8 décembre 2022
Cour d’appel de Pau
RG n°
21/00285
2ème CH – Section 1
MM/ND
Numéro 22/4297
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRÊT DU 08/12/2022
Dossier : N° RG 21/00285 – N° Portalis DBVV-V-B7F-HYE7
Nature affaire :
Appel sur une décision du juge commissaire relative à l’admission des créances
Affaire :
S.A.S. HESLYOM
C/
S.A.S.U. ECO PROD SOL B, S.E.L.A.R.L. EKIP’
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 08 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 06 Octobre 2022, devant :
Monsieur Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l’appel des causes,
Marc MAGNON, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. HESLYOM
immatriculée au RCS de Tarbes sous le n° 793 282 591, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège, agissant dans les droits propres du débiteur
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean Philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Stéphane DAYAN (membre de l’AARPI ARKARA AVOCATS ASSOCIES), avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
S.A.S.U. ECO PROD SOL B
immatriculée au RCS d’Aix-en-Provence sous le n° 802 894 220, prise en la personne de son Président, représentant légal domicilié au siège ès-qualité
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me François PIAULT, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Laurence D’ORSO (AARPI D’ORSO ABRASSART & Associés), avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.R.L. EKIP’
immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n° 453 211 393, dont le siège social est situé [Adresse 2], prise en la personne de Maître [K] [T], prise en son établissement secondaire de Tarbes situé [Adresse 3],
agissant ès qualité de Liquidateur de la SAS Heslyom désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de Tarbes du 18 septembre 2018
Représentée par Me Camille ESTRADE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 20 JANVIER 2021
rendue par le JUGE COMMISSAIRE DE [Localité 4]
Exposé du litige
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SA CAPG Energies Nouvelles (CAPGEN), anciennement dénommée CAM Énergie, est la filiale du Crédit Agricole Pyrénées Gascogne dédiée à l’investissement et au développement de projets dans les énergies renouvelables.
La SAS Heslyom, anciennement dénommée SAS [S] Énergie Service, puis SAS CAM Énergie Service a pour activité la construction, la maintenance, le nettoyage de centrales de production d’énergie renouvelable, l’exploitation de centrales de production d’énergie renouvelable, la structuration juridique et financière de projets de construction d’énergies renouvelables, l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la construction de centrales de production d’énergie renouvelable et en gestion de centrales de production d’énergie renouvelable en exploitation.
La société CAM Énergie devenue CAPGEN était l’actionnaire majoritaire de la SAS [S] Énergie Service devenue CAM Énergie Service puis Heslyom et lui a consenti trois avances en compte courant d’associé en 2012, 2015 et 2017.
Un autre actionnaire était la société SAS ENERCAM détenue à l’époque par Monsieur [U] [S].
CAM Energie était par ailleurs cliente de la société CAM Energie Service.
Courant 2016, la société CAM Energie a refusé de régler à la société CAM Energie Service diverses factures représentant environ 860 000,00 euros au 16 novembre 2016.
A la suite de ce différend, un protocole d’accord a été signé le 13 décembre 2016, entre la société CAM Energie et le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne, d’une part, et la société CAM Energie Service (devenue Heslyom), messieurs [W] [G] et [Y] [V], salariés qui devenus associés en reprenaient la direction, la société ENERCAM, la SAS [S] Energie Service et la SAS Isaby, toutes trois représentées par M [U] [S], ce dernier intervenant également à titre personnel et comme porte-fort de son épouse, d’autre part, impliquant divers engagements croisés, notamment l’engagement de la société CAM Energie Service (devenue Heslyom) de rembourser un compte courant d’associé détenu dans des sociétés tierces par la société Chili Invest.
A la fin de l’année 2017, la société CAM Energie devenue CAPGEN aurait créé un nouveau partenariat avec la société Tenergie, société concurrente de la société Heslyom, ce qui a conduit cette dernière à une perte importante de son chiffre d’affaires.
Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal de commerce de Tarbes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité à l’égard de la société Heslyom, anciennement CAM Energie Service et désigné la SELARL FHB, prise en la personne de Me [A] [X], en qualité d’administrateur judiciaire, et la SELARL [K] [T], devenue la SELARL Ekip’, en qualité de liquidateur.
Par jugement du 15 octobre 2018, le tribunal a mis fin à la poursuite d’activité.
La société Eco Prod Sol B, qui a pour activité la production et la vente d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, s’est trouvée substituée à la société Ecogreen Développement au bénéfice d’un protocole d’accord et d’une promesse de bail à construction du 8 septembre 2014 consentis par les consorts [N], en vue de l’installation et de l’exploitation de centrales photovoltaïques installées en toiture de plusieurs bâtiments agricoles.
Des panneaux photovoltaïques devaient être installés en toiture de bâtiments existants et d’autres sur un bâtiment neuf à édifier en totalité.
Selon devis accepté du 2 septembre 2015, la société Eco Prod Sol B a confié à la société CAM Energie Service devenue SAS Heslyom la réalisation de 50 générateurs photovoltaïques dont ceux devant être réalisés sur les bâtiments existants et le bâtiment à construire des consorts [N] (GAEC des Amieux) ; la SAS CAM Energie Service se chargeant de la construction du bâtiment neuf avec Monsieur [N].
Après achèvement du bâtiment neuf, Monsieur [N] a pris possession de l’intérieur du hangar pour son exploitation agricole mais s’est opposé à la régularisation du bail à construction sur le bâtiment en question au motif d’une hauteur sous toit non conforme.
Le GAEC des Amieux a adressé une réclamation de 148885,00 euros TTC à la SAS Heslyom qui a fait intervenir son assureur de responsabilité lequel a mandaté un expert.
Après le placement en liquidation judiciaire de la SAS Heslyom, les consorts [N] se sont retournés contre la société Eco Prod Sol B la mettant en demeure de stopper l’exploitation des centrales installées sur ses bâtiments.
Par ailleurs, la société Eco Prod Sol B a invoqué un trop perçu par la SAS Heslyom au titre du marché de travaux passé pour la réalisation des 50 générateurs, de l’ordre de 285 078,00 euros réclamation pour laquelle elle a assigné la SAS Heslyom par acte du 22 mars 2018 devant le tribunal de commerce de Tarbes, instance en cours.
Par déclaration de créance en date du 19 novembre 2018, la société Eco Prod Sol B a déclaré sa créance entre les mains du mandataire liquidateur pour une somme globale de 523 963,00 euros détaillée comme suit :
‘ au titre du litige avec le GAEC des Amieux : 233 885,00 euros dont 60 000,00 euros de pertes d’exploitation et 25000,00 euros de frais et dépens de procédures
‘ 290 078,00 euros au titre du trop versé sur le marché des générateurs, dont 5000,00 euros d’article 700 du code de procédure civile .
Un protocole transactionnel a été signé le 5 juin 2019 entre la société Eco Prod Sol B et les consorts [N] qui ont accepté une somme de 80 000,00 euros à titre d’indemnité globale et définitive.
Par courrier recommandé du 7 juin 2019, le mandataire liquidateur a informé la société Eco Prod Sol B que sa créance était contestée pour le motif suivant:
« la société Eco Prod Sol B est débitrice de 104 000, 00 euros au bénéfice de la SAS Heslyom. La créance déclarée est fondée sur une perte de chance non justifiée outre le fait que la défaillance de la société est imputable aux agissements du Crédit Agricole, société mère de la société Eco Prod Sol B ».
Par courrier du 28 juin 2019, la société Eco Prod Sol B a maintenu sa déclaration de créance et contesté les motifs allégués.
Les parties ont été convoquées devant le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la SAS Heslyom à l’audience du 2 novembre 2020.
Par ordonnance du 20 janvier 2021, le juge-commissaire a admis la créance de la société Eco Prod Sol B SAS au passif de la SAS Heslyom pour 80 000,00 euros à titre chirographaire.
Par déclaration en date du 28 janvier 2021, la SAS Heslyom a relevé appel de cette décision.
L’ordonnance de clôture est du 9 mars 2022 l’affaire fixée au 11 avril 2022 a été renvoyée au 6 octobre 2022.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l’espèce des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.
Moyens
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions du 28 avril 2021 de la SAS HESLYOM, par lesquelles elle demande de :
Vu les articles R. 641-28, L. 641-14, L. 624-2, R624-5, L. 622-13, L. 622-17, L. 622-24 du Code de commerce
Vu les articles 1353 et suivant du code civil,
Vu les pièces versées au débat
Réformer en intégralité l’ordonnance rendue par le Juge-Commissaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Heslyom le 20 janvier 2021 ayant admis la créance de la société Eco Prod Sol B au passif de la procédure à hauteur de 80.000 euros ;
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
Rejeter en intégralité la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Heslyom ;
A titre subsidiaire :
Constater l’existence d’une contestation sérieuse à l’encontre de la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Heslyom ;
En conséquence,
Inviter la société Eco Prod Sol B à saisir le Tribunal compétent et Surseoir à statuer dans l’attente que le juge du fond statue sur le bien fondé de sa créance ;
En tout état de cause :
Condamner la société Eco Prod Sol B à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi que les dépens.
Débouter la société Eco Prod Sol B de l’ensemble de ses demandes.
*
Vu les conclusions du 27 juillet 2021 de la SELARL EKIP’, agissant ès qualités, par lesquelles elle demande de :
Vu l’article L. 624-2 et L 622-7 du code de commerce,
Vu l’article 1353 du Code civil,
Vu l’article 9 du code de procédure civile
Vu la jurisprudence précitée
A titre principal, sur les fins de non-recevoir
Faire droit à la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire pour statuer comme juge de la vérification des créances au regard des contestations sérieuses invoquées.
Renvoyer les parties à mieux se pourvoir au fond,
A titre subsidiaire,
Réformer l’ordonnance du Juge-commissaire entreprise en date du 20 janvier 2021 en ce qu’elle a admis la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B à hauteur de 80 000€ à titre chirographaire au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Heslyom.
Confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la créance déclarée pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Rejeter en totalité la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B le 19 novembre 2018.
Condamner la société Eco Prod Sol B à payer à la SELARL EKIP’, ès qualité, la somme de 2000€ sur le fondement de l’article 700 du CPC en règlement des frais irrépétibles d’appel.
Condamner la société Eco Prod Sol B aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Camille Estrade en application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Débouter la société Eco Prod Sol B de ses demandes, fins et conclusions contraires,
*
Vu les conclusions du 21 octobre 2021 de la SAS Eco Prod Sol B, par lesquelles elle demande de :
Vu les articles L. 624-2, L. 622-24, L. 622-25 et L. 641-3 du Code de Commerce
A titre principal :
Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge Commissaire du Tribunal de Commerce de Tarbes en date du 20 janvier 2021 enrôlée sous la référence RG n° 2019 004480 en ce qu’elle a dit que la créance de la société Eco Prod Sol B est admise au passif de la société Heslyom, pour la somme de 80.000 € à titre chirographaire
Subsidiairement :
Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge Commissaire du Tribunal de Commerce de Tarbes en date du 20 janvier 2021 enrôlée sous la référence RG n° 2019 004480 mais seulement en ce qu’elle a reconnu la qualité de créancier chirographaire de la société Eco Prod Sol B
Et, infirmant partiellement pour le surplus et statuant de nouveau sur son quantum par l’effet dévolutif de l’appel
Juger y avoir lieu d’admettre la société Eco Prod Sol B au passif de la société Heslyom, en qualité de créancière chirographaire à hauteur de la somme de 24.728€.
En tout état de cause :
Condamner la société Heslyom au paiement de la somme de 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouter la société Heslyom de toutes demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Eco Prod Sol B.
Débouter la SELARL Ekip’, ès-qualité, de toutes demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Eco Prod Sol B.
Dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation.
Motivation
MOTIVATION:
Au soutien de son appel, la SAS Heslyom fait valoir notamment que la société Eco Prod Sol B ne rapporte aucun commencement de preuve de nature à démontrer que la société concluante aurait effectivement manqué à ses obligations contractuelles à l’égard des consorts [N].
Elle souligne à cet égard qu’il ressort du protocole d’accord sur lequel la société Eco Prod Sol B fonde sa créance que du point de vue de cette dernière « Monsieur [N] aurait imposé plusieurs modifications aux constructions initialement envisagées, rendant ainsi le projet de construction des bâtiments A et C beaucoup plus onéreux et le projet de construction du bâtiment B impossible ».
Elle relève en second lieu que la société Eco Sol Prod B n’a pas confié la réalisation des travaux litigieux à la société Heslyom qui a été mandatée par les consorts [N], ces derniers étant les seuls à pouvoir lui reprocher quelque faute que ce soit.
Elle ajoute qu’elle a fait intervenir son assurance afin de remédier aux revendications des consorts [N], laquelle a considéré qu’aucune somme ne leur était due au-delà du montant de 24728 euros HT.
Elle estime que n’étant pas partie au protocole transactionnel, celui-ci ne lui est pas opposable.
Elle fait observer que la maintenance qu’elle a réalisée sur les installations photovoltaïques de la société Eco Prod Sol B n’a nullement été défaillante, comme l’établit le bonus de surperformance que lui a versé la société CAPGEN.
Elle ajoute que la société Eco Prod Sol B ne justifie nullement de sa substitution régulière dans les droits de la société Eco Green Developpement.
Elle conclut ainsi au rejet de la créance déclarée et à titre subsidiaire à l’existence d’une contestation sérieuse excédant le pouvoir juridictionnel du juge de la vérification des créances.
La SELARL Ekip’ ès qualités soutient en premier lieu que la SAS Heslyom agissant dans les droits propres du débiteur argue et justifie de contestations sérieuses de la créance admise à hauteur de 80 000,00 euros, faisant échec à la compétence du juge-commissaire auxquelles le liquidateur ne peut que s’associer :
A cet égard, elle fait observer que :
‘ les causes de non réitération de la promesse de bail à construction évoquées dans le courrier du 24 septembre 2018 ont trait majoritairement à l’absence de levée des conditions suspensives de la promesse et non à l’existence des non conformités alléguées sur le bâtiment construit par la société Heslyom ;
‘ aucune preuve n’est rapportée des fautes reprochées à la société Heslyom dans la construction des centrales photovoltaïques ayant entraîné des prétendues difficultés d’exploitation du bâtiment et, en tout état de cause le préjudice allégué n’est pas justifié ;
‘ les non conformités alléguées par le GAEC des Amieux ne sont pas démontrées ;
‘ il appartenait à la société Eco Prod Sol B de contester les réclamations faites par le GAEC des Amieux à réception du courrier du 24 septembre 2018, afin de préserver les droits de la société Heslyom, d’autant que Monsieur [N] a imposé plusieurs modifications aux constructions envisagées, l’immixtion du maître de l’ouvrage étant un cas d’exonération de la responsabilité décennale des constructeurs ;
‘ l’expertise amiable diligentée par l’assureur de la société Heslyom n’est pas produite aux débats et sa valeur probatoire est imparfaite.
‘ la société Eco Prod Sol B ne peut invoquer un protocole d’accord auquel la société Heslyom n’est pas partie.
A titre subsidiaire, elle conclut au rejet de la créance, non établie.
Sur la créance résultant d’un trop versé sur le marché de travaux de construction de 50 générateurs commandés à la société Heslyom selon devis du 2 septembre 2015, la SELARL Ekip’ rappelle que le juge-commissaire n’a pas à statuer sur cette demande d’admission à hauteur de 290078,00 euros, une instance étant en cours depuis la délivrance de l’assignation au fond du 22 mars 2018, cette créance échappant au pouvoir juridictionnel du juge de la vérification des créances qui ne peut que constater qu’une instance est en cours.
La SAS Eco Prod Sol B réplique notamment que, substituée à la société Ecogreen Développement dans le protocole d’accord et la promesse de bail à construction en date du 8 septembre 2014 consentis par les consorts [N], elle a confié à la société CAM Energie Service, devenue Heslyom, selon devis du 2 septembre 2015, la réalisation de 50 générateurs photovoltaïques dont ceux devant être édifiés sur les parcelles des consorts [N]. Ces générateurs devaient être implantés soit en remplacement de toiture de bâtiments existants, soit en toiture de bâtiments neufs à édifier, la construction desdits bâtiments en leur entier étant confiée à la société Heslyom, ainsi qu’il résulte du poste 10 du devis.
En exécution de ce devis, la société Heslyom a géré directement avec les consorts [N] la construction des hangars photovoltaïques selon des fiches de répartition des travaux signées le même jour contradictoirement entre CAM Energie Service (Heslyom) et Monsieur [N].
Il s’avère que Monsieur [N] a pris possession de l’intérieur du bâtiment neuf édifié par la société CAM Energie Service, devenue Heslyom, pour son exploitation agricole , mais s’est opposé à la signature du bail à construction, au motif de la non-conformité de la hauteur du hangar, imputable à la société Heslyom en charge de la construction.
Elle indique qu’à la suite du courrier de réclamation adressé par les consorts [N] à la société Heslyom, cette dernière, consciente de sa responsabilité pleine et entière, a déclaré le sinistre à son assureur de responsabilité, la société QBE, qui a mandaté un expert. Ce dernier a formulé une proposition chiffrée pour couvrir les dommages matériels et a demandé des pièces complémentaires pour évaluer les dommages immatériels, reconnaissant ainsi incontestablement la responsabilité de son assuré.
Elle ajoute que les discussions destinées à compenser les préjudices des consorts [N] n’ont jamais pu aboutir avant la liquidation judiciaire de la société Heslyom si bien que les consorts [N] se sont retournés contre la société concluante, la mettant en demeure de stopper toute exploitation des centrales photovoltaïques sous peine de poursuites ; que c’est dans ce contexte que la société Eco Prod Sol B a accepté de verser la somme forfaitaire de 80 000,00 euros à titre d’indemnité globale et définitive, en vertu d’un protocole transactionnel conclu le 5 juin 2019 avec les consorts [N].
Elle réfute les arguments de la société Heslyom, s’agissant notamment de la commande des travaux de construction du bâtiment neuf qui étaient inclus dans le devis établi par la société CAM Energie Service, accepté par la société Eco Prod Sol B, de sorte que les consorts [N] n’ont confié aucuns travaux à la société CAM Energie Service.
S’agissant des préjudices découlant d’une hauteur sous toiture inférieure de 30 cm à celle qui était initialement prévue sur les plans du bâtiment à construire, elle relève que l’expert de l’assureur de la société Heslyom a chiffré le coût du préjudice matériel à 24728,00 euros HT hors dommages immatériels ; elle ajoute que si elle n’avait pas mené une négociation indemnitaire avec les consorts [N], ces préjudices auraient été incontestablement supérieurs, puisque le démantèlement des installations était demandé.
En droit, l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2014, applicable en la cause, dispose : ‘Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence.
En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission.’
L’article R. 624-5 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014, dispose : ‘Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l’existence d’une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d’ appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.’
Il résulte de ces textes que le juge-commissaire dispose du pouvoir juridictionnel de statuer sur toutes les contestations qui ne sont pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction (par exemple la juridiction administrative pour la contestation d’une créance fiscale), sauf si la contestation est sérieuse et que, dans ce dernier cas, il doit inviter une des parties à saisir la juridiction du fond compétente.
Et il ressort d’une jurisprudence constante que lorsque le juge-commissaire doit connaître du fond de la créance, il lui appartient de statuer, comme le fait le juge des référés, en juge de l’évidence. Il incombe dès lors à la cour d’appel qui retient l’existence d’une contestation sérieuse de préciser en quoi le juge-commissaire, puis elle-même, statuant avec les pouvoirs de ce dernier, dépassent leur office juridictionnel, pour permettre à la cour de cassation d’exercer son contrôle sur le caractère sérieux de la contestation.
Il a été jugé que le juge-commissaire, et à sa suite la cour d’appel, sont dépourvus de pouvoir juridictionnel pour statuer, lorsqu’ils sont saisis d’une demande d’admission de la créance, sur la rupture d’un contrat ayant donné naissance à la créance (Cassation Com. 18 février 2003, n° 0012666, B. No 23), ou sur sa validité ( Cassation Com. 5 novembre 2003, n° 0017773 ; Com. 19 mai 2004, n° 0115741), ou sur l’exécution défectueuse d’un contrat ( Cassation Com. 21 juin 2005, n° 0410868 ; Com. 5 juillet 2005, n° 0413129 ; …).
Si le juge-commissaire n’est saisi d’aucune contestation sérieuse, il relèvera donc de son pouvoir juridictionnel de trancher la contestation.
En l’espèce, la société Heslyom, anciennement CAM Energie Service, ne conteste pas avoir construit le bâtiment neuf implanté sur l’une des parcelles du GAEC des Amieux exploité par les consorts [N], bâtiment destiné à recevoir une toiture équipé de générateurs photovoltaïques, et ce en exécution du contrat passé avec la société Eco Prod Sol B.
Elle ne conteste pas non plus que suite à la réclamation de l’un des consorts [N], remettant en cause la hauteur sous toiture du bâtiment, inférieure selon lui de 30 cm à celle initialement prévue sur les plans cosignés par l’ exploitant et la société Cam Energie Service, elle a fait une déclaration de sinistre à son assureur qui a mandaté un expert.
Or cet expert, CEREC SUD, a manifestement admis l’existence d’une non conformité imputable à l’assuré de son mandant, puisqu’il a estimé le montant de l’indemnité réparant les dommages matériels inhérents à un décaissement à réaliser, au coût des travaux s’élevant à 24728,00 euros HT, hors coût d’évacuation des fourrages pour accéder à la zone de travaux.
L’ expert a réservé l’évaluation des dommages immatériels et de celui induit par la revente d’un tracteur acheté par les consorts [N], inadapté à la hauteur du hangar.
Ces préjudices sont bien entrés dans le champ de la négociation qui a débouché sur le protocole d’accord signé entre la société Eco Prod Sol B, les consorts [N] et le GAEC des Amieux, l’indemnité convenu, d’un montant de 80 000,00 euros, englobant en effet les préjudices subis du fait des désordres de construction du nouveau bâtiment.
Toutefois, il ressort du protocole d’accord que [Z] [N] a également renoncé, en acceptant cette indemnité, à toute instance ou action en revendication « concernant l’exploitation des centrales photovoltaïques, de 2016 à ce jour, en l’absence de titre authentique ».
Le protocole transactionnel dispose en effet : « Monsieur [Z] [N] accepte de recevoir de la société Eco Prod Sol B la somme de 80 000,00 euros pour solde de tout compte , à titre forfaitaire et définitif, pour mettre fin aux litiges sur les désordres du bâtiment C qui a été construit en 2014 sur la parcelle cadastrale [Cadastre 7] section A (devenue A [Cadastre 6]) et concernant l’exploitation des 3 centrales photovoltaïques depuis 2016 ».
Or, la part de l’indemnité réparant ce second poste de négociation ne peut être imputée à la société Heslyom sur la base du seul constat de désordres affectant le bâtiment nouvellement construit.
L’indemnité de 80 000,00 euros étant globale et forfaitaire, en réparation de l’ensemble des réclamations entrées dans le champ de la négociation transactionnelle, elle ne peut par conséquent être répercutée intégralement à la société Heslyom, ni être proratisée, au stade de la vérification des créances, sans déterminer la part de responsabilité incombant à la société Heslyom dans les préjudices revendiqués par les consorts [N].
Cette question excède les pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire, juge de l’évidence, qui aurait dû surseoir à statuer sur la part de la créance déclarée se rattachant aux réclamations des consorts [N], en renvoyant la société Eco Prod Sol B à saisir le juge du fond compétent pour trancher la contestation sérieuse soulevée par le débiteur en liquidation.
S’agissant de la part de la créance déclarée objet de l’action engagée par assignation du 22 mars 2018 contre la société Heslyom, d’un montant de 290078,00 euros, le juge-commissaire aurait dû constater qu’une instance était en cours et non débouter la société Eco Prod Sol B du surplus de ses demandes.
En conséquence, la cour constate qu’il existe une contestation sérieuse excédant les pouvoirs juridictionnels du juge de la vérification des créances concernant le premier poste de la créance déclarée, dans la limite de 233 885,00 euros, et renvoie la société Eco Prod Sol B à saisir le juge du fond compétent pour faire trancher cette contestation, dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision par le greffe, à peine de forclusion.
La cour ordonnera le sursis à statuer sur l’admission ou le rejet de ce poste de créance.
La cour constate qu’une instance est en cours s’agissant du second poste de la créance déclarée, dans la limite de 290 078,00 euros, le juge de la vérification des créances étant dessaisi de ce chef.
La cour réserve sa décision sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance du juge-commissaire,
Statuant à nouveau,
Constate l’existence d’une contestation sérieuse qui excède les pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire, concernant le premier poste de la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B, dans la limite de la somme de 233885,00 euros,
Invite la société Eco Prod Sol B à saisir la juridiction compétente pour trancher cette contestation, dans le délai d’un mois de la notification du présent arrêt, à peine de forclusion,
Sursoit à statuer sur l’admission ou le rejet de la créance contestée, dans l’attente de la décision définitive qui sera rendue par la juridiction saisie au fond,
Constate qu’une instance est en cours sur la fixation du second poste de la créance déclarée par la société Eco Prod Sol B, à hauteur de 290078,00 euros, de sorte que le juge de la vérification des créances n’a pas à se prononcer sur le rejet ou l’admission de ce poste de créance,
Réserve l’examen des demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens jusqu’en fin d’instance,
Ordonne la radiation de l’affaire du rôle et dit qu’elle sera réinscrite à l’initiative de la partie la plus diligente après la décision du juge du fond, sur le premier poste de créance,
Dit que la présente décision sera portée sur l’état des créances, en application de l’article R. 624-9 du code de commerce.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente