2 mai 2023
Cour d’appel de Fort-de-France
RG n°
21/00034
Chambre civile
ARRET N°
N° RG 21/00034
N��Portalis DBWA-V-B7F-CGHZ
S.A.S. COMPAGNIE CARIBEENNE DE GEOTHERMIE
S.A.S. SOLEIL DE MARTINIQUE
C/
Me [M] [V]
S.A. ENERGIE DE MARTINIQUE
S.A.S. BIOMASSE DE MARTINIQUE
S.A.S. GEOTHERMIE DE MARTINIQUE
S.A.S. SOLAIRE DE MARTINIQUE
MINISTERE PUBLIC
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 02 MAI 2023
Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Mixte de Commerce de Fort de France, en date du 22 Décembre 2020, enregistré sous le n° 2018003842 ;
APPELANTES :
S.A.S. COMPAGNIE CARIBEENNE DE GEOTHERMIE, représentée par son président en exercice, la SAS COMPAGNIE FRANCAISE DE GEOTHERMIE, représentée elle-même par son directeur général en exercice M. [E] [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle LEGUIN de la SELAS FIDAL, avocat postulant, au barreau de MARTINIQUE
Me Carlo RICCI, avocat plaidant, au barreau de CHARTRES
S.A.S. SOLEIL DE MARTINIQUE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Yasmina KEÏTA-CAPITOLIN, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMES :
SELARL MONTRAVERS [V], prise en la personne de Maître [M] [V], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Anonyme d’Economie Mixte Locale – ENERGIE DE MARTINIQUE
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Gaëlle DE THORE, de OVEREED AARPI, avocat au barreau de MARTINIQUE
LA SOCIÉTÉ ANONYME D’ECONOMIE MIXTE LOCALE – ENERGIE DE MARTINIQUE représentée par Maître [M] [V], associé de la SELARL MONTRAVERS [V], ès qualités de mandataire liquidateur
8, la Trompeuse
Centre d’affaire de Californie
[Localité 6]
Représentée par Me Gaëlle DE THORE, de OVEREED AARPI, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.A.S. BIOMASSE DE MARTINIQUE
8, la Trompeuse
Centre d’affaires Californie
[Localité 6]
Non représentée
S.A.S. GEOTHERMIE DE MARTINIQUE
8, la Trompeuse
Centre d’affaire de Californie
[Localité 6]
Non représentée
S.A.S. SOLAIRE DE MARTINIQUE
8, la Trompeuse
Centre d’affaire de Californie
[Localité 6]
Non représentée
MINISTERE PUBLIC :
L’affaire a été communiquée au Ministère public, en la personne de Mme Fanny REYREAUD, vice-procureure placée, qui a fait connaître son avis.
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Mars 2023 sur le rapport de Madame Christine PARIS, devant la cour composée de :
Présidente : Mme Christine PARIS, Présidente de Chambre
Assesseur : Mme ANNE FOUSSE, Conseillère
Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière, lors des débats : Mme Micheline MAGLOIRE,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 02 Mai 2023 ;
ARRÊT : Défaut
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 450 du code de procédure civile.
Exposé du litige
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement du 10 mai 2016, le tribunal mixte de commerce de Fort de France a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société anonyme d’économie mixte locale ENERGIE DE MARTINIQUE (SAEML EDM), et désigné Maître [M] [V], associé de la SELARL MONTRAVERS [V], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploits d’huissier délivrés le 25 octobre 2018, Maître [M] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAEML EDM, a fait assigner :
– la SAEML EDM,
– la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE,
– la SAS BIOMASSE DE MARTINIQUE,
– la SAS SOLAIRE DE MARTINIQUE,
– la SAS GEOTHERMIE DE MARTINIQUE (SAS GDM),
– la SAS COMPAGNIE CARIBEENNE DE GEOTHERMIE (SAS CCG), devant le tribunal mixte de commerce de Fort de France aux fins de voir prononcer l’extension de la procédure de liquidation judiciaire à leur égard au motif de l’existence d’une confusion de patrimoine.
Par jugement réputé contradictoire du 22 décembre 2020, le tribunal mixte de commerce de Fort de France a :
– débouté la SAS CCG de ses demandes tendant à rendre inopposable le rapport établi par le cabinet d’expertise comptable COGEED,
– ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 10 mai 2016 à l’encontre de la SAEML EDM à :
– la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE,
– la SAS BIOMASSE DE MARTINIQUE,
– la SAS SOLAIRE DE MARTINIQUE,
– la SAS GEOTHERMIE DE MARTINIQUE,
– la SAS CCG,
– désigné M. [Z] [H] en qualité de juge-commissaire,
– désigné la SELARL MONTRAVERS-YANG-TING prise en la personne de Maître [M] [V] en qualité de mandataire liquidateur judiciaire,
– renvoyé l’affaire à l’audience du 12 octobre 2021 à 14h00 en vue de la clôture de la procédure,
– ordonné les mesures de publicité légale,
– débouté la SAS CCG de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire.
Par déclaration électronique du 8 janvier 2021, la SAS CCG a interjeté appel de cette décision en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes tendant à rendre inopposable le rapport établi par le cabinet d’expertise comptable COGEED, ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 10 mai 2016 à l’encontre de la SAEML EDM à la SAS CCG et en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration électronique du 15 janvier 2021, la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE a interjeté appel de cette décision en ce qu’elle a :
– débouté la SAS CCG de ses demandes tendant à rendre inopposable le rapport établi par le cabinet d’expertise comptable COGEED,
– ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 10 mai 2016 à l’encontre de la SAEML EDM à la SA SOLEIL DE MARTINIQUE,
– désigné M. [Z] [H] en qualité de juge-commissaire,
– désigné la SELARL MONTRAVERS-YANG-TING prise en la personne de Maître [M] [V] en qualité de mandataire liquidateur judiciaire,
– renvoyé l’affaire à l’audience du 12 octobre 2021 à 14h00 en vue de la clôture de la procédure,
– ordonné les mesures de publicité légale,
– débouté la SA SOLEIL DE MARTINIQUE de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire.
Les procédures ont été orientées à bref délai.
Aux termes de ses conclusions du 3 février 2021 et du 18 août 2021notifiées aux parties constituées le 4 février 2021 et le 29 octobre 2021, le procureur général sollicite la confirmation du jugement entrepris pour les motifs qui y sont exposés, le rapport de l’expertise ordonnée par le juge commissaire ayant pu être débattu contradictoirement par les parties.
Les deux procédures d’appel ont été jointes par ordonnance du 26 février 2021 sous la référence RG n°21/00034.
La procédure avait initialement été clôturée le 19 mai 2022 et fixée à l’audience collégiale rapporteur du 27 mai 2022.
Par un arrêt en date du 5 juillet 2022, la cour d’appel de Fort-de-France a ordonné le renvoi de l’affaire à l’audience collégiale de plaidoirie du 23 septembre 2022, sans rabat de l’ordonnance de clôture.
L’audience du 23 septembre 2022 a été reportée au 24 février 2023 puis au 3 mars 2023.
Moyens
Aux termes de ses conclusions d’appel n°3, notifiées par voie électronique le 9 mars 2022, la SAS CCG demande à la cour de :
– INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Mixte de Commerce de Fort de France en date du 22 décembre 2020 en ce qu’il a :
– débouté la SAS CCG de ses demandes tenant à rendre inopposable le rapport établi par le cabinet d’expertise comptable COGEED,
– ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 10 mai 2016 à l’encontre de la SAEML EDM à la SA CCG,
– débouté la SA CCG de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur ces points :
– DÉBOUTER la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités de l’ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS CCG ;
– CONDAMNER la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités à payer à la SAS CCG la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités aux entiers dépens d’appel.
Au soutien de ses prétentions, la SAS CCG fait valoir que le rapport du cabinet d’expertise comptable COGEED lui est inopposable en ce qu’il a été établi non contradictoirement par un expert désigné par le juge commissaire de la procédure collective. Au surplus elle souligne que sa mission décrite dans le rapport ne correspond pas à celle ordonnée par l’ordonnance du juge commissaire du 17 juin 2016 qui consistait à obtenir des informations sur la comptabilité de la SAEML EDM. La SAS CCG explique que la requête du liquidateur judiciaire visant à compléter cette mission, prise en compte par l’expert, n’a pas fait l’objet d’un renvoi dans le dispositif de l’ordonnance, et qu’en conséquence l’expert n’était saisi que de la mission définie expressément par le juge commissaire alors qu’il est allé au-delà, ce qui affecte d’un vice de forme le rapport litigieux qui doit être écarté.
La SAS CCG considère que l’extension de la procédure de liquidation est injustifiée.
Selon la société appelante, la preuve d’une confusion des patrimoines des différentes filiales pour lesquelles l’extension de la procédure de liquidation judiciaire a été ordonnée, n’est pas rapportée. En outre, aucune relation financière anormale entre la SAS CCG et la SAEML EDM n’est justifiée. A cet égard, elle conteste avoir pu bénéficier de la mise à disposition de trois membres du personnel de la SAEML EDM. Selon la société appelante, une maison mère peut ne pas facturer à sa filiale des prestations d’assistance lorsque celle-ci n’a pas débuté son activité. Elle rappelle à ce titre avoir eu comme seule activité l’élaboration d’une étude de marché confiée aux sociétés TRANSENERGIE et GTA, de sorte qu’aucun employé de la SAEML EDM n’a pu avoir une quelconque activité en son sein. Elle déclare que seule Mme [N] de la SAEML EDM est intervenue en 2014 lors de la constitution de la SAS CCG dans le cadre d’une rémunération contractuellement convenue. La SAS CCG fait ainsi grief au cabinet COGEED d’avoir simplement effectué une analyse comptable, sans vérification des prestations effectivement réalisées et considère qu’aucune sous-facturation ne peut être retenue par rapport au « business » plan de la SAEML EDM. La SAS CCG explique avoir fait appel à l’analyse d’un expert-comptable, M. [W], afin de réaliser une nouvelle analyse de la situation comptable des sociétés CCG et EDM. Elle fait valoir que l’expert indique pour les exercices 2014 et 2015, que les charges de la SAEML EDM concernent des coûts internes, non liées à l’activité de ses filiales.
La société appelante conteste également que l’arrêt de la facturation prévue dans le contrat de prestation de services signé le 16 juin 2014 entre la SAEML EDM et la SAS CCG constitue une sous facturation. Elle indique qu’au regard dudit contrat, la SAEML EDM devait assister la SAS CCG lors de sa création afin de réaliser les démarches dans la perspective d’une étude de marché. Dès 2015, dans l’attente du résultat de l’étude, elle affirme que la SAEML EDM a cessé de lui fournir les prestations convenues, entraînant ainsi l’arrêt de la facturation. Elle précise que c’est le cabinet SOPHIA qui a par la suite été rémunéré afin d’effectuer le suivi comptable de la SAS CCG. A ce titre, elle indique que M. [W] certifie que le contrat de prestations du 16 juin 2014 n’a pas été mis en oeuvre en 2015.
La SAS CCG fait également observer que la confusion de patrimoine ne peut résulter du fait que des locaux ont été mis à sa disposition par la SAEML EDM sans contrepartie. Elle explique qu’en l’absence d’activité, elle n’a jamais eu de salariés et donc n’a jamais utilisé lesdits locaux.Elle a changé depuis son siège social qui est situé à [Localité 7]. Elle déclare avoir uniquement bénéficié d’une domiciliation à des fins administratives et postales. Elle précise également que la somme de 76.000 euros prêtée par la SAEML EDM ne nécessitait pas de convention écrite. La SAS CCG rappelle que la société mère SAEML EDM avait pour rôle de la financer, de sorte que cette avance de trésorerie en compte courant d’associé n’est pas anormale, ayant été en outre décidée par le conseil d’administration de la SAEML EDM. Elle précise que M. [W], expert, indique également que l’avance financière de 76.000 euros résulte des engagements du 3 avril 2015 et demeure conforme à l’objet social de la SAEML EDM.
Enfin, la SAS CCG réfute être une société fictive. Elle rappelle que la SAS CCG et la SAEML EDM ont des associés distincts, une comptabilité distincte et une activité distincte.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives d’appelante notifiées par voie électronique le 10 décembre 2021, la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE demande à la cour de :
– RECEVOIR la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE en ses demandes,
– INFIRMER le jugement rendu le 22 décembre 2020 par le tribunal mixte de Commerce de Fort-de-France en ce qu’il a :
– ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 10 mai 2016 à l’encontre de la SAEML EDM à la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE,
– débouté la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE de ses demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
Statuant à nouveau sur ces points :
– DÉBOUTER la SELARL MONTRAVERS [V] ès qualités de l’ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS SOLEIL DEMARTINIQUE ;
– CONDAMNER la SELARL MONTRAVERS [V] ès qualités à payer à la SAS SOLEIL DE MARTINIQUE la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER SELARL MONTRAVERS [V] ès qualités aux entiers dépens d’appel.
Se fondant sur l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme, la SAS Soleil de Martinique conteste le rapport d’expertise comptable COGEED qui n’est pas contradictoire à son égard et qui a été détourné de sa finalité définie par l’ordonnance du juge commissaire. Elle fait sienne l’argumentation de la SAS CCG.
Elle reproche au tribunal de ne pas avoir répondu à ses moyens et de s’être fondé exclusivement sur le rapport contesté et contestable de la COGEED.
La SAS Soleil de Martinique conteste que les conventions d’occupation du territoire obtenues par la SAEML EDM et portant sur six lycées lui aient été transférées sans contrepartie. A ce titre, elle précise que par délibération du 28 mai 2015, le conseil régional de Martinique a mis à la disposition de la SAEML EDM des surfaces de toitures et de parkings du patrimoine régional, tout en précisant que les conditions de mise à disposition seraient définies par une convention d’occupation temporaire. Elle rappelle en outre que la SAEML EDM a été autorisée par le conseil régional à céder son droit d’occupation à ses filiales. La SAS Soleil de Martinique indique en revanche que le conseil d’administration de la SAEML EDM ne lui a jamais cédé les six conventions d’occupation temporaire. Elle fait valoir que ces conventions, qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle de légalité, n’ont, soit jamais été rédigées, soit jamais été signées par le conseil régional de Martinique, soit jamais transférées à la SAEML EDM. En l’absence de transfert des conventions d’occupation temporaire, la SAS Soleil de Martinique fait remarquer que ce n’est pas à elle d’assumer le fait qu’elle n’a pu réaliser les prestations attendues.
La SAS Soleil de Martinique fait en outre grief au jugement querellé d’avoir retenu une confusion des patrimoines entre elle et la SAEML EDM. Elle indique à cet égard que l’adresse de son siège social diffère de celui de la maison mère. Elle justifie le paiement d’un salarié de la SAEML EDM pendant un an, et conteste ainsi la mise à disposition non rémunérée par la SAEML EDM de ses salariés.
Se basant sur l’analyse comptable de M. [W] établie à la demande de la SAS CCG, la SAS Soleil de Martinique conteste avoir sous-facturé des prestations administratives consenties par la SAEML EDM tel que retenu par le rapport du cabinet COGEED. A ce titre, elle fait observer que ledit rapport s’est fondé sur des facturations prévisionnelles forcément différentes des facturations finales. Elle expose par ailleurs qu’elle est la filiale ayant le plus facturé les frais de gestion administratifs, justifiant ainsi, dans l’attente des conventions d’occupation temporaire, disposer d’une véritable activité indépendante. Ayant ses propres locaux dans la zone de Manhity, la SAS Soleil de Martinique explique qu’aucune contrepartie financière n’était due à la SAEML EDM.
Enfin, elle indique que le 10 mars 2015, le conseil d’administration de la SAEML EDM a décidé que la somme de 174.605 euros avancée par elle ne devait être remboursée qu’à compter de la réalisation du projet des toitures relatif aux lycées. Or, elle rappelle que ces projets n’ont jamais été déclenchés et que les conventions invoquées ne sont pas produites. Elle considère cette somme comme une facilité de paiement, sans que cela ne puisse constituer une confusion de patrimoines.
Aux termes de ses conclusions d’intimé notifiées par voie électronique le 8 février 2022, Maître [M] [V], associé de la SELARL MONTRAVERS [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAEML EDM, demande à la cour de :
– CONFIRMER dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France le 22 décembre 2020, ayant notamment prononcé l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SAEML EDM aux sociétés CCG et SOLEIL DE MARTINIQUE.
A titre liminaire, le liquidateur judiciaire fait valoir que l’expertise ordonnée par le juge commissaire ne constitue pas une mesure d’instruction. Seul a été désigné un expert technicien à qui il ne peut être fait grief de ne pas avoir échangé contradictoirement. Son rapport doit uniquement être versé aux débats et être soumis à la discussion contradictoire dans le cadre de la présente instance. L’intimé considère ainsi que l’appelante ne peut se prévaloir des dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile. Il estime en outre que le technicien s’est parfaitement conformé à sa mission qui consistait à analyser la comptabilité de la SAEML EDM tel qu’il résultait de la requête du mandataire liquidateur, sans outrepasser les limites de sa mission.
Le liquidateur judiciaire rappelle au visa des articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce que la confusion des patrimoines peut résulter de relations financières anormales mais également de flux patrimoniaux sans contrepartie entre deux entités.
A cet égard, le liquidateur judiciaire fait tout d’abord remarquer qu’une partie des revenus de la SAEML EDM devait provenir de la facturation aux filiales de missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage effectuées par ses salariés au sein desdites filiales. Or, il révèle que l’expert a constaté, au regard des charges de personnels supportées, des sous-facturations voir l’absence de facturation par la SAEML EDM. Le liquidateur judiciaire considère ainsi que la SAEML EDM a supporté sans contrepartie des charges pour le compte de ses filiales. Se prévalant de l’expertise réalisée par le cabinet COGEED, le liquidateur judiciaire constate par ailleurs que seule une partie des facturations justifiées a finalement été réglée. Il soutient ainsi que la société mère a mis son personnel à disposition de ses filiales gracieusement, constituant des flux financiers anormaux.
Le liquidateur judiciaire ajoute qu’une partie des revenus de la SAEML EDM devait provenir également de la facturation aux filiales de frais de gestion administrative et financière tel qu’il résultait de conventions conclues avec chacune des filiales. Or, selon lui, seule une partie des prestations prévues au contrat a été facturée.
Pour le liquidateur, ces sous-facturations, qui représentent la somme de 463.835 euros, sont des détournements d’actifs au détriment de la SAEML EDM ayant causé directement sa cessation des paiements et sont constitutifs d’ indices d’une confusion de patrimoine.
Le liquidateur judiciaire rappelle que la SAEML EDM a acquis un ensemble immobilier dans lequel chacune des filiales a fixé son siège social. L’occupation des locaux devait ainsi générer des loyers à hauteur de 98 004,50 € par an qui, selon l’expert, n’ont jamais été facturés, constituant une nouvelle anomalie financière. Le liquidateur judiciaire soulève à cet égard la fictivité de la SAS CCG qui explique l’absence de facturation par le fait qu’elle n’a jamais eu d’activité.
Enfin le liquidateur judiciaire afin de justifier une relation financière anormale caractérisant une confusion de patrimoines, se prévaut des octrois d’avances et des transferts d’actifs sans contrepartie. Se prévalant de l’expertise réalisée, il remarque que les société GDM et CCG ont reçu des avances sans aucune contrepartie réalisées durant la période suspecte qui ne peuvent constituer des apports en compte courant ou des facilités de paiement. En outre, il soutient que des créances non recouvrées détenues par la SAEML EDM doivent également être assimilées à des avances sans contrepartie. Selon l’expert, le montant des actifs transférés s’élève à la somme de 482.350 euros. Toujours se prévalant de l’expertise réalisée, il fait remarquer que le droit d’occupation accordé par le conseil régional de Martinique a été concédé directement à la société SDM, sans rétrocession, ce qui ne caractérise pas une relation normale entre deux sociétés.
En raison des différents indices graves et concordants exposés constituant une confusion de patrimoines entre la SAEML EDM et ses filiales, le liquidateur judiciaire sollicite l’extension de la liquidation judiciaire de la SAEML EDM à chacune d’entre elles.
La SAS Biomasse de Martinique, la SAS Solaire de Martinique et la SAS Géothermie de Martinique n’ont pas constitué avocat.
Les significations des deux déclarations d’appel, les 19 janvier 2021 et 18 février 2021 n’ayant pas été faites notamment à personne pour la SAS Biomasse de Martinique,pas plus que la signification des conclusions justifiée en cours de délibéré, l’arrêt sera rendu par défaut.
Par note en délibéré du 23 mars 2023 la cour a soulevé la caducité des deux déclarations d’appel à l’égard de la SAS Biomasse de Martinique, la SAS Solaire de Martinique et la SAS Géothermie de Martinique en l’absence de dépôt de la signification des conclusions des appelantes dans le mois suivant leurs conclusions en application des dispositions des articles 905-2 et 911 du code de procédure civile. Les parties constituées ont été invitées à faire valoir leurs observations avant le 17 avril 2023.
En réponse le 5 avril 2023 la SAS CCG s’oppose à la caducité et produit les actes de signification de ses conclusions d’appel en date du 19 mars 2021 aux trois sociétés non constituées par actes déposés à l’étude.
Par note en délibéré en réponse en date du 17 avril 2023, la SAS Soleil de Martinique conteste également la caducité et produit les actes de signification aux 3 trois sociétés non constituées selon procès verbaux de recherches infructueuses du 22 mars 2021.
Aucune autre observation n’a été reçue.
L’ordonnance de clôture est en date du 19 mai 2022 et l’affaire été mise en délibéré au 2 mai 2023.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la caducité de la déclaration d’appel à l’égard de SAS Biomasse de Martinique, la SAS Solaire de Martinique et la SAS Géothermie de Martinique
Aux termes des dispositions de l’article 905-2 du code de procédure civile à peine de caducité de la déclaration d’appel, l’appelant dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception del’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.
Aux termes des dispositions de l’article 911 du code de procédure civile sous les sanctions prévues aux articles 905-2, 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à cet article aux parties qui n’ont pas constitué avocat.
La SAS CCG a fait appel par déclaration en date du 8 janvier 2021 indiquant comme intimé l’ensemble des parties de 1ère instance. L’avis d’orientation à bref délai est du 19 janvier 2021. Si elle a déposé les actes de signification de sa déclaration d’appel aux parties non constituées, en cours de délibéré après la note de la cour elle a également déposé les actes de signification de ses conclusions du 18 février 2021 effectué aux parties non constituées selon actes déposés à l’étude.
La déclaration d’appel de la SAS CCG n’est dès lors pas caduque à l’égard de la SAS Solaire de Martinique, la SAS de Géothermie de Martinique et la SAS Biomasse de Martinique.
La SAS Soleil de Martinique a fait appel par déclaration en date du 15 janvier 2021 et visait comme intimés, l’ensemble des parties en première instance. L’avis d’orientation à bref délai est en date du 21 janvier 2021. Elle a conclu le 22 février 2021 et justifie avoir signifié sa déclaration d’appel à la SAS de Géothermie de Martinique et la SAS Biomasse de Martinique,le 28 janvier 2021 .En cours de délibéré après la note de la cour, elle a justifié avoir signifié ses conclusions aux parties non constituées selon procès verbaux de recherches infructueuses du 22 mars 2021.
On ne peut dès lors que constater l’absence de caducité des deux déclarations d’appel à l’égard de la SAS Solaire de Martinique, la SAS de Géothermie de Martinique et la SAS Biomasse de Martinique, compte tenu des éléments produits à la demande de la cour et en délibéré.
Sur le rapport ordonné par le juge commissaire
Aux termes des dispositions de l’article L 621 -9 du code de commerce, le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence.
Lorsque la désignation d’un technicien est nécessaire, seul le juge-commissaire peut y procéder en vue d’une mission qu’il détermine, sans préjudice de la faculté pour le tribunal prévu à l’article L621-4 de désigner un ou plusieurs experts.
La chambre commerciale de la cour de cassation considère, en refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, que « les dispositions de l’article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce, qui se bornent à conférer compétence au juge-commissaire pour désigner un technicien en vue d’une mission
ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, les droits de la défense, le principe de la contradiction ou celui de l’égalité des armes » (Com., 1er févr. 2011, no 10-40.057).
Néanmoins l’expert ne peut effectuer des investigations au-delà de la mission qui lui est confiée.
La cour ne peut que constater que l’expert a été désigné par ordonnance du juge commissaire du 17 juin 2016, qui, après visa de
» la requête et des motifs y exposés » ainsi que des articles du code de commerce , »de l’information des salariés et l’ensemble des documents comptables, sociaux et juridiques ainsi que les correspondances remis à l’exposant « outre » les observations du président du conseil d’administration » a nommé le cabinet d’expertise comptable COGEED » pour réaliser le rapport sur la comptabilité de la SAEML Energie Martinique » Il a ensuite ordonné la notification au président du conseil d’administration de la SAEML Energie Martinique.
Il ressort d’une jurisprudence constante que l’expert désigné en vertu de ces dispositions n’exécute pas une mesure d’instruction au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile. Il n’a notamment pas à déposer un pré-rapport soumis aux parties. Il n’en demeure pas moins que le technicien désigné doit s’en tenir strictement à la mission qui lui a été confiée.
La cour constate que page 5 du rapport du technicien, celui-ci reproduit la mission dont il s’estime investi, qui correspond à celle demandée par le mandataire dans sa requête mais qui est différente de la mission, certes laconique, ordonnée par le juge-commissaire qui vise uniquement l’examen de « la comptabilité de la SAEML Energie Martinique ». Les autres points correspondent à la requête du mandataire judiciaire datée du 8 juin 2016, visée certes en en-tête de l’ordonnance, mais qui n’était pas jointe à ladite ordonnance, et à laquelle surtout le juge-commissaire n’a pas renvoyé pour définir la mission confiée au technicien.
Dès lors la cour en déduit que le technicien n’était mandaté que pour examiner la comptabilité de la SAEML Energie Martinique pour laquelle une procédure collective était ouverte, le juge-commissaire n’ayant pas repris les demandes du mandataire judiciaire quant aux autres points de la mission sollicitée par ce dernier.
En conséquence le tribunal et a fortiori la cour, ne peuvent se fonder que sur les éléments du rapport correspondant à la mission d’examen de la comptabilité de la SAEML EDM. Le tribunal ne pouvait retenir pour étayer sa décision, les points 4, 5, 6, 7 et 8 du rapport ou à tout le moins, tout élément concernant les filiales et la comptabilité de ces dernières qui n’entraient pas dans la mission du technicien.
Les juges du fond peuvent puiser aisément pour leur conviction, dans tous les documents régulièrement versés aux débats, mais ils ne peuvent toutefois se fonder sur les conclusions et constatations d’un expert qui a outrepassé sa mission.
À défaut l’expert désigné par le juge commissaire pourrait investiguer au-delà du mandat judiciaire, ce qui est contraire aux principes généraux du droit et porte atteinte aux droits de la défense et au principe de sécurité juridique.
Au surplus le rapporteur dans l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2016 cité par le mandataire liquidateur SAEML Energie Martinique rappelle que « bien évidemment, le technicien désigné doit respecter le principe de la contradiction dans la conduite de ses travaux et l’élaboration de son rapport « .
En conséquence c’est à tort que le tribunal s’est fondé sur la partie du rapport du technicien relative notamment aux comptabilités des filiales.
Force est de constater que le mandataire liquidateur pour justifier l’extension de la procédure de liquidation aux filiales, se fonde exclusivement sur l’analyse du technicien qui a outrepassé sa mission. De même le procureur de la République dans ses avis reprend la motivation du tribunal qui lui-même s’est fondé exclusivement sur la partie du rapport du technicie hors mission .
Il convient de rappeler que la charge de la preuve incombe au mandataire liquidateur qui demande l’extension de la procédure de liquidation aux filiales.
Dans un groupe de sociétés les conventions de gestion ,de trésorerie et de change, les échanges de personnel, les avances de fonds par la société mère ne constituent pas des relations financières anormales de même que la domiciliation des filiales au siège de la société mère.
A cet égard la SAS Soleil de Martinique justifie que le 27 novembre 2013, le siège de la société était situé » zone d’activité Manhity au [Localité 6] » et non au siège social de la société mère et qu’elle y était domiciliée légalement selon publication au BODACC du 22 mars 2018. Elle n’a été domiciliée au siège de la maison-mère que selon publication du 18 janvier 2015. La cour constate également que les six conventions d’occupation qui auraient été cédées sans contrepartie par la maison-mère à la SAS Soleil Martinique ne sont pas produites au dossier et un doute sur la réalité de leur signature et de leur transmission à la filiale subsiste.Le 16 septembre 2015 dans un courrier adressé au président du conseil régional de la Martinique, la maison-mère indique que ses équipes ‘préparaient’ les conventions d’occupation temporaire correspondantes, ce qui signifie qu’elles n’étaient ni prêtes ni signées à cette date.Enfin selon procès-verbal du conseil d’administration de la SAEML EDM du 10 mars 2015 la société mère consentait à ce qu’elle ne règle les factures qu’au déclenchement de l’investissement des toitures de la région, investissement dont il n’est pas établi qu’il ait eu lieu.
La SAS CCG produit un rapport intitulé « note technique » d’un expert près de la cour d’appel de Paris, M. [L] [W], qui attribue les difficultés financières de la société mère à des charges de personnel très élevées et à des dépenses qui ne sont pas liées à l’objet social de la société mère ainsi que des investissements sans lien direct avec les besoins de l’activité. Il précise que seules les prestations réalisées par la société mère au service de ses filiales auraient permis d’émettre des facturations aux conditions tarifaires prévues au contrat, mais que ces prestations n’ont pas été réalisées, ce qui explique l’absence de facturation. Il souligne qu’en l’absence d’effectif, les locaux de la société mère n’ont pas été utilisés par la SAS CCG hormis pour domiciliation et il estime qu’il est normal en l’absence d’utilisation des locaux que les loyers n’ainet pas été facturés.
Le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve de flux financiers anormaux entre la société mère et les filiales, n’établit pas que ces filiales soient des sociétés fictives et en conséquence c’est à tort que le tribunal a fait droit à sa demande d’extension de la liquidation judiciaire de la société mère à la SAS CCG et à la SAS Soleil de Martinique
Le jugement du 22 décembre 2020 sera infirmé en toutes ses dispositions dont appel à l’égard de la SAS CCG et la SAS Soleil de Martinique, cette dernière ne formant plus de demande au titre des dépens de 1ère instance dans ses dernières conclusions.
Succombant la SELARL Montravers Yang -Ting, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAEML EDM supportera les dépens d’appel qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective. Il est équitable qu’il conserve ses frais irrépétibles et prenne en charge ès qualités, les frais exposés par la SAS CCG et la SAS Soleil de Martinique pour faire valoir leurs droits, frais évalués à 2000 € pour chacune des deux sociétés au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME en toutes ses dispositions dont appel le jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France en date du 22 décembre 2020 ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE M° [M] [V] de la SELARL MontraversYang Ting ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAEML Energie de Martinique de l’ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS Compagnie Caribéenne de Géothermie ( la SAS CCG ) ;
DÉBOUTE M° [M] [V] de la SELARLMontravers [V] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAEML Energie de Martinique de l’ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS Soleil de Martinique ( SAS SDM) ;
CONDAMNE M° [M] [V] de la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAEML Energie de Martinique aux entiers dépens d’appel employés en frais privilégiés de la procédure collective ;
CONDAMNE la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAEML Energie de Martinique à payer à la SAS Compagnie Caribéenne de Géothermie (la SAS CCG) la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SELARL MONTRAVERS [V] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAEML Energie de Martinique à payer à la SAS Soleil de Martinique ( SAS SDM) la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Signé par Mme Christine PARIS, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,