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23 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
22-16.959
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 913 F-D
Pourvois n°
P 22-16.959
Q 22-17.834 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022
I – L’Etat, agissant en la personne du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° P 22-16.959 contre le jugement rendu le 11 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, dans le litige l’opposant :
1°/ Mme [J] [RW], domiciliée [Adresse 8],
2°/ Mme [KY] [RW], veuve [F], domiciliée [Adresse 1] (États-Unis),
3°/ M. [E] [B], domicilié [Adresse 3],
4°/ Mme [X] [B], épouse [IF], domiciliée [Adresse 15] (États-Unis),
5°/ Mme [P] [H], veuve [RW], domiciliée [Adresse 10] (Suisse),
6°/ Mme [FD] [RW], épouse [LB], domiciliée [Adresse 6]7 (États-Unis),
7°/ M. [IC] [RW], domicilié [Adresse 2] (États-Unis),
8°/ Mme [UV] [NX], domiciliée [Adresse 13] (États-Unis),
9°/ Mme [K] [NX], domiciliée [Adresse 11] (États-Unis),
10°/ Mme [M] [NX], domiciliée [Adresse 12] (États-Unis),
prises toutes trois en qualité d’héritières de [Z] [RW],
11°/ M. [S] [B],
12°/ Mme [Z] [B],
venant tous deux aux droits de [E] [B],
défendeurs à la cassation.
II – 1°/ Mme [P] [H], veuve [RW], domiciliée [Adresse 9] (Suisse),
2°/ Mme [FD] [RW],
3°/ M. [IC] [RW],
4°/ Mme [J] [RW],
5°/ Mme [KY] [RW], veuve [F],
6°/ Mme [UV] [NX],
7°/ Mme [K] [NX],
8°/ Mme [M] [NX],
agissant toutes trois en qualité d’héritières de [Z] [RW],
9°/ Mme [X] [B], épouse [IF],
10°/ Mme [AM] [FG], veuve [B], domiciliée [Adresse 3],
11°/ M. [S] [B], domicilié [Adresse 5],
12°/ Mme [Z] [B], épouse [RT], domiciliée [Adresse 7],
venant tous trois aux droits de [E] [B],
ont formé le pourvoi n° Q 22-17.834 contre le même jugement rendu, dans le litige les opposant à l’Etat, pris en la personne du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, défendeur à la cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Le demandeur au pourvoi n° P 22-16.959 invoque, à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi n° Q 22-17.834 invoquent, à l’appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, les observations écrites de la SCP Piwnica et Molinié et la plaidoirie de Me Piwnica, avocat de Mmes [J], [KY] et [FD] [RW], Mme [H], veuve [RW], M. [IC] [RW], MM. [E] et [S] [B], Mmes [X] et [Z] [B], Mme [FG], veuve [B], Mmes [UV], [K] et [M] [NX], de la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés et la plaidoirie de Me Lecuyer, avocat de l’Etat, et l’avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 22-16.959 et Q 22-17.834 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2022), rendu en dernier ressort, [I] [XN], marchand d’art, est décédé le 22 juillet 1939, en laissant pour lui succéder divers collatéraux privilégiés, aux droits desquels se trouvent Mmes [FD], [J], [KY] et M. [IC] [RW], Mme [P] [H] et Mmes [UV], [K] et [M] [NX] (les héritiers).
3. Aux termes de son testament olographe daté du 7 décembre 1911, il avait consenti plusieurs legs à M. et Mme [B] et leur fils [BF], aux droits desquels se trouvent Mmes [X], [Z] et M. [S] [B] et Mme [FG] (les légataires).
4. Un différend s’étant élevé entre les héritiers et légataires, plusieurs transactions sont intervenues en 1940 et 1961, dont il résulte notamment que les tableaux dépendant de la succession revenaient pour deux tiers aux légataires et pour un tiers aux héritiers.
5. [XR] [V] et [A] [N], mandatés en 1940 comme experts, pour procéder, lors du règlement de la succession d'[I] [XN], à l’inventaire des oeuvres et à la constitution des lots, ont fait l’objet de procédures pénales liées à des détournements de plusieurs d’entre elles.
6. Les 22 et 24 mars 1949, deux transactions sont intervenues entre les héritiers et [XR] [V], aux termes desquelles ceux-ci déclaraient notamment se désister de toutes leurs instances civiles ou pénales et opéraient entre eux une répartition de certaines oeuvres.
7. Le 15 avril 2016, soutenant être propriétaires de sept oeuvres figurant au répertoire « Musées nationaux récupération » qui recense des oeuvres d’art récupérées en Allemagne à l’issue de la seconde guerre mondiale et renvoyées en France parce que certains indices laissaient penser qu’elles en provenaient, les héritiers et légataires ont saisi d’une demande de restitution l’Etat, pris en la personne du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lequel a rejeté leur demande.
8. Les héritiers et légataires ont formé un recours devant le tribunal administratif de Paris, qui, par jugement du 4 décembre 2019, a sursis à statuer jusqu’à ce que le tribunal judiciaire de Paris, saisi par question préjudicielle, se soit prononcé sur la propriété des oeuvres litigieuses.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° P 22-16.959
Enoncé du moyen
9. L’Etat fait grief au jugement de dire que les oeuvres répertoriées MNR 200 et 219 et REC 57 sont la propriété indivise des héritiers et légataires, alors :
« 1°/ que, si l’effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction ; qu’en l’espèce, par une convention du 22 mars 1949, rendue opposable à [Y] [XN] par une seconde convention du 24 mars 1949, [C] et [BM] [XN], déclaraient renoncer à leurs actions pénale et civile et décidaient de mettre fin aux poursuites contre [US] [XN] et [XR] [V] qui avaient pourtant géré de manière irrégulière la succession en détournant un grand nombre d’oeuvres au lieu d’en assurer la répartition ; qu’en échange, [US] [XN] acceptait de ne se voir attribuer aucune oeuvre d’art, s’étant amplement servi grâce aux ventes irrégulières effectuées sur le compte partagé [V]/[N], et [XR] [V] s’engageait à s’acquitter de tous les droits successoraux outre les éventuelles amendes réclamées par l’administration ; que ladite convention réglait, en outre, les opérations de partage des biens immobiliers et mobiliers composant la succession [XN] afin de rééquilibrer les droits de chacun ; que l’Etat en déduisait que le partage ainsi réalisé en 1949 avait permis aux ayants droit d’être remplis de leurs droits successoraux et éteint toute possibilité pour eux de réclamer les oeuvres détournées auxquelles ils avaient renoncé ; qu’en se fondant sur la convention du 22 mars 1949 pour dire que le partage intervenu en 1949 ne constituait pas un obstacle à la revendication des trois oeuvres MNR 219, MNR 200 et REC 57, sans rechercher, comme il y était pourtant invité, si cette convention ne renfermait pas une renonciation de la part des ayants droit à tous droits sur lesdites oeuvres, dont ils savaient en signant la transaction de 1949 qu’elles avaient été détournées par [XR] [V] et [A] [N] avec la complicité de [US] [XN], et si, partant, l’Etat n’était pas fondé à se prévaloir de cette renonciation pour s’opposer à leur revendication, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles 2051 et 2052 du code civil ;
2°/ que la renonciation ne peut voir ses effets enfermés dans une transaction ; qu’en estimant que le partage intervenu en 1949 ne constituait pas un obstacle à la revendication des ayants droit d'[I] [XN], motif pris de ce que la convention du 22 mars 1949, qui avait pour objet de répartir des oeuvres entre les consorts [XN] et M. [V], n’interdisait nullement aux parties, ou à leurs ayants droit, de revendiquer ensuite la propriété d’une oeuvre détenue par un tiers, quand cette action en revendication n’était possible que pour les oeuvres qui n’étaient comprises ni dans l’inventaire de 1939, ni dans le compte partagé [N]/[V], et qui n’étaient donc pas concernées par les actions en justice ayant conduit aux conventions de mars 1949, ce qui n’était pas le cas des oeuvres MNR 219, MNR 200 et REC 57 lesquelles, comme le relevait le jugement, “n’étaient pas inconnues des héritiers et légataires lors de l’ouverture de la succession d'[I] [XN]”, avaient “été apportées en 1940 et 1941 au compte de participation de la société créée par [XR] [V] et [A] [N], puis vendues par ceux-ci aux allemands” et, pour “la première d’entre elles, [avait été] visée dans l’inventaire effectué par le notaire en 1939”, le tribunal s’est fondé sur des motifs inopérants et a violé les articles 2051 et 2052 du code civil ;
3°/ qu’en énonçant, pour retenir que la convention du 22 mars 1949 ne constituait pas un obstacle à la revendication des ayants droit, “qu’à supposer que ladite convention leur soit applicable, les oeuvres objets de la présente instance entreraient nécessairement dans le champ de son article 5- n’ayant été à l’époque ni sous-main de justice en France, ni séquestrées au Canada, ni saisies à New York –et étaient donc abandonnées à M [D] [O], ès qualités, soit à certains des consorts [XN], aux droits desquels viennent les demandeurs à la présente instance” quand la question n’était pas de savoir si les oeuvres litigieuses entraient bien dans le champ de l’article 5 de la convention mais si, ainsi que le soutenait l’Etat, dans la mesure où précisément ladite convention leur était applicable, celle-ci n’avait pas validé les transactions irrégulières portant sur ces oeuvres, rempli les ayants droit de leurs droits successoraux en réglant définitivement les opérations de partage, et porté ainsi renonciation de leur part à tous droits sur les oeuvres revendiquées, si bien que l’Etat pouvait s’en prévaloir et invoquer la renonciation que la convention du 22 mars 1949 renfermait, le tribunal a, de nouveau, statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard des articles 2051 et 2052 du code civil ;
4°/ que l’Etat soutenait qu’à la suite de la levée des scellés, il avait été procédé à la délivrance du legs en nature aux consorts [B] le 18 janvier 1940, soit antérieurement au détournement des oeuvres par MM. [N] et [V] qui ne les concernait pas ; qu’il ajoutait qu’ayant été ainsi remplis de leurs droits successoraux par la délivrance de leur legs, ils n’avaient pas voulu déposer plainte ni se constituer partie civile dans le cadre de la procédure pénale initiée par les autres ayants droit ; qu’il soutenait encore qu’aux termes du protocole transactionnel du 4 août 1961 conclu avec [BM] [XN], agissant en son nom personnel et en qualité de légataire universelle de sa soeur [C] [XN], les consorts [B] avaient renoncé à contester l’exécution des conventions des 12 et 18 janvier 1940 et fait leurs les dispositions des conventions des 22 et 24 mars 1949 ; qu’il en déduisait que l’effet extinctif des deux transactions de 1949 leur interdisait désormais “de remettre en cause des ventes liées à la gestion irrégulière de l’opération de partage par [US] [XN], [A] [N] et [XR] [V] validées en1949” ; que faute de s’être expliqué sur ce moyen péremptoire, le tribunal a entaché sa décision d’un défaut de réponse à conclusions et violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. C’est par une interprétation souveraine de la convention du 22 mars 1949 que le tribunal, qui n’était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé que celle-ci avait pour objet de répartir, entre les consorts [XN] et [XR] [V], les oeuvres sous main de justice à New York, Ottawa et Paris, ne contenait aucune renonciation globale des héritiers et légataires à leurs droits sur l’ensemble des oeuvres dépendant de la succession et ne faisait pas obstacle à l’exercice de leur action.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.