22 février 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01756
Chambre Commerciale
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 22 Février 2023
N° RG 21/01756 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FU5Q
CV
Arrêt rendu le vingt-deux Février deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 06 juillet 2021 par le Tribunal de commerce de CUSSET (RG n° 2020/003306)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Monsieur Christophe VIVET, Président de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
En présence de : Mme Pauline LACROZE, Greffier, lors de l’appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel du prononcé
ENTRE :
M. [O] [G]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Alexandre BENAZDIA, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
APPELANT
ET :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE CENTRE FRANCE dénommée CREDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE
Société coopérative à capital et personnel variables immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 445 200 488 00010
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : la SELARL BERNARDET-RAYNAUD, avocats au barreau de MOULINS
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, à l’audience publique du 17 Novembre 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Monsieur VIVET, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré initialement fixé au 18 Janvier 2023 puis prorogé au 22 Février 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 22 Février 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
EXPOSE
Par acte sous seing privé du 15 septembre 2017, la Caisse régionale de Crédit agricole Centre France (le Crédit agricole) a conclu avec la SAS Techspray un contrat global de crédits de trésorerie destiné à financer ses besoins à ce titre, pour un montant global de 14.000 euros et une durée indéterminée.
Par le même acte, M.[O] [G], président de la SAS Techspray, a souscrit un engagement de cautionnement solidaire du contrat dans la limite de 18.200 euros représentant 130% du capital cautionné, couvrant le paiement du principal, des intérêts et des intérêts de retard.
Par jugement du 11 février 2020, le tribunal de commerce de Cusset a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Techspray.
Le 28 février 2020, le Crédit agricole a déclaré sa créance au titre du solde débiteur du contrat du 15 septembre 2017, d’un montant de 20.891,60 euros, et a mis M.[G] en demeure de régler sous dix jours la somme de 18.200 euros.
Par acte d’huissier du 06 octobre 2020, le Crédit agricole a assigné M.[G] devant le tribunal de commerce de Cusset, a demandé qu’il soit condamné à lui payer la somme de 18.200 euros au titre de son engagement de caution solidaire et la somme de 1.300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
A l’audience du tribunal du 16 février 2021, le Crédit agricole a soutenu ses demandes, et M.[G], comparaissant en personne, a indiqué qu’il ne s’était pas servi de l’autorisation de découvert jusqu’à la fin, et au maximum à hauteur de 7.000 euros, a affirmé qu’il considérait que le dossier avait été déclaré comme un prêt et non un découvert autorisé et que, de ce fait, il aurait dû recevoir des avis tous les ans, et a indiqué qu’il n’avait pas les moyens de régler, ayant pour seul revenu une retraite mensuelle de 1.000 euros.
Par jugement du 06 juillet 2021, le tribunal a fait droit à la demande principale du Crédit agricole, et a donc condamné M.[G] au paiement de la somme de 18.200 euros, outre 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Le tribunal a motivé sa décision en indiquant que, s’agissant d’un crédit de trésorerie, aucun avis annuel à la caution n’est imposé, et qu’il y avait lieu de faire droit à la demande principale au regard des éléments produits et à défaut de toute argumentation de la part de M.[G].
M.[G] a relevé appel de cette décision par déclaration de son conseil du 03 août 2021.
Aux termes de ses conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 29 novembre 2021, M.[O] [G] présente les demandes suivantes à la cour, au visa des articles L332-1 et L343-4 du code de la consommation :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :
– déclarer nul l’engagement de caution du 15 septembre 2017,
– rejeter toutes les demandes du Crédit agricole,
– condamner le Crédit agricole à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel,
– subsidiairement, sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil, lui accorder un délai de deux ans pour régler sa dette par 23 mensualités de 200 euros et le solde à la 24eme mensualité, dire que les versements s’imputeront en priorité sur le capital et que le taux d’intérêt n’excédera pas le taux d’intérêt légal,
– en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance, et dire que chacune des parties conservera ses dépens.
A l’appui de ses demandes, M.[G] soutient, en réponse à la contestation soulevée par le Crédit agricole sur ce point, que ses demandes et moyens évoqués en appel sont recevables bien qu’il ne les ait pas évoqués devant le tribunal, en ce qu’il n’a alors acquiescé ni aux demandes, ni au fondement juridique qui lui était opposé. Se prévalant de l’effet dévolutif de l’appel, il soutient pouvoir élever devant la cour toute demande tendant à faire écarter les prétentions adverses, au visa de l’article 565 du code de procédure civile.
Il conclut donc à titre principal à la nullité de l’engagement de caution qu’il ne conteste pas avoir souscrit le 15 septembre 2017, soutenant qu’il était disproportionné au regard de ses revenus pour les années 2015 à 2017, au titre desquelles il n’était pas imposable, expliquant qu’il n’a perçu en 2017 aucun revenu professionnel tiré de la société Techspray ou autre, et qu’il vivait à l’époque, alors qu’il était âgé de 64 ans, de dons manuels de sa mère. Il soutient qu’en particulier en raison de son âge, la SAS Techspray, qu’il avait fondée suite à son licenciement à l’âge de 58 ans en 2012, ne pouvait prospérer, étant structurellement déficitaire en ce qu’elle vendait des produits de peinture pour le bâtiment, en concurrence donc avec des chaînes nationales de magasins de bricolage.
Il soutient donc qu’il était insolvable lors de la souscription de son engagement de caution et qu’il était manifeste que cet engagement était aléatoire, et se prévaut des articles L332-1 et L343-4 du code la consommation pour demander à la cour de considérer son engagement comme nul.
A l’appui de sa demande subsidiaire de délais, il indique qu’il perçoit pour seul revenu une retraite mensuelle de 2.000 euros.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021, le Crédit agricole présente les demandes suivantes à la cour, au visa des articles 1101 et suivants, 2288 et suivants du code civil, et 564 du code de procédure civile :
– à titre principal, déclarer irrecevables les demandes de M.[G],
– à titre subsidiaire, rejeter les demandes de M.[G],
– en tout état de cause, confirmer le jugement, et condamner M.[G] à lui à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Moyens
A l’appui de la fin de non-recevoir soulevée, le Crédit agricole expose que, devant le tribunal, M.[G] s’est contenté d’indiquer oralement que sa situation actuelle ne lui permettait pas d’assurer son engagement de caution, et n’a présenté aucune demande aux fins de rejet des demandes présentées à son encontre. La banque soutient donc que les demandes présentées à la cour, incluant la demande subsidiaire de délais de grâce, constituent de nouvelles prétentions qui doivent être déclarées irrecevables en application de l’article 564 du code de procédure civile.
Subsidiairement, la banque conteste la disproportion de l’engagement de caution, exposant que les éventuelles difficultés structurelles de la société ne peuvent lui être imputées, s’agissant en particulier d’un prêt de trésorerie d’un montant réduit, et que M.[G], caution dirigeante, n’ignorait pas la situation de l’entreprise et ne l’a pas signalée à la banque.
Le Crédit agricole soutient qu’il n’avait aucun devoir de mise en garde à l’égard de la caution, en ce que l’ouverture de crédit d’un montant de 14.000 euros était adaptée aux capacités financières de la société, qui était solvable en 2016 et présentait en particulier un compte-courant d’associé de 40.000 euros et plus de 107.000 euros d’actifs. Concernant la situation de M.[G] à la date du cautionnement, la banque relève qu’il a alors déclaré être propriétaire d’un bien immobilier estimé à 135.000 euros et d’une épargne de 25.000 euros, cette dernière somme suffisant à elle seule à rembourser près du double du capital garanti.
Enfin, la banque s’oppose à l’octroi de délais de paiement, au motif que M.[G] a d’ores et déjà disposé d’un délai de 24 mois sans effectuer aucun paiement.
Il est renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2022.
Motivation
MOTIFS
Sur les fins de non-recevoir soulevées par la société intimée
L’article 71 du code de procédure civile définit comme défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.
L’article 72 du code de procédure civile dispose que les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause.
L’article 564 du code de procédure civile dispose que, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
En l’espèce, M.[G], à l’appui de ses demandes d’infirmation du jugement et de rejet des demandes formées à son encontre sur le fondement de son engagement de caution, invoque la nullité de cet acte pour cause de disproportion. Ce moyen constitue une défense au fond tendant à faire écarter les prétentions adverses, qui est donc recevable en tout état de cause et peut en conséquence être présentée pour la première fois en cause d’appel, comme dispose d’ailleurs expressément l’article 564 visé par la banque. La fin de non-recevoir opposée de ce chef par cette dernière sera donc écartée.
La fin de non-recevoir concernant la demande de délais de paiement sera également écartée, les mesures de délai de grâce prévues par l’article 1343-5 du code civil pouvant être demandées en tout état de cause.
Sur la demande d’inopposabilité de l’engagement de caution présentée par l’appelant
L’ancien article L.332-1 du code de la consommation, applicable à l’engagement de caution dont il s’agit, souscrit le 15 septembre 2017, dispose qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Cette disposition s’applique à toutes les personnes physiques, incluant les cautions dites commerciales ou averties, c’est-à-dire en particulier les dirigeants de société, tel M.[G].
Il résulte de ces dispositions que la disproportion doit être manifeste, c’est-à-dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent.
Les dispositions précitées n’imposent pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Toutefois, le caractère disproportionné s’apprécie au regard des biens et revenus déclarés, dont le créancier n’a pas à vérifier l’exactitude, sauf anomalies apparentes.
Par ailleurs, la disproportion s’apprécie lors de la conclusion du contrat de cautionnement au regard du montant de l’engagement ainsi souscrit, des biens et revenus de la caution, et de son endettement global, incluant celui résultant d’autres engagements de cautionnement.
En l’espèce, le Crédit agricole produit le dossier de renseignements établi par M.[G] à l’occasion de la conclusion de l’engagement de caution, le 28 juillet 2017. Il en ressort qu’il déclarait alors percevoir un revenu annuel de 1.650 euros, être nu-propriétaire d’un immeuble d’une valeur actuelle de 135.000 euros, être titulaire d’une assurance-vie AXA d’une valeur de 25.000 euros, et n’avoir donné aucun autre engagement de caution.
M.[G] ne s’exprime pas sur le contenu de ce dossier de renseignements.
Or, comme le soutient la banque, elle était bien fondée, sans avoir à vérifier l’exactitude des déclarations de son client, à se fier à ce document, qui ne présente pas d’anomalies apparentes.
Force est de constater que la teneur de ce document ne permet pas de considérer que l’engagement de M.[G] était, au moment de la conclusion du contrat, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, en ce que le montant de l’engagement, limité à 18.200 euros, est inférieur au montant du contrat d’assurance-vie dont il déclarait être titulaire.
Concernant la situation de la société à l’époque de la conclusion du cautionnement, dont se prévaut par ailleurs M.[G] pour soutenir qu’elle ne pouvait prospérer, ce que conteste la banque, il ne ressort pas des éléments qu’il invoque que le crédit de trésorerie garanti par le cautionnement, d’un montant de 14.000 euros, était manifestement incompatible avec les capacités de la société, dont le chiffre d’affaires s’élevait en 2016 à 216.652 euros et en 2017 à 220.304 euros. L’ouverture de crédit étant donc adaptée aux capacités financières de la société, il s’en déduit que la banque n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde envers la caution, s’agissant de surcroît d’une caution devant être considérée comme avertie au regard de ses fonctions.
En conséquence, il se déduit de l’ensemble de ces éléments que M.[G] ne démontre pas que l’engagement de caution du 15 septembre 2017 lui soit inopposable comme étant nul. En conséquence, le titre étant régulier et les conditions de mise en ‘uvre suite à la défaillance de la SAS Techspray étant réunies, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M.[G] à payer la somme stipulée, inférieure aux sommes dues par la société liquidée au titre du contrat garanti.
Sur la demande de délai de grâce
L’article 1343-5 du code civil dispose en ses alinéas 1 et 2 que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues et que, par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
En l’espèce, M.[G] ayant été mis en demeure le 28 février 2020 de régler les sommes dues en exécution de son engagement de caution, et n’ayant au jour de l’audience le 17 novembre 2022 effectué aucun versement à ce titre, il s’en déduit comme le relève la banque qu’il a de fait bénéficié d’un délai de grâce supérieur à celui qui est prévu par le texte. D’autre part, comme le relève par ailleurs la banque, sa proposition de règlement de 200 euros par mois pendant 23 mois, soit 4.600 euros, puis d’une dernière mensualité de 13.600 euros, dont rien n’établit qu’il sera plus en mesure de la verser que la somme de 18.200 euros à ce jour, n’apparaît pas sérieuse. En conséquence, il sera débouté de sa demande de délai de grâce.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, M.[G] étant la partie perdante en première instance et en appel, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a condamné aux entiers dépens de première instance, et il sera condamné aux entiers dépens d’appel.
Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné M.[G] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. M.[G] supportant les dépens de la procédure d’appel, la demande qu’il a présenté à la cour sur le fondement de l’article 700 au titre des frais irrépétibles dont les frais d’avocat exposés en cause d’appel sera rejetée. L’équité et la situation de la partie condamnée aux dépens n’imposent pas qu’il soit fait droit à la demande présentée par le Crédit agricole sur le même fondement au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats publics, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
Ecarte la fin de non-recevoir soulevée par le Crédit agricole,
Déclare recevables les demandes présentées par M.[G],
Déboute M.[G] de sa demande tendant à ce que l’engagement de caution du 15 septembre 2017 soit déclaré nul,
Déboute M.[G] de ses demandes présentées sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne M.[G] aux dépens de la procédure d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
Le greffier, La présidente,