17 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/22219
Pôle 1 – Chambre 10
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/22219 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3Y6
Décision déférée à la cour :
Jugement du 08 décembre 2021-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 21/80839
APPELANT
Monsieur [W] [T]
[Adresse 5]
[Localité 12]-CONGO
Représenté par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Plaidant par Me Sophie GIJSBERS-PAPON de l’AARPI APOSTROPHE, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Monsieur [E] [U]
[Adresse 6]
[Localité 8] (EMIRATS ARABES UNIS)
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Plaidant par Me Julie WALRAFEN de l’AARPI SQUAIR, avocat au barreau de PARIS
S.C.I. 77
MONACO BUSINESS CENTER
[Adresse 2]
MONACO
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Plaidant par Me Julie WALRAFEN de l’AARPI SQUAIR, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre, et Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Selon quatre conventions, M. [E] [U] et M. [W] [T] ont procédé chacun au profit de l’autre aux cessions de leurs parts sociales et compte courant d’associés détenus, pour le premier, dans la SCI SAS AM2K Vacquerie, et, pour le second, dans la SCI 77.
Agissant en vertu d’une ordonnance sur requête du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris datée du 16 mars 2021, M. [T] a fait inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier sis [Adresse 4] appartenant à la SCI 77, en garantie du paiement de la somme de 1 998 921 euros. L’inscription a été publiée et enregistrée par le service de la publicité foncière de Paris 8ème le 25 mars 2021 et a été dénoncée à la SCI 77 le 29 mars 2021.
Par jugement en date du 8 décembre 2021, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris a :
– rétracté l’ordonnance rendue le 16 mars 2021 autorisant M. [T] à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien sis [Adresse 4], cadastré section DI n° [Cadastre 1], lots de copropriété n° 5, 11 et 21 ;
– ordonné la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire publiée et inscrite au service de la publicité foncière de [Localité 11] sur ledit bien ;
– condamné M. [T] à payer à la SCI 77 la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté la demande de M. [T] formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [T] aux dépens.
Selon déclaration du 15 décembre 2021, M. [T] a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions d’appelant du 10 octobre 2022, il demande à la Cour de :
– infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
– juger recevable sa déclaration d’appel ;
– déclarer que les conditions requises par les dispositions des articles L 511-1 du code de procédures civiles d’exécution sont réunies et justifient l’inscription par lui d’une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier détenu par la SCI 77 ;
– débouter la SCI 77 et M. [U] de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
– débouter la SCI 77 de sa demande reconventionnelle tendant à sa condamnation à lui régler la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
– condamner la SCI 77 et M. [U] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
– les condamner aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la Selarl 2H Avocats, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A l’appui de son recours, M [T] a soutenu que :
– son appel n’est pas dénué d’objet, le dispositif de ses conclusions visant expressément l’infirmation du jugement entrepris et ses prétentions tendant à voir les intimés déboutés de l’intégralité de leurs demandes, dont la rétractation de l’ordonnance du 16 mars 2021 et la mainlevée de l’hypothèque judiciaire ;
– lors de la mise en vente du bien de la SCI 77 par ses soins, M. [U] s’était déclaré intéressé et avait demandé que l’acquisition se fasse via un échange avec le bien détenu par la SCI SAS AM2K Vacquerie ;
– il avait ainsi cédé ses parts dans la SCI 77 ainsi que son compte courant pour l’euro symbolique, et avait réglé la somme de 440 000 euros pour acquérir les parts de la SCI SAS AM2K Vacquerie, dans la mesure où il était prétendu que ladite société n’avait aucune dette, alors que la SCI 77, pour sa part, était débitrice d’un passif bancaire à hauteur de 1 874 541 euros ;
– il s’est avéré que la SCI SAS AM2K Vacquerie avait été mise en demeure par la société Noya de régler la somme de 2 804 466,91 euros ;
– la société Noya avait été déboutée de ses prétentions dans le cadre d’une instance en référé intentée à l’encontre de ladite SCI et des époux [U], mais elle diligente présentement une action au fond devant le Tribunal judiciaire de Paris ;
– en outre, la SCI SAS AM2K Vacquerie fait l’objet de poursuites par la société Etablissements Sartagno ;
– il n’a pas été informé de ce passif, Maître [P], huissier de justice ayant commis des faux dans ce dossier ;
– les cessions de ses parts sociales et compte-courant d’associé détenus dans la SCI 77 sont dépendantes, comme concourant à une même opération économique, de la cession des parts sociales détenues par M. [U] dans la SCI SAS AM2K Vacquerie, de sorte que la nullité pour dol entachant cette dernière, du fait de la dissimulation du passif de ladite SCI, emporte la nullité des premières, pour vileté du prix, étant intervenues pour le prix d’un euro symbolique ;
– par conséquent, ces cessions sont censées n’avoir jamais existé, induisant des restitutions réciproques et la remise des parties en l’état, de sorte qu’il détient à l’encontre de la SCI 77 une créance de remboursement d’avance en compte-courant d’associé d’un montant de 1 998 921 euros paraissant fondée en son principe et justifiant l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire, et ce, sans qu’il n’en retire aucun avantage indu ;
– M. [U] déclare une adresse fictive à [Localité 8] pour échapper aux poursuites et a entrepris des démarches en vue de céder ses parts sociales ou le bien immobilier de la SCI 77, déjà grevé par deux autres hypothèques et générant des rendements locatifs insuffisants pour constituer une garantie, tandis que le passif de la société s’élève a minima à la somme de 5,4 millions d’euros (3 527 987 euros au titre du compte courant d’associé, et 1 874 541 euros au titre du prêt contracté auprès de la banque Monégasque), ce qui caractérise autant de menaces sur le recouvrement de sa créance ;
– la présente procédure vise à éviter l’organisation par les intimés de leur insolvabilité aux fins de préserver ses droits et intérêts, ce qui exclut l’octroi aux intéressés d’une indemnité sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile, l’exercice du droit d’agir ne pouvant pas ici dégénérer en abus.
Par leurs dernières conclusions d’intimés du 12 octobre 2022, la SCI 77 et M. [U] demandent à la Cour de :
– déclarer que la Cour n’est saisie d’aucune prétention visant à confirmer l’ordonnance ayant autorisé l’inscription de l’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier détenu par la SCI 77 à la demande de M. [T] ou l’inscription de ladite hypothèque ;
– confirmer le jugement entrepris ;
par conséquent,
– rétracter l’ordonnance du 16 mars 2021 ayant autorisé M. [T] à pratiquer une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à la SCI 77 situé [Adresse 4] ;
– ordonner la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire autorisée par l’ordonnance du 16 mars 2021 portant sur ledit bien immobilier, publiée au service de la publicité foncière le 23 mars 2021 Vol 2021 V 618 , et ce aux frais exclusifs de M. [T] en application de l’article L 512-2 du code des procédures civiles d’exécution ;
à titre subsidiaire,
– débouter M. [T] de ses demandes, fins et prétentions ;
à titre reconventionnel,
– condamner M. [T] à régler à la SCI 77 la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
en tout état de cause,
– condamner M. [T] à payer la somme de 20 000 euros à la SCI 77 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [T] aux entiers dépens.
Les intimés ont fait valoir que :
– la créance invoquée par M. [T] est hypothétique, compte tenu de l’aléa des actions au fond destinées à obtenir la nullité de la cession des parts sociales de la SCI 77, puisqu’il n’existe ni réticence dolosive, la dette en compte courant d’associé de la SCI SAS AM2K Vacquerie étant stipulée au protocole d’accord, ni vileté du prix, la cession des parts de la SCI 77 ayant été opérée pour le prix d’un euro symbolique en contrepartie de la prise en charge par le cessionnaire des dettes de cette société, ni indivisibilité des opérations de cessions, les actes y afférant n’y faisant aucunement référence, de sorte que l’annulation de l’une des cessions ne saurait conduire à celle de l’autre ;
– l’objectif poursuivi par M. [T] est contestable tant en droit qu’en équité, car s’il était fait droit à ses prétentions, il en retirerait un intérêt économique considérablement supérieur à ce que les parties à chaque opération ont consenti ;
– il n’existe aucune menace dans le recouvrement de la créance alléguée par l’appelant, la SCI 77 disposant d’un patrimoine immobilier suffisant qui exclut toute insolvabilité, M. [T] soutenant contradictoirement tantôt que le passif de la société est supérieur tantôt qu’il est inférieur à son actif ; au surplus, la créance est inexistante et ne pourrait être recouvrée, faute d’extinction du prêt bancaire dont bénéfice la SCI 77 (en application de l’article 15 des statuts) ;
– M. [U] est effectivement domicilié à [Localité 8], sans aucune fraude, qui est le lieu de scolarisation de ses enfants.
MOTIFS
En vertu de l’article 954 du Code de procédure civile, l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
L’alinéa 4 de l’article susvisé mentionne que les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées. En outre l’article 910-1 prévoit que ce sont les conclusions qui déterminent l’objet du litige, et l’article 910-4 fait obligation aux parties de formuler l’ensemble de leurs prétentions dès les premières conclusions.
Il s’avère que tant dans ses premières écritures que dans les dernières, l’appelant a bien sollicité l’infirmation du jugement dont appel. L’intéressé n’avait pas, par ailleurs, à solliciter la confirmation de l’ordonnance sur requête du juge de l’exécution ayant autorisé la mesure conservatoire car celle-ci n’est susceptible d’appel que si elle rejette la requête du créancier ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La Cour est donc bien saisie des prétentions de M. [T].
L’article R 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
S’agissant de la créance paraissant fondée en son principe, il sera rappelé que celui invoqué par l’appelant est constitué de son compte courant d’associé dans la SCI 77 pour la somme de 1 998 921 euros, dont la cession au profit de M. [U] pour l’euro symbolique doit selon lui être annulée, motif pris de ce que les opérations ont été réalisées dans le cadre d’une cession réciproque des parts de la SCI 77 et de la SCI SAS AM2K Vacquerie, et que cette dernière est entachée de nullité pour dol pour cause de dissimulation, par le cédant M. [U], d’un passif important. Il résulte des pièces produites que :
– la SCI SAS AM2K Vacquerie, qui a pour objet l’acquisition, la propriété, la gestion, la vente pour son propre compte de biens immobiliers a acquis le 20 mars 2013 un immeuble sis [Adresse 3] pour la somme de 1 900 000 euros qui sera réglée directement par son associé principal, la société Noya, via le paiement de la somme totale de 2 023 607,58 euros ;
– M. [T] détenait un bien immobilier sis [Adresse 4] via la SCI 77 ;
– le 27 septembre 2013, les époux [U] ont acquis les 100 parts sociales de la SCI SAS AM2K Vacquerie et une convention d’avance en compte courant a été signée entre la société Noya et M. [U], muni d’un pouvoir de son épouse, nouvelle gérante de la SCI SAS AM2K Vacquerie ;
– le 8 avril 2019, Maître [P] alors huissier de justice à [Localité 10] a signifié :
* à la SCI SAS AM2K Vacquerie, sur la demande des consorts [U], le protocole de cession de ses parts sociales à M. [T] et le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la SCI SAS AM2K Vacquerie du 8 avril 2019 ;
* à M. [T], sur la demande de M. [U], en un acte dénommé ‘signification à toutes fins’, l’inventaire et des pièces remises lors de la cession des parts sociales de la SCI SAS AM2K Vacquerie (à savoir, entre autres, la convention de compte courant passée entre la société Noya et la SCI SAS AM2K Vacquerie, et la lettre recommandée avec demande d’avis de réception de mise en demeure de la société Noya) ;
* à la SCI 77, sur la demande de M. [T] et de certains membres de sa famille, le protocole de cession de ses parts sociales à M. [U] du 8 avril 2019 ;
* à M. [U], sur la demande de M. [T], l’inventaire et des pièces remises lors de la cession des parts sociales de la SCI 77 ;
* à la SCI 77, à la demande de M. [T], l’acte de cession de la créance détenue par lui à l’égard de la SCI 77 à M. [U] ;
– par acte sous seing privé du 9 avril 2019, qui sera publié au service des impôts des entreprises le 7 mai 2019, M. et Mme [U] (cédants) et M. [T] (cessionnaire) ont signé, en présence de la SCI SAS AM2K Vacquerie, un protocole de cession des parts de ladite société pour la somme de 440 000 euros ;
– par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 mars 2020, le conseil de la société Noya a mis en demeure la SCI SAS AM2K Vacquerie et son gérant M. [T] de lui régler la somme de 2 804 466,91 euros au titre du remboursement anticipé de son compte courant ; cette demande se fondait sur une convention d’avance en compte courant qui avait été conclue le 27 septembre 2013 entre la société Noya et la SCI SAS AM2K Vacquerie, son article 4 prévoyant la possibilité de solliciter un remboursement anticipé pour le cas où l’associé (ie M. [U]) viendrait à vendre la totalité de ses parts sociales ;
– le 10 juin 2020, le conseil de M. [T] a indiqué à M. [U] et son épouse que l’acte de cession du 9 avril 2019 restait taisant sur l’existence de cette réclamation de la société Noya, l’article 1 stipulant d’ailleurs que l’intégralité des droits et obligations attachés à et consentis sur les parts cédées ainsi que les dettes était mentionnée dans les documents qui avaient été communiqués au cessionnaire par exploit de Maître [P], huissier de justice à [Localité 10] ; il ajoutait qu’il avait été annoncé à son client que la SCI SAS AM2K Vacquerie était libre de toute dette ;
– la société Noya ayant intenté une action en paiement d’une provision à l’encontre de la SCI SAS AM2K Vacquerie ainsi que des époux [U], selon ordonnance de référé en date du 9 février 2021 le président du Tribunal judiciaire de Paris a dit n’y avoir lieu à référé en présence d’une contestation sérieuse, le contrat signé par la société Noya étant établi par écrit mais n’étant signé que de M. [U] dont la qualité de gérant à cette époque n’était pas établie ;
– le 30 juin 2020, M. [T] et la SCI SAS AM2K Vacquerie ont assigné la société Noya, les époux [U] ainsi que la SCP Waterlot & associés, huissier de justice qui a succédé à Maître [P], devant le Tribunal judiciaire Paris, en vue d’obtenir l’annulation de la convention d’avance en compte courant d’associé dont se prévaut la société Noya et, subsidiairement, la condamnation solidaire des défendeurs au paiement de dommages et intérêts en raison de la violation de la garantie de passif donnée par les époux [U] ;
– le 22 avril 2021, les consorts [T] ont assigné la SCI 77 devant le Tribunal de grande instance Paris en vue d’obtenir notamment l’annulation de la cession des parts sociales de ladite SCI conclue le 8 avril 2021, ainsi que l’annulation de la cession de la créance de compte courant d’associé dans la SCI 77 qui avait été conclue le 8 avril 2019 entre M. [T] (cédant) et M. [U] (cessionnaire), et la restitution du prix soit 2 fois l’euro symbolique ;
– le 18 juillet 2022, la SCI SAS AM2K Vacquerie et M. [T] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction de Paris à l’encontre de M. [U], Mme [U] et Maître [P], pour escroquerie, et complicité et tentative d’escroquerie.
Les demandes de M. [T] se fondent sur le fait que la SCI 77 était redevable d’un passif bancaire de 1 874 541 euros ce qui expliquait qu’il avait accepté de céder ses parts sociales et son compte courant d’associé pour deux euros et de régler en sus un prix de 440 000 euros pour l’acquisition des parts sociales de la SCI SAS AM2K Vacquerie, dont l’absence de dette résultait de l’acte de cession des parts de celle-ci alors que la société Noya lui réclamait, en réalité, des sommes très importantes (2 804 466,91 euros). M. [T] reproche aux époux [U] d’avoir délibérément dissimulé l’existence de cette dette.
Les parties sont contraires sur la question de savoir si les contrats étaient indivisibles ou non. La notion d’ensemble contractuel indivisible suppose qu’il s’agisse soit d’une indivisibilité subjective, en ce sens que les parties qui ont conclu les deux contrats ont voulu les rendre indépendants au delà de leur lien objectif de finalité commune, soit d’une indivisibilité objective, en ce sens que chacun des contrats n’aurait aucun sens sans l’autre. Il est exact que M. [T] pouvait fort bien, juridiquement parlant, céder ses parts dans la SCI 77 à M. [U] sans que ce dernier ne lui cède les siennes dans la SCI SAS AM2K Vacquerie. Mais le fait que l’ensemble des actes aient été signés le même jour entre les mêmes parties, démontre qu’il s’agissait là d’une opération d’ensemble, M. [T] cédant ses parts dans la SCI 77 et M. [U] cédant les siennes dans la SCI SAS AM2K Vacquerie, M. [U] vendant ainsi son appartement sis [Adresse 3] pour en acquérir un plus grand, sis [Adresse 4]. Il faut donc considérer que les deux contrats de cession de parts étaient liés ainsi que les cessions de comptes courants.
Exposé du litige
Le fait que les parts de la SCI 77 ont été cédées pour l’euro symbolique et que celles de la SCI SAS AM2K Vacquerie l’ont été pour 440 000 euros, alors que tant l’une que l’autre de ces sociétés étaient propriétaires d’un immeuble, démontre que leurs situations financières respectives étaient très dissemblables, la SCI 77 étant lourdement endettée alors que la SCI SAS AM2K Vacquerie était censée n’avoir aucune dette à assumer. En effet, la SCI 77 restait redevable à M. [T] de la somme de 3 527 987 euros au titre de frais d’acquisitions, meubles meublants, travaux et divers non financés et définis en compte courant d’associé présent dans les comptes de ladite SCI au 13 mai 2020, alors qu’elle était redevable d’un passif de 1 874 541 euros auprès de la banque UBS.
M. [T] soutient avoir été tenu dans l’ignorance de l’état du passif que la SCI SAS AM2K Vacquerie avait à régler ; dans sa requête présentée au juge de l’exécution le 5 mars 2021, il avait d’ailleurs prétendu que les époux [U] lui avaient indiqué que la SCI SAS AM2K Vacquerie n’avait aucune dette et qu’à supposer que la créance alléguée par la société Noya soit fondée, les intéressés lui en avaient délibérément dissimulé l’existence afin de l’inciter à consentir à l’opération d’échange des parts sociales et notamment celles de la SCI 77 pour un euro symbolique. Le protocole de cession de parts sociales de la SCI SAS AM2K Vacquerie mentionnait de façon laconique : ‘compte tenu de la situation active et passive de la société et des difficultés que rencontrent la société et ses associés pour faire face aux dettes de la société, il a été convenu entre les parties que la cession serait opérée pour un prix de 440 000 euros en contrepartie de la prise en charge par le cessionnaire (ie M. [T]) des dettes de la société’. Il était également indiqué que ce dernier déclarait bien connaître la situation active et passive de la société et faire son affaire des dettes de celle-ci, notamment toute dette bancaire ou compte courant, les cédants déclarant lui avoir remis des documents relatifs aux dettes sociales par exploit d’huissier de Maître [P].
Moyens
Il résulte de la lecture des écritures que la société Noya a déposées devant le Tribunal judiciaire Paris dans le cadre de l’instance au fond susvisée que selon elle, M. [T], au regard des mentions explicites de l’acte de cession de parts sociales du 9 avril 2019 conclu avec M. [U], ne pouvait ignorer l’existence de la créance à l’encontre de la SCI SAS AM2K Vacquerie. Elle ajoute qu’à la lecture du procès-verbal de constat en date du 2 juin 2021 dressé par la Selarl [H], en application d’une ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris en date du 8 février 2021, il appert que Maître [P] avait bien signifié à M. [T], sur la requête de M. [U], un inventaire de 26 pièces SCI SAS AM2K Vacquerie comportant notamment la lettre recommandée avec demande d’avis de réception de mise en demeure à elle adressée par la société Noya à le 7 avril 2017, et qui serait de nature à établir qu’en réalité, M. [T] était pleinement informé de ce que la SCI SAS AM2K Vacquerie avait une dette à régler à celle-ci.
M. [U], de son côté, prétend que les pièces ont bien été remises à M. [T] (notamment la convention d’avance en compte courant conclue entre la SCI SAS AM2K Vacquerie et la société Noya) et l’intéressé le nie, ayant même déposé une déclaration de faux à titre incident devant le Tribunal judiciaire de Paris le 15 mars 2022. Pour accréditer sa thèse selon laquelle Maître [P] aurait commis des faux, il soutient, notamment en ses conclusions déposées devant ledit Tribunal, que deux actes, celui de signification à toutes fins et celui de signification de cession de créance, établis le même jour par Maître [P], présentent un formatage et une police d’écriture différents, alors que l’adresse électronique de l’huissier de justice instrumentaire diffère. Il est exact que ces deux actes sont présentés avec une police de caractère différente, et que l’adresse mail de l’huissier de justice n’est pas la même ([Courriel 9] pour l’un, à savoir celui portant signification des documents relatifs à la situation financière de la SCI SAS AM2K Vacquerie à M. [T], [Courriel 7] pour l’autre) alors qu’ils ont été dressés le même jour. En outre, le constat de Maître [H] susvisé démontre que des différents actes ne figurent pas sur le poste informatique de l’étude, ni au répertoire ni en facturation ; toutefois la SCP Waterlot & associés détient trois actes sur support papier. Maître [P] avait affirmé dans un message électronique du 9 avril 2019 adressé à M. [T] et à M. [U] que les quatre actes litigieux avaient été rédigés, vérifiés et homologués par l’ensemble des personnes se trouvant en son étude le lundi 8 avril 2019. Si aucune explication satisfaisante n’est donnée quant aux dissemblances formelles existant entre les actes, il n’est pas pour autant démontré que Maître [P] a commis des faux, aucun texte n’interdisant à un huissier de justice d’utiliser plusieurs polices ou plusieurs adresses électroniques. De plus, l’acte en litige opérant signification à M. [T] de documents relatifs au passif de la SCI SAS AM2K Vacquerie porte l’adresse mail [Courriel 9] qui est celle qui a été utilisée par cet auxiliaire de justice dans le message du 9 avril 2019 susvisé. Il ne peut s’agir d’une adresse électronique fictive.
Il apparaît dans ces conditions que M. [T] ne démontre pas, même en germe, que Maître [P] aurait commis des faux et que de ce fait, il n’aurait pas été informé de l’état du passif de la SCI SAS AM2K Vacquerie ce qui le placerait en position de requérir l’annulation des cessions réciproques de parts et de la cession de son compte courant dans les livres de la SCI 77. L’une des conditions de mise en place d’une mesure conservatoire n’étant pas remplie, le jugement est confirmé.
Le droit d’action ou de défense en justice ne dégénère en abus qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière, équipollente au dol, de sorte que la condamnation à des dommages-intérêts doit se fonder sur la démonstration de l’intention malicieuse et de la conscience d’un acharnement procédural voué à l’échec, sans autre but que de retarder ou de décourager la mise en ‘uvre par la partie adverse du projet contesté, en l’espèce l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire litigieuse. Le principe du droit d’agir implique que la décision judiciaire de retenir le caractère non fondé des prétentions ne suffit pas à caractériser l’abus de l’exercice du droit. En l’espèce, M. [T] a pu, dans des conditions qui ne peuvent être qualifiées d’abusives, estimer qu’il détenait une créance paraissant fondée en son principe à l’encontre de la SCI 77, si bien que celle-ci sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SCI 77.
M. [T] sera condamné aux dépens d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de l’appel,
– CONFIRME le jugement en date du 8 décembre 2021 ;
– DEBOUTE la SCI 77 de sa demande de dommages et intérêts ;
– REJETTE la demande de la SCI 77 en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE M. [W] [T] aux dépens d’appel.
Le greffier, Le président,