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6 novembre 2018
Cour d’appel de Paris
RG n°
17/06238
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 1
ARRET DU 06 NOVEMBRE 2018
(n° 457 , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/06238 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B25LL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 13/07217
APPELANT
Monsieur [F] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1] (Suisse)
Représenté et plaidant par Me Corinne HERSHKOVITCH de la SELEURL CABINET CORINNE HERSHKOVITCH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0530
INTIME
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représenté et plaidant par Me Bernard GRELON de l’AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne DE LACAUSSADE, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Christian HOURS dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.
*****
Le 6 juillet 1989, la société [F] [P] Fine Art, marchand d’art de nationalité suisse, a vendu au collectionneur français, [Q] [W], au prix de 210 000 USD, une sculpture en verre dénommée ‘la colombe volante’, présentée comme une oeuvre conçue par l’artiste [D] [R], produite par un maître verrier de [Localité 3], [I] [V], qu’elle avait achetée à la galerie Greenberg de [Localité 4] (USA).
En 1996, [B] [R] [U] et [O] [R] [K], filles de [R], ses ayants droit, ont constitué un comité chargé de répertorier les oeuvres de l’artiste.
Le 3 février 1997, ce comité a fait pratiquer à l’encontre de l’oeuvre ‘la colombe volante’, qui lui était soumise, une saisie-contrefaçon, cette procédure ayant débouché, le 27 février 1997, sur un classement sans suite par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
Le 14 novembre 1997, les consorts [R] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile pour contrefaçon devant ledit tribunal, qui a entraîné l’ouverture d’une instruction et la désignation d’un juge d’instruction, en dernier lieu M. [L] [H].
M. [P] a alors proposé à M. [W] de reprendre l’oeuvre et de lui en rembourser le prix d’acquisition, ce qui a fait l’objet d’un protocole d’accord signé le 16 juillet 1998, qui précisait que le transfert de propriété en faveur de M. [P] interviendrait après le complet paiement à M. [W].
Trois demandes successives de M. [P] au juge d’instruction de lui restituer l’oeuvre ont été refusées par ordonnances respectives des 8 novembre 1999, 7 décembre 2000 et 30 avril 2001.
Le 17 mars 2002, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu et précisé, refusant en cela de faire droit à la demande des ayants droit de [R], qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner la destruction de l’oeuvre. Cette décision a été confirmée par arrêt du 30 janvier 2003 de la chambre de l’instruction.
Par lettres des 2 avril 2003 et 22 septembre 2003, M. [P] a demandé à nouveau la restitution de l’oeuvre.
Par lettre du 25 janvier 2004, le procureur général a indiqué que la sculpture avait été remise au service des domaines, le 4 mars 2000, suite à une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris, conformément aux dispositions de l’article 41-1 du code de procédure pénale.
Le 24 décembre 2004, le chef du bureau des objets trouvés et des fourrières a indiqué que la sculpture avait été détruite par broyage le 7 juin 2003.
Le 28 avril 2005, le responsable du service des domaines a affirmé que l’oeuvre en cause ne lui n’avait en réalité jamais été remise.
Le 16 septembre 2005, M. [P] a engagé devant le tribunal de grande instance de Paris une action en responsabilité contre l’Etat et sollicité du tribunal l’indemnisation de son préjudice à la suite de la disparition de l’oeuvre ‘la colombe volante’.
Par arrêt du 5 décembre 2007, la cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris le 8 novembre 2006, ayant constaté l’incompétence de l’ordre judiciaire, qui avait été soulevée par l’agent judiciaire du trésor.
Le 12 décembre 2011, M. [P] a déposé une requête en indemnisation devant le tribunal administratif de Paris.
Le 30 décembre 2011, M. [P] a parallèlement fait assigner l’Etat et le préfet de police de Paris devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins de les voir condamner à lui payer :
– la somme de 1 100 000 euros au titre de son préjudice matériel ;
– celle de 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;
– celle de 25 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 18 octobre 2012, le tribunal administratif, s’estimant incompétent malgré la décision précitée de la cour d’appel de Paris, a saisi le tribunal des conflits, lequel a, par décision du 15 avril 2013, jugé l’ordre judiciaire compétent pour connaître du litige et déclaré nul et non avenu l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 décembre 2007.
Par ordonnance du 11 mars 2014, le juge de la mise en état a mis hors de cause le préfet de police.
Par jugement du 13 mars 2017, le tribunal de grande instance de Paris a débouté M. [P] de ses demandes, estimant qu’il n’avait pas rapporté la preuve de sa qualité de propriétaire de l’oeuvre litigieuse, faute d’établir qu’il l’avait remboursée à M. [W], de sorte qu’il ne pouvait être considéré comme un usager du service public de la justice et également à défaut de démontrer l’existence d’un préjudice.
M. [P], qui a interjeté appel de cette décision, demande à la cour, par ses écritures du 12 mars 2018, de déclarer son recours tant recevable que bien fondé, d’infirmer la décision déférée et statuant à nouveau, de :
– à titre principal, juger qu’il est bien propriétaire de l’oeuvre litigieuse ;
– constater qu’il est un usager du service public de la justice ;
– constater que celui-ci a commis une faute lourde à son égard ;
– juger que l’Etat a engagé sa responsabilité en conséquence d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
– condamner l’Etat, pris en la personne de son représentant légal, à lui payer la somme de 1 450 000 euros (et non 1 450 00 € comme indiqué manifestement par erreur) ;
– condamner l’Etat, pris en la personne de son représentant légal, à payer à M. [P] la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;
– à titre subsidiaire, constater que M. [P] a subi un préjudice anormal et spécial ;
– en conséquence, juger que l’Etat engage sa responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques ;
– condamner l’Etat, pris en la personne de son représentant légal, à payer à M. [P] la somme de 1 450 000 € ( et non 1 450 00 €);
– condamner l’Etat, pris en la personne de son représentant légal, à lui payer la somme de 50 000 euros, au titre de son préjudice moral ;
– condamner l’Etat pris en la personne de son représentant légal à lui payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens tant de première instance que d’appel dont distraction au profit de Me Corinne Hershkovitch.
L’agent judiciaire de l’Etat, intimé, demande à la cour, dans ses écritures du 21 juillet 2017, de confirmer le jugement entrepris, de débouter M. [P] de ses demandes et de le condamner à payer à l’Etat, en cause d’appel, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans son avis du 5 octobre 2017, le ministère public conclut à l’infirmation du jugement du 13 mars 2017 du tribunal de grande instance de Paris. Il reconnaît l’existence d’une faute lourde de l’Etat imputable au fonctionnement défectueux du service de la justice et considère que le préjudice de M. [P] en lien avec la faute caractérisée sera indemnisé à hauteur des sommes versées à M. [W] pour le rachat de l’oeuvre en 1998, actualisées au jour du prononcé de l’arrêt de la cour.
SUR CE,
Considérant que M. [F] [P], appelant, soutient que :
– c’est à tort que le tribunal a retenu que M. [P] n’avait pas démontré être propriétaire de l’oeuvre litigieuse, n’ayant pas justifié s’être acquitté du règlement intégral du montant prévu au terme du protocole d’accord, de sorte que les règlements prévus ont été parfaitement respectés :
– la qualité d’usager du service public de la justice ne se réduit pas à la notion de partie à l’instance; il était en effet directement concerné par la procédure au cours de laquelle le scellé a disparu et n’a pu lui être restitué ;
– en vertu de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire, la responsabilité de l’Etat peut être engagée pour faute lourde car :
1) la disparition du scellé dans le cours de l’information judiciaire résulte d’une série d’erreurs commises par l’officier de police judiciaire, puis par le procureur qui a déclaré par erreur avoir remis la sculpture au service des Domaines, alors que celui affirme ne l’avoir jamais reçue ;
2) la sculpture aurait été remise au service des domaines dès le 4 mars 2000 et ne pouvait pas se trouver au greffe du tribunal de grande instance le 26 juillet 2000, comme l’a affirmé l’officier de police judiciaire dans le procès verbal ;
3) la remise au service des domaines le 4 mars 2000 et la destruction de l’oeuvre le 7 Juin 2003 ne peuvent procéder que d’une erreur comme l’a reconnu l’agent judiciaire de l’Etat ;
– en vertu de l’article 41-1 du code de procédure pénale, le propriétaire d’un bien saisi dispose d’un délai de trois ans pour en demander la restitution :
1) dès le 1er février 1999, M. [P] a bien informé le juge d’instruction d’une demande de restitution ; cette demande a été rejetée par le juge d’instruction selon ordonnance de rejet le 8 novembre 1999 parce que le juge estimait que l’oeuvre devait rester sous main de justice le temps de l’instruction de l’affaire ;
2) deux nouvelles demandes ont été faites par M. [P], le 26 Juillet 2000 et 12 février 2001 et rejetées, toujours aux motifs que l’instruction restait en cours et que des vérifications étaient encore nécessaires ;
– en vertu de l’article L 67 du code du domaine de l’Etat, la remise aux Domaines suppose que le service de l’Etat, détenant le bien, n’en ait plus besoin ou que la confiscation du bien ait été ordonnée ; or jamais la confiscation ou la vente de l’oeuvre n’a été ordonnée ;
– ainsi le service public de la justice ne pouvait pas, à la fois, refuser la restitution aux motifs que l’oeuvre était nécessaire pour l’instruction en cours, et en même temps ordonner sa remise aux services du domaine qui supposerait au contraire que l’oeuvre n’était plus utile ; la remise de l’oeuvre au service des domaines, le 4 mars 2000, alors que l’instruction était toujours en cours, constitue une faute lourde ;
– de plus, l’oeuvre a été détruite alors même qu’il avait été jugé qu’elle ne devait pas l’être ; il s’agit ici d’une violation des dispositions légales et de l’autorité de chose jugée attachée tant à l’ordonnance de non lieu qu’à l’arrêt de la chambre de l’instruction du 30 janvier 2003 ;
– du fait d’une série d’erreurs d’une gravité manifeste et évidente, les services de la justice sont à ce jour incapables de restituer l’oeuvre qu’ils avaient sous leur garde, ignorant où elle se trouve, si elle a été détruite ou non ou si elle a été perdue ou volée, ce qui traduit leur inaptitude à remplir sa mission ;
– à titre subsidiaire, lorsque la responsabilité de l’Etat est invoquée par un tiers, ni collaborateur du service public, ni usager, la Cour de cassation a estimé que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée, même en l’absence de faute lourde ;
– le préjudice subi par M. [P], à savoir la perte d’une oeuvre d’art importante, aujourd’hui estimée à 1 450 000 euros constitue un préjudice totalement anormal et exceptionnel ;
– l’oeuvre en cause était authentique au vu des justifications apportées ; les oeuvres de [R] n’atteignaient pas des montants importants au début des années 50, de sorte qu’il est peu probable qu’une de ses oeuvres ait été contrefaite ; à aucun moment, son authenticité n’a été contestée par ceux qui ont été les plus proches amis et collaborateurs de M. [R] ;
– les héritiers de M. [R] ne sont pas des experts pouvant authentifier les oeuvres ; le comité [R] a fait d’ailleurs l’objet de nombreuses critiques du monde de l’art, en raison, justement, de ses critères d’authentification plus que discutables ;
– l’oeuvre doit être considérée comme une oeuvre de [R], M. [V], le verrier de [Localité 3], n’ayant été qu’un exécutant intervenant pour la production des trois exemplaires de la sculpture;
– le préjudice doit être chiffré à la valeur actuelle de l’oeuvre, entre 1,2 et 1,6 millions d’euros, la valeur médiane sollicitée étant de 1 450 000 euros ;
– il a également subi un préjudice moral lié aux difficultés traversées depuis tant d’années pour tenter de récupérer son bien et au choc que lui a causé l’annonce de sa destruction ;
Considérant que l’agent judiciaire de l’Etat, intimé, soutient que :
– M. [P] ne peut pas se prévaloir de la faute lourde de l’Etat, dans la mesure où il n’a pas exercé les voies de recours prescrites par la loi en sollicitant la mainlevée de la saisie-contrefaçon; les ayants droit d’une oeuvre ont parfaitement la possibilité de faire procéder à sa saisie et à son placement en application des articles L332-1 du code de propriété intellectuelle, 1955 et suivants, 1961 et suivants du code civil ; or à la date de la saisie-contrefaçon, M. [P] n’était pas encore propriétaire de l’oeuvre, ni le saisi, ni le tiers saisi et n’était donc pas recevable à cette date à se prévaloir d’une faute lourde qu’aurait commise le parquet de Paris ;
– à partir du 9 juillet 1998, M. [P] est devenu propriétaire de l’oeuvre mais n’a pas pour autant exercé une voie de recours contre la saisie-contrefaçon de l’oeuvre, de nature à lui permettre d’en obtenir la restitution en application des dispositions du code de propriété intellectuelle ; il n’est dès lors pas fondé à se prévaloir d’un dysfonctionnement du service public de la justice ;
– à titre subsidiaire, la responsabilité de l’Etat sans faute est exclusive de la responsabilité de l’Etat pour faute lourde ;
– à titre surabondant, la responsabilité sans faute doit être justifiée par l’existence d’un préjudice anormal et spécial, en lien direct avec l’activité du service de la justice ; ainsi c’est la prise en considération du dommage qui importe et non l’existence prétendue de la faute ou de dysfonctionnement :
1) M. [P], n’étant pas propriétaire avant le 9 Juillet 1998, n’est pas fondé à se prévaloir de l’existence d’un préjudice anormal et spécial du fait de la saisie de ce bien, qui ne lui appartenait pas ;
2) le prétendu dommage ne saurait être qualifié d’anormal et la preuve de l’authentification de l’oeuvre litigieuse n’est pas rapportée ; en effet ni l’authentification de l’oeuvre, ni la contrefaçon de l’oeuvre ne sont à ce jour établies ;
– l’existence d’un préjudice n’est pas démontrée dans la mesure où M. [P] ne justifie pas de l’authentification de l’oeuvre ; en effet, il ne saurait se prévaloir de l’existence d’un préjudice réel et certain alors que l’authenticité de l’oeuvre détruite n’est pas démontrée ;
– le prétendu préjudice moral n’est pas en lien avec le comportement des services de l’Etat ;
Considérant que le ministère Public, intimé, est d’avis que :
– M. [P] a bien la qualité de propriétaire de l’oeuvre litigieuse et sa qualité d’usager du service public n’est pas contestable ;
– la faute lourde est reconnue du fait de la carence ou des erreurs commises :
1) en premier lieu par le parquet de Paris ;
2) puis par le service des domaines agissant à la suite d’une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris ;
3) enfin du fait de la non-exécution de l’ordonnance de non lieu du juge d’instruction qui précisait le 7 mars 2002 “n’y avoir lieu à la destruction des scellés’;
– les délais de la procédure peuvent être qualifiés d’excessifs en l’absence d’une particulière complexité de l’affaire et de mesures d’instruction spécifiques justifiant une durée anormalement longue, alors même que l’enquête initiale a fait l’objet d’un classement sans suite au terme de 28 jours;
– l’inaptitude du service public ne peut être reconnue que dans la mesure où l’exercice des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ; or l’avis à victime du classement sans suite de la procédure de saisie-contrefaçon initiée par les consorts [R] n’a pas été renseigné, de sorte que M. [W] n’a pas été averti de cette décision et n’a pas pu en prévenir M. [P] lors du rachat de l’oeuvre en 1997 ; cette omission du parquet de Paris a privé tant M. [W] que M. [P] de l’exercice des voies de recours auxquelles se réfère l’agent judiciaire de l’Etat et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir exercé les voies de recours prévus par les textes pour faire échec au dysfonctionnement du service de la justice ;
– aucune pièce du dossier ne permet d’authentifier de manière certaine cette oeuvre signée [R]; M. [V] estime avoir exécuté l’oeuvre en collaboration avec M. [P] ; il pourrait s’agir d’une oeuvre de l’atelier de l’artiste et non de l’artiste lui-même ; M. [P] ne peut dès lors se prévaloir de la valeur d’une sculpture reconnue comme ayant officiellement appartenu à l’oeuvre de l’artiste;
Considérant qu’il n’est pas contesté devant la cour que M. [P] a payé l’intégralité de la somme due à M. [W], de sorte que, conformément aux dispositions du protocole d’accord signé entre eux le 16 juillet 1998, il est bien devenu, le 9 juillet 1998, le propriétaire de l’oeuvre ‘la Colombe volante’ ; qu’en effet, le 29 avril 1997, il avait adressé à M. [W] un chèque bancaire n°[Compte bancaire 1], d’un montant de 50 000 USD, encaissé par M. [W] le 15 mai 1997; que le 7 mars 1998, il lui avait envoyé un nouveau chèque bancaire n°[Compte bancaire 2] d’un montant de 60 000 USD ; que l’erreur matérielle sur la date du chèque, mentionnant le 7 mars 1997, a été corrigée immédiatement par M. [P] auprès de sa banque ; que ce chèque a été encaissé par M.[W] le 25 mars 1998 ; que le 9 juillet 1998, M. [P] a adressé à M. [W] un dernier chèque bancaire, d’un montant de 100 000 USD, encaissé et débité le 9 juillet 1998 ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire, tout usager du service public peut engager la responsabilité de l’Etat, qui est tenu de réparer le dommage résultant de son fonctionnement défectueux ; que la faute lourde du service de la justice permet de retenir cette responsabilité, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi étant de nature à caractériser cette faute lourde ;
Considérant que l’oeuvre a fait l’objet d’un scellé judiciaire à destination du greffe du tribunal de grande instance de Paris le 4 février 1997 dans le cadre d’une saisie-contrefaçon effectuée à la diligence des ayants droit de [R], avant de faire l’objet d’un classement sans suite par le parquet le 27 février suivant ; qu’elle a cependant été conservé par le service public de la justice après que les ayants droit de [R] aient déposé plainte avec constitution de partie civile, à la demande du juge d’instruction pour les besoins de l’information ;
Considérant que M. [P], devenu propriétaire de cette oeuvre, toujours conservée par le service public de la justice, dont il a demandé la restitution à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il finisse par apprendre que celle-ci avait été détruite, doit être regardé comme manifestement intéressé à la procédure et par conséquent comme un usager de la justice ;
Considérant qu’il ne peut être reproché à M. [P] de n’avoir pas exercé les droits de recours contre la saisie-attribution dès lors, que comme l’observe le ministère public, l’avis en date du 4 mars 2017 sur le classement sans suite de la procédure de saisie-attribution n’était pas renseigné, de sorte que le propriétaire d’alors, M. [W] n’a pu être averti de cette décision, en contravention avec les dispositions L 68 et suivants du code du domaine de l’Etat; que cette omission du parquet de Paris a ainsi privé tant M. [W] que M. [P] de l’exercice des voies de recours auxquelles se réfère l’agent judiciaire de l’Etat ;
Considérant que, sans qu’il soit nécessaire de reconstituer précisément le mécanisme qui a conduit à la disparition de l’oeuvre par destruction, il est constant que l’oeuvre conservée sous main de justice n’a pu être représentée à son propriétaire, alors que, par arrêt du 30 janvier 2003, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris avait confirmé la décision du 17 mars 2002 du juge d’instruction qui avait rendu une ordonnance de non-lieu, précisant expressément, refusant en cela de faire droit à la demande des ayants droit de [R], qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner la destruction de l’oeuvre, ce dont il se déduisait qu’elle devait être remise à son propriétaire ;
Considérant que la destruction d’un objet placé sous main de justice par le service public de la justice en infraction à une décision judiciaire, constitue une faute lourde puisque ledit service public a fait preuve d’inaptitude dans l’exécution de sa mission ;
Considérant s’agissant du préjudice subi par M. [P] que celui-ci réclame la valeur à dire d’expert de cette oeuvre considérée comme authentique ;
Considérant que le juge d’instruction dans son ordonnance de non lieu confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel a indiqué que :
‘Il apparaissait qu'[D] [R] avait été amené à travailler à compter des années 50 avec des artisans verriers italiens de la région de [Localité 3] et plus particulièrement [C] [N] ; que ces derniers produisaient matériellement des oeuvres en verre à partir d’indications fournies par l’artiste ; que par lettre du 24 avril 1953, [C] [N] lui proposait de réaliser une colombe volante en verre ; que, le 12 mai suivant, [R] acquiesçait au projet dans son principe ; qu’il en esquissait à cette occasion les principaux traits ; que l’idée de réaliser une colombe ne semblait naître qu’à compter de l’année 1953 ; que dès lors des doutes existaient quant à la date de réalisation de l’oeuvre détenue par [F] [P] puisque l’anneau auquel elle était attachée indiquait 1952 comme année de création ;
que [F] [P] se prévalait en outre d’une photo représentant une colombe volante et publiée dans le catalogue d’une exposition organisée en 1955 ; que la note correspondante précisait que l’oeuvre avait été faite par [I] [V], artisan-verrier auquel [C] [N] sous-traitait parfois la réalisation de sculptures et d’après un dessin d'[D] [R] ; que cette publication témoignait, selon lui de l’authenticité de l’oeuvre qu’il possédait ;
qu’il apparaissait toutefois de façon évidente que ces deux colombes présentaient de nombreuses différences physiques, visibles à l’oeil nu ; qu’en aucun cas, [F] [P] ne possédait ainsi la colombe publiée dans ce catalogue ; que dès lors, soit [R] avait autorisé la réalisation de plusieurs colombes, celle possédée par [F] [P] aurait pu lui être attribuée, soit l’artiste n’avait donné son accord que pour une seule oeuvre, à savoir celle présentée lors de l’exposition de 1955, [F] [P] possédant alors une contrefaçon ;
que l’enquête ne permettait pas de trancher définitivement cette question ; qu’on savait de façon certaine qu'[D] [R] avait permis la réalisation d’une colombe ; qu’il s’agissait de celle présentée lors de son exposition en 1955 ; que l’artiste en avait d’ailleurs donné une photographie aux Archives de l’Art Américain du [Établissement 1] ; qu’il n’était en revanche pas possible de déterminer si sa collaboration avec les artisans italiens avaient porté sur d’autres colombes ; que les héritiers d'[D] [R] et [F] [P] s’opposaient sur le sujet, les premiers assurant qu’une seule et unique colombe avait été produite, le second soutenant qu’au moins deux oeuvres avaient été créées sur ce thème, que l’insuffisance des éléments produits par les parties ne permettait toutefois pas de trancher dans un sens ou dans un autre, d’autant qu’aucune d’entre-elles ne parvenait à renverser dans leur totalité les arguments de la partie adverse ;
qu’aucun document n’était trouvé témoignant de la collaboration entre [D] [R] et [I] [V] ; que son fils, [G] [V], attestait toutefois, après quelques hésitations, de l’authenticité de l’oeuvre possédée par [F] [P] ; que cet élément permettait donc de douter du caractère contrefaisant de l’oeuvre ; qu’il ne suffisait pas, en revanche, à emporter la conviction, [G] [V] n’ayant produit son attestation qu’à partir d’un fax et d’une photo et non pas l’original de l’oeuvre ;
que finalement si des doutes existent quant au caractère contrefaisant de l’oeuvre, aucun élément ne permet d’établir ce fait de façon certaine ; qu’une expertise n’aurait à cet égard été d’aucun secours, l’intervention de l’artiste n’ayant été qu’intellectuelle et non pas matérielle’;
Considérant que l’information suivie n’a pas permis de prouver que l’oeuvre était contrefaisante; qu’il ne peut en être déduit pour autant que l’oeuvre est authentique en raison des doutes qui subsistent résultant des éléments objectifs rapportés dans l’ordonnance du juge d’instruction ; que l’existence de doutes pèse sur la valeur de l’oeuvre ;
Considérant en conséquence que le seul préjudice certain en relation de causalité directe avec la disparition de l’oeuvre, consiste en la perte de la somme de 220 000 USDque M. [P] a versée à M. [W] en 1997 et 1998 pour lui racheter l’oeuvre en cause, réévalué au jour où la cour statue, ainsi qu’en un préjudice moral tenant à la perte d’une oeuvre d’art susceptible d’avoir été créée sur les indications de l’artiste [R], sans qu’il en ait eu pour autant la certitude absolue puisqu’il a préféré racheter l’oeuvre précédemment vendue à M. [W] quand le comité [R] a affirmé que l’oeuvre n’était pas authentique ; qu’il doit être également tenu compte pour l’évaluation de son préjudice du temps écoulé depuis ce paiement qui remonte à une vingtaine d’années ;
Considérant qu’au vu de ces éléments, il convient d’évaluer le préjudice matériel de M. [P] à la somme de 300 000 euros et son préjudice moral à la somme de 20 000 euros que l’agent judiciaire de l’Etat devra lui régler ;
Considérant que l’agent judiciaire de l’Etat devra lui régler la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel et supporter les dépens de première instance et d’appel avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me Corinne Herschkovitch ;