Comptes courants d’associés : 22 novembre 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 20/04977

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Comptes courants d’associés : 22 novembre 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 20/04977

22 novembre 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG
20/04977

Chambre commerciale

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 22 NOVEMBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 20/04977 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OX5B

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 OCTOBRE 2020

TRIBUNAL DE COMMERCE DE CARCASSONNE

N° RG 2016002792

APPELANT :

Monsieur [F] [Z]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 9] (31)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représenté par Me Dehlila MICOUD, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

INTIMEE :

SELARL [B] [D] représentée par Me [B] [D] ès qualités de liquidateur de la SARL HOT-EL 11 désigné à ces fonctions suivant jugement du 26 juin 2013

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Emily APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Gilles VAISSIERE, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 06 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 SEPTEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO

Ministère public : le dossier a été communiqué au Ministère Public

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

Exposé du litige

*

* *

FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:

Par acte notarié du 26 juillet 2007, la SCI JCA hôtellerie, ayant pour gérant [F] [Z] a fait l’acquisition d’un ensemble immobilier situé [Adresse 2] (Aude) en vue de son aménagement en hôtel-restaurant de prestige ; la SARL HOT-EL 11, créée en vue de l’exploitation de l’établissement, a démarré son activité en mai 2011.

Sur la déclaration de cessation des paiements de son dirigeant, M. [Z], en date du 30 novembre 2012 mentionnant un passif (échu et à échoir) de 1’605’802 euros et une trésorerie réduite à 10’400 euros, le tribunal de commerce de Carcassonne a, par jugement du 3 décembre 2012, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société HOT-EL 11, la SCP Caviglioli-Baron-Fouquié étant désignée en qualité d’administrateur judiciaire et la Selarl [B] [D] en qualité de mandataire judiciaire.

Par un nouveau jugement du 26 juin 2013, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société HOT-EL 11 sur la requête de l’administrateur judiciaire qui relevait notamment que depuis l’ouverture de la procédure collective, la société avait réalisé, de décembre 2012 à mars 2013, des chiffres d’affaires compris mensuellement entre 53’404 euros et 57’153 euros TTC, que la masse salariale nette mensuelle de l’établissement oscillait entre 40’000 euros et 45’000 euros selon le turn-over des effectifs, que cette situation avait conduit M. [Z] a effectué divers apports en compte-courant à hauteur de 130’000 euros de février à mai 2013, qu’en dépit de ces apports, la situation de la trésorerie était toujours obérée, des dettes nouvelles, notamment vis-à-vis de l’URSSAF, ayant été enregistrées pour 151’620 euros, et que les éléments sollicités (prévisionnel de trésorerie, prévisionnel d’exploitation, comptes annuels 2012 et compte de résultat retraçant l’activité sur la période d’observation) n’avaient pas été communiqués.

Par exploit du 23 juin 2016, la Selarl [B] [D], prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société HOT-EL 11, a fait assigner M. [Z], sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce, devant le tribunal de commerce de Carcassonne en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Le tribunal, par jugement du 5 octobre 2020, a notamment :

‘ dit qu’en sa qualité de gérant de droit de la société HOT-EL 11, M. [Z] a commis des fautes de gestion qui ont engagé son entière responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif,

‘ constaté que du fait de ses fautes de gestion et au regard de l’actif prévisible, l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 1’059’004,29 euros,

‘ fixé en conséquence le montant de l’insuffisance d’actif incombant à M. [Z] à la somme de 1’059’004,29 euros,

‘ condamné M. [Z] à payer cette somme de 1’052’004,29 euros à la Selarl [B] [D] ès qualités, outre intérêts au taux légal à courir à compter de l’assignation introductive d’instance,

‘ débouté M. [Z] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et prétentions,

‘ condamné M. [Z] à payer à la Selarl [B] [D] la somme de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a retenu, à l’encontre de M. [Z], trois fautes de gestion, à savoir l’existence d’investissements hasardeux, l’absence de suivi comptable et d’outils de gestion appropriés et la poursuite d’une activité déficitaire.

S’agissant des investissements hasardeux, il a considéré que le projet, très ambitieux, de création d’une société exploitant un hôtel-restaurant de prestige à [Localité 5], était dès l’origine voué à un échec certain, dès lors que celui-ci n’avait pas été précédé d’un quelconque prévisionnel d’exploitation ou de trésorerie, que l’environnement de l’établissement, situé à proximité d’une zone industrielle tombée en désuétude, à forts passages routiers, était totalement incohérent avec l’image d’un hôtel-restaurant cinq étoiles de luxe et que la société n’avait jamais disposé de capitaux propres ; le tribunal a ensuite retenu que le comptable salarié de la société n’était présent que 8 heures par semaine et que depuis le départ de l’ancienne directrice de l’établissement, la société souffrait de l’absence flagrante d’un suivi comptable adapté à sa structure ; enfin, il a constaté qu’au 3 septembre 2011, les comptes de la société avaient établi une perte « sèche » de 479’095 euros et que malgré cette perte de l’exercice précédent, M. [Z] avait en 2012 embauché un chef cuisinier réputé, ce qui avait entraîné de nouveaux investissements liés notamment à l’installation d’une cuisine professionnelle, et douze salariés supplémentaires, augmentant ainsi les salaires et les charges sociales afférentes ; il en a déduit la poursuite d’une activité déficitaire, après avoir relevé que le compte de résultat arrêté au 31 décembre 2012 avait mis en évidence une nouvelle perte « sèche abyssale » de 1’380’166 euros.

Le tribunal a estimé le montant de l’insuffisance d’actif à 1’059’004,29 euros et a considéré que M. [Z], dont les fautes de gestion étaient à l’origine de l’entier passif de la liquidation judiciaire, outre qu’il exerçait encore la profession de médecin, jouissait d’un patrimoine immobilier et financier conséquent, lui permettant de faire face sans délai au remboursement de cette insuffisance d’actif.

Par déclaration reçue le 10 novembre 2020 au greffe, M. [Z] a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation ; sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, dont le jugement se trouve assorti, a été rejetée par une ordonnance de référé rendue le 21 juillet 2021 par le délégataire du premier président.

Moyens

Dans ses conclusions déposées le 9 février 2021 via le RPVA, M. [Z] demande à la cour, au visa de l’article L. 651-2 du code de commerce et de l’article 1244-1 du code civil, de :

A titre principal,

‘ écarter des débats le rapport du juge-commissaire,

‘ dire et juger que ni l’insuffisance d’actif, ni la faute de gestion, ni le lien de causalité entre les deux, conditions impératives et cumulatives exigées par l’article L. 651-2 du code de commerce pour condamner le dirigeant au paiement de l’insuffisance d’actif, ne sont avérées au cas d’espèce,

‘ en conséquence, débouter M. [D] ès qualités de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,

A titre subsidiaire,

‘ dire et juger que sa situation financière justifie la réduction la plus large possible du montant des condamnations et l’octroi de larges délais de paiement,

En tout état de cause,

‘ condamner M. [D] ès qualités à lui payer la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre 10’000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d’appel.

Au soutien de son appel, il fait valoir pour l’essentiel que :

‘ il ne peut être considéré comme un dirigeant averti, alors qu’il n’avait aucune expérience dans le secteur d’activité de l’hôtellerie,

‘ la faute liée à des investissements dits « hasardeux » n’est pas caractérisée, alors que des concours bancaires ont été accordés à la société HOT-EL 11, les investissements réalisés ayant nécessairement fait l’objet d’une étude complète de faisabilité de la part des banques,

‘ les exercices 2011 et 2012 n’ont pas permis de dégager un résultat bénéficiaire du fait des charges liées à l’emprunt et les travaux, qui ont duré près de quatre années, ont entraîné un retard dans l’ouverture de l’établissement et une désorganisation de l’entreprise, se traduisant par la non réalisation des résultats escomptés,

‘ pourtant, l’activité était en cours de développement, favorisée en 2012 par le classement de l’hôtel en 5 étoiles, une baisse de tarif et l’obtention d’une étoile au guide Michelin 2013, les prévisionnels d’activité établie sur la période de mai à décembre 2013 démontrant une maîtrise des charges et des coûts d’exploitation à l’origine de chiffres d’affaires en progression constante avec un résultat mensuel moyen de l’ordre de 35’800 euros et une trésorerie de 211’229 euros en décembre 2013,

‘ l’embauche, dans le courant de l’année 2012, d’un chef étoilé était en cohérence avec le prestige de l’établissement et l’embauche de salariés était destinée à faire face à une hausse d’activité lors de la période estivale,

‘ la liquidation judiciaire a été prononcée alors que l’entreprise était sur le point d’équilibrer son exploitation,

‘ le fait qu’il ne se soit pas adjoint les services d’un expert-comptable ne saurait constituer une faute de gestion de nature à engager sa responsabilité,

‘ le rapport du juge-commissaire, qui a pris parti sur l’engagement de sa responsabilité personnelle, ne répond pas aux préconisations de l’article L. 662-12 du code de commerce,

‘ le mandataire judiciaire n’a pas exécuté efficacement sa mission de vérification du passif, qui aurait pu être diminué au lieu d’atteindre la somme de 3’357’535 euros,

‘ une somme de 2’044’109,67 euros doit être extraite du passif qui correspond à son compte-courant d’associé, abandonné, aux comptes-courants de la société JCA hôtellerie et de la société JCA patrimoine, également abandonnés, et à la créance du Crédit agricole au paiement de laquelle il a été condamné en sa qualité de caution solidaire,

‘ la preuve d’un lien de causalité entre les fautes de gestion, alléguées, et l’insuffisance d’actif n’est pas davantage démontrée.

La Selarl [B] [D], dont les conclusions ont été déposées le 10 mai 2021 sur support papier et le 11 mai 2021 par le RPVA, sollicite de voir, au visa des dispositions de l’article L. 651-2 du code de commerce, de :

‘ confirmer purement et simplement le jugement du 5 octobre 2020 rendu par le tribunal de commerce de Carcassonne,

‘ dire et juger qu’en sa qualité de gérante de droit de la SARL HOT-EL 11, M. [Z] a commis des fautes de gestion qui ont engagé son entière responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif,

‘ constater que du fait de ses fautes de gestion et au regard de l’actif prévisible, l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 1’059’004,29 euros,

‘ fixer en conséquence le montant de l’insuffisance d’actif incombant à M. [Z] à la somme de 1’059’004,29 euros,

‘ condamner M. [Z] à lui payer cette somme de 1’059’004,29 euros, outre intérêts au taux légal à courir à compter de l’assignation introductive d’instance,

‘ débouter M. [Z] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et prétentions,

‘ le condamner à lui payer la somme de 15’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

‘ ayant été amené à gérer plusieurs sociétés dans divers domaines d’activités, M. [Z] est rompu à la vie des affaires et ne peut donc se prétendre un gérant inexpérimenté,

‘ la société HOT-EL 11 n’a jamais disposé de capitaux propres et le projet ambitieux d’installer un hôtel 5 étoiles dans une zone industrielle n’a pas été précédé d’un prévisionnel d’exploitation ou d’un prévisionnel de trésorerie,

‘ les importants investissements réalisés se sont avérés hors de proportion avec les possibilités d’amortissement dans l’environnement existant,

‘ le dirigeant a fait le choix de ne pas se faire assister d’un expert-comptable, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’un suivi comptable adapté et d’appréhender la situation économique et financière de l’entreprise,

‘ alors qu’au 30 septembre 2011, l’activité de la société s’est traduite par une perte de 479’095 euros pour seulement cinq mois d’exploitation, le compte de résultat arrêté au 31 décembre 2012 a révélé une nouvelle perte de 1’380’166 euros, révélant ainsi la poursuite d’une activité déficitaire due notamment à l’embauche d’un chef étoilé et de douze salariés supplémentaires,

‘ l’état des créances est aujourd’hui définitif et M. [Z], qui a été associé aux opérations de vérification du passif, ne saurait reprocher au mandataire judiciaire de n’avoir pas contesté certaines créances,

‘ ses fautes de gestion ont contribué directement à l’insuffisance d’actif, justement évalué par le tribunal à la somme de 1’059’004,29 euros,

‘ la situation financière de M. [Z] est loin d’être obérée, contrairement à ce que celui-ci affirme.

Le 5 septembre 2022, M. [Z] a déposé de nouvelles conclusions avec deux pièces supplémentaires (n° 13 et 14), dont la Selarl [B] [D] a sollicité le rejet.

Le dossier de l’affaire a été communiqué au ministère public, qui a également été avisé de la date d’audience.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2022.

Motivation

MOTIFS de la DECISION’:

1- La demande de rejet des conclusions et pièces déposées le 5 septembre 2022 par M. [Z]’:

Le fait pour M. [Z] d’avoir déposé, le 5 septembre 2022, soit la veille du prononcé de l’ordonnance de clôture, de nouvelles conclusions comportant des développements supplémentaires d’ailleurs non clairement identifiés et des pièces nouvelles (n° 13. Etude marché établie par la banque’; n° 14. Prévisionnel d’exploitation établi par l’expert-comptable), mettant ainsi la Selarl [B] [D] ès qualités dans l’impossibilité d’en prendre connaissance et, éventuellement, d’y répondre avant la clôture de l’instruction, caractérise une violation du principe du contradictoire et du droit au procès équitable, énoncés aux articles 16 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; il y a donc lieu de déclarer irrecevables les conclusions et pièces nouvelles déposées le 5 septembre 2022 par l’appelant.

2- Le fond du litige’:

Aux termes de l’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décidé que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».

Il appartient au liquidateur de démontrer l’existence d’une insuffisance d’actif et d’une faute de gestion imputable au dirigeant, hors une simple négligence de sa part, en relation directe avec cette insuffisance d’actif.

a) l’insuffisance d’actif’:

Il résulte des pièces produites que le montant du passif définitif, après vérification des créances déclarées à la procédure collective de la société HOT-EL 11, s’est élevé, à la somme de 3’357’535,61 euros, déduction faite des créances rejetées pour 25’851,59 euros, et que le montant des actifs réalisés a totalisé la somme de 415’120,48 euros, dont les meubles et matériels vendus en ce compris la licence IV (380’629 euros), le montant du solde créditeur du compte-courant (302’200,09 euros), le montant des créances recouvrées sur les clients (1780 euros) et le fonds de caisse (510,39 euros) ; M. [Z], qui ne prétend pas ne pas avoir été associé par le mandataire judiciaire à la vérification des créances, ne saurait sérieusement reprocher à ce dernier de n’avoir pas exécuté efficacement sa mission de vérification du passif qui aurait pu, selon lui, être diminué.

D’une manière générale, la cour observe que l’intéressé, qui conteste sa responsabilité dans l’insuffisance d’actif constatée à l’issue des opérations de liquidation, n’hésite pas à mettre en cause, d’une part, l’opportunité du prononcé aussi rapide d’une liquidation judiciaire (sic) de la société HOT-EL 11 qui était, pour lui, sur le point d’équilibrer son exploitation avec un chiffre d’affaires en progression, alors qu’il n’a pas relevé appel du jugement du 26 juin 2013 prononçant la liquidation judiciaire de la société, et, d’autre part, la responsabilité de la Selarl [B] [D] dans sa mission de vérification du passif, alors que lui-même n’a pas estimé utile de contester les créances qu’il prétend aujourd’hui voir déduire du passif (Effico, Diac, Urssaf, Technimat, Locam, Lyonnaise des Eaux, Mora…).

Il sollicite même que soit écarté des débats, au prétexte de sa partialité, le rapport établi le 28 avril 2017 par le juge-commissaire (M. [S]), alors qu’un tel rapport constitue une formalité obligatoire et que le juge-commissaire, lequel ne fait pas partie de la composition du tribunal, n’a fait qu’exprimer un avis sur le bien-fondé de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Le passif, tel que déterminé ci-dessus, doit encore être diminué de la créance en compte-courant abandonnée par M. [Z] (703’352 euros), de la créance en compte-courant abandonné par la société JCA patrimoine (974’042,44 euros) et de la condamnation exécutée par M. [Z] en sa qualité de caution de la société HOT-EL 11 vis-à-vis du Crédit agricole (206’016,14 euros)’; l’insuffisance d’actif s’établit en définitive à la somme de : 3’357’535,61 euros – (415’120,48 euros + 703’352 euros + 974’042,44 euros + 206’016,40 euros) = 1’059’004,29 euros.

b) les fautes de gestion imputées à M. [Z] et leur incidence sur l’insuffisance d’actif’:

Pour prétendre qu’il ne peut lui être imputé des fautes de gestion mais tout au plus de simples négligences, M. [Z] soutient qu’il ne peut être considéré comme un dirigeant averti, puisqu’il n’avait aucune expérience particulière dans le secteur d’activité de l’hôtellerie ; cependant, sa qualité de dirigeant de droit de la société HOT-EL 11, chargé de l’administration générale de la société, l’exposait en tant que telle à la responsabilité susceptible d’être encourue dans l’exercice de ses pouvoirs ; en outre, il résulte du bilan économique et social de l’entreprise établi le 28 février 2013 par l’administrateur judiciaire que, médecin généraliste de profession, M. [Z] a été le gérant d’une maison de retraite comportant un établissement de restauration, de 1988 à 2006, ainsi que d’une entreprise de nettoyage cédée en 2011, ce dont il se déduit qu’il n’était pas alors complètement étranger à la vie des affaires.

Au cours de la première période d’exploitation, du 1er mai au 30 septembre 2011, la société HOT-EL 11 a réalisé un chiffre d’affaires de 148’021 euros, soit 29’604 euros par mois en moyenne, pour 617’944 euros de charges d’exploitation, dont 282’139 euros de salaires et charges sociales y afférentes; il en est résulté une perte de 479’095 euros, conduisant à des capitaux propres négatifs à hauteur de -481’274 euros ; ainsi, dès les premiers mois d’exploitation, l’entreprise, qui devait en outre rembourser un prêt de 500’000 euros contracté auprès du Crédit agricole et régler des loyers à la SCI JCA hôtellerie, propriétaire des murs, n’était pas en mesure de faire face aux salaires et charges sociales représentant en moyenne 56’428 euros par mois.

Selon les comptes sociaux établis pour la période du 1er octobre 2011 au 31 décembre 2012, la société HOT-EL 11 a dégagé un chiffre d’affaires de 660’070 euros sur 15 mois d’activité, soit un chiffre d’affaires moyen mensuel de 44’005 euros en augmentation par rapport aux premiers mois d’exploitation, mais les charges d’exploitation de l’entreprise se sont élevées à 2’074’863 euros sur cette période, dont 1’028’134 euros de salaires et charges sociales, soit en moyenne 68’542 euros pour ce poste de charges ; il a été constaté, à la clôture de cet exercice, une perte de 1’380’166 euros et, tenant les pertes cumulées, des capitaux propres négatifs à hauteur de 1’883’558 euros.

Enfin, il est communiqué un compte de résultat intermédiaire, pour la période du 3 décembre 2012 au 17 mai 2013, faisant apparaître pour les seuls mois de janvier 2013 à avril 2013 des chiffres d’affaires mensuels compris entre 42’693 euros et 54’778 euros et des charges d’exploitation entre 162’911 euros et 167’439 euros par mois, dont des masses salariales variant de 83’279 euros à 100 006 euros.

Dès lors, au cours de deux années d’exploitation, de mai 2011 à mai 2013, incluant la période d’observation consécutive à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la société HOT-EL 11 n’a jamais été en mesure de couvrir ses charges d’exploitation, conduisant inéluctablement au prononcé de sa liquidation judiciaire par le jugement du 26 juin 2013 en dépit des apports en compte-courant effectués par M. [Z] de février à mai 2013 pour 1’300’000 euros au total ; pour convertir le redressement judiciaire en liquidation judiciaire, le tribunal a notamment retenu, outre l’apparition d’une dette de l’Urssaf, postérieure au jugement d’ouverture, s’élevant à 146’005 euros, que le prévisionnel d’exploitation, produit par M. [Z], pour la période estivale à venir mentionnait un chiffre prévisionnel de 138’217 euros pour le mois de mai 2013, alors qu’un tel chiffre d’affaires n’avait jamais été réalisé précédemment ; en effet, le chiffre d’affaires le plus élevé, retiré par la société HOT-EL 11 de l’exploitation de l’hôtel-restaurant, l’a été au mois de décembre 2012 à hauteur de 56’267 euros.

Dans son rapport du 15 mai 2013, l’administrateur judiciaire, la SCP Caviglioli-Baron-Fouquié, a relevé que les retards d’exécution des travaux avaient perturbé le démarrage d’exploitation de l’établissement et que le développement de l’activité avait été favorisé en 2012 par le classement de l’hôtel en 5 étoiles, la baisse de ses tarifs et, plus récemment, l’obtention d’une étoile au guide Michelin 2013 ; il a néanmoins stigmatisé des frais d’exploitation, notamment de personnel, inadaptés au chiffre d’affaires réalisé, ainsi que des lacunes dans la gestion et la direction de l’établissement illustrées par l’absence d’un suivi comptable adapté à la situation ; il a également déploré le fait que, malgré ses demandes, il ne lui avait pas été communiqué un prévisionnel de trésorerie, les comptes annuels de l’exercice 2012, la situation comptable relatant l’activité au cours de la période d’observation et un prévisionnel d’exploitation analytique permettant de mesurer la capacité de l’entreprise à devenir rentable et à apurer son passif.

En premier lieu, c’est à juste titre que le premier juge a retenu que M. [Z], malgré un retard dans l’exécution des travaux d’aménagement de l’hôtel-restaurant à l’origine d’une ouverture différée de celui-ci, dont il n’est cependant pas établi en quoi il serait à l’origine des difficultés financières rencontrées, s’était lancé dans un projet ambitieux sans avoir fait établir un prévisionnel d’exploitation et un prévisionnel de trésorerie, sans avoir mis en place un véritable suivi comptable et sans s’être fait assister, dès le début d’exploitation, par un expert-comptable qui aurait pu le conseiller utilement sur les décisions à prendre en matière de gestion.

Si le Crédit agricole a consenti divers concours bancaires, soit à la SCI JCA hôtellerie, soit à la société HOT-EL 11, pour l’acquisition de l’ensemble immobilier (650’000 euros) et pour le financement des travaux (1’716’000 euros + 500’000 euros), il ne peut en être déduit que cette banque a nécessairement fait réaliser une étude de faisabilité de l’opération, sachant que les concours ont été accordés en considération de garanties, réelles ou personnelles, fournis par M. [Z], à la tête d’un patrimoine immobilier via la société civile de participations JCA patrimoine, dont il détient la quasi-totalité des parts sociales.

L’absence d’un prévisionnel d’exploitation et d’un prévisionnel de trésorerie, préalablement au démarrage de l’activité, est révélatrice d’une faute de gestion d’autant plus caractérisée que le projet consistait en l’implantation d’un hôtel-restaurant de prestige, destiné à une clientèle aisée, situé en dehors de la cité de [Localité 5], en bordure de la route départementale n° 6113 dite «'[Adresse 8] », entre un snack à l’enseigne « Tacos Touch » et un immeuble de type HLM, de l’autre côté d’une zone commerciale dénommée « Cité 2 » comportant de nombreux locaux désaffectés et des enseignes de vente de produits à bas coût, ainsi qu’il ressort des énonciations du procès-verbal de constat établi le 12 novembre 2018 par Me [V], huissier de justice’; le secteur choisi était à l’évidence peu propice à l’exploitation d’un tel hôtel-restaurant, alors qu’il existait à proximité deux autres établissements de prestige ayant également un chef étoilé, l’hôtel de la cité dans l’enceinte de la cité médiévale et le domaine d'[Localité 4], qui est un relais Château situé dans un parc boisé au milieu d’un golf.

L’investissement ainsi réalisé sans étude préalable et alors que la société HOT-EL 11 ne disposait pas de capitaux propres était donc manifestement inadapté et l’erreur commise dans le choix du projet n’a pu être ultérieurement rectifiée grâce à la mise en place d’outils de gestion adaptés, puisque la société n’avait recours qu’aux services d’un comptable salarié, présent 8 heures par semaine, et s’était abstenue de s’adjoindre le concours d’un expert-comptable, l’absence d’un suivi comptable régulier et des conseils d’un expert-comptable n’ayant pas permis à la société HOT-EL 11 d’assurer une gestion efficace de sa trésorerie et de ses ressources humaines et d’anticiper des mesures de restructuration en l’état des premiers mois, décevants, de son exploitation commerciale.

Alors qu’il n’avait pas doté la société HOT-EL 11 d’outils de gestion adaptés à sa structure, M. [Z], malgré la perte de 479’095 euros constatée au 30 septembre 2011, a, par ailleurs, poursuivi en 2012 et jusqu’à l’ouverture de la procédure collective, une exploitation déficitaire’; le premier juge a ainsi justement retenu que malgré la perte constatée à la clôture de l’exercice précédent, l’intéressé avait procédé à l’embauche d’un chef cuisinier réputé ([O] [G]) et d’une douzaine de salariés supplémentaires et avait réalisé de nouveaux investissements en matériels liés en particulier à l’installation d’une cuisine professionnelle, le coût de cette installation s’élevant à 253’945 euros qui correspond à trois factures de la société Technimat en date des 1er août, 14 septembre et 1er décembre 2012 visées dans la déclaration de créance de cette société du 10 janvier 2013 ; comme indiqué plus haut, l’exploitation de la société s’est traduite par une nouvelle perte de 1’380’166 euros au 31 décembre 2012, sachant que les chiffres d’affaires réalisés au cours de la période d’octobre 2011 à décembre 2012 (de 44’005 euros par mois en moyenne) n’ont jamais permis de couvrir la masse salariale sur la période considérée (de 68’542 euros par mois en moyenne).

L’existence d’un investissement manifestement inadapté et réalisé sans étude préalable, le défaut de mise en place d’outils de gestion adaptés à la structure de l’entreprise et la poursuite d’une exploitation déficitaire caractérisé par des charges d’exploitation, notamment en personnel, inadaptées aux chiffres d’affaires réalisés doivent être regardés, non comme de simples négligences, mais comme des fautes de gestion imputables à M. [Z] et ayant directement causées l’insuffisance d’actif ; en effet, celui-ci a fait le choix délibéré d’exploiter, dans le cadre d’un bail commercial conclu avec la SCI JCA hôtellerie dont il était également le gérant, un hôtel-restaurant de prestige dans un secteur géographique peu propice à ce type d’exploitation et hors toute étude prévisionnelle de marché, qui ne pouvait conduire qu’à la déconfiture de la société HOT-EL 11 ; le fait de ne pas s’être doté d’outils de gestion a aggravé une situation déjà compromise et ne lui a pas permis d’arrêter, en temps utile, les mesures de restructuration nécessaires en adaptant ses charges à sa trésorerie disponible ; il a, au contraire, poursuivi une activité déficitaire en augmentant ses charges, notamment de personnel, que les chiffres d’affaires réalisées ne permettaient plus de couvrir ; ces trois fautes de gestion conjuguées sont directement à l’origine de l’insuffisance d’actif constatée à l’issue des opérations de liquidation.

C’est également à juste titre, eu égard à la gravité des fautes commises, que le premier juge a condamné M. [Z] au paiement de l’intégralité de l’insuffisance d’actif, soit la somme de 1’059’004,29 euros,’et il n’est pas justifié de réduire le montant de cette condamnation compte tenu de sa situation personnelle ou de lui accorder des délais de paiement sur le fondement de l’article 1244-du code civil.

M. [Z] ne s’explique pas, en effet, complètement sur sa situation patrimoniale actuelle, se contentant de faire état de sa contribution à hauteur de 180’000 euros à la poursuite d’activité de la société HOT-EL 11 durant la période d’observation et au paiement des cotisations salariales auprès de l’Urssaf, des condamnations prononcées à son encontre au profit du Crédit agricole pour un montant global de 1’243’044,86 euros, de sa dette de 142’479 euros vis-à-vis de l’administration fiscale consécutive à la rectification en matière d’impôt sur les sociétés dont la SCI les Cèdres bleus, au sein de laquelle il était associé et aujourd’hui en liquidation judiciaire, a fait l’objet au titre de l’année 2012 et de la saisie immobilière à laquelle le Crédit agricole devrait procéder relativement à une maison d’habitation située à [Localité 6] détenue par l’intermédiaire d’une société dont il est associé avec l’ensemble des membres de sa famille.

Ainsi, il apparaît, en l’état des pièces produites, que M. [Z] occupe à Carcassonne 34, avenue du président Franklin Roosevelt une maison d’habitation, propriété de la SCI 112, dont il est le gérant avec son épouse, par suite de la vente contractée, suivant acte notarié du 26 juillet 2012, avec la SCI les Cèdres bleus, aujourd’hui en liquidation judiciaire, le prix de vente de 450’000 euros ayant été intégralement financé au moyen d’un prêt consenti par la Banque populaire du Sud, et que l’associé majoritaire au sein de la SCI les Cèdres bleus n’est autre que la société JCA patrimoine, dont il détient 400’097 parts sociales sur 400’100 ; la société JCA patrimoine détient également la quasi-totalité des parts sociales de la SCI la Falaise, propriétaire à [Adresse 7] d’une maison d’habitation décrite, dans un procès-verbal de constat établi le 12 janvier 2018 par la Selarl Auxilia juris, huissiers de justice, comme une maison d’environ 150 m² habitable, de construction récente, implantée sur un terrain de 676 m², dans un quartier résidentiel face à l’étang de Leucate’; M. [Z] est donc à la tête, via la SCI 112 ou la société JCA patrimoine, de divers biens immobiliers susceptibles de répondre de la condamnation prononcée à son encontre, sachant qu’il s’est d’ores et déjà acquitté, en sa qualité de caution de la société HOT-EL 11, de la somme de 206’016,40 euros mise à sa charge, au profit du crédit agricole, par un jugement du tribunal de commerce de Carcassonne en date du 21 septembre 2015.

Il résulte de tout ce qui précède que le jugement entrepris doit être confirmé dans toutes ses dispositions.

3- Les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

Succombant sur leur appel, M. [Z] doit être condamné aux dépens, ainsi qu’à payer à la Selarl [B] [D], prise en sa qualité de liquidateur la liquidation judiciaire de la société HOT-EL 11, la somme de 3000 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a du exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare irrecevables les conclusions et pièces nouvelles déposées le 5 septembre 2022 par l’appelant,

Au fond, confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Carcassonne en date du 5 octobre 2020,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne M. [Z] aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la Selarl [B] [D], prise en sa qualité de liquidateur la liquidation judiciaire de la société HOT-EL 11, la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d’appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code,

le greffier, le président,

 

 


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