2 mars 2023
Cour d’appel de Bourges
RG n°
22/00907
1ère Chambre
COPIE OFFICIEUSE
à :
– SELARL ARENES AVOCATS CONSEILS
– SCP SOREL & ASSOCIES
LE : 02 MARS 2023
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 02 MARS 2023
N° – Pages
N° RG 22/00907 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DPNZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal de commerce de CHATEAUROUX en date du 27 Juillet 2022
PARTIES EN CAUSE :
I – M. [L] [Y]
né le [Date naissance 1] 1965 à ALGERIE (99)
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL ARENES AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES
aide juridictionnelle totale numéro 18033 2022/002143 du 01/09/2022
APPELANT suivant déclaration du 05/09/2022
II – S.C.P. [S] [X] es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU DECOANTIK, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 2]
[Localité 6]
N° SIRET : 439 439 076
Représentée par la SCP SOREL & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. TESSIER-FLOHIC, Président chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. TESSIER-FLOHIC Président de Chambre
M. PERINETTI Conseiller
Mme CIABRINI Conseillère
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
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ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Exposé du litige
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EXPOSE
Par jugement en date du 7 octobre 2020, le tribunal de commerce de Châteauroux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SASU Décoantik, qui exerçait une activité de bureau d’études techniques et d’ingénierie dans le secteur du bâtiment.
Suivant acte d’huissier en date du 6 juillet 2022, la SCP [S] [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SASU Décoantik, a fait assigner M. [L] [Y], son président et associé unique, devant le Tribunal de commerce de Châteauroux aux fins d’extension à l’intéressé de la procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement contradictoire du 27 juillet 2002, le Tribunal de commerce de Châteauroux a :
‘ étendu la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’égard de la SASU Décoantik à l’encontre de M. [Y],
‘ nommé M. [V] [T] en qualité de juge commissaire, et M. [U] [E] en qualité de juge commissaire suppléant,
‘ nommé la SCP [S] [X], prise en la personne de Maître [S] [X], en qualité de liquidateur judiciaire,
‘ rappelé que la date de cessation des paiements de la procédure était fixée au 9 septembre 2020,
‘ ordonné les mesures de publicité légale,
‘ passé les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
Le Tribunal a notamment retenu que M. [Y] avait reconnu à l’audience que Me [X] avait raison, qu’il avait également affirmé que l’expert-comptable qui avait établi le bilan comptable de l’exercice 2019 se serait trompé, qu’il s’était abstenu de communiquer au liquidateur judiciaire les comptes de l’exercice 2019/2020, que le liquidateur judiciaire avait été amené à relever l’existence de relations financières anormales entre la SASU Décoantik et M. [Y], que le compte courant d’associé de M. [Y], créditeur à hauteur de 127.656,34 euros, avait été utilisé pour effectuer de nombreux achats pour partie sans lien avec l’activité exercée par la société (vêtements, voyages), que M. [Y] avait en outre utilisé la trésorerie de la société pour effectuer de multiples dépenses personnelles sans procéder au moindre remboursement, qu’aucune décision de l’actionnaire unique statuant sur la rémunération de la présidence n’avait été communiqué au liquidateur judiciaire, que des flux financiers normaux entre une société et son dirigeant actionnaire unique ne pouvait être qu’une rémunération, des remboursements de frais ou des dividendes, ce qui à défaut de comptabilité complète et régulière et de registre des décisions de l’actionnaire unique ne pouvait être caractérisé en l’espèce, et que M. [Y] avait admis l’existence de flux non justifiés réciproquement entre la SASU Décoantik et lui-même, lesquels révélaient une confusion des patrimoines.
M. [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 5 septembre 2022.
Moyens
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu’il développe, M. [Y] demande à la Cour :
‘ d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Châteauroux en date du 27 juillet 2022,
statuant à nouveau,
‘ de débouter la SCP [S] [X] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Décoantik de sa demande d’extension de la procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de M. [L] [Y],
‘ de condamner la SCP [S] [X] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 novembre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu’elle développe, la SCP [S] [X], liquidateur judiciaire de la SASU Décoantik, demande à la Cour de
‘ rejeter l’appel formé par M. [L] [Y] et le déclarer infondé,
‘ confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
‘ condamner M. [L] [Y] aux entiers dépens.
Par réquisitions en date du 25 novembre 2022, M. le procureur général près la Cour d’appel de Bourges sollicite la confirmation du jugement entrepris.
L’affaire a été fixée à bref délai pour être plaidée à l’audience du 18 janvier 2023.
Motivation
MOTIFS
Sur la confusion des patrimoines :
Aux termes de l’article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.
La loi ne donne aucune définition de la notion de confusion des patrimoines qu’une jurisprudence constante caractérise cependant par l’imbrication des patrimoines en cause, manifestée notamment par une confusion des comptes ou par des relations financières anormales, les deux critères n’étant pas cumulatifs mais alternatifs, l’anormalité pouvant tenir à l’absence de contrepartie aux flux financiers considérés.
En l’espèce, la confusion des patrimoines de la SASU Décoantik et de M. [Y] a été caractérisée par le tribunal de commerce au regard des éléments suivants:
‘ M. [Y] était titulaire d’un compte courant d’associé créditeur de 127.656,34 euros, poste qui incluait non pas des apports de liquidités, mais de nombreux achats, dont certains avaient été effectués dans des enseignes qui ne présentaient aucun lien avec l’activité exercée par la société (Zara Mode, Vêtements Rochon, Go Voyage, etc.) ;
‘ le bilan présentait un poste « Clients ‘ facture à établir » comprenant une unique écriture «FAE 2018 » d’un montant de 175.843 euros ;
‘ concernant cette écriture, l’expert comptable Fico avait indiqué au liquidateur judiciaire, par courriel du 24 juin 2022, qu’il s’agissait « de la facture que devait faire M. [Y] [L] pour les travaux effectués par sa société pour la rénovation de ses appartements»;
‘ les relevés bancaires du premier semestre 2020 révélaient que M. [Y] avait continué d’utiliser la trésorerie de la société pour effectuer de multiples dépenses personnelles sans procéder à leur remboursement.
Le Tribunal a en outre relevé que M. [Y] n’avait pas été en mesure de fournir au liquidateur judiciaire ni au tribunal d’autres comptes que ceux de l’exercice clos au 31 octobre 2019, qu’il n’existait pas de registre des décisions de l’actionnaire unique et qu’aucune décision de l’actionnaire unique statuant sur la rémunération de la présidence n’avait été communiqué au liquidateur judiciaire. Il a rappelé qu’à défaut de comptabilité complète et régulière et de communication de ces pièces, les flux financiers observés ne pouvaient correspondre à une rémunération, des remboursements de frais justifiés ou des dividendes et devaient ainsi être considérés comme constituant des flux financiers anormaux.
M. [Y] soutient qu’une grande partie des reproches effectués à l’égard de la SASU Décoantik découle de l’absence de comptable et des erreurs effectuées par l’ancien expert-comptable de la société.
Pour autant, il ne peut qu’être relevé, contrairement à ce qu’affirme M. [Y], qu’une grande partie des multiples achats effectués par ses soins en 2018 et 2019 et comptabilisés au crédit de son compte courant d’associé peut difficilement trouver une explication professionnelle. Si des dépenses relatives à des frais de déplacement auraient potentiellement pu être régulièrement incluses dans la comptabilité qui aurait dû être tenue, il n’en va pas de même des achats effectués dans les enseignes Micromania (jeux vidéo), Zara Mode ou Rochon (mode masculine) qui sont par nature étrangers à l’activité de la société.
Il sera au demeurant rappelé que la tenue d’une comptabilité régulière incombait à M. [Y] en sa qualité de dirigeant, et que celui-ci ne saurait justifier sa négligence fautive sur ce plan en invoquant d’éventuelles erreurs, en l’état non démontrées, qu’aurait pu accomplir l’ancien expert comptable ou le défaut de désignation d’un comptable à cette fin, abstention qui ne résulte que de son propre fait.
Par ailleurs, M. [Y] demeure taisant au sujet de l’écriture « FAE 2018 » d’un montant de 175.843 euros figurant au poste «Clients ‘ facture à établir », dont le montant ne saurait être jugé négligeable au regard du chiffre d’affaires de la société et dont l’ancien expert-comptable de la SASU Décoantik a indiqué qu’elle concernait des travaux effectués par celle-ci pour la rénovation des appartements dont M. [Y] était propriétaire.
Il ne peut que s’en déduire que M. [Y] a fait réaliser des travaux d’un montant important par sa société sur des biens immobiliers lui appartenant en propre, sans pour autant en régler le montant.
En outre, il ressort des relevés bancaires de la SASU Décoantik pour l’année 2020 versés aux débats que de nombreuses dépenses ont été effectuées dans des enseignes de grande ou moyenne distribution (Leclerc [Localité 8], Super 36 [Localité 7], Intermarché [Localité 5]) et des bureaux de tabac (Tabac Tanchoux [Localité 9], Tabac de la gare [Localité 6]), sans pouvoir être rattachées de manière évidente à l’activité de la société. Le liquidateur judiciaire en déduit avec raison que M. [Y] a fait peser sur la société le coût de ces dépenses personnelles sans procéder au moindre remboursement.
Enfin, des retraits d’espèces et virements à destination de comptes bancaires appartenant à M. [Y] peuvent être observés et atteindre des montants conséquents. À titre d’exemple, sur le seul mois de mai 2020, ces opérations ont atteint un montant global supérieur à 7.000 euros. Aucun motif à ces retraits et virements n’est avancé par l’appelant.
Si M. [Y] indique que la rémunération du dirigeant, le remboursement de frais ou le versement de dividendes auraient pu être régularisés par une décision de l’actionnaire unique, il ne peut qu’être constaté qu’aucune décision de la sorte n’est intervenue, sans qu’il soit fourni d’explication sur ce point.
L’usage du compte bancaire de la société pour régler, de manière récurrente et plusieurs mois durant, en l’état des pièces communiquées à la Cour, les dépenses personnelles du gérant constituent une anomalie caractérisant une confusion des patrimoines que M. [Y] ne peut justifier, a fortiori en l’absence de toute comptabilité.
Il en va de même des retraits d’espèces et virements répétés auxquels M. [Y] a procédé sur la même période, sans en expliquer la cause.
Il résulte de ce qui précède qu’est démontrée l’existence de flux financiers anormaux entre la SASU Décoantik et M. [Y] qui, en l’absence de toute comptabilité, a de manière récurrente et durant plusieurs années, créé et entretenu une confusion entre le patrimoine de la société et le sien propre, sans établir l’existence d’engagements réciproques, ce qui justifie l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SASU Décoantik à M. [Y].
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les dépens :
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. M. [Y], qui succombe en l’intégralité de ses prétentions, sera condamné à supporter la charge des dépens de l’instance d’appel.
Le jugement entrepris sera en outre confirmé de ce chef.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Confirme le jugement rendu le 27 juillet 2022 par le Tribunal de commerce de Châteauroux en l’intégralité de ses dispositions ;
Et y ajoutant,
– Condamne M. [L] [Y] aux dépens de l’instance d’appel.
L’arrêt a été signé par M. TESSIER-FLOHIC, Président, et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
S. MAGIS A. TESSIER-FLOHIC