11 avril 2023
Cour d’appel de Reims
RG n°
22/01010
1ere Chambre sect.Civile
ARRET N°
du 11 avril 2023
N° RG 22/01010 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FFTA
[N]
c/
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE
Formule exécutoire le :
à :
la SELARL CABINET D’AVOCATS DE MAITRE EMMANUEL BROCARD
la SCP SAMMUT-CROON-JOURNE-LEAU
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 11 AVRIL 2023
APPELANT :
d’un jugement rendu le 22 mars 2022 par le Tribunal de Commerce de REIMS
Monsieur [Y] [N]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Emmanuel BROCARD de la SELARL CABINET D’AVOCATS DE MAITRE EMMANUEL BROCARD, avocat au barreau de REIMS
INTIMEE :
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Raphaël CROON de la SCP SAMMUT-CROON-JOURNE-LEAU, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MAUSSIRE, conseillère, et Madame PILON, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame [B] [D]
DEBATS :
A l’audience publique du 06 mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 11 avril 2023,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Monsieur [Y] [N] est le gérant de la SARL Alcane Finances (holding) et le président de la SAS Reale . La SARL Alcane Finances détenait 1 199 parts de la SAS Reale et Monsieur [Y] [N] détenait 1 part de la SAS Reale.
La SAS Reale a pour partenaire financier la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Lorraine Champagne-Ardenne.
Le 28 juin 2017, Monsieur [Y] [N], président de la SAS Reale, s’est porté caution solidaire à objet général en garantie de l’ensemble des engagements souscrits par la SAS Reale au profit de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Lorraine Champagne-Ardenne, à concurrence d’un montant de 169 000 € et pour une durée de 36 mois.
Le 5 juillet 2018, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe a accordé à la SAS Reale une ligne de crédit répondant à ses besoins de trésorerie, d’un montant de 280 000 euros, au taux Euribor 3 mois + 2,30 % pour une durée indéterminée.
Le 24 juillet 2018, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe a accordé à la SAS Reale un prêt d’un montant de 206 600 euros au taux annuel fixe de 1,50 % l’an remboursable en 72 échéances.
Le même jour, Monsieur [Y] [N] s’est porté caution solidaire à objet général de l’ensemble des engagements souscrits par la SAS Reale au profit de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe pour un montant de 22 000 € et pour une durée de 96 mois.
Le 28 janvier 2020, la SAS Reale a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Reims, désignant [C] [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire.
Le 13 février 2020, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe a déclaré ses créances auprès de Maître [M] ès-qualités pour un montant de 282 660,63 € au titre du découvert du compte bancaire, et 201 878,57 € au titre du prêt accordé le 24 juillet 2018.
Le même jour, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe a mis en demeure Monsieur [Y] [N] d’avoir à lui verser la somme de 22 000 € et celle de 169 000 € correspondant à ses engagements de caution.
Ces lettres ont été dûment réceptionnées par Monsieur [Y] [N] le 18 février 2020 mais n’ont pas été suivies d’effet.
Par exploit d’huissier en date du 4 juillet 2020, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe a assigné Monsieur [Y] [N] devant le tribunal de commerce de Reims aux fins de le voir condamner à lui verser les sommes suivantes’:
– 169 000 € au titre du cautionnement solidaire du 28 juin 2017 outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1 3/02/2020 jusqu’à parfait paiement,
– 22 000 € au titre du cautionnement solidaire du 24 juillet 2018 outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1 3/02/2020 jusqu’à parfait paiement,
– 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [N] a opposé à titre principal la disproportion de ses engagements de caution.
Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal de commerce de Reims a ‘:
Vu l’article L.331-2 du code de la consommation,
Vu les pièces versées,
– déclaré la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe recevable et bien fondée en ses demandes,
En conséquence,
– rejeté les demandes de M. [Y] [N] sur la disproportion de ses engagements de caution,
– condamné M. [Y] [N] à payer à la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe la somme de 169 000 € ttc outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13/02/2020 au titre du cautionnement solidaire du 28 juin 2017,
– condamné M. [Y] [N] à payer à la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe la somme de 22 000 € ttc outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13/02/2020 au titre du cautionnement solidaire du 24 juillet 2018,
– condamné M. [Y] [N] à payer à la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toutes autres demandes,
– rappelé que l’exécution provisoire était de droit,
– condamné M. [Y] [N] aux dépens.
Par déclaration reçue le 9 mai 2022, M. [Y] [N] a formé appel de la décision.
Moyens
Par conclusions notifiées le 27 décembre 2022, l’appelant demande à la cour de juger l’appel recevable et bien fondé,
Statuant à nouveau de’:
Vu l’article L 332-1 du code de la consommation,
– infirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,
– juger que les cautionnements souscrits les 28 juin 2017 et 24 juillet 2018 sont manifestement disproportionnés aux biens et revenus de M. [Y] [N],
– débouter la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe de toutes demandes,
Subsidiairement, Vu l’article L 313-22 du code monétaire et financier,
Vu les articles 2302 et 2303 du code civil,
– ordonner la déchéance des intérêts conventionnels depuis la date de souscription des contrats jusqu’à la décision à intervenir,
– ordonner à la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe de produire un décompte de créance actualisé de l’imputation des intérêts conventionnels,
– condamner la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe à payer à M. [Y] [N] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d’instance et d’appel.
Par conclusions notifiées le 10 octobre 2022, la Caisse d’Épargne Grand Est Europe demande à la cour’de :
Vu l’article L 331-2 du code de la consommation,
Vu les pièces versées au débats,
Vu l’absence de disproportion des deux engagements de caution souscrits par M. [N] à ses revenus au patrimoine de ce dernier au jour de la souscription,
En conséquence,
– confirmer en son entier le jugement rendu,
En conséquence,
Vu les articles 1134, 1907 et 2283 et suivants du code civil,
– condamner M. [Y] [N] à verser à La Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe les sommes suivantes :
Au titre du cautionnement solidaire du 28 juin 2017′:
Principal’: 169 000 €
Intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13/02/2020 jusqu’à parfait paiement’: mémoire
Total dû sauf mémoire’: 169 000 €
Au titre de l’engagement de cautionnement du 24 juillet 2018′:
Principal’: 22 000 €
Intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13/02/2020 jusqu’à parfait paiement’: mémoire
Total sauf mémoire’: 22 000 €
Vu l’article L 313-12 du code monétaire et financier,
Vu la justification par la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe des envois d’information à la caution,
– confirmer le jugement rendu, et débouter M. [Y] [N] de cette contestation,
– condamner M. [Y] [N] à verser à la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Grand Est Europe la somme de 2 000,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 de code de procédure civile,
– condamner M. [Y] [N] aux entiers dépens.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION’:
La disproportion des actes de cautionnement’:
Aux termes de l’article L 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution, sur laquelle repose la charge de la preuve, de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Sa situation doit s’apprécier par rapport à ses biens et revenus en tenant compte de son endettement global, en ce compris les actes de cautionnement qu’elle a pu souscrire antérieurement.
En revanche, si le cautionnement est déclaré manifestement disproportionné, la charge de la preuve de retour à meilleure fortune de la caution au moment où elle est appelée incombe à l’établissement financier.
* l’engagement de caution du 28 juin 2017′:
M. [N] s’est porté caution solidaire à objet général (dont solde débiteur du compte courant) en garantie de l’ensemble des engagements souscrits par la société Reale au profit de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Lorraine Champagne Ardenne à hauteur de 169 000 euros pour une durée de 36 mois.
L’appelant soutient comme en première instance que son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
L’intimée lui répond qu’avec l’actif mobilier dont il disposait, le cautionnement n »était pas manifestement disproportionné.
Il est précisé que M. [N] étant marié sous le régime de la séparation de biens, la disproportion doit s’apprécier au regard des seuls revenus et biens de la caution.
Il ressort de la fiche de renseignements de la caution complétée le jour de son engagement (pièce n° 13 de l’intimée) qu’il n’y est déclaré aucun patrimoine immobilier (il précise qu’il est locataire) ni mobilier.
M. [N] y a déclaré des revenus annuels pour un montant de 92 000 euros.
Il a indiqué en revanche s’être déjà porté caution auprès de la BNP pour 150 000 euros, du Crédit Agricole pour 30 000 euros et de la Caisse d’Epargne pour 60 000 euros, soit un total de 240 000 euros, somme qui doit être prise en compte au titre de l’examen de l’endettement global de la caution, ces cautionnements étant toujours en cours au moment de l’engagement de M. [N].
Il ressort des pièces versées aux débats que l’endettement global de M. [N] était au jour de son engagement en ce compris le cautionnement objet du litige de 409 000 euros, soit plus de quatre fois son revenu annuel déclaré dans la fiche de renseignements.
Il convient d’y ajouter ses charges, soit un loyer annuel de 23 400 euros (somme déclarée dans la fiche), les charges relatives au ménage (le couple avait à l’époque trois enfants à charge) pouvant être considérées comme étant assumées totalement par son épouse qui disposait de revenus annuels de 44 000 euros.
Il a été précédemment indiqué que M. [N] ne disposait d’aucun patrimoine immobilier.
Il produit en outre sur sommation de la banque des éléments concernant son patrimoine mobilier dont il ressort qu’il était au moment de la souscription de son engagement également détenteur d’un actif mobilier constitué comme suit’:
– le solde créditeur du compte courant de la société Alcane Finances dont M. [N] justifie qu’il était au moment de la souscription de son engagement créditeur de 20 046 euros,
– la somme de 6 678 euros au titre de la valorisation de ses parts dans la société Alcane Finances’;
ces sommes n’ayant certes pas été déclarées dans la fiche de renseignements mais pour lesquelles M. [N] justifie par ses pièces n° 7 et 8 qu’elles ont été portées à la connaissance de la Caisse d’Epargne qui disposait des comptes de la société Alcane Finances'(holding de la société Reale) ;
En revanche, la somme de 135 000 euros provenant du compte courant d’associé de la société Alcane Finances (pièce n° 12 de l’appelant) ne peut pas être ajoutée à l’actif mobilier dont il disposait au jour de son engagement contrairement à ce que soutient la Caisse d’Epargne dans la mesure où la convention signée entre la société et M. [N] le 15 juillet 2008 prévoit que ce compte est bloqué au profit du Crédit Agricole.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que même en rajoutant l’actif mobilier omis dans la fiche patrimoniale et ce pour un montant cumulé de 26 724 euros, le cautionnement important souscrit par M. [N], non garanti par le moindre actif immobilier, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La décision de première instance, qui ne pouvait en tout état de cause être motivée au regard d’éléments hypothétiques (les premiers juges ont indiqué qu’il résultait des éléments versés aux débats qu’ils laissaient supposer que M. [N] serait en capacité de faire face à l’appel de la caution pour un montant de 169 000 euros), sera infirmée.
* l’engagement de caution du 24 juillet 2018′:
La situation de M. [N] au titre de ses revenus et de son patrimoine était sensiblement la même que celle décrite précédemment (ses revenus annuels ont juste été légèrement majorés par rapport à ceux déclarés lors de son premier engagement ) et il ne disposait toujours pas de patrimoine immobilier.
Si le cautionnement souscrit auprès de la BNP pour un montant de 150 000 euros pouvait être considéré comme étant éteint au jour de la souscription de cet engagement dans la mesure où il garantissait un prêt accordé par la BNP à la société Reale, prêt racheté par celui accordé par la Caisse d’Epargne à cette société le 24 juillet 2018, il n’en demeure pas moins que le premier engagement de caution du 28 juin 2017 pour un montant de 169 000 euros était toujours en cours et qu’il est donc venu accroître l’endettement de M. [N].
Ce second engagement est par conséquent de plus fort manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
* la situation de la caution au jour où elle est appelée’:
Les cautionnements objet du litige étant manifestement disproportionnés, il appartient à ce stade à la Caisse d’Epargne de démontrer que M. [N] est en mesure, au moment où il est appelé, de faire face à ses engagements.
La banque ne peut donc exiger de la caution qu’elle produise les éléments de revenus et de patrimoine de l’année 2020, moment où elle a été assignée.
M. [N] justifie en tout état de cause qu’il est inscrit à Pôle Emploi et que ses revenus ne lui permettent pas d’exécuter ses engagements.
La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe ne peut par conséquent se prévaloir des engagements souscrits par M. [N] et sera par conséquent déboutée de ses demandes en paiement.
L’article 700 du code de procédure civile’:
La décision sera infirmée.
L’équité justifie qu’il soit alloué à M. [N] la somme de 3 000 euros pour l’ensemble de la procédure.
Succombant en ses prétentions, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.
Les dépens’:
La décision sera infirmée.
La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS’:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire’;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le
22 mars 2022.
Statuant à nouveau’;
Dit que la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe ne peut se prévaloir des cautionnements souscrits par M. [Y] [N] les 28 juin 2017 et 24 juillet 2018.
En conséquence, la déboute de l’intégralité de ses demandes.
Y ajoutant’;
Condamne la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe à payer à M. [Y] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La déboute de sa demande à ce titre.
Condamne la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est Europe aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE