12 janvier 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/02297
1ère CHAMBRE CIVILE
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 12 JANVIER 2023
N° RG 22/02297 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MWGG
[G] [T] [R] [M]
[C] [W] [F] [Z] épouse [M]
S.C. SOCIETE CIVILE [Adresse 7]
c/
[L] [M]
Nature de la décision : APPEL D’UNE ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
Grosse délivrée le : 12 JANVIER 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 11 avril 2022 par le Juge de la mise en état de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 20/09463) suivant déclaration d’appel du 11 mai 2022
APPELANTS :
[G] [T] [R] [M]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 5] (33)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
[C] [W] [F] [Z] épouse [M]
née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 8] (33)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
S.C. SOCIETE CIVILE [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal audit siège social demeurant [Adresse 7]
Représentés par Me Luc BRASSIER, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
[L] [M]
né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 8] (33)
de nationalité Française,
demeurant Chez Madame [U] [H], [Adresse 4]
Représenté par Me Olivier COULEAU de la SELARL GUIGNARD & COULEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Exposé du litige
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société civile [Adresse 7], constituée en 1978, comportait trois associés: M. [G] [M] également gérant, Mme [C] [M] et M. [L] [M].
Par jugement en date du 18 octobre 2011, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux le 28 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Bordeaux a notamment:
– autorisé le retrait total de M. [L] [M] de la société civile [Adresse 7],
– désigné un expert avec diverses missions dont celle d’établir ou de vérifier la comptabilité de la société.
L’expert, M. [Y], a rendu son rapport le 31 mars 2017.
Par ordonnance du 18 décembre 2017, le Président du tribunal de grande instance de Bordeaux a désigné un expert aux fins de déterminer la valeur des parts sociales de M. [L] [M].
L’expert, M. [S], a déposé son rapport le 5 mars 2019.
Par actes du 20 novembre 2020, M. [L] [M] a fait assigner M. [G] [M], Mme [C] [M] et la société civile [Adresse 7] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins notamment de remboursement de la valeur de ses parts sociales et de son compte courant d’associé et aux fins d’indemnisation de divers préjudices.
Par ordonnance du 6 septembre 2021, le juge de la mise en état a notamment déclaré irrecevables comme prescrites les demandes indemnitaires formulées à l’encontre de M. [G] [M] à hauteur de 50.000 euros au titre de l’absence de comptabilité, de 116.208 euros au titre de la perte de chance et de 115.116,50 euros au titre d’avantages personnels.
Moyens
Par conclusions d’incident du 18 mars 2022, M. [L] [M] a demandé au juge de la mise en état de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes reconventionnelles formées par M. [G] [M] et Mme [C] [M].
Par ordonnance contradictoire du 11 avril 2022, le juge de la mise en état a :
– Dit que la demande de 48.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7] est prescrite,
– Dit que la demande indemnitaire à hauteur de 50.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] au titre du refus de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7] est prescrite,
– Dit que la demande indemnitaire à hauteur de 50.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] au titre des dégradations commises sur le [Adresse 7] est prescrite,
– Rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Renvoyé l’affaire à la mise en état,
– Réservé les dépens.
M. [G] [M], Mme [C] [M] et la société civile [Adresse 7] ont relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 11 mai 2022.
Par conclusions déposées le 2 juillet 2022, M. [G] [M], Mme [C] [M] et la société civile [Adresse 7] demandent à la cour de :
– Infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état de la 1ère Chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu’elle a :
* Dit que la demande de 48 000 Euros formée à l’encontre de Monsieur [L] [M] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7] est prescrite,
* Dit que la demande indemnitaire à hauteur de 50 000 Euros formée à l’encontre de Monsieur [L] [M] au titre du refus de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7] est prescrite,
* Dit que la demande indemnitaire à hauteur de 50 000 Euros formée à l’encontre de Monsieur [L] [M] au titre des dégradations commises sur le [Adresse 7] est prescrite,
* Rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* Réservé les dépens.
Statuant à nouveau,
– Débouter Monsieur [L] [M] de l’ensemble de ses prétentions,
– Condamner Monsieur [L] [M] à payer à Monsieur [G] [M] et Madame [C] [M] et à la société civile [Adresse 7] la somme de 2 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Le condamner en tous les dépens de première instance et d’appel, dont distraction est requise au profit de Maître Luc BRASSIER, Avocat aux offres de droit.
Par conclusions déposées le 28 juillet 2022, M. [L] [M] demande à la cour de :
– Confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 11 avril 2022 en ce qu’elle a :
o dit que la demande de 48.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] à titre de dommages et intérêts en reparation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7] est prescrite ;
o dit que la demando indemnitaire à hauteur de 50.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] au titre du refus de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7] est prescrite ;
o dit que la demando indemnitaire à hauteur de 50.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] au titre des dégradations commises sur le [Adresse 7] est prescrite;
– Infirmer 1’ordonnance de juge de la mise en état du 11 avril 2022 en ce qu’elle a :
o rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
o réservé les depens.
Statuant à nouveau :
A titre subsidiaire :
– dire que la demande indemnitaire à hauteur de 50.000 euros formée à l’encontre de M. [L] [M] au titre du refus de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7] est irrecevable sur le fondement de l’article 1355 du code civil ;
En tout état de cause
– condamner Monsieur [G] [M] et Madame [C] [M] à payer à Monsieur [L] [M] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouter Monsieur [G] [M] et de Madame [C] [M] de l’ensemble de leurs demandes ;
– condamner Monsieur [G] [M] et de Madame [C] [M] aux dépens.
Au visa de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a fait l’objet le 9 juin 2022 d’une ordonnance de fixation à bref délai à l’audience du 17 novembre 2022 avec clôture de la procédure le 3 novembre 2022.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Sur la demande de 48.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7]
Dans leurs conclusions au fond, les époux [M] et la société civile [Adresse 7] exposent que [L] [M], alors qu’il n’était pas gérant de ladite société, a conclu un contrat de bail professionnel au profit de M. [B] à compter du 31 juillet 2003, sans en référer au gérant statutaire et sans contrepartie financière au profit de la société civile, laquelle a été contrainte d’agir en justice pour obtenir l’expulsion du locataire et le paiement d’une indemnité d’occupation par jugement du 20 mai 2008. Ils chiffrent à la somme de 48.000 euros le préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7].
La date du 20 mai 2008 doit être retenue comme le fait générateur du préjudice allégué et, partant, le point de départ de la prescription quinquennale.
Les appelants font toutefois valoir qu’ils avaient sollicité l’indemnisation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du Domaine dès l’engagement de la procédure ayant donné lieu à la désignation de M. [Y] en qualité d’expert et que cette demande en justice a interrompu la prescription. Ils ajoutent que la désignation de M. [Y] a également interrompu le délai de prescription de leur demande fondée sur le préjudice subi du fait de la location du Domaine à M. [B].
Il ressort de la lecture du jugement du 18 octobre 2011, par lequel le tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire, que dans leurs conclusions du 10 mars 2011, les époux [M] et la société civile [Adresse 7] réclamaient, à titre reconventionnel, la condamnation de M. [L] [M] à payer à la société civile ‘la somme de 46.400 euros à titre de dommages et intérêts en réparation subi’.
Contrairement à ce que soutient l’intimé, cette demande d’indemnisation n’était pas sans objet puisqu’il ne peut être sérieusement discuté qu’elle correspondait à l’évaluation du préjudice subi par la société civile du fait de l’absence de paiement de loyer, sur la base de l’indemnité d’occupation mensuelle fixée à la somme de 800 euros, pendant 5 ans sur la période du 31 juillet 2003 au 31 juillet 2008.
Comme l’affirment les appelants, cette demande formée par eux le 10 mars 2011 a valablement interrompu la prescription conformément à l’article 2242 du code civil.
Un nouveau délai de 5 ans a donc couru à compter du 10 mars 2011 jusqu’au 18 octobre 2011 (soit pendant 7 mois et 8 jours), date à laquelle le tribunal a missionné l’expert aux fins notamment de ‘rechercher dans quelles conditions et avec quelle contrepartie M. [B] a occupé un bâtiment situé sur la propriété, et fournir tous éléments permettant de vérifier l’existence et l’étendue du préjudice allégué.’
En application des dispositions de l’article 2239 du code civil, la désignation de l’expert a suspendu la prescription qui a recommencé à courir à compter du 31 mars 2017, date à laquelle M. [Y] a déposé son rapport d’expertise.
Les époux [M] et la société civile [Adresse 7] avaient par conséquent jusqu’au
23 août 2021 (31 mars 2017 + 5 ans – 7 mois et 8 jours) pour solliciter la réparation du préjudice subi du fait de la location illicite d’une partie du [Adresse 7].
Or, cette demande n’ayant été formée reconventionnellement que par conclusions du 18 octobre 2021, elle doit être déclarée irrecevable comme prescrite, étant observé que contrairement à ce que prétendent les appelants, l’évaluation du préjudice subi de la location illicite ne dépendait nullement des constatations opérées par la mission d’expertise menée par M. [S].
Sur la demande de 50.000 euros en réparation du préjudice causé du fait du refus de M. [L] [M] de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7]
Comme relevé à bon droit par le premier juge, le fait générateur du préjudice allégué, en lien avec la gestion malveillante et catastrophique imputée à M. [L] [M], est nécessairement antérieure à son retrait en 2011.
M. [L] [M] ayant été autorisé à se retirer de la société civile par le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 18 octobre 2011, c’est au plus tard à cette date que la prescription a commencé à courir.
Aucun acte interruptif ou suspensif de prescription n’étant établi, l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a déclaré prescrite la demande de 50.000 euros en réparation du préjudice causé du fait de refus de participer aux frais d’entretien du [Adresse 7] formulée par conclusions du 18 octobre 2021.
Sur la demande de 50.000 euros en réparation du préjudice causé du fait des dégrations commises
Dans leurs conclusions au fond, les époux [M] et la société civile [Adresse 7] font valoir que les lieux loués à M. [B] ont été laissés à son départ dans un état lamentable.
Cependant, comme justement souligné par le premier juge, le fait générateur du préjudice allégué n’a pas été révélé par les expertises judiciaires et les dégradations imputées à M. [L] [M] ou au locataire ont été relevées dans un procès-verbal de constat d’huissier du 7 septembre 2013.
Il s’ensuit que la demande formée par conclusions du 18 octobre 2021 doit être déclarée prescrite.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. M. [G] [M] et Mme [C] [M] supporteront les dépens d’appel in solidum.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, M. [G] [M] et Mme [C] [M] seront condamnés à payer à M. [L] [M] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l’ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [G] [M] et Mme [C] [M] à payer à M. [L] [M] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne in solidum M. [G] [M] et Mme [C] [M] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,