jugements rendus les 30 novembre 2010 et 15 juillet 2011 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l’opposant à l’URSSAF de Paris-région parisienne, devenue l’URSSAF d’Ile de France, et à la Maison des artistes, en présence du syndicat national des antiquaires ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que l’URSSAF a soumis à la cotisation sociale obligatoire prévue aux articles L 382-4 et R 382-17 du code de la sécurité sociale les commissions perçues par la société de vente volontaire Enchères Rive Gauche à l’occasion de la vente par adjudication d’une collection d’objets et de sculptures d’art premier ; qu’il en est résulté un appel de cotisations d’un montant de 5 500 € augmentée des majorations de retard de 275 € au titre du 2ème trimestre 2008 ; qu’une contrainte a été délivrée, le 25 février 2009, pour avoir paiement de cette somme ; que la société a formé opposition à cette contrainte devant la juridiction des affaires de sécurité sociale ; qu’une autre contrainte a été signifiée le 13 octobre 2010 pour avoir paiement de la somme de 15 648 € en cotisations et de 1 332 € en majorations complémentaires se rapportant aux 3ème et 4ème trimestres 2007 et au 1er trimestre 2008 ; que la société a formé à nouveau un recours contre l’exécution de cet acte.
Par jugement du 30 novembre 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a validé la première contrainte pour son entier montant.
Par jugement du 15 juillet 2011, le même tribunal a validé la seconde contrainte pour son entier montant.
La société de Baecque fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à infirmer ces deux décisions et juger que le produit de la vente en question ne saurait être assujetti à cotisations sociales. Subsidiairement, elle demande à la cour de juger que l’article R 382-17 est contraire aux dispositions des articles L 382 du code de la sécurité sociale et L 123-1, L 123-7 du code de la propriété intellectuelle ainsi qu’aux conventions internationales sur le droit d’auteur. Encore plus subsidiairement, elle souhaite que le Conseil d’Etat soit saisi de la question de la légalité et de la conventionnalité de ce texte et qu’il soit sursis à statuer en attendant sa décision.
Au soutien de ses appels, elle fait valoir que les productions artisanales en provenance d’Afrique vendues par son intermédiaire ne peuvent être assimilées à des oeuvres originales plastiques et échappent donc à l’assujettissement aux cotisations sociales. Selon elle, en effet, on ne peut déterminer, pour les arts africains, aucun auteur connu ayant apporté son empreinte personnelle et la plupart de ces oeuvres sont en réalité le résultat d’un travail collectif.
Elle ajoute que les oeuvres considérées ne présentent aucune originalité et appartiennent à un fonds commun culturel et religieux, sans qu’on puisse détecter la contribution créative d’un artiste particulier. En présence d’oeuvres traditionnelles constitutives d’un patrimoine collectif très ancien mais dépourvues de caractère original, elle considère qu’il n’existe aucun droit d’auteur et donc que le régime des assurances sociales des auteurs-artistes ne peut régir de telles situations. Enfin, elle conteste la validité de l’article R 382-17 du code de la sécurité sociale qui vise les oeuvres même tombées dans le domaine public alors qu’en pareil cas leur exploitation est libre. Elle invoque la discrimination dont seraient victimes les diffuseurs d’oeuvres d’art plastiques par rapport aux autres diffuseurs d’oeuvres qui ne sont pas assujetties aux mêmes contributions sociales lorsque l’oeuvre est tombé dans le domaine public.
Le Syndicat national des antiquaires intervient volontairement à l’instance d’appel pour demander à la cour d’infirmer les jugements en s’associant aux conclusions développées par la société de Baecque et associés. Défendant les intérêts collectifs de la profession, elle conteste l’assujettissement pratiqué par l’URSSAF au motif que les oeuvres d’art traditionnel considérées sont tombées dans le domaine public et ne présentent pas de caractère original au sens du code de la propriété intellectuelle puisque leur auteur est inconnu.
L’URSSAF d’Ile de France et la Maison des artistes concluent à la confirmation des jugements entrepris. Après avoir rappelé que les articles L 382-4 et R 382-17 du code de la sécurité sociale instituent une contribution sociale au titre de l’exploitation commerciale d’oeuvres originales et graphiques, elles prétendent que les commissions perçues à l’occasion de la dispersion des collections de sculptures et objets d’art tribal entrent dans l’assiette de cette cotisation. Elles font en effet observer que la contribution est due indépendamment de la provenance, de l’ancienneté ou de l’absence de signature. Selon elles, l’anonymat des auteurs d’oeuvres tribales ne fait pas obstacle à la perception de la cotisation. De même, elles indiquent que cette cotisation reste exigible même si l’oeuvre est tombée dans le domaine public. Elles soutiennent aussi qu’en matière de sculpture, la notion d’oeuvre plastique consiste en “toute production originale de l’art statuaire ou de la sculpture en toute matière exécutée entièrement par l’artiste” et que tel est le cas en l’espèce. Enfin, elles relèvent que la destination cultuelle ou sociale de l’oeuvre ne fait pas obstacle à l’assujettissement et que cela n’en fait pas un objet utilitaire.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Motifs :
Considérant d’abord qu’en raison de leur connexité, il convient de joindre les instances suivies sous les numéros 11/02027 et 12/00626 afin de les juger ensemble ;
Considérant que le Syndicat national des antiquaires, dont l’objet est la défense des intérêts collectifs des négociants en objets d’art, est recevable à intervenir dans le présent litige qui porte sur une question commune à tous ses membres, relative à l’étendue de l’assiette de la contribution sociale obligatoire mise à la charge de cette profession ;
Considérant qu’en vertu de l’article L 382-4 du code de la sécurité sociale, le financement des charges incombant aux employeurs au titre des assurances sociales et des prestations familiales est assuré par le versement d’une contribution par toute personne physique ou morale qui procède, à titre principal ou accessoire à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’oeuvres d’art originales ; que les sociétés de ventes volontaires de telles oeuvres sont soumises à cette contribution fixée à 1% du montant TTC des commissions perçues sur le produit des ventes aux enchères ;
Considérant qu’en matière d’art graphique et plastique, les dispositions de l’article R 382-2 3° du code de la sécurité sociale renvoient aux définitions de l’article 98 A, alinéas 1 à 6 de l’annexe III du code général des impôts pour déterminer ce qu’est une oeuvre d’art originale;
Considérant qu’il s’agit notamment des “productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture des lors que les productions sont exécutées entièrement par l’artiste” ;
Considérant qu’est ainsi concerné par cette contribution sociale le négoce d’oeuvres d’art plastique originales ; que seules les ventes d’objets manufacturés ou utilitaires ne reflétant pas la personnalité de leur auteur échappent à la contribution, faute de présenter le caractère d’oeuvre d’art originale ;
Considérant qu’en l’espèce, la société de Baecque et associés conteste l’application des dispositions de l’article L 382-4 et R 382-17 à l’occasion de la vente de collections d’arts premiers au motif que les objets et sculptures s’y rattachant avaient à l’origine une utilité sociale ou rituelle, sans but artistique et que leurs auteurs sont inconnus ;
Considérant cependant que la destination initiale des oeuvres plastiques ne leur enlève pas leur originalité artistique, reflet de la personnalité de leur auteur même inconnu ; qu’ici, les sculptures d’art tribal dispersés à l’occasion de la vente Vérité étaient des pièces de collection présentant un caractère original n’ayant aucun rapport avec des ventes d’objets usuels ou utilitaires ; qu’indépendamment de l’utilisation première de ces sculptures, leur originalité tient à leur beauté artistique et à leur rareté ;
Considérant que, de même, il importe peu que l’identité des auteurs de ces oeuvres soit inconnue et qu’en raison de leur ancienneté, leur exploitation commerciale soit libre puisque les dispositions de l’article R 382-17 précisent que la contribution est due au titre des oeuvres d’artistes vivants ou morts, même lorsqu’elles sont tombées dans le domaine public;
Considérant d’ailleurs que l’assujettissement est déterminé indépendamment de la provenance des oeuvres, de leur ancienneté ou de l’anonymat de leur auteur ;
Considérant qu’il n’existe donc pas de corrélation entre l’existence d’un droit d’auteur sur l’oeuvre d’art plastique ou graphique et l’assujettissement à la contribution sociale obligatoire ;
Considérant que, dans ces conditions, c’est à juste titre que les premiers juges ont décidé que les ventes d’objets d’art tribal constituaient des ventes d’oeuvres d’art plastique originales au sens des articles L 382-4 R 382-17, d’autant plus que ces oeuvres avaient été réunies dans les collections d’éminents amateurs d’arts premiers ;
Considérant qu’à titre subsidiaire, la société de Baecque et associés et le Syndicat national des antiquaires conteste la légalité et la conventionnalité du second article ;
Considérant toutefois qu’il n’appartient à la juridiction d’exercer un contrôle de légalité du texte réglementaire dont l’application est contestée et il n’existe pas de raison sérieuse de saisir le Conseil d’Etat sur la compatibilité de ce texte avec les dispositions protectrices du droit d’auteur, la contribution sociale pouvant de toute façon être perçue indépendamment du droit d’auteur ;
Considérant que de même, étant étrangère au régime de la protection des auteurs, cette disposition ne contrevient ni à l’article 9 de l’annexe I-C de l’Accord ADPIC faisant suite à l’article IV-2-A de la Convention Universelle sur le droit d’auteur ni à la directive 2006/116 du 12 décembre 2006 ;
Considérant qu’enfin, la circonstance que cette contribution ne s’applique qu’au négoce des oeuvres d’art graphiques ou plastiques et qu’il n’existe pas d’équivalents pour les autres branches s’occupant de l’exploitation commerciale des oeuvres artistique originales tient à la différence d’organisation du marché de l’art plastique ou graphique par rapport aux autres secteurs ; qu’il n’est pas interdit de régler différemment des situations distinctes pourvu que cela soit en rapport avec l’objet de la loi et proportionné au but poursuivi, ce qui est le cas en l’espèce ;
Que les jugements seront donc confirmés en ce qu’ils valident les contraintes contestées pour leur entier montant ;