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N° RG 21/01572 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXYX
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
20/03744
Tribunal d’instance de Pontoise du 15 novembre 2019
Cour d’appel de Versailles du 08 mars 2021
APPELANT :
Monsieur [D] [P]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 2]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représenté et assisté par Me Josselin PESCHIUTTA, avocat au barreau de Rouen
INTIMEE :
Maître Luminita PERSA
née le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 7] (Roumanie)
[Adresse 3]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Yannick ENAULT de la Selarl YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me ZYCH de la Scp RAFFIN et Associés, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 13 juin 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [J] [M],
DEBATS :
A l’audience publique du 13 juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 septembre 2022.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 28 septembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société unipersonnelle Terrain.net a facturé à la société ERS Sarcelles location la mise à disposition de son gérant M. [D] [P].
La société Ers Sarcelles location a été placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 21 mai 2010.
M. [D] [P] a sollicité du liquidateur judiciaire, Me [L], qu’il admette partiellement sa créance au rang de créance salariale, considérant que le prêt de main d’oeuvre entrait dans les prévisions de l’article L. 641-13 du code de commerce.
Le 5 avril 2011, la société Terrain.net et M. [P] ont saisi le tribunal de commerce de Pontoise d’une requête au sujet de l’absence de réponse du juge commissaire à leur demande visant à voir soumettre à question prioritaire de constitutionnalité l’application de l’article L. 641-13 du code de commerce.
Le 20 mai 2011, M. [D] [P] a saisi le tribunal de commerce de Pontoise d’une requête en intervention volontaire afin de voir soumettre deux questions prioritaires.
Par jugement du 20 juin 2011, le tribunal de commerce de Pontoise a refusé de transmettre les questions prioritaires puis, par jugement en date du 10 septembre 2012, il a notamment :
– rejeté toutes les demandes de M. [P] et de la société Terrain.net en ce que le tribunal décidait de ne pas transmettre à la Cour de cassation les deux questions prioritaires ;
– débouté M. [P] et la société Terrain.net de toutes leurs demandes ;
– et les a condamnés à payer solidairement à Me [L], ès qualités de mandataire liquidateur une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
M. [P] a saisi le tribunal de commerce d’une requête en rectification de ce jugement au visa des articles 463 et 464 du code de procédure civile. Par jugement du 28 novembre 2011, le tribunal de commerce l’a débouté.
M. [P] a interjeté appel contre le jugement rendu le 10 septembre 2012 et Me [R] [I] s’est constituée en son nom devant la cour d’appel de Versailles.
Par arrêt du 14 octobre 2014, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement.
Par acte du 23 juillet 2019, M. [P] a fait citer Me [I] devant le tribunal d’instance de Senlis aux fins qu’il lui soit ordonné de transmettre au liquidateur judiciaire un protocole d’accord et qu’il soit condamné à l’indemniser de son préjudice.
Par jugement du 15 novembre 2019, le tribunal d’instance de Pontoise, saisi sur incompétence territoriale, a :
– débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné M. [P] à payer à Me Luminita Persa la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamné M. [P] à payer à Me [R] Persa la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [P] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 3 août 2020, M. [P] a interjeté appel de la décision.
Par ordonnance du 8 mars 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Rouen en application de l’article 47 du code de procédure civile.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 24 mai 2022, M. [P] demande à la cour d’appel, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, d’infirmer le jugement et statuant à nouveau, de :
– constater que le mandataire liquidateur a, dans le mois suivant la délivrance de l’assignation de Me [I], implicitement renoncé à percevoir des remboursements au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Me [I] au paiement de la somme de 30 908 euros à titre de dommages et intérêts tous postes de préjudices confondus,
subsidiairement,
– condamner Me [I] au paiement des sommes suivantes :
. 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la faute professionnelle commise par Me [I],
. 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance,
. 888 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier,
en tout état de cause,
– débouter Me [I] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Me [I] au paiement de la somme de 1 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles de première instance,
– condamner Me [I] au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle,
– la condamner aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
Il soutient en substance ce qui suit :
– il a expressément demandé à Me [I] de faire valoir, afin de s’opposer à la demande de frais irrépétibles formée à son encontre, les dispositions de l’article L. 663-2 du code de commerce, rappelant qu’un mandataire liquidateur ne peut pas percevoir, en sus de sa rémunération, des remboursements de frais ;
– il a donc perdu une chance d’éviter cette condamnation.
Par dernières conclusions notifiées le 20 mai 2022, Me [I] demande à la cour d’appel de confirmer le jugement, de débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes, et en tout état de cause, de le condamner au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, aux dépens tant de première instance que d’appel en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance ce qui suit :
– la responsabilité de l’avocat ne peut être retenue s’il n’a pas averti son client des risques inhérents aux actes sollicités ;
– M. [P] opère une confusion entre l’article 700 du code de procédure civile et l’article L.663-2 du code de commerce qui empêche un mandataire judiciaire de percevoir d’autres frais que ceux déjà perçus au cours de sa mission ;
– il ne peut y avoir de préjudice lorsque l’action judiciaire n’avait aucune chance d’aboutir.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2022.
MOTIFS
Sur la responsabilité professionnelle de l’avocat
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les demandes en ‘constater’ ne saisissent pas la juridiction, car elles ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Il ne sera pas statué les concernant.
L’avocat est tenu au plan contractuel, vis-à-vis de son client, d’un devoir d’information et de conseil. Il s’agit d’une obligation de moyens et non d’une obligation de résultat. Cette obligation porte notamment sur l’invocation de moyens de droit conformes au droit positif et susceptibles d’assurer le succès de l’action. En revanche, l’avocat n’engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant.
Par ailleurs, si l’avocat doit déconseiller une voie de droit vouée à l’échec, il n’a pas à mettre en garde son client des risques dont il est pleinement conscient. L’avocat peut en outre être exonéré si le client assume sciemment une opération risquée en dépit des conseils et réserves prodigués.
M. [P] reproche à son ancien conseil, Me [I], d’être responsable de sa condamnation à payer une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles à l’issue de l’arrêt confirmatif rendu par la cour d’appel de Versailles. Il reproche à son conseil de n’avoir pas soulevé un moyen tiré de l’impossibilité, pour le mandataire judiciaire, de percevoir une indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Me [I] aurait dû, afin de lui éviter cette condamnation, soulever l’application de l’article L.663-2 du code de commerce.
Suivant cet article, la rémunération du mandataire judiciaire nommé dans le cadre d’une procédure collective est exclusive de toute autre rémunération ou remboursement de frais au titre de la même procédure ou au titre d’une mission subséquente qui n’en serait que le prolongement.
L’article R. 663-25 du code de commerce précise que le mandataire perçoit un émolument fixe, notamment pour la contestation des créances autres que salariales, et ce par créance dont l’admission ou le rejet a donné lieu à une décision du juge commissaire.
Ces textes concernent les honoraires ou frais dont le mandataire peut obtenir paiement à titre personnel dans l’exercice de sa mission.
En revanche, les sommes accordés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ne constituent pas la rémunération du mandataire ou le remboursement des frais qu’il a personnellement engagés, mais le remboursement des frais de procédure engagés au nom de la société qu’il représente dans le cadre de la procédure dirigée contre cette société.
Les textes invoqués par M. [P] n’interdisaient donc pas au mandataire de demander, non pas pour son compte, mais pour le compte de la société Ers Sarcelles location, une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette société est la seule bénéficiaire de cette somme qui s’intègre dans son actif et non dans celui du mandataire. Le jugement confirmé précise d’ailleurs bien que les sommes ont été sollicités par Me [L] ‘ès qualités’.
Le moyen qu’entendait faire soulever M. [P] était en réalité inopérant. Le refus de Me [I] de le plaider n’est donc pas fautif, et n’est à l’origine d’aucune perte de chance d’éviter une condamnation au titre des frais irrépétibles.
Aucune faute de l’avocat n’est donc établie à cet égard. Me [I] avait d’ailleurs expliqué à son client que son interprétation ne pouvait être retenue, puisque l’indemnité de l’article 700 du code de procédure n’était pas constitutive d’une rémunération du mandataire au sens de l’article L. 663-2 du code de commerce.
M. [P] sollicite en outre une somme de 23 000 euros correspondant à la valeur approximative de la créance chirographaire déclarée à la procédure. Toutefois, les moyens qu’il soulève ne concernent que la condamnation à payer les frais irrépétibles dont le montant était limité à 1 500 euros. M. [P] n’établit ni n’allègue aucune faute de Me [I] en lien avec la confirmation, par la cour d’appel, du fond de la décision, et notamment de la fixation de la créance.
De même, aucune faute n’est alléguée qui justifierait de condamner Me [I] à l’indemniser du montant des dépens, s’agissant d’un accessoire de la condamnation au fond. Il sera d’ailleurs relevé que Me [I] avait formulé auprès de M. [P] ‘les plus grandes réserves quant aux chances d’aboutissement de l’appel’, lui indiquant, dans un courriel du 18 février 2013, que le risque de condamnation au titre des dépens d’appel et de l’article 700 du code de procédure civile était ‘trop important’. Elle lui avait alors conseillé de se désister de l’appel ‘le plus vite possible’.
M. [P] avait donc été averti en des termes très clairs que l’appel avait de grandes chances d’échouer, et qu’il s’exposait à une condamnation au titre des dépens et frais. Ce dernier n’a néanmoins pas souhaité se désister et a donc pris le risque d’encourir cette condamnation.
Les demandes formées par M. [P] seront donc rejetées.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Dès lors que le rapprochement littéral des articles 700 du code de procédure civile et L. 663-2 du code de commerce a pu créer une confusion dans l’esprit de M. [P], et que Me [I] ne justifie d’aucun préjudice, la décision querellée sera infirmée en ce que le tribunal a condamné M. [P] à payer une indemnisation au titre d’un abus de procédure.
Sur les dépens et frais irrépétibles
M. [P] succombe et sera condamné aux dépens d’appel. La décision n’appelle pas de critique quant aux dépens de première instance.
Me [I] ne conteste pas que ses frais de défense ont été pris en charge par une assurance de protection juridique, mais maintient néanmoins sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, expliquant que son contrat a laissé à sa charge une franchise. Elle ne saurait être indemnisée des frais qu’elle n’a pas engagés. Il est établi que le présent litige a fait l’objet d’une déclaration de sinistre par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Versailles. Me [I] ne verse pas la police, ni ne précise le montant de la franchise, dont l’existence n’est pas établie. Elle n’établit donc pas le bien fondé de sa demande formée au titre des frais irrépétibles : la décision sera infirmée à cet égard et sa demande en condamnation au titre des frais irrépétibles d’appel sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce que le tribunal a :
– condamné M. [P] à payer à Mme [R] [I] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamné M. [P] à payer à Mme [R] [I] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant,
Déboute Mme [R] [I] de ses demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive et au titre des frais irrépétibles ;
Condamne M. [P] aux dépens d’appel, qui seront recouvrés selon les dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle.
Le greffier,La présidente de chambre,