Responsabilité de l’Avocat : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21770

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Responsabilité de l’Avocat : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21770
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2022

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/21770 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE2IM

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 18 novembre 2021 -Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris – RG n° 21/00534

APPELANTE

Madame [V] [S]

Née le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Gabrielle GURDZIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E0310

Ayant pour avocat plaidant Me Etienne CHEVALIER, avocat au barreau de Lille

INTIMÉ

Monsieur [N] [U]

Né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 8] (92)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Bruno MARGUET, avocat au barreau de PARIS, toque : J084

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 31 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte de l’affaire dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Mme Claire DAVID, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, et par Florence Grégori, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Mme [V] [S] a chargé M. [U] [N], avocat, de la défense de ses intérêts dans le cadre d’une action devant le tribunal des affaires de sécurité sociale puis d’une action devant le conseil de prud’hommes, chacune de ces deux missions ayant donné lieu, les 14 novembre 2012 et 8 juin 2013, à la signature d’une convention d’honoraires prévoyant des honoraires forfaitaires et un honoraire de résultat.

Le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale a été rendu le 18 septembre 2014 et Mme [S] en a interjeté appel. A cette occasion, Mme [S] a reproché à M. [N] ses mauvais conseils.

En novembre 2014, M. [N] a informé Mme [S] qu’il se dessaisissait de son dossier et cessait d’être son avocat.

Par décision du 30 septembre 2016, le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris a fixé à 15 000 euros hors taxes le montant des honoraires et dit que, compte tenu du règlement déjà intervenu, Mme [S] restait redevable de la somme de 12 635,69 euros hors taxe.

Par acte du 8 janvier 2021, Mme [S] a fait assigner M. [N] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts, reprochant à son ancien avocat un manquement à son devoir d’information et de conseil quant aux modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant tout au long de sa mission.

Par ordonnance du 18 novembre 2021, le juge de la mise en état a :

– rejeté la demande tendant à constater l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris,

– dit irrecevables les demandes de Mme [S] formées à l’encontre de M. [N],

– l’a condamnée aux dépens,

– l’a condamnée à payer à M. [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration du 10 décembre 2021, Mme [S] a interjeté appel à l’encontre de cette ordonnance limité à ce qu’il a déclaré irrecevable son action et l’a condamnée aux dépens et au paiement d’une somme de 1 500 euros.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 avril 2022, Mme [S] demande à la cour de :

– infirmer l’ordonnance,

– statuer à nouveau et confirmer que son action est recevable et non prescrite,

– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers frais et dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 26 mai 2022, M. [N] demande à la cour de :

– se déclarer incompétent rationae materiae et renvoyer éventuellement les parties devant Mme la bâtonnière du barreau de Paris,

– à titre principal, déclarer prescrite la demande de Mme [S] au regard des dispositions de l’article 2225 du code civil,

– en conséquence, confirmer l’ordonnance dont appel,

– à titre subsidiaire, déclarer prescrite la demande de Mme [S] au regard des dispositions de l’article 2224 du code civil,

– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur l’exception d’incompétence

Le juge de la mise en état a rejeté l’exception d’incompétence en ce que :

– la demande de Mme [S] tend à la condamnation de M. [N] au paiement de dommages-intérêts à raison d’une faute qui lui est imputée, quand bien même ces dommages-intérêts correspondent au montant des honoraires dont elle a assumé la charge,

– l’action se distingue donc d’une demande de taxation d’honoraires, en l’absence de contestation relative à leur montant et aux prestations assurées dans leur nature ou dans leur volume de sorte que le présent litige relève bien de l’appréciation du juge de droit commun.

Mme [S] demande la confirmation de l’ordonnance sur ce point.

M. [N] répond que :

– les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 attribuent une compétence exclusive au bâtonnier en matière de contestation d’honoraires et de débours,

– le défaut d’information et de conseil allégué a été soulevé dans le cadre de la procédure initiée par Mme [S] de sorte que le bâtonnier a ainsi pu l’apprécier et l’intégrer à l’examen de l’entier litige afin de fixer le montant définitif des honoraires éventuellement dus,

– la procédure initiée par Mme [S] aboutirait à permettre aux juridictions civiles de fixer, in fine, le montant des honoraires dus à l’avocat,

– la décision du bâtonnier est, à ce jour, définitive puisque les voies de recours ont été épuisées, sans succès, par Mme [S], de sorte que la cour doit déclarer le tribunal judiciaire incompétent et la renvoyer devant le bâtonnier de Paris.

La procédure spéciale prévue par l’article 174 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 ne s’applique qu’aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier n’a pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l’avocat à l’égard de son client résultant d’un manquement de ce dernier à ses obligations et notamment celle d’information du client quant aux modalités de détermination de ses honoraires et à l’évolution prévisible de leur montant, cette appréciation relevant de la juridiction de droit commun saisie d’une action en responsabilité professionnelle engagée par l’ancien client à l’encontre de l’avocat.

Le bâtonnier l’a d’ailleurs expressément rappelé lorsqu’il a statué sur la contestation d’honoraires formée par Mme [S].

L’ordonnance du juge de la mise en état doit être confirmée en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par M. [N].

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Le juge de la mise en état a jugé que l’action de Mme [S] était irrecevable en ce que :

– l’action en responsabilité formée par Mme [S] est fondée sur la méconnaissance imputée à M. [N] de son obligation d’informer sa cliente, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination de ses honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant, dans le cadre de la convention d’honoraires conclue en vue de cette mission d’assistance et de représentation en justice,

– il s’agit donc d’une action en responsabilité dirigée contre une personne ayant représenté ou assisté son client en justice, soumise au délai de prescription spécial prévu par l’article 2225 du code civil,

– la mission de M. [N] a pris fin le 25 novembre 2014, date du courriel adressé à sa cliente pour l’informer qu’il cessait de s’occuper de son dossier, de sorte que l’action est prescrite pour avoir été introduite 5 ans après cette date.

Mme [S] fait valoir que son action introduite le 8 janvier 2021 est recevable en ce que :

– l’action résultant de la demande de réparation du préjudice découlant du manquement à l’obligation d’information de l’avocat sur les modalités de détermination des honoraires et leur évolution prévisible est une action qui n’est pas rattachée à la mission de représentation, de sorte que l’action en responsabilité est une action soumise à la prescription de l’article 2224 du code civil,

– l’information communiquée par M. [N] par courriel du 25 novembre 2014 – à savoir la menace de facturation suivant un taux horaire de 200 euros HT- ne peut être regardée comme suffisante pour considérer qu’elle a connu les faits lui permettant d’engager une action en responsabilité, faute pour lui d’avoir fait une demande claire et explicite,

– le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où l’avocat lui a présenté sa 1ère demande de taxation soit le 10 mars 2016, et même au jour de la décision du bâtonnier du 30 septembre 2016, puisque c’est à ce moment que le préjudice s’est matérialisé de manière certaine,

– le juge de la mise en état a fait une erreur en retenant l’application de l’article 2225 du code civil, aucun lien avec des fautes commises dans le cadre des missions confiées n’étant caractérisé, les faits reprochés ne concernant que les conditions de conclusion des conventions d’honoraires.

M. [N] répond que :

– la convention d’honoraire formait un tout indivisible avec la mission de représentation dont elle a été le premier acte,

– la demande doit être examinée au regard des dispositions de l’article 2225 du code civil qui fixe le point de départ du délai de prescription à la fin de la mission de l’avocat et Mme [S] tente vainement de repousser ce point de départ au jour où son préjudice a été certain voire définitif,

– or la fin de sa mission a été notifiée par M. [N] à sa cliente, par courriel du 25 novembre 2014 et la procédure a été initiée par assignation délivrée le 8 janvier 2021, soit plus de cinq ans après la fin de la mission,

– à titre subsidiaire, si la cour retenait l’application de l’article 2224 du code civil, la prescription serait également acquise, Mme [S] disposant, dès le 25 novembre 2014, de tous les éléments de fait pour enclencher la présente procédure, à savoir la caducité de la convention, et la taxation des honoraires de M. [N] sur la base d’un taux horaire fixé à 200 euros HT.

L’article 2225 du code civil dispose que :

L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

L’article 10 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat dans sa version applicable du 16 mai 2007 au 05 août 2017 prévoyait que :

A défaut de convention entre l’avocat et son client, les honoraires sont fixés selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de la notoriété et des diligences de celui-ci. L’avocat chargé d’un dossier peut demander des honoraires à son client même si ce dossier lui est retiré avant sa conclusion, dans la mesure du travail accompli.

L’avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant. Le cas échéant, ces informations figurent dans la convention d’honoraires.

Il ressort de ces dispositions que l’obligation d’information de M. [N] sur les modalités de détermination de ses honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant était une obligation qui devait être remplie dans le cadre des deux missions qui lui ont été confiées en 2012 et 2013, dès sa saisine, dans le cadre des conventions d’honoraires signées et pendant toute la durée des missions confiées.

Cette obligation d’information relève des deux missions données et les dispositions de l’article 2225 du code civil lui sont donc applicables.

M. [N] a mis fin aux deux missions de représentation confiées le 24 novembre 2014 et l’action en responsabilité intentée par Mme [S] le 8 janvier 2021 soit plus de six ans après la fin de ses missions est prescrite et l’ordonnance du juge de la mise en état est confirmée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.

Les dépens d’appel doivent incomber à Mme [S], partie perdante, laquelle est également condamnée à payer à M. [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état en toutes ses dispositions,

Condamne Mme [V] [S] aux dépens,

Condamne Mme [V] [S] à payer à M. [U] [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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