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26 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
20-86.776
N° K 20-86.776 F-D
N° 00088
SM12
26 JANVIER 2022
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 JANVIER 2022
M. [U] [E] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 6e section, en date du 24 novembre 2020, qui a confirmé la décision de non-restitution du bien saisi prise par le procureur de la République.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [U] [E], les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [L] [W], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 14 février 1994, un tableau de [G] [I] intitulé « le canotage » a été dérobé par effraction au domicile de M. [L] [W].
3. Il a été proposé à la vente le 30 mai 2017 par une maison de ventes aux enchères, et une enquête préliminaire a été ouverte du chef de recel de vol, dans le cadre de laquelle le tableau a été placé sous scellé.
4. Le vendeur, M. [E], a indiqué qu’il avait acheté en 1994 trois tableaux de [G] [I], dont « le canotage », à une galerie de Tel-Aviv.
5. Le 29 janvier 2019, une requête en restitution de cette oeuvre d’art a été présentée par l’avocat de M. [W].
6. Le 5 juin 2019, le procureur de la République a fait droit à cette requête, et ordonné le classement sans suite de la procédure.
7. Le 17 juin 2019, l’avocat de M. [E] a sollicité la restitution du tableau.
8. Le 9 juillet 2019, le procureur de la République a suspendu l’exécution de sa décision de restitution à M. [W], et rejeté la requête de M. [E].
9. Le 16 juillet 2019, M. [E] a saisi la chambre de l’instruction d’un recours contre cette dernière décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il n’a pas fait droit à la requête en restitution, alors :
« 1°/ que lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie au terme de l’enquête, la chambre de l’instruction est tenue de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés si la décision sur la restitution en dépend ; qu’en se bornant, pour rejeter la demande de restitution de l’huile sur toile intitulée « Le Canotage », à relever que « la propriété de ce tableau par M. [E] [était] sérieusement contestée », après avoir elle-même retenu que « le procureur de Paris [ ] [avait] class[é] la procédure sans suite, au motif que l’infraction [de recel de vol] n’était pas suffisamment caractérisée », quand il lui appartenait de trancher la contestation, fût-elle sérieuse, dont elle était saisie, la chambre de l’instruction a violé les articles 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, 1er du premier protocole additionnel à cette Convention, 4 du code civil, préliminaire et 41-4 du code de procédure pénale ;
2°/ qu’en refusant la restitution du tableau, au motif inopérant que celui-ci « a[vait] bien été dérobé au domicile de M. [W], dans le cadre d’un vol commis avec effraction le 14 février 1994, alors que celui-ci en était le légitime propriétaire », sans répondre aux articulations essentielles du mémoire de M. [E] qui faisait valoir qu’il avait régulièrement acheté ce tableau en août 1994 dans une galerie d’art, au prix du marché, que le tableau était assuré depuis lors et exposé à son domicile, qu’il l’avait lui-même régulièrement importé en France pour le faire vendre aux enchères publiques dans une maison réputée, en sorte qu’il en était propriétaire par application de l’article 2276 du code civil, et que M. [W] ne pouvait revendiquer la propriété du tableau plus de 3 ans après le vol, la chambre de l’instruction n’a pas légalement justifié sa décision et a violé l’article 593 du code de procédure pénale et 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme ;
3°/ qu’en refusant la restitution du tableau sans répondre à l’articulation essentielle du mémoire de M. [E] tirée de l’atteinte au droit de propriété et au droit au respect de ses biens, la chambre de l’instruction n’a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 593 du code de procédure pénale, 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme et 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 41-4 et 593 du code de procédure pénale :
11. Il résulte du premier de ces textes que le président de la chambre de l’instruction ou la chambre de l’instruction à qui est déférée, en application de son deuxième alinéa, la décision de non-restitution rendue par le procureur de la République ou le procureur général lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie, ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, est tenue de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés, lorsque la décision sur la restitution en dépend.
12. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour confirmer le refus de restitution du procureur de la République, l’arrêt retient que si le délit de recel reproché à M. [E] n’apparaît pas suffisamment établi, en l’état des investigations, pour justifier des poursuites devant une juridiction pénale, il n’en demeure pas moins que les circonstances dans lesquelles il est entré en possession du tableau demeurent floues et que sa bonne foi ne résulte pas suffisamment de la procédure.
14. Les juges relèvent que la propriété de ce tableau par M. [E] est sérieusement contestée.
15. Ils ajoutent qu’il résulte de l’enquête que le tableau en question a été dérobé au domicile de M. [W] lors d’un vol avec effraction commis le 14 février 1994, alors que ce dernier en était le légitime propriétaire, ce qui a justifié la décision de lui restituer cette toile prise par le procureur de la République le 5 juin 2019, et que l’indemnisation supposée de M. [W] par sa compagnie d’assurance est étrangère à l’unique objet dont la cour est saisie.
16. Ils concluent que la décision de non-restitution à M. [E] du scellé numéro un, huile sur toile de [G] [I] « le canotage » doit être confirmée.
17. En se déterminant ainsi, sans répondre au mémoire du demandeur faisant valoir qu’il était propriétaire du tableau en application de l’article 2276 du code civil et que M. [W] ne pouvait en revendiquer la propriété plus de trois ans après le vol, et alors qu’il lui appartenait de trancher la contestation, fût-elle sérieuse, qu’elle avait constatée, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
18. La cassation est par conséquent encourue.