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N° RG 20/03378 – N° Portalis DBVM-V-B7E-KTBT
C2
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 08 NOVEMBRE 2022
Appel d’une décision (N° RG 19/00267)
rendue par le Tribunal judiciaire de BOURGOIN JALLIEU
en date du 30 juillet 2020
suivant déclaration d’appel du 30 octobre 2020
APPELANTE :
LA SARL SJM prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Anne-gaëlle PROST, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
M. [F] [O]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 5]
LA COMPAGNIE D’ASSURANCE MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
LA COMPAGNIE D’ASSURANCE MMA IARD SA prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
LA SELARL JURIS LAW & ASSOCIES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Ingrid POUSSET-BOUGERE, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
M. Laurent Desgouis, vice- président placé
DÉBATS :
A l’audience publique du 26 septembre 2022 Mme Blatry , conseiller chargé du rapport en présence de Mme Clerc, président de chambre, assistées de Madame Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Début 2016, la SARL SJM a mandaté le cabinet d’avocats Juris Law, dont fait partie Me [F] [O], afin qu’il la conseille et l’assiste dans la mise en ‘uvre de plusieurs procédures de licenciement pour motif économique.
La SARL SJM a procédé au licenciement de 3 de ses salariés le 11 avril 2016 dont 2 pour motif économique.
Selon jugements des 23 février et 17 mars 2017, le conseil de prud’hommes de Lyon a requalifié les licenciements pour motif économique de M. [Y] et de Mme [E] en licenciements sans cause réelle ni sérieuse et a condamné la SARL SJM à verser à M. [Y] la somme de 54.636,14€ et à Mme [E] la somme de 21.079,51€.
En l’absence d’appel, ces jugements sont devenus définitifs et la SARL SJM s’est acquittée de ces condamnations.
Suivant exploit d’huissier en date du 15 mars 2019, la SARL SJM a fait citer en responsabilité la société Juris Law, Me [O] ainsi que les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD en qualité d’assureurs du Barreau de Lyon.
Par jugement du 30 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Bourgoin Jallieu a débouté la société SJM de l’ensemble de ses prétentions et l’a condamnée à payer à la société Juris Law, à Me [O] et aux sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD, chacune, une indemnité de procédure de 1.000€ et à supporter les dépens de l’instance.
Suivant déclaration en date du 30 octobre 2020, la société SJM a relevé appel de cette décision.
Au dernier état de ses écritures en date du 1er février 2021, la société SJM demande à la cour la réformation du jugement déféré et de condamner la société Juris Law, Me [O] et les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à lui payer la somme de 85.915,65€, outre une indemnité de procédure de 5.000€.
Elle fait valoir que :
sur les fautes
Me [O] n’a pas satisfait à l’obligation tendant à énoncer le motif économique fondant le licenciement dans le document remis au salarié au plus tard au moment de l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle,
dès lors si le motif économique est énoncé postérieurement à l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
non seulement Me [O] ne l’a jamais alertée sur cette obligation, mais pire encore, lui a écrit dans sa lettre de mission du 18 février 2016 que l’employeur pouvait exposer les motifs économiques ayant conduit à la suppression de poste après adhésion au CSP (pièce 4),
cette erreur a entraîné l’irrégularité des procédures de licenciement et sa condamnation à paiement,
le cabinet Juris Law s’est chargé de la rédaction de l’ensemble des courriers nécessaires dans le cadre de la procédure de licenciement,
à la suite des entretiens préalables, Me [O] lui a demandé par courrier du 15 avril 2016 de lui transmettre les bulletins de remise de l’exemplaire CSP et leur éventuelle acceptation sans toujours l’informer de la nécessité de présenter par écrit les motifs économiques aux salariés,
concernant la caractérisation du licenciement économique, Me [O] ne l’a jamais mise en garde sur le fait que le motif économique invoqué n’aurait pas été suffisant,
dans son courrier du 18 février 2016, Me [O] l’avait sollicité sur la transmission des éléments de nature économique traduisant la nécessité de sauvegarder la compétitivité de la société par une suppression de poste et des éléments chiffrés permettant d’établir que le licenciement économique de deux salariés est nécessaire à cet égard,
Me [O] a estimé manifestement suffisant les éléments transmis puisque c’est sur leur base qu’elle a rédigé les modèles de lettres de licenciement qu’elle a ensuite remises aux salariés,
suite à la lettre du 18 février 2016 par laquelle la société Juris Law a estimé que le licenciement économique des salariés ciblés ne répondrait pas aux critères fixés conventionnellement et que les licenciements paraîtraient judiciairement contestables, elle a restreint le périmètre des licenciements de 6 à 2 salariés,
son attention n’a plus jamais été attirée sur un risque d’irrespect des critères d’ordre avant l’introduction des procédures de licenciement,
sur le préjudice et le lien de causalité
les condamnations mises à sa charge résultent directement des fautes et manquements de Me [O],
le conseil de prud’hommes a retenu qu’elle disposait au moment des faits d’une visibilité suffisante sur les résultats de l’exercice qui allait se clore au 30 juin 2016 et qu’elle était en droit d’en tirer les conséquences et de se réorganiser pour diminuer sa structure de coûts et sauvegarder sa compétitivité,
ce n’est donc pas sur la caractérisation du motif économique qu’elle a été condamnée.
Par dernières conclusions du 24 avril 2021, la société Juris Law, Me [O], les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD demandent à la cour de confirmer le jugement déféré, débouter la société SJM de toutes ses prétentions et de la condamner à leur payer une indemnité de procédure de 7.000€.
Elles exposent que :
les licenciements auxquels la SARL SJM a procédé étaient judiciairement contestables pour des raisons étrangères à l’intervention du cabinet, notamment du fait que le motif économique n’était pas caractérisé quoiqu’a jugé le conseil des prud’hommes et que les licenciements n’étaient pas conformes aux critères d’ordre de ceux-ci, alors que le cabinet avait mis en garde la SARL SJM,
dès le début de sa saisine, le cabinet a attiré l’attention de la SARL SJM sur le risque de voir requalifier les licenciements,
par lettre du 18 février 2016, le cabinet a rappelé les critères d’ordre des licenciements ainsi que les conséquences en terme de condamnation à des dommages-intérêts en cas de licenciement économique irrégulier et que le licenciement économique des salariés ciblés ne répondait pas aux critères d’ordre,
le manquement relatif au défaut de communication des critères économiques aux salariés n’est pas à l’origine de la condamnation de la SARL SJM à paiement de dommages-intérêts,
la SARL SJM a été sanctionnée par le conseil de prud’hommes pour manquement caractérisé quant aux exigences de motivation du licenciement et pour l’absence de communication dans les délais requis,
dans son courrier du 8 mars 2016, le cabinet avait demandé la communication des éléments chiffrés permettant d’établir le licenciement économique de deux salariés,
les éléments sur lesquels le cabinet s’est appuyé pour motiver les lettres de rupture se sont limités aux éléments fournis par la SARL SJM,
la SARL SJM a fait le choix de procéder aux licenciements alors qu’elle ne pouvait justifier d’un motif économique,
le juge doit s’assurer que la suppression d’un emploi, consécutive à la réorganisation d’une entreprise, était rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise,
dans le cadre de ses conclusions d’appel, la SARL SJM reconnaît que les motifs économiques des licenciements opérés n’étaient pas respectés,
la baisse de budget suite à la réduction de son budget publicitaire par l’entreprise Schiever Distribution ne constitue pas un motif économique,
le cabinet a émis dès le début les plus expresses réserves sur le motif économique invoqué,
malgré ses mises en garde, la SARL SJM a souhaité procéder aux licenciements de deux salariés et, par courrier du 8 mars 2016, le cabinet en a pris bonne note,
la SARL SJM s’est contentée de verser aux débats une attestation du commissaire aux comptes du 29 septembre 2016 alors que celui-ci avait souligné le caractère incertain des prévisions de l’annexe 3,
en tout état de cause, la baisse de chiffre d’affaires sur le compte Schiever ne s’est jamais produite ou a été compensée et n’a pas mis en péril la compétitivité de la SARL SJM,
à la date des licenciements, la SARL SJM ne disposait d’aucun élément objectif lui permettant de prédire avec certitude une baisse du chiffre d’affaires mettant en péril sa compétitivité,
la SARL SJM se dispense de verser aux débats ses bilans sur les années 2015, 2016 et 2017, période encadrant les licenciements litigieux,
la SARL SJM, qui a fait le choix de s’engager dans plusieurs procédures de licenciement alors qu’elle était parfaitement informée des risques de leur requalification, doit en supporter les risques,
la SARL SJM ne démontre pas avoir perdu la chance d’échapper à la requalification du licenciement pour motif économique ou à tout le moins d’échapper aux condamnations étant donné le non respect des critères d’ordre, manquement non imputable au cabinet.
La clôture de la procédure est intervenue le 26 juillet 2022.
MOTIFS
1/ sur la responsabilité du cabinet Juris law et de Me [O]
La responsabilité de l’avocat, pour être retenue, suppose la démonstration d’une faute de celui-ci en lien de causalité avec les préjudices allégués.
L’avocat, investi d’un devoir de compétence, est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client.
En l’espèce, le cabinet Juris Law et Me [O], missionnés par la SARL SJM pour la conseiller et l’assister dans les procédures de licenciement pour motif économique qu’elle envisageait, étaient tenus d’un devoir de conseil sur la pertinence des dits licenciements et sur leurs modalités de mise en ‘uvre.
La SARL SJM reproche au cabinet Juris Law et à Me [O] de l’avoir mal conseillée et insuffisamment mise en garde.
Il est constant que Me [O] a donné une information erronée concernant le moment de communication aux salariés du motif économique en ce qu’elle a indiqué dans sa lettre de mission du 18 février 2016 en page 7 que celle-ci pouvait être transmise dans un courrier de rupture après adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) alors que cette information doit été communiquée au plus tard au moment de l’acceptation du CSP.
Pour retenir la responsabilité de l’avocat dans ce cas, il appartient de démontrer que si la cabinet Juris Law et Me [O] n’avait pas commis cette faute, la SARL SJM aurait, en cause d’appel, perdu une chance de ne pas voir requalifier les licenciements de ses deux salariés en licenciements sans cause réelle ni sérieuse.
Dès lors, il convient d’apprécier si la SARL SJM démontre suffisamment le motif d’ordre économique et le respect des critères d’ordre.
Pour que le motif d’ordre économique soit retenu, il faut justifier que la suppression d’un emploi, consécutive à la réorganisation d’une entreprise, était rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
Il est admis qu’une variation de 10% du chiffre d’affaire n’est pas de nature à caractériser une cause suffisamment sérieuse de licenciement économique.
Me [O] dans son courrier du 18 février 2016 a indiqué, qu’au regard des exigences légales et jurisprudentielles et des éléments portés à sa connaissance, il existait un fort risque de requalification en licenciements sans cause réelle ni sérieuse.
Ensuite de ce courrier, la SARL SJM a souhaité procéder aux licenciements de deux salariés, ce dont le cabinet Juris Law et Me [O] ont pris note dans un courrier du 8 mars 2016, tout en demandant la transmission d’éléments économiques traduisant des éventuelles difficultés économiques et la nécessité de supprimer les postes concernés pour assurer la sauvegarde de l’entreprise.
La SARL SJM, qui allègue les risques économiques pour l’entreprise du fait de la perte d’un gros client, n’a produit devant le conseil de prud’hommes de Lyon aucun compte de résultat ni de prévisionnel 2016 et n’a visé aucun élément chiffré dans la lettre de licenciement.
La SARL SJM a produit dans cette instance une attestation du commissaire aux comptes du 29 septembre 2016 alors que celui-ci a souligné, en page 2 de celle-ci, le caractère incertain des prévisions de l’annexe 3 ainsi que les chiffres d’affaires et les résultats nets des années antérieures aux licenciements.
Ces éléments sont insuffisants pour démontrer le motif économique allégué.
En outre, la SARL SJM, bien que mise en garde par son avocat dans son courrier du 18 février 2016, n’a pas respecté tous critères d’ordre du licenciement en méconnaissant l’alinéa 4 de l’article L.1233-5 du code du travail sur les qualités professionnelles du salarié.
Par voie de conséquence, indépendamment de la faute commis par l’avocat sur l’information tardive relative au motif économique, la SARL SJM n’a perdu aucun chance d’échapper à la requalification des licenciements de M. [Y] et de Mme [E] en licenciements sans cause réelle ni sérieuse et d’échapper à une condamnation à paiement.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
2/ sur les mesures accessoires
L’équité justifie de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice des intimées.
Enfin, les dépens de l’instance en appel seront supportés par la SARL SJM avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SARL SJM à payer à la société Juris Law, à Me [F] [O] et aux sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD, unis d’intérêts, la somme de 2.000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes à ce titre,
Condamne la SARL SJM aux dépens de la procédure d’appel avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT