30 novembre 2022
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01457
Chambre Commerciale
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 30 Novembre 2022
N° RG 21/01457 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FUDY
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Arrêt rendu le trente Novembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d’une décision rendue le 28 juin 2021 par le Tribunal judiciaire de CUSSET (RG n° 20/01079)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Monsieur Christophe VIVET, Président de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Mme [J] [L]
[Adresse 4]
[Localité 2]
agissant ès qualités de représentante légale de [E] [G]-[L] née le [Date naissance 3]2010
dûment autorisée par ordonnance du 12/07/2019 de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de CUSSET, confirmée par l’arrêt de la Cour d’Appel de RIOM, chambre de la famille, du 15/09/2020.
Représentant : Me Alexandre BENAZDIA, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
Mme [J] [L]
[Adresse 4]
[Localité 2]
agissant ès qualités d’associée de la société DPM, SCI immatriculée au RCS Cusset sous le n° 788 630 788 00016, dont le siège social est sis [Adresse 4].
Représentant : Me Alexandre BENAZDIA, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/007324 du 23/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
APPELANTS
ET :
M. [V] [G]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentant : la SARL TRUNO ET ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
La société DPM
SCI immatriculée au RCS Cusset sous le n° 788 630 788 00016
[Adresse 4]
[Localité 2]
prise au domicile de son gérant, Monsieur [V] [G] demeurant [Adresse 5]
Représentant : la SARL TRUNO ET ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉS
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, à l’audience publique du 06 Octobre 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUBLED-VACHERON, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 30 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Alors qu’ils vivaient maritalement, Monsieur [V] [G] et Mme [J] [L] ont constitué une SCI dénommée DPM dans le but d’acheter un bien immobilier destiné à la location. M. [G] a été nommé gérant de cette SCI.
Selon les statuts de la SCI, chaque concubin s’est vu attribuer 30 parts et l’enfant commun, [E] [G]-[L] 40 parts.
Le couple s’étant séparé, un litige est né entre les parties concernant les sommes placées en compte courant.
Par jugement du 29 avril 2019, le tribunal de grande instance de Cusset a fixé le compte courant d’associé de Mme [L] à la somme de 4.608,37 euros et déclaré irrecevable l’intervention volontaire de Mme [L] ès qualités d’administrateur légal de [E] [G]-[L], à défaut d’autorisation du juge des tutelles.
Mme [L] a été autorisée à représenter en justice [E] par arrêt de la cour d’appel de Riom du 15 septembre 2020. Aucun accord n’ayant été trouvé concernant les sommes réclamées au nom de [E], Mme [L] a saisi le tribunal de grande instance de Cusset par exploit du 3 juillet 2018 en qualité d’associée de la SCI DPM.
Elle est intervenue volontairement à la procédure en qualité d’administratrice légale de l’enfant [E].
Par jugement du 28 juin 2021, le tribunal, considérant que le transfert des fonds opéré par un représentant légal au bénéfice d’un mineur ne caractérisait un dépôt au sens des articles 1921 et suivants du code civil, que si celui l’ayant effectué entendait transférer la propriété des fonds au mineur, a débouté Mme [L] de ses demandes et l’a condamnée à verser à M. [G] et à la SCI DMP la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 2 juillet 2021, Mme [L] agissant en qualité d’associée de la SCI DMP et ès qualités de représentante légale de [E] [G]-[L] a relevé appel de cette décision.
Moyens
Par conclusions notifiées le 8 juillet 2021, elle demande à la cour, au visa des dispositions de l’article 1845 du code civil, d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
-de condamner M. [G] ès qualités de gérant de la SCI DPM, à enregistrer sur le compte courant de la société DPM le compte courant de [E] [G]-[L] pour la somme de 10 600 €, et ce, sous astreinte de 150 € par jour de retard à l’expiration d’un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.
-de condamner M. [G] à payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et ce au regard de l’article 37 de la loi du 10/07/1991.
Mme [L] indique que trois comptes courants existent dans la SCI DPM, dont un au nom de [E] ; qu’il n’y a pas eu de convention entre la société et les associés concernant leurs comptes courants et que le compte-courant de [E] a été approvisionné au moyen de virements provenant du compte Crédit Agricole de cette dernière.
Au cours des années 2012 à 2014, le compte de [E] a été ainsi approvisionné à concurrence de la somme de 11.100 euros, une partie des sommes provenant de cadeaux effectués par la famille.
Mme [L] soutient qu’à partir du moment où des fonds ont été déposés sur le compte du Crédit Agricole de [E] puis virés sur le compte de la SCI DPM, [E] est réputée avoir apporté les fonds. Si la société veut restituer les fonds à l’associé qui les a apportés, ceux-ci devront transiter du compte SCI DPM sur le compte de [E] qui redeviendra titulaire desdits fonds.
Par conclusions notifiées le 26 août 2021, M. [G] et la SCI DPM sollicitent la confirmation du jugement querellé et demande à la cour, statuant à nouveau :
-De « dire et juger » que Madame [E] [G]-[L] est associée mineure de la SCI DPM,
– de « dire et juger » que Madame [E] [G]-[L] n’a jamais réglé personnellement des dettes de la société SCI DPM avec ses fonds propres,
– de « dire et juger » que M. [G] a seulement fait transiter des fonds par le compte bancaire de Madame [E] [G]-[L],
-de « dire et juger » que les sommes versées par lui sur le compte-bancaire de Madame [E] [G]-[L] n’ont jamais emporté un transfert de propriété.
En conséquence,
-de débouter Madame [J] [L] et madame [J] [L] ès qualités de représentante légale de Madame [E] [G]-[L] de sa demande de fixation du compte-courant d’associé de Madame [E] [G]-[L] au sein de la société SCI DPM à la somme de 10.600 €.
-de débouter Madame [J] [L] et Madame [J] [L] ès qualités de représentante légale de Madame [E] [G]-[L] de sa demande de transcription dans la comptabilité de la société SCI DPM sous astreinte.
En toute hypothèse,
-de débouter Madame [J] [L] et Madame [J] [L] ès qualités de représentante légale de Madame [E] [G]-[L] de l’intégralité de leurs demandes,
-de condamner Madame [J] [L] à lui payer ainsi qu’à la société SCI DPM, chacun une somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
M. [G] précise que le litige est né dans le contexte suivant : aux termes d’une correspondance de son avocat du 5 mars 2018, Mme [L] a sollicité une répartition du compte courant de [E] entre elle et son ex-compagnon à hauteur respectivement de 53% et 47%. Il a par ailleurs été sommé d’envisager la vente du bien immobilier pour parvenir à la liquidation de la SCI.
Face à son refus, Mme [L] a saisi le tribunal de grande instance de Cusset.
Les intimés font valoir que le statut de mineur de [E] l’empêche de réaliser des avances en compte-courant d’associé et d’être ainsi créancière de la SCI DPM ; que [E] n’a pas vocation à financer des travaux concernant l’immeuble exploité par la SCI alors qu’elle n’est âgée que de 10 ans.
M. [G] ajoute que le compte-courant d’associé de [E] [G]-[L] a été approvisionné exclusivement par ses soins, Madame [J] [L] n’ayant pas versé la moindre somme sur ce compte ; qu’il a effectué directement des versements de son compte vers celui de sa fille pour un total de 22.250 euros qui ne correspondent pas à des cadeaux. Il ignorait que Mme [L] alimentait le compte de la SCI à partir du compte bancaire de leur fille.
Il affirme que ces opérations ne caractérisent pas des dépôts volontaires au sens de l’article 1921 du code civil. Le transit des fonds par le compte de [E] n’a pas généré une dette de la SCI envers l’associée mineure.
Motivation
MOTIVATION :
A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à « voir constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour. Il en est de même pour les demandes tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
Monsieur [G] et Mme [L] ont souhaité au cours de leur vie commune que [E] soit associée au sein de la SCI DPM.
Aucune disposition légale ne prive un mineur de la possibilité d’être associé au sein d’une SCI.
Le jeune âge de [E] permet de considérer qu’elle n’a pas manifesté personnellement la volonté de s’associer avec ses parents. Cependant ces derniers ont fait le choix pour elle, en leur qualité de représentants légaux, de la faire entrer au capital de la SCI DPM et de lui conférer la qualité d’associée.
M. [G] soutient sans justifier d’aucun fondement légal que la minorité de [E] la prive de la possibilité de détenir un compte-courant d’associé, alors que la minorité de [E] ne la prive pas de la possibilité de détenir un patrimoine géré par ses parents.
Mme [L] évoque l’existence de trois comptes courants d’associés. Au cours de la première instance ayant donné lieu au jugement du 29 avril 2019, Mme [L] a fait valoir qu’il existait un seul compte courant (455100) alimenté par des fonds lui appartenant et appartenant à sa fille.
Le tribunal a évalué à 4.608,37 euros la valeur du compte-courant de Mme [L]. Cette décision a été transcrite dans le bilan 2019 de la SCI DPM qui mentionne désormais deux comptes courants : celui de M. [G] (45510000) et celui de Mme [L] (45530000)
La consultation des relevés de compte de la SCI DPM et des relevés de comptes de [E] [G]-Peronner permet de constater que les sommes suivantes ont été virées à partir du compte de cette dernière:
-Le 2 octobre 2012: 400 euros au titre du capital
-Le 18 janvier 2013 : 1 000 euros
-Le 1er février 2013 : 1 500 euros
-Le 14 février 2013 : 1 000 euros
-Le 4 mars 2013 : 1 000 euros
-Le 7 mars 2013 : 500 euros
-Le 13 mai 2013 : 2 000 euros et 1 000 euros
-Le 21 novembre 2013 : 500 euros
-Le 23 décembre 2013 : 600 euros
-Le 10 janvier 2014 : 400 euros
-Le 27 janvier 2014 : 300 euros
-Le 17 février 2014 : 200 euros
-Le 1er avril 2014 : 500 euros
-Le 22 avril 2014 : 200 euros
Soit un total, déduction faite de la libération du capital social, de 10.700 euros.
Il n’est pas contesté que les sommes versées à la SCI DPM à partir du livret A de [E] n’ont pas été destinées à une augmentation du capital mais ont été versées sur un compte courant.
Elles ne sont pas inscrites en comptabilité sur un compte courant distinct de celui au nom de son père.
Il convient de déterminer si l’ensemble des sommes versées à partir du compte de [E] étaient sa propriété et pouvaient faire l’objet d’une avance à la SCI dans le cadre de l’administration légale des biens de cet enfant.
M. [G] fait valoir que les sommes versées sur le compte de sa fille proviennent de son compte bancaire et n’ont fait que transiter par celui de sa fille. Il précise que les virements ont été opérés par Mme [L] pendant leur vie commune, sans qu’il ait connaissance des manipulations de fonds qui étaient opérées puisqu’il faisait entière confiance à sa compagne pour alimenter le compte de la SCI lorsque celle-ci avait besoin de fonds.
La titularité d’un compte bancaire ne présume pas irréfragablement la propriété des actifs inscrits sur ce compte. Un enfant qui n’exerce aucune activité professionnelle ne peut bénéficier de fonds propres et être propriétaire de sommes qui lui soient personnelles en dehors de donations régulièrement faites.
Le virement de fonds, opérant le dessaisissement du donateur et tradition au bénéficiaire permet d’accomplir un don manuel.
S’agissant de sommes versées par le représentant légal d’un mineur sur un livret A ayant servi à des mouvements de fonds au crédit de l’enfant mais également, et en retour, au crédit du père, il convient de considérer que les virements opérés ne réalisent pas une dépossession irrévocable et qu’il appartient à Mme [L] de justifier que les sommes versées en compte-courant et dont elle réclame désormais le remboursement pour sa fille ont été effectivement données à cette dernière.
En l’espèce, les relevés du livret A de [E] [G]-[L] versés aux débats, permettent de constater que ce compte a été essentiellement approvisionné par M. [G] à concurrence de 26 250 euros. M. [G] a été remboursé par des virements effectués du compte de sa fille vers le sien à concurrence de 14 000 euros.
Le solde des versements effectués à [E] par son père sur livret A de cet enfant s’élève à 12 250 euros.
Ce compte a également été approvisionné par des remises de chèques (notamment de faibles montant tels 60 ou 50 euros), un virement portant la mention Noël pour un total de 1 923,19 euros. Mme [L] a effectué un virement de 1.000 euros sur ce compte.
Les mouvements entre le compte de [E] et celui de son père permettent de considérer que toutes les sommes versées ne correspondaient pas à une intention libérale.
Par ailleurs, il résulte des échanges entre les parties, et plus spécifiquement du courrier adressé à M. [G] le 5 mars 2018, que Mme [L] soutenait alors que le compte courant était dual et devait être liquidé en sa faveur à concurrence de 53%, Mme [L] consentant à ramener ses prétentions à 50% du montant du compte courant qui s’élevait alors à 19 050.87 euros.
A défaut de justifier de l’intention libérale de M. [G], Mme [L] agissant à titre personnel et ès qualités de représentante légale de [E] [G]-[L] n’est pas fondée à solliciter la condamnation sous astreinte de M. [G] à enregistrer sur le compte de la société DPM le compte courant de [E] [G]-[L] pour la somme de 10 600 euros .
Mme [L] agissant à titre personnel et ès qualités sera condamnée aux dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [G] ses frais de défense.
Mme [L] agissant à titre personnel et ès qualités sera condamnée à verser à M. [G] et à la SCI DPM la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, par substitution de motifs
Y ajoutant,
Condamne Mme [J] [L] agissant à titre personnel et ès qualités de représentant légal de sa fille [E] [G] [L] à verser à M. [V] [G] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [J] [L] agissant à titre personnel et ès qualités de représentant légal de sa fille [E] [G] [L] aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l’aide juridictionnelle.
Le greffier, La présidente,