13 décembre 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/05601
Chambre commerciale
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 13 DECEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/05601 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OZDC
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 30 NOVEMBRE 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2020j00069
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL SUD MEDITERRANEE
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Philippe CODERCH-HERRE de la SCP SAGARD – CODERCH-HERRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant substitué par Me Olivier MASSOT, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [H] [T]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
Monsieur [E] [U]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représenté par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
Ordonnance de clôture du 29 Septembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 OCTOBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Hélène ALBESA
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.
Exposé du litige
FAITS, PROCÉDURE – PRÉTENTIONS et MOYENS DES PARTIES :
La SAS Gôôd, dont les gérants sont [H] [T] et [E] [U], a pour objet l’exploitation de sites internet.
Elle a souscrit, par acte sous seing privé en date du 2 octobre 2017, auprès de la Caisse régionale de Crédit agricole Mutuel Sud Méditerranée (le Crédit agricole) un prêt n° 130066 d’un montant de 310 000 euros remboursable en 60 mensualités au taux effectif global de 2,68 % au titre duquel M. [T] et M.[U] se sont portés cautions solidaires respectivement dans la limite de 74 400 euros et 18 600 euros, couvrant le principal et les intérêts, et le cas échéant, les pénalités de retard, pour une durée de 84 mois. Mme [I] épouse [U] a donné son consentement à l’engagement de caution de son époux.
Par jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 20 mars 2019, la société Gôôd a fait l’objet d’une ouverture de procédure de redressement judiciaire, Mme [X] étant désignée comme mandataire judiciaire.
Le Crédit agricole a déclaré sa créance à titre privilégié pour la somme de 296 511,77 euros par courrier recommandé avec demande d’avis de réception signé le 28 mars 2019.
Par jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 8 janvier 2020, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire de la société Gôôd en liquidation judiciaire simplifiée, Mme [X] étant désignée comme mandataire liquidateur.
Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception en date du 13 janvier 2020 (signés le 16 et 18 janvier suivants), le Crédit agricole a mis en demeure M. [T] et M. [U] de lui payer les sommes dues au titre du plafond de leur engagement de caution.
Par actes d’huissier de justice des 17 et 21 février 2020, le Crédit agricole a assigné les cautions en paiement devant le tribunal de commerce de Perpignan qui, par jugement du 30 novembre 2020, a :
‘- déclaré que l’engagement de caution de M. [H] [T] relatif au prêt n°130066 souscrit le 2 octobre 2017 auprès de la Caisse régionale de Crédit agricole Mutuel Sud Méditerranée présente un caractère disproportionné,
– dit que la Caisse régionale de Crédit agricole Mutuel Sud Méditerranée n’a pas apporté la preuve que M. [H] [T] soit revenu à meilleure fortune au moment où la caution a été mise en ‘uvre,
– prononcé la déchéance de la caution de M. [H] [T],
– constaté que l’engagement de caution solidaire de M. [E] [U] relatif au prêt n°130066 souscrit le 2 octobre 2017 auprès de la Caisse régionale de Crédit agricole Mutuel Sud Méditerranée est nul, son consentement ayant été vicié par la certitude de l’existence de la caution solidaire de M. [H] [T],
– condamné la Caisse régionale de Crédit agricole Mutuel Sud Méditerranée à régler respectivement à M. [H] [T] et M. [E] [U] la somme de 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens (‘).’
Le Crédit agricole a régulièrement relevé appel, le 9 décembre 2020, de ce jugement.
Moyens
Il demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées le 8 juin 2021 via le RPVA, de :
‘- Vu les articles 1103, 1104, 1231-1, 2288 du code civil, L. 343-4 du code de la consommation et 1132 du code civil, infirmer le jugement déféré,
– jugeant à nouveau, débouter M. [H] [T] de son moyen de défense concernant une prétendue disproportion manifeste de son engagement de caution,
– débouter, en toutes hypothèses, M. [E] [U] de ses demandes (‘),
– condamner M. [H] [T] à lui payer la somme de 74 400 euros outre les intérêts de cette somme au taux légal depuis le 13 janvier 2020,
– condamner M. [E] [U] à lui payer la somme de 18 600 euros outre les intérêts de cette somme au taux légal depuis le 13 janvier 2020,
– les condamner solidairement au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.’
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
– au jour de la souscription de l’engagement, la situation patrimoniale de M. [T] lui permettait de faire face à son engagement de caution, puisqu’il a déclaré des revenus annuels de 6 950 euros et un patrimoine financier de 58 000 euros, auxquels doit s’ajouter le montant des apports effectués au sein de la société Gôôd à hauteur de 24 000 euros,
– le blocage des comptes courants en contrepartie des prêts consentis par la BPI France ne constitue ni un nantissement, ni une sûreté, les contrats versés aux débats par les cautions ne prévoyant pas la possibilité pour le prêteur d’appréhender les fonds bloqués en cas de déchéance du terme,
– la valeur des parts sociales dont la caution est titulaire dans la société cautionnée ne peut être nulle, même en cas d’activité déficitaire,
– l’engagement de M. [U] n’est pas nul, dès lors qu’il ne démontre pas le caractère déterminant de l’existence des autres garanties sur son propre engagement, qu’il a renoncé aux bénéfices de discussion et de division, qu’il s’est engagé en connaissance de cause pour le tout,
– le taux d’engagement des cautions solidaires ne saurait faire présumer l’interdépendance des sûretés souscrites, alors que le taux est fixé par référence aux capacités de remboursement des garants et de leur participation dans la société cautionnée,
– M. [U] savait, en sa qualité d’associé détenteur d’une partie des parts sociales, qu’il supporterait seul la quote-part correspondante et il dispose d’un recours à l’encontre de son cofidéjusseur.
M. [T] et M. [U] sollicitent, aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées par le biais du RPVA le 7 mai 2021, la confirmation du jugement, le rejet des demandes du Crédit agricole et l’octroi à chacun d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent en substance que :
– l’acte de cautionnement du 2 octobre 2017 était manifestement disproportionné aux biens et revenus de M. [T] au jour de son engagement, compte tenu de la faiblesse de ses revenus (6 950 euros par an) et des charges de vie partagées à moitié avec son épouse en séparation de biens, pour une moyenne annuelle de 5 500 euros,
– son patrimoine est constitué d’un compte épargne de 1 059 euros, d’une assurance vie de 20 000 euros, déjà nantie auprès de la Banque populaire du sud, de comptes courants dans la société Gôôd pour 37 472 euros, nantis pour partie auprès de la BPI France,
– la valeur des parts qu’il détient dans la société cautionnée est quasiment nulle eu égard à sa situation bilancielle au 31 décembre 2016,
– au jour où il est appelé, la banque n’apporte pas la preuve de sa solvabilité (du fait de la liquidation judiciaire, perte emploi et disparition du compte courant), la banque ayant commis une faute en sollicitant un cautionnement disproportionné,
– l’engagement de caution de M. [U] est nul, dès lors que celui-ci a été consenti en considération de l’engagement de M. [T], dont il est associé minoritaire,
– il ne disposerait d’aucun recours contre M. [T], ni en tant qu’associé d’une SAS, ni en tant que cofidéjusseur, dès lors qu’il n’est pas tenu des dettes de la société et que le cautionnement M. [T] a été jugé disproportionné.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 29 septembre 2022.
Motivation
MOTIFS de la DECISION :
1- sur la disproportion de l’engagement de l’une des cautions :
L’article L. 341-4 (devenu L. 332-1) du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, applicable à la cause, prévoit qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution, qui invoque la disproportion, de fournir les éléments permettant de l’apprécier.
La proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie et doit être appréciée à la date de la conclusion du contrat ainsi qu’à la date à laquelle elle est appelée, en tenant compte du montant de l’engagement, des biens et revenus et de l’endettement de la caution.
Si les époux sont séparés de biens, ce qui est le cas de M. [T], la proportionnalité du cautionnement souscrit par l’un d’entre eux s’apprécie au regard de ses seuls patrimoine et revenus, la contribution du conjoint à la subsistance de la famille ne doit pas entrer en considération.
L’engagement de caution, en date du 2 octobre 2017, est à hauteur de 74 400 euros pour M. [T] et de 18 600 euros pour M. [U] ; ils ont été mis en demeure de payer par lettre recommandée avec avis de réception en date du 13 janvier 2020 et assignés en paiement les 17 et 21 février 2020.
En l’absence d’anomalies apparentes, le créancier n’a pas à vérifier l’exactitude des biens et revenus déclarés par la caution, qui est tenue d’une obligation de loyauté et de sincérité dans les informations transmises.
Chaque fiche de renseignements, datée des 13 août et 2 octobre 2017, a été signée par la caution concernée avec une mention certifiant le caractère exact et sincère des renseignements donnés.
La fiche de M. [T] mentionne que le couple est marié sous le régime de la séparation de biens, sans personne à charge, que l’époux dispose de revenus en qualité de président de la société Gôôd à hauteur de 6 950 euros par an, qu’il dispose d’une épargne (assurance-vie) de 20 000 euros et de 1 059 euros, nantie pour la première et de 8 000 euros et 29 472 euros au titre de comptes courants d’associés, nantis pour le second. Elle mentionne également que le couple supporte un loyer de 845 euros par mois (la mention ‘par année’ paraissant être une erreur de plume), les autres éléments de revenus, charges et patrimoine ne concernant que l’épouse.
L’avis d’imposition sur le revenu 2018 (revenus 2017) produit confirme que M. [T] percevait un revenu de l’ordre de 6 620 euros par an.
Celui-ci verse aux débats la délégation de son contrat d’assurance-vie Libressur sélection vie à hauteur de 25 000 euros au profit de la Banque populaire du Sud en garantie d’un autre prêt.
Concernant ses comptes courants d’associé, il produit deux conventions de blocage en date du 16 juin 2015 qui prévoient le blocage des sommes de 26000 euros jusqu’au 31 décembre 2022 au profit de la société BpiFrance en garantie de deux prêts de 30 000 euros, de sorte que le montant figurant dans le compte courant d’associé à hauteur de 29 471,56 euros au titre de l’exercice 2016 ne peut être pris en compte.
La société Gôôd présentant pour l’exercice 2016 un résultat négatif : – 21 864 euros, avec un chiffre d’affaires de 9 238 euros, des capitaux propres de 8 136 euros (dans lesquels figurait l’apport initial de 24 000 euros de M. [T] dans le capital social de 30 000 euros), un actif de 196 579 euros et un passif de 194 520 euros, aucune valorisation des parts sociales, détenues par M. [T] (24 000 /30 000 actions), ne peut être retenue, celles-ci étant, au demeurant, nanties à hauteur de 24 000 euros au profit du Crédit agricole en garantie du prêt litigieux.
Ainsi, lors de son engagement en octobre 2007, M. [T] disposant d’un revenu et patrimoine de 16 009 euros, dont à déduire les charges déclarées, son engagement de caution était manifestement disproportionné.
Lorsqu’il a été appelé en paiement en février 2020, il n’est pas contesté que la société Gôôd ayant été placée en liquidation judiciaire, il ne disposait plus, notamment, de ses revenus, de sorte qu’aucun retour à meilleur fortune n’est rapporté par la banque.
En conséquence, le Crédit agricole ne peut se prévaloir du cautionnement en date du 2 octobre 2017 donné par M. [T].
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
2- sur la nullité de l’engagement de caution de l’autre caution du fait de la disproportion :
Selon les articles 1130 et 1132 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 en date du 10 février 2016, l’erreur vicie le consentement lorsqu’elle est de telle nature que, sans elle, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, son caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ; l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.
Ainsi, en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, l’autre caution peut invoquer la nullité de son engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elle avait fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de son propre engagement.
L’engagement de caution, signé par M. [U], prévoit que la caution renonce au bénéfice de discussion et de division et qu’elle déclare qu’en cas de cautionnements multiples et partiels, les divers engagements de caution destinés à garantir le crédit sont cumulatifs et non alternatifs et que le prêteur pourra actionner chacune des cautions à hauteur de son engagement total tant que le crédit cautionné ne sera pas intégralement soldé et que le cautionnement s’ajoute à toutes garanties qui ont été ou seront fournies au prêteur par la caution, l’emprunteur ou toute autre personne.
L’engagement de caution de M. [U], qui résulte d’un formulaire type, ne mentionne nullement que celui-ci avait fait de l’engagement de M. [T], ni de manière générale de l’étendue des garanties fournies au créancier, une condition déterminante de son propre engagement, la proportion de chaque engagement, qui reflète leur situation économique et financière respective, étant indifférente, si ce n’est qu’elle démontre, a contrario, que chaque caution avait parfaitement connaissance de la situation et de la nécessaire adéquation de son propre engagement.
En conséquence, l’acte de caution en date du 2 octobre 2017 souscrit par M. [U] n’est pas vicié par une erreur de consentement et la demande de nullité formée par celui-ci sera rejetée.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
3- sur les autres demandes :
Succombant seul, M. [U] sera condamné aux dépens d’appel tandis que ni l’équité, ni aucune considération d’ordre économique ne commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour comme devant le premier juge, le jugement étant infirmé sur ce dernier chef concernant M. [U].
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 30 novembre 2020, sauf en ce qu’il a constaté que l’engagement de caution solidaire de M. [U] est nul et a condamné le Crédit agricole à payer à celui-ci la somme de 750 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ce chef,
Rejette la demande de nullité pour erreur de l’engagement de caution en date du 2 octobre 2017 souscrit par [E] [U],
Rejette les demandes des parties fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [U] aux dépens d’appel.
le greffier, le président,