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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 11 OCTOBRE 2022
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/22663 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBEXO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Novembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/11546
APPELANT
Monsieur [H] [W]
Né le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Me Thomas FORMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : C2615
INTIME
Madame [J] [R]
Né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Stéphane LATASTE de la SELARL PBA LEGAL, avocat au barreau de PARIS, toque : J086
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Estelle MOREAU, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, conseillère chargée du rapport
Mme Claire DAVID, magistrate honoraire juridictionnelle
Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre, et par Florence GREGORI, greffière, présente lors de la mise à disposition et à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
***
Au mois de septembre 2011, M. [H] [W] a confié à Mme [J] [R] la défense de ses intérêts au titre d’un litige l’opposant à son employeur.
Par un courrier du 24 décembre 2011 préparé par son avocate à l’attention de la société GIE Corporation halal fast food (ci-après CHFF) et adressé par M. [W] à la société FDV, ce dernier a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Le 23 juillet 2012, Mme [R] a saisi pour le compte de M. [W] le conseil de prud’hommes de Nanterre en formulant diverses demandes à l’encontre du GIE CHFF.
À la suite de la réception de sa convocation devant le conseil de prud’hommes le 7 août 2012, M. [W] a indiqué à son avocate que les demandes avaient été présentées par erreur contre le GIE CHFF alors que son employeur était la société FDV.
Le 21 novembre 2012, le conseil de prud’hommes de Nanterre a radié l’affaire du rôle des affaires en cours.
Au mois d’avril 2015, M. [W] a interrogé son avocate sur l’état d’avancement de la procédure et, par courrier du 1er juin 2015, elle l’a informé que :
– la société FDV avait fait l’objet d’une liquidation en 2012,
– une ‘démarche préalable doit être engagée pour que la représentation en justice de la société soit assurée et que la procédure soit régulière’.
Le 9 juin 2015, elle a adressé à M. [W], à sa demande, l’entier dossier qu’il lui avait confié.
C’est dans ces circonstances que par acte du 3 octobre 2018, M. [W] a assigné Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité civile professionnelle.
Par jugement du 6 novembre 2019, le tribunal a :
– débouté M. [W] de ses demandes,
– laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 6 décembre 2019, M. [W] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 6 mars 2020, M. [H] [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que par ses manquements, Mme [R] a exposé sa responsabilité,
– infirmer pour le surplus,
et, statuant à nouveau,
– le dire et juger recevable et bien fondé en ses demandes,
– retenir la responsabilité de Mme [R],
– la condamner à lui régler :
– la somme de 30 142 euros pour perte de chance,
– la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– la condamner à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– la condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 5 juin 2020, Mme [J] [R] demande à la cour de :
– confirmer le jugement,
– débouter l’appelant de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner reconventionnellement l’appelant à lui régler la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la responsabilité
Sur la faute :
Le tribunal a retenu le manquement de l’avocate à son obligation de diligence :
– en saisissant le conseil de prud’hommes de demandes formées à l’encontre de la société GIE CHFF, alors qu’elle savait que l’employeur de son client était la société FDV ainsi qu’il ressort de son courrier du 1er juin 2012,
– en ne rectifiant pas cette erreur dès le 22 août 2012, date à laquelle elle en a été informée par son client,
– en n’assurant pas le suivi du dossier du demandeur après la décision de radiation du conseil des prud’hommes du 21 novembre 2012, les échanges établissant qu’elle n’a repris contact avec son client qu’après que celui-ci l’a interrogée au mois d’avril 2015.
L’appelant soutient que :
– son avocate n’a engagé aucune action contre son employeur réel, alors qu’elle avait déjà commis une erreur d’identification de celui-ci dans la rédaction de la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 22 décembre 2011, qu’il a aussitôt corrigée puis à nouveau le 22 août 2012 à la réception de la convocation devant le conseil de prud’hommes, son avocate n’ayant pas sollicité ses bulletins de salaire ayant prétendument fait défaut,
– Mme [R] ne s’est pas présentée à l’audience de conciliation le 21 novembre 2012 sans informer le conseil des prud’hommes, date à laquelle l’affaire a été radiée et jamais réintroduite,
– il n’a pas été informé de la nécessité de désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société FDV dont la dissolution amiable a été publiée dès le 20 juin 2012,
– il n’a pas été informé des délais de prescription applicables à ses demandes relatives aux rappels de salaires et à la contestation de licenciement,
– son avocate lui a laissé croire que son dossier avait été à nouveau engagé devant le conseil des prud’hommes, ce qui n’est pas le cas, et est demeurée passive durant trois ans en dépit de ses relances.
L’intimée fait valoir :
– le caractère exonératoire de responsabilité de la faute de son client qui l’a induite en erreur quant à l’identité de son employeur en lui remettant des pièces trompeuses et contradictoires et en ne produisant pas ses bulletins de salaire, et qui n’a réintroduit aucune nouvelle instance avec son nouveau conseil, en juin 2015, alors que la prescription n’était pas acquise,
– qu’il ne saurait lui être reproché un défaut de suivi du dossier après la décision de radiation du conseil des prud’hommes le 21 novembre 2012 puisque la procédure qui aurait dû être diligentée contre la société FDV n’avait alors aucune chance d’aboutir.
La responsabilité de l’avocat est engagée sur le fondement de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits à charge pour celui qui l’invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.
Il appartenait à l’avocate, au cas où elle estimait les pièces fournies par son client insuffisantes ou contradictoires, de l’interroger sur la qualité de son employeur et de solliciter les pièces complémentaires qu’elle jugeait nécessaires à la défense de ses intérêts avant même d’engager l’action prud’homale.
De même, elle a manqué de diligence en ne se renseignant pas sur la situation de l’employeur réel de son client faisant l’objet d’une dissolution amiable publiée depuis le 12 juin 2012, ce qui lui aurait permis de faire désigner un mandataire ad hoc pour assurer sa représentation en justice sans qu’il soit établi qu’une telle démarche était alors nécessairement vouée à l’échec.
Les manquements de Mme [R] à son obligation de diligence, à son devoir de conseil et à son obligation d’information, dont le surplus n’est pas contesté, sont ainsi caractérisés.
Sur le lien de causalité et le préjudice :
Le tribunal a jugé que :
– il ne peut être reproché à M. [W] de s’être abstenu de relancer son avocate avant le mois d’avril 2015, ou de ne pas avoir saisi un nouvel avocat avant cette date, car il a pu légitimement croire que Mme [R] poursuivait ses diligences à l’encontre de son ancien employeur,
– l’action du demandeur n’était pas prescrite lorsqu’il a constaté que Mme [R] n’avait accompli aucune démarche depuis 2012, mais la cessation totale de l’activité de la société FDV depuis le 30 mai 2012 et sa radiation le 28 septembre 2015 rendaient illusoire puis impossible l’exécution à son encontre d’une quelconque condamnation, de sorte que le manquement de Mme [R] l’a privé d’un examen de ses demandes,
– il n’est cependant justifié aucune perte de chance réelle et sérieuse de succès de ses demandes devant cette juridiction, en ce que :
– sur la rupture du contrat, il n’est communiqué aucun élément sur le climat dans lequel se déroulait la relation de travail avant la prise d’acte, hormis un courriel que lui a adressé son employeur dans lequel il lui reproche de ne pas avoir respecté ses engagements professionnels, et l’informe de son intention de le “lever de ses fonctions” si un tel manquement se reproduisait, de sorte qu’il n’est pas certain que le conseil de prud’hommes aurait requalifié la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– sur les rappels de salaires, alors même que le demandeur se plaint de ne pas avoir perçu de salaire pour les quatre derniers mois de l’année, il verse au débats une fiche de paye faisant état du règlement d’un salaire plein pour le mois de septembre 2011 et, dans le courrier de prise d’acte, il indique qu’il n’a pas reçu le paiement de ses heures supplémentaires sans toutefois mentionner les salaires, de sorte qu’il ne peut être considéré comme certain que le conseil aurait fait droit à sa demande, même partiellement.
L’appelant soutient que :
– le contentieux qui l’opposait à son employeur présentait de sérieuses chances de succès dès lors que :
– sur la date d’embauche, il ressort des pièces qu’il a été embauché à compter du 10 novembre 2009 et que son employeur n’a régularisé la signature d’un contrat de travail que le 13 janvier 2010,
– sur la durée mensuelle du travail, c’est à tort qu’il a été rémunéré à temps partiel entre le 1er juin 2010 et le 31 août 2011,
– par courrier du 24 décembre 2011 – rédigé par Mme [R] -, il a été contraint de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur lui ayant demandé, le 4 septembre 2011, de ne plus se présenter à son poste sans prendre aucune décision écrite, ni lui régler aucun salaire ni engager aucune procédure de licenciement,
– la démission tirant son origine du comportement fautif de l’employeur permet au salarié de solliciter sa requalification en prise d’acte de rupture du contrat de travail,
– le fait de ne pas payer au salarié l’intégralité de sa rémunération justifie que la démission soit requalifiée en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
– il avait donc toutes les chances de voir sa démission requalifiée en licenciement abusif, si ce n’est de voir son licenciement verbal dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, et par voie de conséquence d’obtenir les indemnités afférentes,
– sa perte de chance s’élève à la somme de 30 142 euros, correspondant au montant total des sommes qui auraient pu être obtenues,
– les négligences de son avocate lui ont causé un préjudice moral, évalué à la somme de 10 000 euros.
L’intimée conclut à la confirmation du jugement n’ayant retenu aucune perte de chance. Subsidiairement, sur le préjudice indemnisable, elle fait valoir que :
– l’indemnisation d’une perte de chance ne peut être égale à la totalité de la chance perdue si elle s’était réalisée,
– compte tenu de l’incertitude sur la requalification de la prise d’acte en un licenciement, et sur la portée de la cessation de l’activité de l’employeur à l’époque considérée, puisqu’il avait déposé le bilan, la perte de chance de créance de rappel de salaire ne peut être supérieure à 50%,
– quant à la perte de chance de percevoir une indemnité compensatrice de préavis, rien ne démontre avec certitude que le salarié aurait pu faire juger que sa prise d’acte de la rupture devait s’analyser en un licenciement ni surtout que la date de la rupture n’aurait pas été fixée au 30 septembre 2011, puisqu’il a été payé jusqu’à cette date,
– sur la perte de chance de percevoir l’indemnité légale de licenciement, aux termes de l’article 13 de la CCN de la restauration rapide, avec deux ans et demi d’ancienneté, le salarié ne pouvait prétendre au mieux qu’à 1/10ème de mois par année d’ancienneté,
– s’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, celle-ci est surévaluée par l’appelant et s’agissant d’une entreprise employant moins de 11 salariés, ce dernier aurait été débouté de sa demande, faute d’avoir subi un quelconque préjudice,
– la demande au titre du préjudice moral doit être rejetée car étant dénuée de tout fondement.
Les manquements de l’avocate ont fait perdre à son client une chance de voir examiner ses demandes devant le conseil de prud’hommes.
Pour apprécier les chances de succès de la voie de droit envisagée, le juge du fond doit reconstituer fictivement le procès manqué par la faute de l’avocat. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Il n’est cependant pas produit aux débats l’acte de saisine du conseil des prud’hommes motivant les demandes formulées à l’encontre de l’employeur, seule étant versée la convocation adressée par le conseil des prud’hommes récapitulant la nature et le quantum des demandes.
Les premiers juges ont en outre pertinemment relevé que l’appelant ne produisait aucune pièce relativement à sa situation professionnelle hormis un courriel de son employeur adressé le 20 août 2011 lui rappelant ses obligations professionnelles en sa qualité de directeur de centrale d’achat et de production et sa levée de fonction pour non tenue de ses engagements professionnels, ainsi qu’un courriel du 2 septembre 2011 de son employeur l’informant de sa volonté de le rencontrer pour un entretien, selon ses disponibilité, afin de lui notifier une décision à la suite de ses manquements professionels, et que ces seuls éléments échouaient à caractériser une quelconque perte de chance réelle et sérieuse de voir requalifier la prise d’acte ou la rupture de son contrat de travail en rupture abusive du contrat de travail ou licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir les indemnités afférentes.
De même, la perte de chance d’obtenir le rappel de salaires du 1er juin 2010 au 21 août 2011 ainsi que sollicité devant le conseil des prud’hommes et les congés afférents n’est pas plus établie dès lors que l’appelant ne justifie pas par les seuls bulletins de salaires de cette période, portant des mentions identiques aux autres, avoir été rémunéré à temps partiel et non pas à temps plein. L’appelant, qui ne formulait devant le conseil des prud’hommes aucune demande de rappel de salaires pour la période du 4 septembre 2011 au 21 décembre 2011 et ne justifie pas du bien fondé de cette demande par les seules pièces produites aux débats, n’aurait eu aucune chance d’obtenir une indemnisation à ce titre.
C’est donc par des motifs pertinents que les premiers juges l’ont débouté de l’intégralité de ses demandes indemnitaires.
En revanche, la demande afférente au préjudice moral est recevable en cause d’appel en ce qu’elle tend aux mêmes fins que celles présentées en première instance, à savoir la réparation de l’entier préjudice subi consécutivement aux fautes de l’avocate, et les différents rappels vainement effectués par l’appelant auprès de son avocate qui s’est manifestement désintéressée de la procédure initiée par ses soins justifient l’allocation d’une indemnité de 1000 euros.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées. La demande indemnitaire formée en cause d’appel au titre du préjudice moral étant fondée, l’intimée est condamnée aux dépens d’appel et au paiement d’une indemnité de procédure de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [J] [R] à payer à M. [H] [W] une indemnité de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Condamne Mme [J] [R] à payer à M. [H] [W] une indemnité de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [J] [R] aux dépens de d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,