Responsabilité de l’Avocat : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/00085

·

·

Responsabilité de l’Avocat : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/00085
Ce point juridique est utile ?

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 9

ARRET DU 07 NOVEMBRE 2022

(N° /2022, 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00085 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KY5

Décision déférée à la Cour : Décision du 22 Janvier 2019 -Bâtonnier de l’ordre des avocats de PARIS – RG n° 211/312359

APPELANTE

LA SAS EDEIS

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Ludovic CUZZI de la SELARL PARME AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R272 substituée à l’audience par Me Lucie DELILLE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

LA LLP EVERSHEDS SUTHERLAND

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Sandra NOYELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0213

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M Michel RISPE, Président de chambre, entendu en son rapport et Mme Laurence CHAINTRON, Conseillère à la cour d’appel de Paris.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

Monsieur Michel RISPE, Président de chambre

Madame Laurence CHAINTRON, Conseillère

Mme Sylvie FETIZON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eléa DESPRETZ

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Michel RISPE, Président de chambre et par Eléa DESPRETZ, Greffière présente lors du prononcé.

****

RÉSUMÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland (France), inscrit au barreau de Paris en application de la Directive 98/5/CE a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, par courrier en date du 12 octobre 2018, d’une demande en fixation des honoraires dus par sa cliente, la société Edeis, à hauteur de 95.034 euros hors taxes, outre la somme de 10.000 euros hors taxes à titre de bonus, dont 80.000 euros hors taxes avaient été réglés à titre de provision, outre la somme de 3.843,96 euros hors taxes à titre de débours et celle de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le bâtonnier de l’ordre des avocats a accusé réception de la réclamation par lettres recommandées avec demande d’avis de réception en date du 17 octobre 2018 et, en application des dispositions de l’article 175 du décret du 27 novembre 1991, a convoqué les parties devant Me [C] [S], avocat honoraire, rapporteur désigné, pour le 27 novembre 2018.

Après avoir pris connaissance de l’exposé et des observations du rapporteur, qui avait recueilli les explications des parties, par une décision contradictoire rendue le 22 janvier 2019, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris :

– s’est déclaré incompétent au profit des juridictions de droit commun pour examiner les griefs susceptibles de mettre en cause la responsabilité éventuelle du cabinet Llp Eversheds Sutherland (France),

– a fixé à la somme de 95.034 euros hors taxes le montant total des honoraires dus au cabinet Llp Eversheds Sutherland (France) par la Société Edeis,

– a donné acte au cabinet Llp Eversheds Sutherland (France) de ce qu’il déclare avoir reçu la somme de 80.000 euros hors taxes à titre de provision,

– a dit en conséquence que la société Edeis, prise en la personne de ses représentants légaux, devra verser au cabinet Llp Eversheds Sutherland (France), pris en la personne de ses représentants égaux, la somme de 15.034 euros hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2018, date de la saisine du bâtonnier outre la T.V.A au taux en vigueur lors de l’exécution des prestations et les débours justifiés pour la somme de 3.843,96 euros ainsi que régler les frais d’huissier de justice, en cas de signification de la présente décision, si elle a lieu, ou en rembourser le coût au cabinet Llp Eversheds Sutherland (France) si celui-ci en a fait l’avance, outre la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et ce, conformément aux dispositions de l’article 277 du décret du 27 novembre 1991,

– a débouté les parties de leurs conclusions contraires, plus amples ou complémentaires.

”’

Cette décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées en date du 23 janvier 2019, dont elles ont respectivement accusé réception le 24 janvier 2019.

Par courrier, sous pli recommandé, posté le 20 février 2019, dont copie a également été déposé au greffe le 21 février 2019, la société Edeis a formé un recours contre ladite décision du bâtonnier.

Par lettres recommandée en date du 29 novembre 2021, dont l’avis de réception a été signé le 30 novembre 2021 par les parties, celles-ci ont été convoquées par le greffe de la cour à l’audience du 17 mars 2022.

A cette audience l’affaire a été renvoyée au 21 septembre 2022, comme le demandait l’intimé au motif de la tardiveté des conclusions adressées par l’appelant.

A l’audience du 21 septembre 2022, la société Edeis a soutenu son recours et ses demandes reprises dans ses conclusions écrites déposées au greffe le 14 mars 2022 et tendant précisément à voir la cour :

– annuler la décision n° 211/312359 du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris du 22 janvier 2019,

– fixer le montant total des honoraires dus par la société Edeis au cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland à la somme de 80.000 euros hors taxes (96.000 euros toutes taxes comprises),

– condamner le cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland à verser la somme de 5.000 euros à la société Edeis au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En réponse, le cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland, se référant à ses conclusions écrites déposées à l’audience, a demandé à la cour de :

– débouter la société Edeis de l’intégralité de ses demandes,

– confirmer en toutes ses dispositions la décision rendue par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris le 22 janvier 2019,

– condamner la société Edeis à verser la somme de 5.000 euros au cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au terme des débats, l’affaire a été mise en délibéré en vue de prononcer la décision le 7 novembre 2022.

SUR CE

Le présent arrêt sera rendu contradictoirement entre les parties qui ont toutes deux été représentées lors de l’audience du 21 septembre 2022 où l’affaire a été plaidée.

Il n’est pas discuté que le recours de la société Edeis est recevable, pour avoir été formé dans les délais requis.

”’

La société Edeis soutient en premier lieu que le bâtonnier de l’ordre des avocats aurait méconnu les dispositions du décret n° 91-1197 du 27 novembre1991, alors qu’il lui appartenait de refuser de prendre en compte les diligences manifestement inutiles de l’avocat et de réduire des honoraires dont le montant apparaissait exagéré.

Elle fait notamment observer qu’en effet le dossier Comarch, confié à Me [Y], a suscité l’engagement de deux procédures contentieuses qui ont abouti à sa condamnation à verser 450.000 euros de pénalités à la partie adverse, ce résultat très défavorable conduisant à s’interroger sur le montant des honoraires facturés.

Elle souligne que la moitié des temps passés sont ceux de Mme [H], en tout à hauteur de 17.244 euros hors taxes, soit 143 heures pour un taux horaire supérieur à 120 euros hors taxes, s’agissant d’une élève avocate en stage, dont l’intégralité du temps passé sur ce dossier a été facturé.

Elle estime que le montant des honoraires doit donc être ramené à 80.000 euros hors taxes.

En deuxième lieu, la société Edeis fait valoir que le bâtonnier de l’ordre des avocats n’a pas tenu compte du défaut d’information à son détriment, en ce qui concerne la fixation des honoraires du cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland.

Elle souligne que si le cabinet Llp Eversheds Sutherland l’avait informée de ses taux horaires, il ne lui a pas communiqué le coût prévisible de la procédure l’opposant à la société Comarch, ce qui l’a privée de la possibilité d’anticiper des montants aussi conséquents que ceux facturés.

Elle soutient que la décision du bâtonnier de l’ordre des avocats doit être annulée dès lors qu’elle n’est pas régulièrement motivée et justifiée.

En réponse, le cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland fait valoir que les honoraires ont été facturés selon les usages mis en place entre les parties, évoquant les factures des 10 janvier 2018, 8 et 23 février 2018, 29 mars 2018, 30 avril 2018, 30 mai 2018, 29 juin 2018 et 25 juillet 2018, dont aucune n’a été contestée par la société Edeis, ni n’a fait l’objet de la moindre réserve de sa part.

Il fait observer que ces factures ont fait l’objet d’un processus de validation interne au sein de la société Edeis, ce que traduisent les mentions ‘validé’ et ‘OK’ apposées sur celles-ci, outre la signature du directeur juridique.

Il précise que lorsqu’il a été dessaisi de la défense des intérêts de la société Edeis au profit de Me [E] [M], lors d’une réunion tenue le 4 juillet 2018, le représentant de la société Edeis s’était engagé à régler outre l’intégralité des factures en souffrance, un bonus de 10.000 euros, lors de la transmission du dossier.

Le cabinet Llp Eversheds Sutherland conteste la demande adverse tendant à l’annulation de la décision du bâtonnier, soulignant qu’il n’est articulé aucun argument visant à démontrer le caractère manifestement inutile de ses diligences. Il ajoute que celui-ci ne saurait être déduit du résultat obtenu dans la procédure contentieuse, alors que l’avocat n’est pas responsable de l’aléa judiciaire inhérent au dossier qui lui est confié.

Il considère que c’est à bon droit que le bâtonnier de l’ordre des avocats s’est déclaré incompétent pour connaître des griefs formulés à son encontre et susceptibles de mettre en cause sa responsabilité civile professionnelle.

Il estime que c’est encore à tort que la société Edeis reproche au bâtonnier de l’ordre des avocats de ne pas avoir pris en compte un manquement de l’avocat à son devoir d’information, outre qu’en réalité, cette société était en mesure d’apprécier le coût de son intervention et d’arbitrer sur la poursuite de sa collaboration.

”’

La cour rappelle qu’en matière de contestations relatives à la fixation et au recouvrement des honoraires des avocats, la procédure spéciale prévue par les articles 174 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre1991 doit recevoir application.

Cette procédure vise exclusivement à trancher la contestation portant sur le montant des honoraires.

Ainsi, dans ce cadre procédural, il appartient au bâtonnier de l’ordre des avocats et, en appel, au premier président, à qui une contestation d’honoraires est soumise d’apprécier, d’après les conventions des parties et les circonstances de la cause, le montant de l’honoraire dû à l’avocat.

Toutefois, il ne leur appartient pas de le réduire dès lors que le principe et le montant de l’honoraire ont été acceptés par le client après service rendu, que celui-ci ait ou non été précédé d’une convention. Cette solution procède de l’idée que le pouvoir modérateur du juge ne se justifie plus lorsque le client est en mesure d’apprécier le travail effectué et dès lors que le paiement est intervenu librement et en toute connaissance de cause.

De même, le juge de l’honoraire n’a pas le pouvoir d’apprécier le bien-fondé des diligences effectuées par l’avocat, sauf si celles-ci étaient manifestement inutiles.

Enfin, dans ce même cadre, ni le bâtonnier ni, en appel, le premier président n’ont le pouvoir de connaître, fût-ce à titre incident, de la responsabilité de l’avocat au titre d’un éventuel manquement imputé à ce dernier. Ils ne peuvent donc pas être amenés à sanctionner un avocat à l’encontre duquel une faute est opposée. Ils ne peuvent pas davantage réparer un préjudice allégué par le client à raison du comportement de l’avocat. Il en est notamment ainsi alors qu’est allégué un manquement de l’avocat à ses obligations d’informer sa cliente.

C’est dès lors, conformément aux dispositions qui viennent d’être rappelées, par des motifs pertinents que le bâtonnier de l’ordre des avocats a décliné sa compétence matérielle concernant la demande de la société Edeis tendant à ce qu’il se prononce sur les éventuelles erreurs commises par le cabinet Llp Eversheds Sutherland, comme les alléguait cette société, qu’il a renvoyée à juste titre à se mieux pourvoir, notamment devant les juridictions de droit commun.

A hauteur d’appel, c’est encore vainement que la société Edeis continue à se prévaloir de divers manquements du cabinet Llp Eversheds Sutherland pour voir réduire le montant des honoraires, en invoquant en particulier le manquement au devoir d’information du conseil quant au coût prévisionnel des honoraires, alors que la procédure de contestation d’honoraires n’a pas pour vocation de sanctionner les agissements du professionnel du droit concerné.

Il s’agit, en revanche, de fixer les honoraires, comme l’a encore retenu à bon droit le bâtonnier de l’ordre des avocats, en l’absence de convention signée par les parties à cet égard, en application des critères de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et de l’article 10 du décret du 12 juillet 2005, dont il résulte que les honoraires sont déterminés dans ce cas “selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de la notoriété et des diligences de celui-ci”.

Comme l’a relevé le bâtonnier de l’ordre des avocats, le cabinet Llp Eversheds Sutherland a fait parvenir à la société Edeis une grille détaillant ses honoraires, ensuite déclinée sur ses notes d’honoraires en fonction des prestations précisées comme ayant été effectuées.

Il est encore constant que la société Edeis n’a élevé aucune critique lorsque la grille tarifaire lui a été soumise, ni au fur et à mesure de la réception des factures émises, et ce jusqu’au 30 mars 2018 soit pendant huit mois.

Le bâtonnier de l’ordre des avocats a encore observé qu’il résultait des pièces communiquées par la société Edeis que toutes les factures émises jusqu’au 25 juillet 2018 avaient reçu son aval interne.

Dans ces conditions, il apparaît légitime que le bâtonnier de l’ordre des avocats, fort de tels constats, ait pu en déduire que la société Edeis avait accepté les conditions de l’intervention du cabinet Llp Eversheds Sutherland et ce jusqu’à ce qu’elle tente, au bout de huit mois, de les renégocier.

Enfin, devant le bâtonnier de l’ordre des avocats, comme devant la cour, la société Edeis n’a pas discuté la réalité des prestations facturées dans leur détail, comme elle n’a pas davantage contesté le montant exposé au titre des débours, soit 3.843,96 euros.

Certes, la société Edeis prétend que certaines des diligences seraient inutiles, mais elle ne précise pas lesquelles.

En outre, le juge de l’honoraire n’a pas a priori à apprécier la stratégie retenue, par l’avocat, dans l’exercice de l’action. En tout état de cause, la prétendue inutilité de ces diligences ne peut se déduire du résultat obtenu en première instance dans le cadre de la procédure contentieuse confiée au cabinet Llp Eversheds Sutherland dans le dossier Comarch, et dont elle se montre insatisfaite, ce qui n’est cependant pas l’avis émis par son nouvel avocat, lequel a indiqué interjeter appel à titre conservatoire n’étant ‘pas certain qu’un appel permettrait d’améliorer le jugement de Salomon que vous avez obtenu et qui me semble équilibré […]’.

En revanche, il doit être relevé que le litige confié au cabinet Llp Eversheds Sutherland par la société Edeis était de nature complexe en ce qu’il avait trait à l’exécution d’un marché de travaux, en vertu d’un contrat établi en anglais le 15 mars 2016 et modifié par plusieurs avenants, outre qu’il représentait un enjeu important, eu égard au prix convenu à hauteur de 7.552.875 euros et aux demandes respectives de parties.

Compte tenu de la complexité particulière de l’affaire, l’examen des factures quant aux diligences détaillées, aux taux horaires appliqués et au temps passé indiqué ne fait pas ressortir d’anomalies ni ne traduit une exagération de la part de l’avocat.

Dès lors, au vu des pièces et des éléments en débat, il apparaît que le bâtonnier a fait une juste appréciation des honoraires revenant à l’avocat et sa décision sera en conséquence confirmée.

Les dépens seront mis à la charge de la société Edeis, partie perdante.

La solution du litige eu égard à l’équité commande d’accorder au cabinet d’avocats Llp Eversheds Sutherland, une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,

Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Edeis aux dépens d’appel ;

Condamne la société Edeis au paiement d’une indemnité de deux mille cinq cents (2.500) euros à Me [L] [K], en application de l’article 700 du code de procédure civile;

Dit qu’en application de l’article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l’arrêt sera notifié aux parties par le greffe de la cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception;

Rejette toute demande plus ample ou contraires des parties.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x