6 avril 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/00869
CHAMBRE 2 SECTION 1
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 06/04/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/00869 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S42B
Jugement n° 19/01519 rendu le 23 janvier 2020 par le Tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANT
Monsieur [U] [Y]
né le [Date naissance 1] 1980 à[Localité 3]s (Grèce)
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Mathieu Masse, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉE
SCI Houston prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 4]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Benjamin Chevalier, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
DÉBATS à l’audience publique du 18 janvier 2023 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 avril 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 04 janvier 2023
Exposé du litige
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 17 juillet 2017 la société ‘Apollo XIII’, représentée par son gérant M. [D] [R], et M. [U] [Y] ont conlu un protocole d’accord sous conditions suspensives prévoyant la cession de l’intégralité des titres de la société ‘On a marché sur la lune’ (OMSL) et de la société Inside Evenement détenus par la société Apollo XIII.
La cession est intervenue le 8 septembre 2017 suivant ‘acte réitératif au protocole du 17 juillet 2017’ au profit de la société ‘Galactica’ se substituant à M. [Y], représentée par son Président la société Naza, elle-même représentée par M. [Y], son gérant.
Suivant acte du même jour la société Apollo XIII a cédé à la société OMSL sa créance au titre de son compte courant d’associé dans les livres de la société Inside Evenement d’un montant de 179 416,97 euros. L’acte prévoyait le paiement du prix de cession par un règlement de 70 000 euros au plus tard le 31 décembre 2017 et le solde en 36 mensualités à compter du 1er octobre 2017. M. [Y] est intervenu à l’acte pour se porter caution solidaire des engagements de la société OMSL dans la limite de 179 416,97 euros.
Le prix de cession n’a pas été réglé et par un acte du 18 décembre 2018, complété par un avenant du 31 octobre 2018, la société Apollo XIII a cédé sa créance sur la société OMSL à la société Houston.
Par jugement du 5 novembre 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a prononcé la liquidation judiciaire de la société OMSL. La société Houston a déclaré sa créance de 179 416,97 euros entre les mains du liquidateur.
Le 22 janvier 2019, la société Houston a assigné M. [Y] en paiement devant le tribunal de commerce de Lille Métropole.
Par jugement du 23 janvier 2020 le tribunal :
– a débouté M. [Y] de tous ses moyens, fins et conclusions,
– l’a condamné à payer à la société Houston la somme de 179 416,97 euros au titre de son engagement de caution,
– l’a condamné à payer à la société Houston la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamné aux dépens taxés et liquidés à la somme de 73,24 euros en ce qui concerne les frais de greffe,
– a ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– a débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 février 2020 M. [Y] a relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement à l’exception du chef déboutant les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Moyens
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 23 décembre 2022 M. [Y] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– in limine litis, juger irrecevables et mal fondées les demandes présentées par la société Houston au seul visa du ‘contrat de cession de créance du 8 septembre 2017’,
– à titre principal,
– juger que l’engagement de caution de M. [Y] est régi par les dispositions du code de la consommation,
– déclarer nul et non avenu l’engagement de caution,
– juger que l’engagement de caution objet de la présente procédure était manifestement disproportionné à ses revenus, son endettement global et son patrimoine,
– juger que la société Houston ne démontre pas que son patrimoine lui permet de faire face à l’engagement de caution dont elle recherche le paiement par la présente procédure,
– déclarer inopposable à M. [Y] l’engagement de caution objet de la présente procédure,
– débouter la société Houston de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– subsidiairement,
– condamner la société Houston à lui payer la somme globale de 189 416,97 euros à titre de dommages-intérêts se décomposant comme suit :
– 179 416,97 euros en application de son engagement de caution,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 code de procédure civile,
– ordonner la compensation judiciaire pour dettes connexes entre les sommes dont la société Houston sollicite le paiement et les dommages-intérêts dus par celle-ci,
– en tout état de cause,
– condamner la société Houston à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
– la débouter de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner à lui payer la somme 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,
– la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
– la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance,
– la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure d’appel.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022, la société Houston demande à la cour de :
– confirmer le jugement,
– condamner M. [Y] à lui payer les sommes de :
– 179 416,97 euros en application de son engagement de caution,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,
– 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– le condamner aux entiers dépens,
– le débouter de l’ensemble de ses demandes.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 18 janvier suivant.
Motivation
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes formées par la société Houston
L’appelant, qui peut, en application de l’article 123 du code de procédure civile, opposer une fin de non-recevoir en tout état de cause, soutient qu’au motif que la société Houston demandait dans l’assignation du 22 janvier 2019 et ses conclusions de première instance une condamnation au visa du seul contrat de cession de créance du 8 septembre 2017, alors qu’elle n’était pas à cette date substituée dans les droits et obligations de la société Apollo XIII et était donc dépourvue d’un intérêt à agir. Toutefois la circonstance que la société Houston vise cet acte de cession de créance est sans incidence sur son intérêt à agir dès lors qu’elle invoque par ailleurs un acte de cession de créance, à son profit, antérieur à l’assignation.
Aucun moyen de fin de non-recevoir apparaissant par ailleurs devoir être relevé d’office par la cour, les demandes de la société Houston seront déclarées recevables.
Sur la nullité de l’engagement de caution
M. [Y] conclut à la nullité de son engagement de caution en application de l’article L. 331-1 du code de la consommation, et subsidiairement à son caractère manifestement disproportionné en application de l’article L. 343-4 (ou L. 332-1) du même code, dont le premier juge a exclu l’application au motif que M. [Y] ne démontrait pas que la société Apollo XIII était un professionnel.
Ces deux textes, dans leur version issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, s’appliquent au cautionnement souscrit par une personne physique qui s’engage envers un créancier professionnel.
Selon l’article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, pour l’application ce code, on entend par ‘professionnel’, toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel.
Dans l’acte de cession de créance du 8 septembre 2017, il est expressément rappelé que ‘la société Apollo XIII a pour objet, notamment, l’acquisition, la gestion, la cession et la prise de participations dans toutes sociétés, entreprises ou groupements quelconques et notamment, de toutes valeurs mobilières, de droits sociaux ou de parts d’intérêts de sociétés ainsi que de tous titres de placement’.
La cession de créance est intervenue dans le cadre de l’opération globale de cession des titres des sociétés OMSL et Inside Evenement ; l’acte de cession stipule à l’article 7 ‘remboursement des comptes d’associés’ que ‘conformément à l’article 8 du protocole, les Parties prennent acte qu’il a été procédé au remboursement intégral des dettes et créances existantes entre les sociétés OMSL et Inside Evenement d’un part et les sociétés du Groupe de M. [D] [R] d’autre part à l’exception d’une créance, d’un montant de 179 416,97 €, de la société Apollo XIII à l’encontre de la société Inside Evenement’ et que ‘dans une perspective de remboursement de cette créance, les Parties se sont accordées, ce jour, par acte séparé, à une cession de ladite créance au profit de la société OMSL’.
Ainsi la cession de créance est une opération directement en lien avec la cession des titres des deux sociétés, qui entre dans l’exercice de l’activité professionnelle de la société Houston telle que rappelée ci-dessus, et se trouve donc en rapport direct avec son activité professionnelle, de sorte que le cautionnement a été donné au profit d’un créancier professionnel au sens du code de la consommation et ses dispositions litigieuses sont donc applicables au cautionnement donné par M. [Y].
Les articles L. 331-1 et L. 343-2 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, prescrivent, à peine de nullité, que toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :
‘En me portant caution de X……………….., dans la limite de la somme de……………….. couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de……………….., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X……………….. n’y satisfait pas lui-même.’
En vertu de ces dispositions, toute personne physique, qu’elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu’elle s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu’il soit commercial ou civil, de la mention manuscrite exigée.
En l’espèce, la mention manuscrite ne précise pas la durée de l’engagement de caution et, s’agissant d’un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention doit être exprimée sans qu’il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l’acte. En outre, même si l’acte de cession comprenant l’engagement de caution est signé par la caution (en page 6), force est de constater que la mention manuscrite qui apparaît en page 4 n’est pas suivie de la signature de la caution, alors même qu’un espace suffisant le permettait, que si M. [Y] a apposé un paraphe constitué de ses initiales en bas de la page sur laquelle figure la mention manuscrite, ce paraphe n’est pas situé immédiatement après la mention mais après deux autres paragraphes relatifs aux conditions du prêt, et il apparaît au même emplacement sur toutes les autres pages de l’acte de cession, exprimant la volonté de parapher l’acte à chaque page et non d’apposer sa signature sous la mention manuscrite.
Pour l’un et l’autre de ces motifs, l’acte de caution est nul au regard des exigences des articles susvisés. Il convient en conséquence de constater la nullité du cautionnement et, par voie de conséquence, réformant le jugement, de débouter la société Houston de sa demande en paiement.
Sur la demande de dommages-intérêts présentée par M. [Y] sur le fondement de l’article 1240 du code civil
Cette demande, au soutien de laquelle M. [Y] invoque un abus de droit, a été formée en première instance et rejetée par le premier juge. Or M. [Y] n’a pas mentionné dans sa déclaration d’appel le chef du jugement qui déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires de sorte que, en application des articles 562 et l’article 901 (4°) du code de procédure civile, ce chef de jugement n’est pas dévolu à la cour qui ne peut en conséquence être saisie de la demande ayant fait l’objet d’un rejet.
Sur la demande de dommages-intérêts présentée par la banque
Compte tenu de la nullité du cautionnement, il ne saurait être retenu un comportement fautif de M. [Y] dans son refus d’exécuter son engagement et la demande de dommages-intérêts présentée par la société Houston, au demeurant non justifiée quant au préjudice qu’il y aurait lieu d’indemniser, sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le sens de l’arrêt conduit à réformer le jugement en ce qu’il a condamné M. [Y] aux dépens et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à mettre les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société Houston et à allouer à l’appelant une somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
Réforme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevables les demandes de la société Houston ;
Constate la nullité de l’engagement de caution de M. [U] [Y] du 8 septembre 2017 ;
Constate l’absence d’effet dévolutif de l’appel s’agissant de la demande de dommages-intérêts pour abus de procédure présentée par M. [U] [Y] ;
Déboute la société Houston de sa demande de dommages-intérêts ;
Condamne la société Houston aux dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la société Houston à payer à M. [U] [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel.
Le greffier
Valérie ROELOFS
Le président
Dominique GILLES