24 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/09462
Pôle 5 – Chambre 9
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09462 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B74LQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Mars 2019 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2018050907
APPELANTE
Madame [V] [C] épouse [F]
née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 9] (MAROC)
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Caroline BLONDEL de l’AARPI GGV Avocats – Rechtsanwälte, avocat au barreau de PARIS, toque : U0003, substituée par Me Manon COLIN, avocat postulant et plaidant
INTIMEES
Madame [N] [C]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 9] (MAROC)
[Adresse 4]
[Localité 6]
défaillante
SARL LISSFACTOR
N° SIRET : 483 788 683
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Représentée par Me Kamel MAOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0116, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 804 et suivants du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 septembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant :
Madame Sophie MOLLAT, Présidente
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de: Madame Sophie MOLLAT, Présidente
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
Madame Déborah CORICON, Conseillère
GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
– par défaut
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière.
************
La SARL LISSFACTOR, créée en 2005, a pour activité l’import-export, la fabrication et la distribution de produits capillaires et cosmétiques. Madame [V] [C] (épouse [F]) et sa s’ur Madame [N] [C] en sont associées par parts égales. Elles en étaient co-gérantes jusqu’au 2 novembre 2015, date à laquelle Madame [N] [C] en est devenue seule gérante.
Un conflit est né entre les deux associées, aboutissant à deux plaintes pénales déposées par Madame [V] [C] à l’encontre de sa s’ur, respectivement pour abus de biens sociaux par appropriation des logos propriété de l’entreprise, et pour faux et usage de faux relativement à l’acte de démission de ses fonctions de co-gérante. Ces deux plaintes font actuellement l’objet d’une instruction menée par un juge d’instruction de Versailles qui les a jointes à une affaire criminelle, relative à une agression commise à l’encontre de Madame [V] [C], de son mari et de leurs 5 enfants en date du 27 novembre 2016.
Saisi sur requête présentée par Madame [N] [C], le président du tribunal de commerce de Paris a, par ordonnance du 18 septembre 2018, désigné Me [B] [H] en qualité de mandataire ad hoc, afin de convoquer l’assemblée générale de la société LISSFACTOR et d’entreprendre une médiation avec les deux associées permettant à la société de faire face à ses difficultés. Une assemblée générale est réunie par lui en date du 17 décembre 2018 et il a déposé son rapport de fin de mission le 18 décembre 2018.
C’est dans ce contexte que Madame [V] [C] a saisi en le tribunal de commerce de Paris le 10 septembre 2018 d’une demande de nomination d’un administrateur provisoire.
Par jugement du 1er mars 2019, le tribunal de commerce l’a déboutée de sa demande de désignation d’un administrateur provisoire et a écarté des débats les pièces n°3, 5, 7, 16 et 17 produites par Madame [V] [C].
Madame [V] [C] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 30 avril 2019, puis a procédé à un second dépôt de sa déclaration d’appel en date du 3 mai 2019. Les deux déclarations d’appel ont été enregistrées au greffe de la Cour d’appel de Paris le 29 mai 2019 sous les numéros RG 19/09462 et RG 19/09654.
Une ordonnance du 10 octobre 2019 a joint les 2 procédures sous le numéro RG 19/09462.
Par une ordonnance en date du 4 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a désigné un médiateur, mais la médiation n’a pas abouti.
Par une ordonnance en date du 18 mars 2021, le conseiller de la mise en état a débouté la SARL LISSFACTOR de sa demande de caducité de l’appel en date du 30 avril 2019 et de sa demande d’irrecevabilité de l’appel en date du 3 mai 2019. La société LISSFACTOR a déféré cette ordonnance à la Cour par une requête enregistrée le 26 mars 2021.
Exposé du litige
Dans un arrêt en date du 23 septembre 2021, la Cour a constaté l’irrecevabilité de l’appel du 3 mai 2019, mais a confirmé l’ordonnance pour le surplus.
Moyens
*****
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 15 juillet 2019, Madame [V] [C], demande à la Cour de’:
Vu les articles 235-117, 238-5, 241-5, 1844-7, 223-26, 223-21 et 241-3 du Code de commerce,
D’INFIRMER le jugement rendu par le tribunal de Commerce de Paris le 1er mars 2019 en ce qu’il a’:
Ecarté des débats la pièce n°16 produite par Madame [V] [C]
Débouté Madame [V] [C] de ses demandes visant à la désignation d’un administrateur provisoire,
Condamné Madame [V] [C] aux dépens.
STATUANT À NOUVEAU
de désigner tel administrateur qu’il lui plaira’;
de donner mission à l’administrateur provisoire de’:
De faire procéder à l’évaluation de la comptabilité de la société depuis l’exercice 2015 et du compte courant de Madame [N] [C] depuis l’année 2015 conformément aux votes précédents.
Obtenir de la gérante les documents comptables nécessaires à l’approbation des comptes 2015, 2016, 2017, 2018
Convoquer une assemblée générale afin d’approuver les comptes des années 2015, 2016, 2017 et 2018
Rechercher toutes solutions afin de solder la mésentente
Si l’administrateur l’estime nécessaire, convoquer une assemblée générale aux fins de désignation d’un nouveau gérant,
En dernier recours, convoquer une assemblée générale aux fins de décider la dissolution de la société le cas échéant.
De dire qu’il restera en fonction une période de 6 mois à l’issue de laquelle un premier rapport de ses activités en sollicitant par requête une prolongation.
De dire que l’administrateur pourra s’adjoindre de tout sachant de son choix.
De dire que sa rémunération sera mise à la charge de la société ;
Condamner solidairement les défenderesses aux dépens ;
Condamner solidairement les défenderesses au paiement de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.
*****
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 11 octobre 2019, la SARL LISSFACTOR demande à la Cour de’:
Rejeter la demande de Madame [V] [C] d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a écarté des débats la pièce n°16 qu’elle a produite et en tant que de besoin confirmer le jugement sur ce rejet de la pièce n°16
Rejeter la demande de Mme [V] [C] d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de ses demandes visant à la désignation d’un administrateur judiciaire et en tant que de besoin confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de cette demande
Rejeter la demande de Mme [V] [C] d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée aux dépens et en tant que de besoin confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné aux dépens
Confirmer en conséquence le jugement dont appel,
A TITRE INCIDENT
Réformer le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de condamnation de Mme [V] [C] au paiement de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
AJOUTANT DU JUGEMENT’:
Condamner Madame [V] [C] au paiement de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile tant au titre de la procédure de première instance que de la présente procédure d’appel
Débouter Madame [V] [C] de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions
Condamner Madame [V] [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec autorisation donnée à Maître Frédéric LALLEMENT, avocat, de recouvrer directement ceux dont il fait avance, par application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Madame [N] [C], assignée selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile, n’a pas constitué avocat.
Motivation
SUR CE’:
Sur l’irrecevabilité de la communication de pièces par Mme [V] [C]
La SARL LISSFACTOR demande d’écarter des débats la pièce 16 au motif qu’elle n’est pas traduite en français.
Madame [V] [C] ne répond pas sur ce point.
Il y a lieu dès lors de l’écarter des débats et de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la désignation d’un administrateur provisoire
Au visa des articles L225-117, L238-5, L241-5, L223-26 et L223-21 du Code de Commerce et de l’article 1844 du Code Civil, Madame [V] [C] demande la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire de la SARL LISSFACTOR, au motif qu’il s’agirait du seul moyen d’empêcher la dissolution de celle-ci.
Elle invoque les griefs suivants :
Une durable et profonde situation contentieuse entre deux associées égalitaires
Madame [V] [C] fait état de deux plaintes pénales déposées à l’encontre de Madame [N] [C], pour souligner la situation délétère régnant durablement entre les deux associées, la division en parts égales du capital entre elles deux empêchant toute prise de décision au sein de la société.
Elle soutient que Madame [N] [C] a selon elle commis des abus de biens sociaux et a produit des faux et fait usage de faux en utilisant une fausse lettre de démission.
Elle prétend également que Madame [N] [C] est l ‘auteur d’un cambriolage dont elle, son époux et ses enfants auraient été victimes.
La SARL LISSFACTOR explique que Madame [V] [C] a bien démissionné de sa fonction de cogérante de la SARL LISSFACTOR par un courriel du 19 juin 2015 et que sa démission été enregistrée au greffe du Tribunal de Commerce de Paris.
Elle accuse à son tour Madame [V] [C] de production et usage de faux soutenant qu’elle aurait déposé au Greffe du Tribunal de Commerce de Paris le procès-verbal de l’assemblée générale du 12 novembre 2015 de la société LISSFACTOR alors qu’elle n’était plus gérante.
Un état de paralysie de la société LISSFACTOR
Madame [V] [C] soutient que cette mésentente entraine une impossibilité de gouvernance de la société, du fait de l’incapacité à faire émerger une majorité, rappelant notamment qu’aucun compte n’a été approuvé depuis 2014 et que les convocations aux assemblées générales annuelles ne sont pas réalisées.
La SARL LISSFACTOR répond que la non-approbation des comptes des dernières années est uniquement due à l’opposition répétée et systématique de la part de Madame [V] [C], et que la jurisprudence a jugé de façon constante que la non-approbation des comptes ne pouvait caractériser des circonstances rendant impossibles le fonctionnement d’une société.
Elle considère que l’existence de ces dissensions entre associés n’est pas suffisante pour administrer la preuve d’une paralysie du fonctionnement de la société la menaçant d’un péril menaçant les intérêts sociaux’.
Une situation de danger imminent
Madame [V] [C] soutient que cette situation de blocage met la SARL LISSFACTOR dans une situation de danger imminent, prétendant que Madame [N] [C] en raison d’ abus de biens sociaux répétés et aggravés, aurait un compte courant d’associé débiteur depuis 2013, aurait encaissé de larges rémunérations depuis cette date tout en le niant, et aurait encaissé des chèques établis pour le compte de la société par ses clients en apposant son nom personnel.
La SARL LISSFACTOR répond que le compte courant d’associé de Madame [N] [C] n’a pas été débiteur depuis 2013, avec au contraire un crédit de 17.005€ au 31 décembre 2016, tandis que celui de Madame [V] [C] serait à l’inverse débiteur de 11.478€ à la même date. Elle ajoute ne devoir verser aucune rémunération à Madame [N] [C] depuis 2015 et que si certaines d’entre elles figurent au bilan des assemblées générales, elles n’ont pas été perçues à raison de leur non-approbation.
La création d’une société concurrente et la disparition de l’affectio societatis
Madame [V] [C] reproche par ailleurs à son ancienne co-gérante d’avoir fondé en 2018 aux États-Unis une société concurrente à la SARL LISSFACTOR et d’avoir à ce titre violé les dispositions statutaires de ladite société. Elle voit dans cette activité, ainsi que dans la disparition du siège social de la SARL LISSFACTOR, une volonté de Madame [N] [C] de transférer les actifs de la SARL LISSFACTOR vers sa nouvelle société
La SARL LISSFACTOR répond que l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale’.
Elle affirme que Madame [V] [C] n’a en rien prouvé l’existence de tels actes de concurrence déloyale et que son argumentation n’est donc pas fondée. Elle accuse en revanche Madame [V] [C] des mêmes faits puisque celle-ci a également créé en 2015 une société, la SAS [C], à l’objet social similaire à celui de la SARL LISSFACTOR, et soutient que par l’intermédiaire d’un autre nom, Madame [V] [C] aurait essayé de s’approprier des clientes de la SARL LISSFACTOR.
Sur le siège social de la société, la SARL LISSFACTOR explique avoir eu un différend avec le propriétaire des locaux, ce qui a contraint la société à trouver de nouveaux locaux, ce qui a été fait et validé en assemblée générale.
La cour rappelle que la nomination d’un administrateur provisoire constitue une mesure exceptionnelle destinée à remédier à une situation de crise aigue rendant impossible le fonctionnement de la société et menaçant elle-ci d’un péril imminent.
En l’espèce, il existe un conflit ancien et durable entre les 2 associées égalitaires empêchant toute prise de décision et c’est ainsi que depuis de nombreuses années les comptes sociaux ne sont pas approuvés.
Aucun accord amiable n’ayant pu être trouvé entre les parties, dans un premier temps consécutivement à la désignation d’un mandataire ad hoc, puis dans un second temps dans le cadre d’une médiation judiciaire, il apparaît que la désignation d’un administrateur provisoire avec la mission telle que définie dans les conclusions de l’appelante, qui exclut tout mandat d’administrer et de gérer la SARL LISSFACTOR, ne constitue pas la mesure appropriée.
En conséquence, il convient, confirmant le jugement, de débouter Madame [V] [C] de ses demandes.
Sur l’article 700 du Code de Procédure Civile
L’action étant intentée dans le but de préserver l’intérêt social, les dépens seront, en application de l’article 696 du Code de Procédure Civile mis à la charge de la société LISSFACTOR.
Aucune considération d’équité ne commande de faire application de l’article 700 du Code de Procédure Civile
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement,
Dit que les dépens seront, en application de l’article 696 du Code de Procédure Civile mis à la charge de la société LISSFACTOR.
Rejette les demandes en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile
La greffière La présidente