24 novembre 2022
Cour d’appel de Nouméa
RG n°
20/00006
Chambre Civile
N° de minute : 286/2022
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 24 novembre 2022
Chambre civile
Numéro R.G. : N° RG 20/00006 – N° Portalis DBWF-V-B7D-QSL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 novembre 2019 par le tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Koné (RG n° :18/154)
Saisine de la cour : 23 décembre 2019
APPELANT
M. [X] [P]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Frédéric DE GRESLAN, membre de la SELARL SOCIETE D’AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉS
Société WEST C PTY LIMITED
Siège Social : [Adresse 2] AUSTRALIE
Représentée par Me Hélène FORT-NANTY, membre de la SELARL FORT-NANTY, avocat au barreau de NOUMEA
Société NORD AVENIR
Siège Social : [Adresse 3]
Représentée par Me Hélène FORT-NANTY membre de la SELARL FORT-NANTY, avocat au barreau de NOUMEA
Société BELEMA
Siège Social : [Adresse 10]
S.E.L.A.R.L. MARY-LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur de M. [Z] [D]
Siège Social : [Adresse 7]
AUTRE INTERVENANT
S.E.L.A.R.L. MARY-LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire judiciaire de la société NORD AVENIR
Siège Social : [Adresse 7]
SCP CBF ASSOCIES, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société NORD AVENIR
Siège social : [Adresse 6]
S.E.L.A.R.L. MARY-LAURE GASTAUD
Siège Social : [Adresse 7]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 4 août 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
– réputé contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 26/9/22 a été prorogé au 3/10/2022, puis au 7/11/2022, puis au 10/11/2022, puis au 21/11/2022, puis au 24/11/2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l’article R 123-14 du code de l’organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. [X] [P] exerce une activité de conseil et d’assistance en matière maritime. Il a été contacté en 2010 par M. [Z] [D], originaire de [Localité 4], qui avait le souhait de relancer l’exploitation de coquillages (coquilles Saint-Jacques) dont l’abondance dans l’archipel permettait d’envisager le développement local d’une activité pérenne de pêche professionnelle locale. Contact fut pris pour l’assistance dans l’importation d’un navire de pêche australien et dans la recherche de financement.
Le projet a commencé à prendre réellement forme en 2014 avec l’élection de M. [D] père comme nouveau maire de [Localité 4], élu le 23 mars 2014.
La société WEST C PTY Limited, appartenant au groupe australien FAR WEST SCALLOPS, contactée en qualité d’opérateur métier, et la société SOFINOR devenue depuis la société NORD AVENIR, contactée comme partenaire financier ont été pressenties pour devenir associées de la nouvelle société à créer, la SAS WEST PACIFIC SCALLOPS dite WPS, ainsi que les différents clans de [Localité 4] regroupés dans une société de participation locale, la SCP BELEMA, outre M. [Z] [D] et M. [X] [P] comme partenaires privés.
Le 11/08/2014, la société NORD AVENIR a passé une convention d’assistance technique avec la société [P] MARINE et dans le même temps, son gérant M. [X] [P], et M. [Z] [D] confirmaient leur volonté de participer au capital de la SAS WPS.
Finalement, M. [X] [P] a été écarté et les statuts de la société WEST PACIFIC SCALLOPS ont été modifiés et signés sans lui à [Localité 8] le 15/10/2015.
Par jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 06/06/2016, M. [Z] [D] a été mis en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 22/05/2017. La selarl GASTAUD a été désignée comme liquidateur. M. [X] [P] a déclaré sa créance, laquelle a fait l’objet d’une contestation devant le juge commissaire.
Par requête du 08/02/2017, M. [X] [P] a saisi le tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Koné, aux fins de voir condamner in solidum la société WEST C PTY Limited, la SAEM NORD AVENIR, la SCP BELEMA et M. [Z] [D] à lui payer les sommes de :
– 37 328 000 Fcfp à titre de perte de gains à titre principal
– 5 000 000 Fcfp à titre de préjudice moral à titre subsidiaire
– 500 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il demandait en outre la fixation de sa créance au passif de M. [Z] [D] à la somme de 42 328 000 Fcfp.
Il soutenait que la promesse de société dont il bénéficiait avait été rompue sans motif légitime.
Par jugement du 14/11/2019, signifié le 06/12/2019, le tribunal de première instance de Nouméa a débouté M. [X] [P] de ses demandes en dommages et intérêts et l’a condamné à payer à la SAEM NORD AVENIR et la société WEST C PTY Limited la somme de 150 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour se déterminer ainsi le premier juge a considéré que le principe de liberté de contracter interdisait à M. [X] [P] de se prévaloir d’une perte de chance d’obtenir les gains escomptés en devenant associé ; que seule la rupture brutale de pourparlers donnait lieu à indemnisation mais qu’en l’espèce, M. [X] [P] ne rapportait pas la preuve des dépenses engagées et ne donnait aucun élément de nature à chiffrer son préjudice moral.
PROCÉDURE D’APPEL
Par requête du 23/12/2019, M. [X] [P] a fait appel de la décision rendue.
Par jugement du 19 juin 2020, la société NORD AVENIR a été placée sous sauvegarde, la selarl GASTAUD ayant été désignée comme mandataire judiciaire et le cabinet CBF comme administrateur judiciaire de la société NORD AVENIR. M. [X] [P] a déclaré sa créance au passif.
Moyens
M. [X] [P] demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 22/04/2020 et ses dernières écritures du 02/08/2021 d’infirmer le jugement et statuant à nouveau de condamner in solidum la société NORD AVENIR , la société WEST C PTY Limited et la SCP BELEMA à lui payer :
– à titre principal, la somme de 37 328 000 Fcfp à titre de perte de gains
– à titre subsidiaire, les sommes de :
15 500 000 Fcfp au titre de son préjudice financier pour perte subie
500 000 Fcfp à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
1 000 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que depuis 2009 il a participé gratuitement au montage du projet et ce, dans l’optique d’en être associé ce qui avait été accepté par M. [Z] [D] à l’origine du projet qui a abouti à la création de la SAS WEST PACIFIC SCALLOPS ; que la rupture d’une promesse de société se résout par l’allocation de dommages et intérêts, en faveur du bénéficiaire de la promesse afin de réparer la perte éprouvée résultant de sa contribution du projet et au gain manqué (perte de chance de tirer profit de l’exploitation) ; il soutient qu’en l’espèce, il a été victime d’une rupture de promesse de société et non d’une rupture de pourparlers.
En défense, dans leurs dernières conclusions récapitulatives, la société WEST C PTY Limited et la SAEM NORD AVENIR demandent de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner M [X] [P] à leur payer une somme de 1 000 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle font valoir qu’elles n’ont entretenu aucun lien contractuel ou pré-contractuel avec M. [X] [P] pour n’être intervenues qu’en 2014 pour l’élaboration d’une société commune avec la société BELAMA et M. [Z] [D] ; que c’est seulement à cette date qu’elles ont eu connaissance de la participation de M. [X] [P] au capital de la SAS WEST PACIFIC SCALLOPS comme actionnaire de catégorie D (actionnaires privés) au côté de M.[Z] [D] ; que seul, ce dernier qui avait conclu un pacte d’associé avec M. [X] [P] est à l’origine de la rupture des pourparlers. Dans ces conditions, les concluantes estiment que leur responsabilité ne saurait être recherchée dans la rupture telle qu’exposée et argumentée par M. [X] [P] ; qu’en tout état de cause, la rupture était justifiée par deux motifs sérieux et légitimes :
– le désaccord entre M. [X] [P] et M. [Z] [D] quant à la personne devant représenter la catégorie D des actionnaires de la SAS WPS ;
– la défiance des coutumiers de Bélep à l’égard de M. [X] [P] devant les retards apportés au projet.
La requête d’appel a été signifiée à M. [Z] [D] le 04/06/2020 (acte délivré selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile).
La requête d’appel a été signifiée à la SCP BELEMA le 28/04/2020 (acte délivré à son président).
Le 19/02/2021, M. [X] [P] a appelé la selarl GASTAUD en intervention forcée.
Par conclusions du 12/08/2020, la selarl GASTAUD, agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [Z] [D], a soulevé l’irrecevabilité de l’action en raison de l’engagement par M. [P] d’une action judiciaire sans attendre la décision du juge-commissaire.
Par conclusions du 18/11/2020, elle a déclaré intervenir ès qualités de mandataire judiciaire de la SAEM NORD AVENIR pour la régularité de la procédure et fait valoir que quelle que soit l’issue de la procédure elle ne pourra aboutir qu’à la fixation de la créance au passif de la société NORD AVENIR.
Le Cabinet CBF en sa qualité d’administrateur judiciaire de la SAEM NORD AVENIR a été appelé en intervention forcée par acte du 26/10/2020 (assignation remise à pesonne) mais n’a pas constitué avocat.
La SCP BELEMA n’a pas constitué avocat.
Par conclusions du 29/03/2021, la selarl GASTAUD a sollicité sa mise hors de cause sur l’assignation en intervention forcée délivrée le 19/02/2021 à son encontre prise en son nom personnel.
Vu l’ordonnance de clôture
Vu l’ordonnance de fixation
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la forme
La cour constate que dans ses dernières écritures, M. [X] [P] a abandonné ses demandes contre M. [Z] [D] ; qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur l’irrecevabilité soulevée.
La selarl GASTAUD, assignée en intervention forcée en son nom personnel et non ès qualités de mandataire judiciaire de la SAEM NORD AVENIR sera mise hors de cause.
Sur la promesse de société
Il y a promesse de société dont la rupture oblige à réparation, lorsque les parties s’accordent sur l’objet de la future société, l’importance et la nature des apports respectifs et la forme de la future société.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que courant 2009, M. [Z] [D] a contacté initialement M. [X] [P] pour l’assister dans l’importation d’un navire de pêche australien et plus largement pour créer une entreprise de pêche durable de coquilles Saint-Jacques dans la région de [Localité 4]. L’idée de créer cette société est née de la rencontre de leurs deux volontés, M. [X] [P] qui avait travaillé en Australie pendant près de dix ans dans le domaine de la construction navale étant le plus à mêm de trouver un partenaire australien, M. [Z] [D] qui est de [Localité 4] étant légitime à présenter le projet et à le faire accepter par les autorités coutumières de l’île.
Il est avéré que de 2009 à 2011, M. [X] [P] a travaillé sur ce projet sans aucune rémunération ayant convenu avec M. [Z] [D] d’une participation dans les parts de la société. Un premier partenaire a été trouvé en la personne de la société de droit australien TASMANIA SEAFOOD mais les discussions ont traîné en longueur pour finalement ne pas aboutir. M. [Z] [D] et M. [X] [P] ont démarché parallèlement la province Nord pour trouver un financement ainsi que les administrations intéressées (Cafat, gouvernement, direction des affaires maritimes). En 2012, un nouveau partenaire a été trouvé en la personne de la société WEST C PTY Limited dont il n’est pas contesté qu’elle avait été démarchée par M. [X] [P] et un premier contact a été pris avec les associés potentiels en octobre 2012. A cette date, un comité composé notamment du maire de [Localité 4], de M. [Z] [D], du président du comité de suivi de [Localité 4] s’est rendu à Perth, siège social de la société WEST C PTY Limited. Là encore, le projet a traîné en longueur et, ce n’est vraiment, qu’avec l’élection du nouveau maire de [Localité 4], M. [Y] [D] en avril 2014 que le projet qui impliquait de par sa nature même, des arbitrages politiques et financiers a décollé pour voir le jour. Dès ce moment, les futurs partenaires pressentis étaient :
– la société WEST C PTY Limited, opérateur métier
– la SA NORD AVENIR, opérateur financier
– la SCP BELEMA, composée des seize GDPL de [Localité 4] (partenaire local)
– M. [X] [P] et M. [Z] [D] (partenaires privés).
Le 03/06/2014, M. [X] [P], a sollicité de la direction des affaires maritimes une dérogation au monopole du pavillon. Ce courrier, au nom de la société WPS en cours de constitution, montre que le projet était déjà bien avancé et que M. [X] [P] y était étroitement associé puisqu’il n’intervenait pas comme prestataire rémunéré mais bien comme partenaire, futur associé.
Le 27/08/2014, M. [X] [P] et M. [Z] [D] confirmaient à la demande de la société NORD AVENIR, principal promoteur du projet, leurs accords de partenariat en indiquant la participation financière de chacun dans le montage de la société. Il ressort de ce document que le projet prévoyait la création d’une SAS dénommée WEST PACIFIC SCALLOPS dont le capital serait de 4.416. 000 Fcfp, réparti entre les actionnaires suivants :
– société WEST C PTY Limited : 40 %
– SA SOFINOR : 31%
– SCP BELEMA : 20 %
– M. [X] [P] et M. [Z] [D] : 4,5 % chacun.
Un plan de financement et un budget prévisionnel étaient établis en septembre 2014 par les partenaires prévoyant notamment le versement par M. [X] [P] en compte courant d’associé d’une somme de 2 500 000 Fcfp .
Le 13/08/2015, le cabinet de Mme [C], conseil juridique, contactée par la SA SOFINOR, transmettait le projet de statuts et de pacte d’associés à l’ensemble des intéressés conformes à la lettre d’engagement, étant précisé que la signature des statuts devait intervenir à [Localité 8] le 12/10/2015. Le projet des statuts finalisé figurait M [X] [P] comme associé à hauteur de 4,5 % du capital. Le 28/09/2015, le cabinet juridique adressait un nouveau courriel pour que les actionnaires libèrent 50 % du capital social. Le lendemain, M. [X] [P] versait la somme demandée, sur le compte de la société en cours de constitution.
A la signature des statuts de la société WPS, le nom de M. [X] [P] ne figurait plus comme associé et ses parts étaient transférées à la SA NORD AVENIR de sorte que la répartition du capital s’établissait comme suit :
– société WEST C PTY Limited : 40 %
– SAEM NORD AVENIR : 35,5% au lieu de 31 % ,
– SCP BELEMA : 20 %
– M. [Z] [D] : 4,5 %.
Dès lors que les projets de statuts et de pacte d’associé ont été communiqués à l’ensemble des partenaires envisagés par le cabinet juridique mandaté par la société NORD AVENIR et que ces conventions contenaient le nom de M. [X] [P] comme futur associé en précisant le montant de la participation financière de celui-ci, l’affirmation des intimées selon laquelle elles n’avaient aucun contact avec M. [X] [P] et n’avaient entretenu aucun pourparler n’est pas sérieuse, et ce d’autant plus que M. [X] [P] avait été de tous les voyages en Australie et avait participé activement à la plupart des réunions organisées entre les futurs partenaires antérieurement à son implication en qualité de gérant de la société [P] MARINE. Si à ce stade, la société NORD AVENIR, la société WEST C PTY Limited et la SCP BELEMA pouvaient ignorer l’accord de répartition des parts entre M. [X] [P] et M. [Z] [D], ce n’était plus le cas à partir d’août 2014 lorsque ces derniers ont confirmé leur participation dans la future société dont la création sera finalisée un an plus tard.
La promesse de société caractérisée par l’accord sur les éléments essentiels de la société en constitution et qui ne requérait pour la validité de ses actes constitutifs que la signature des futurs associés est effectivement démontrée. L’affectio societatis qui s’entend comme la volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l »uvre commune impliquant que chaque associé puisse avoir un rôle dans la société en participant, a minima, aux décisions collectives et en contribuant aux pertes sociales résulte à suffisance de la participation de M. [X] [P] dans les statuts comme futur associé et en la demande qui lui a été faite de libérer le capital.
La rupture d’une telle promesse engage la responsabilité des futurs associés sauf à démontrer qu’elle était fondée sur un motif légitime.
Sur les manquements allégués
La société NORD AVENIR et la société WEST C PTY Limited invoquent deux motifs pour justifier l’éviction de M. [X] [P], d’une part la dégradation des relations entre les partenaires privés qu’étaient M. [X] [P] et M. [Z] [D] et d’autre part la mauvaise exécution des prestations par M. [X] [P].
Sur le premier point, il ressort de l’échange des courriels entre MM. [K] [G] de la société NORD AVENIR, [X] [P] et [Z] [D] que la mauvaise entente entre ces deux derniers s’est cristallisée autour de la désignation du nom de l’associé chargé de les représenter dans leur catégorie (actionnaires privés) au sein du conseil d’administration de la future société, M. [X] [P] et M. [Z] [D] voulant tous deux siéger. Le premier invoquait sa plus grande disponibilité et son investissement constant, le second mettait en avant sa plus grande légitimité. Les reproches réciproques ont également fusé : M. [X] [P] reprochait à M. [Z] [D] son incapacité à préserver ses intérêts auprès de la société NORD AVENIR et des représentants de [Localité 4], M. [Z] [D] répliquant à M. [X] [P] qu’il lui avait donné suffisamment d’avantages dans le projet en lui accordant une part dans l’actionnariat.
L’éviction de M. [X] [P] a été effective à la suite du courrier en date du 28/09/2015 que M. [Z] [D] a adressé à l’ensemble des partenaires hors le principal concerné, faisant part de sa volonté de renoncer à la présence de M. [X] [P] dans le projet.
La cour considère que même s’il y avait mauvaise entente entre les futurs associés voire perte de confiance entre ces derniers, le souhait partagé de siéger au conseil d’administration était légitime pour l’un comme pour l’autre et aurait pu et dû faire l’objet d’un arbitrage et non d’une éviction brutale en l’absence d’un manquement blâmable de la part de M. [X] [P]. Ce motif n’explique pas et ne justifie pas la volonté des futurs associés d’écarter M. [X] [P] en faisant bloc autour de M. [Z] [D].
Le deuxième motif est tout aussi vain. Dans un courriel daté du 24/07/2019, M. [K] [G] énonçait un certain nombre de griefs contre M. [X] [P] à qui il reprochait l’absence de disponibilité, l’insistance à vouloir qu’on lui réponde immédiatement, l’absence de suivi du dossier relatif à l’obtention de la dérogation de pavillon. Il lui rappelait par ailleurs qu’il n’était encore pas partenaire et que sa présence n’était pas souhaitée par les gens de [Localité 4] et qu’elle pouvait à ce stade être considérée comme une sérieuse faiblesse. Il rappelait enfin qu’il l’avait déjà prévenu par courrier du 25/02/2015 de ses insuffisances.
Sur ce dernier point, la cour note que cette lettre, relative au solde des honoraires dû à la société [P] MARINE dans le cadre de la convention d’assistance technique signée avec la SAEM NORD AVENIR, si elle constate le retard dans la réalisation des prestations restant à réaliser, ne contient aucun reproche à l’égard de M. [X] [P] en sa qualité de gérant de la société [P] MARINE. Au contraire, il est indiqué que le retard, réel, n’est pas imputable à la société dans les termes suivants : « nous comprenons que le retard pris par le projet n’est pas de votre fait et que l’organisation de cette campagne expérimentale n’est pas à l’ordre du jour du partenaire métier dont le navire n’est pas conformité ».
Les griefs ultérieurs invoqués dans le couriel susvisé de juillet 2015 portant sur l’absence d’obtention de l’autorisation de dérogation de pavillon concernent de fait les prestations réalisées par M. [X] [P] en tant que gérant de la société [P] MARINE et non en tant que futur partenaire. En cette dernière qualité, il n’est invoqué contre M. [X] [P] que la méfiance des gens de [Localité 4] dont on ne sait ce qui l’a fait naître, puisqu’aucune explication n’est donnée et qu’elle n’apparaît qu’en toute fin du projet lorsque celui-ci est quasiment réalisé.
L’historique des relations entre les parties révèle en réalité que les partenaires ont utilisé les connaissances et les contacts qu’avait M. [X] [P] sur le territoire australien, ont profité de son implication gratuite dans le projet, ayant investi son temps et son énergie dans la réalisation des objectifs communs concrétisés par la création de la société WPS en lui laissant espérer jusqu’au bout un partenariat d’associé. La réalité montre qu’une fois, le projet bouclé, M. [X] [P] ne présentait plus d’utilité de sorte qu’il a été écarté .
Au vu de ces éléments, la rupture doit être jugée comme sans motif légitime. Elle engage la responsabilité de l’ensemble des futurs associés et se résout par l’allocation de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice subi par l’associé écarté, préjudice résultant de la perte de chance de gain, faute d’avoir concrétisé le projet
Sur l’indemnisation
M. [X] [P] estime son préjudice sur cinq ans considérant que les statuts de la société WEST PACIFIC SCALLOPS contiennent une clause d’inaliénabilité des actions pendant cinq ans de sorte que s’il avait été associé, il aurait nécessairement gardé ses parts pendant cette durée et aurait bénéficié des bénéfices distribués.
Il considère que son préjudice est double consistant d’une part dans la perte de dividendes annuels et d’autre part par la perte de la valorisation de ses titres aux termes des cinq années d’exploitation.
Il chiffre la perte de dividendes à la somme de 12 442 500 Fcfp. Son calcul se fonde sur un bénéfice quinquennal de la société WPS évalué à 517 000 000 Fcfp, arrondi à 500 000 000 avant impôt, donnant après impôts un dividende global net de 276 500 000 Fcfp, soit pour une quote-part de 4,5 %, un dividende de 12 442 500 Fcfp.
S’agissant de la valorisation des parts, sur la base d’un rapport annuel de 2.488.500 Fcfp (12 442 500 /5), il retient, en prenant en compte deux valeurs de rendement, l’évalutation suivante :
pour une valeur de rendement à 10 % : 24 885 500 Fcfp
pour une valeur de rendement à 8 % : 31 106 250 Fcfp.
Les intimés ne contestent pas les chiffres mais le principe de l’existence même du préjudice estimant que la demande d’indemnisation, est dénuée de tout fondement et ne saurait être en tout état de cause équivalente au gain manqué (demande principale) ou de la perte subie (demande subsidiaire), la première (demande principale) ne pouvant résulter d’une perte de chance indemnisable en vertu du principe de la liberté de commercer qui donne liberté de rompre les pourparlers pré-contractuels, la seconde comprenant des frais exposés avant août 2014, date à laquelle les intimés ont eu connaissance de la participation de M. [X] [P] au capital de la future société.
Pour chiffrer son préjudice, M. [X] [P] s’est fondé sur le rapport d’expertise du cabinet JMG EXPERTISE ET CONSEIL qu’il avait missionné à cette fin. Ce dernier a établi une estimation des bénéfices escomptés après analyse du potentiel d’activité en se basant sur le prévisionnel financier réalisé par la Société WEST C PTY Limited elle-même, sur les résultats de la pêche expérimentale déjà réalisée sur six semaines dont il a extrapolé les résultats sur l’année ; il a tenu compte du prix en dollar australien de vente de la coquillage Saint-Jacques et du marché tenu par la société WEST C PTY Limited, à savoir l’Asie du Sud Est.
La cour note qu’il n’est fourni aucun élément comptable de la société WEST PACIFIC SCALLOPS et que le préjudice évalué n’est qu’un estimatif. Cependant, les intimés n’ont pas contesté les chiffres et n’ont pas fait état d’éventuelles difficultés financières ou structurelles qui toucheraient la société actuelle.
Considérant que la base de l’estimation du préjudice est sérieuse puisqu’elle s’appuie sur un prévisionnel financier émanant des partenaires aujourd’hui associés, la cour retient les chiffres avancés comme représentatifs des dividendes qui auraient pu être perçus par M. [X] [P].
Néanmoins, il n’a pas été envisagé la possibilité que les associés majoritaires choisissent de ne pas distribuer les dividendes, comme il n’a pas été envisagé des aléas tels que la perte du bateau, la nécessité de renouveler les équipements, la perte d’un marché par saturation ou l’arrivée de nouveaux concurrents, tous aléas ayant un impact sur le rendement et sur la valeur des parts dans le futur, outre l’éventualité de ne pas trouver de repreneur. Ainsi, s’agissant de réparer la perte de chance d’un gain manqué, il y a lieu d’appliquer un coefficient de 30 % sur le gain relatif aux dividendes escomptés.
S’agissant de la valorisation des parts, la cour relève que les modes de calcul ne sont pas précisés et que, s’agissant d’une société créée en 2015, l’appelant aurait pu et dû justifier de la bonne santé de l’entreprise.
La demande formulée au titre de l’augmentation de la valeur des parts sociales durant la période d’indisponibilité, dont M. [X] [P] a été privé, sera rejetée en l’absence de tous éléments comptables effectifs, la cour considèrant que l’estimation donnée est trop aléatoire et repose sur des éléments non probants.
En définitive, le préjudice de M. [X] [P] sera fixé à la somme de 3 732 750 Fcfp (12 442 500 x 30 %) au titre de la perte de dividendes. Les sociétés BELEMA et WEST C PTY Limited seront dès lors condamnées in solidum à payer à M. [X] [P] la somme de 3 732 750 Fcfp. Cette somme sera fixée au passif de la société NORD AVENIR.
Sur l’article 700
Il est équitable d’allouer à M. [X] [P] qui a dû se défendre en justice la somme de 500 000 Fcfp.
Sur les dépens
Les intimées succombant supporteront in solidum les dépens des procédures de première instance et d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Met hors de cause la Selarl GASTAUD attraite en son nom personnel ;
Dit que M. [X] [P] a été victime d’une rupture de promesse de société ;
Condamne in solidum la SCP BELEMA et la société WEST C PTY Limited à payer à M. [X] [P], à titre de dommages et intérêts, la somme de 3 732 750 Fcfp ;
Fixe la créance de M. [X] [P] au passif de la SAEM NORD AVENIR à la somme de 3 732 750 Fcfp ;
Condamne in solidum la SCP BELEMA, la société WEST C PTY Limited et la société NORD AVENIR à payer à M. [X] [P] une somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SCP BELEMA, la société WEST C PTY Limited et la société NORD AVENIR aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président.