Responsabilité de l’Avocat : 16 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/00286

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Responsabilité de l’Avocat : 16 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/00286
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 9

ARRET DU 16 MARS 2023

(N° /2023, 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00286 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZRW

Décision déférée à la Cour : Décision du 20 Février 2018 -Bâtonnier de l’ordre des avocats de PARIS – RG n° 211/300761

APPELANTE

Madame [O] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Comparante en personne

INTIME

Maître [E] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Non comparant, non représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Agnès TAPIN, magistrate honoraire désignée par décret du 24 décembre 2021 du Président de la République aux fins d’exercer des fonctions juridictionnelles, entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M Michel RISPE, Président de chambre

Mme Laurence CHAINTRON, Conseillère

Mme Agnès TAPIN, Magistrat honoraire

Greffier, lors des débats : Mme Eléa DESPRETZ

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Michel RISPE, Président de chambre et par Eléa DESPRETZ, Greffière présente lors du prononcé.

****

En janvier 2015, Madame [O] [Y] a donné mission à Maître [E] [N], avocat, de l’assister pour déposer une plainte pénale contre un autre avocat.

En raison d’un conflit opposant Mme [Y] et Me [N], la première a mis fin à la mission de l’avocat en novembre 2016.

Madame [O] [Y] a saisi par lettre RAR en date du 11 octobre 2017, reçue le 12 novembre suivant, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris pour lui dire qu’elle doit bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, parce qu’elle est sans revenu, et que Me [N] lui a demandé de payer une provision sur ses honoraires de 1.500 € qu’elle lui a versée.

Par décision contradictoire en date du 20 février 2018, la déléguée du bâtonnier a :

– fixé à la somme de 1.500 € TTC le montant des honoraires dus par Mme [Y] à Me [N] pour le traitement de son dossier,

– constaté que cette somme a été payée par Mme [Y],

En conséquence,

– débouté Mme [Y] de toutes ses demandes,

– dit qu’elle devra payer en plus les frais de signification de la décision s’il y avait lieu d’y recourir,

– rejeté toutes les autres demandes.

La décision a été notifiée aux parties par lettres RAR en date du 21 février 2018 dont elles ont signé les AR le 22 suivant.

Par lettre RAR en date du 22 février 2018, le cachet de la poste faisant foi, Mme [Y] a exercé un recours contre la décision.

L’affaire a été convoquée une première fois à l’audience du 04 mai 2020 qui a été renvoyée d’office à celle du 09 novembre 2020 en raison de la pandémie provoquée par la Covid 19.

Les parties y ont été convoquées par lettres RAR en date du 15 mai 2020 dont Me [N] a signé seul l’AR. La lettre adressée à Mme [Y] est revenue portant la mention «n’habite pas à l’adresse indiquée ».

A l’audience du 09 novembre 2020, les deux parties étant ni présentes ni représentées, le dossier a été radié du rôle de la cour d’appel.

Par lettre RAR en date du 23 mai 2022, Mme [Y] a demandé de réenrôler son affaire dans ces termes :

« Objet : demande de réouverture des débats. Demande de ma nouvelle convocation et date d’audience du fait que je n’ai jamais reçu avec ma signature la convocation et que j’ai été jugée par défaut sans être informée, sans débat contradictoire, sans savoir que j’étais convoquée et sans que la partie adverse m’en informe, sans convocation régulière, sans que la partie adverse me communique ses pièces.

Ma convocation pas signée ni reçue le 4 mai 2020, radiée par erreur sans mon accord sans que je sois informée le 9 novembre 2020 car je n’ai pas été informée et la partie adverse ne m’a communiqué ni écriture ni conclusions en me cachant que j’étais convoquée. Je n’ai pas reçu ma convocation et je n’ai jamais demandé la radiation, je demande la réouverture des débats et ma nouvelle convocation … »

Les parties ont été convoquées à l’audience du 28 novembre 2022 par lettres RAR.

Le dossier a été renvoyé à l’audience du 27 janvier 2023 à laquelle les parties ont été convoquées par lettres RAR en date du 28 novembre 2022 dont elles ont signé les AR le 30 novembre par Me [N] et le 10 décembre 2022 par Mme [Y].

A l’audience du 27 janvier 2023, Mme [Y] était présente.

Elle a demandé oralement et conformément à ses écritures visées le même jour par Mme la greffière de :

– constater qu’elle a été bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale et que le quantum des honoraires versés par Mme [Y] à Me [N] est manifestement abusif au regard des services rendus et de la situation économique précaire, puisqu’il a été dessaisi, elle n’a jamais renoncé à son aide juridictionnelle ;

– constater que lorsqu’une personne a demandé et obtenu l’aide juridictionnelle totale de manière antérieure, son avocat ne peut solliciter le paiement d’honoraires, la contribution due au titre de cette aide juridictionnelle à l’auxiliaire de justice étant exclusive de toute autre rémunération ;

– constater que Mme [Y] a payé 1.500 € malgré leur utilité et sa situation de fortune précaire ;

– constater, ou en tant que besoin, dire qu’il y a absence d’information préalable du client sur les conditions de la rémunération de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle ;

– rappeler que, dans ces circonstances, la détermination des honoraires à défaut de convention entre l’avocat et son client, est fixée selon les usages en fonction de la situation de fortune du client, des frais exposés par l’avocat, et des diligences prouvées de celui-ci ; que Me [N] n’a pas apporté cette preuve ;

– constater que Mme [Y] ne possédait à l’époque des faits aucun revenu, qu’elle connaissait d’importantes difficultés financières qui perdurent à ce jour ;

– constater que Me [N] la savait éligible au bénéfice de l’aide juridictionnelle à 100 %;

– constater le défaut de transparence, l’absence de frais particuliers exposés par l’avocat ;

– constater le défaut de conseil ;

– juger que les « diligences » sont inexistantes et ne justifient aucune facturation quelconque par Me [N] à Mme [Y] et juger que la facture d’un montant de 1.250 € HT n’est pas causée et ordonner en conséquence la restitution de ladite somme de 1.250 € HT, soit 1.500 € TTC ;

– dire que Me [N] doit annuler la facture de 1.250 € HT, soit 1.500 € TTC qu’en tout état de cause, cette facture n’est pas valable ;

– constater que Me [N] a été immédiatement dessaisi le 4 novembre 2016 suite à son défaut de diligences et ne l’a pas assistée devant le juge, n’a déposé aucun acte au juge, n’a jamais rédigé de conclusions, n’a jamais répondu aux conclusions adverses, et ne l’a assistée à aucune audience ;

– constater que Mme [Y] a subi stress, incapacité à travailler suite aux arrêts de travail caractérisant un préjudice depuis novembre 2015 ;

En conséquence :

– annuler la facture de 1.250 € HT soit 1.500 € TTC de Me [N] ;

– ordonner la restitution à Mme [Y] du trop perçu par Me [N] avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

– condamner Me [N] à payer à Mme [Y] la somme de 2.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

– le condamner à payer à Mme [Y] la somme de 2.990 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu de l’équité et des frais exposés par cette dernière;

– ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir ;

– condamner Me [N] aux entiers dépens. »

Mme [Y] a justifié avoir adressé ses écritures de 8.6 Mo et ses pièces de 404.2 Mo à Me [N] par la boite mail gmx.fr le 22 janvier 2023 à l’adresse mail de l’avoca : [Courriel 5].

Me [N] bien que régulièrement informé de la date, de l’heure et de la salle d’audience, était ni présent ni représenté.

Dans ces conditions, le présent arrêt est réputé contradictoire par application de l’article 473 du code de procédure civile.

SUR CE

1 ‘ Le recours de Mme [Y] qui a été effectué dans le délai d’un mois prévu par l’article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007, est recevable.

2 ‘ La cour doit statuer sur l’ensemble des demandes et moyens de Mme [Y] qui a justifié, comme indiqué précédemment, avoir adressé par mail ses écritures et ses pièces à Me [N], et avoir ainsi respecté le principe du contradictoire.

3 ‘ Ensuite, il convient de rappeler, comme l’a dit justement le bâtonnier, que les griefs de Mme [Y] qui renvoient à la responsabilité de l’avocat dans l’accomplissement de sa mission (cf les critiques sur l’absence de diligences, l’absence d’information sur la procédure pénale en cour etc ‘) ne relèvent pas de l’appréciation du bâtonnier, ni du premier président statuant dans le cadre de l’article 174 du décret du 27 novembre 1991.

Sur les honoraires :

4 ‘ Certes Mme [Y] produit plusieurs pièces justifiant que l’aide juridictionnelle totale lui a été accordée :

– une décision du BAJ en date du 26 février 2013 lui a donné l’AJ totale « dans la procédure d’assistance d’une partie civile contre [V] [U] devant le TGI de Paris » et a désigné Maître [R] [H] pour l’assister ;

– une décision du BAJ en date du 26 février 2013 lui a donné l’AJ totale « dans la procédure d’assistance d’une partie civile contre [V] [U] devant le TGI de Paris » et a désigné un avocat pour l’assister, mais dont le nom a été biffé et est illisible ;

– un courrier du BAJ en date du 31 décembre 2013 adressé à AAA l’informant qu’un avocat a été désigné pour lui « prêter son concours dans le cadre de la procédure pour laquelle le bénéfice de l’AJ lui a été accordée, aux lieu et place de Maître [H] ‘ il vous appartient de vous mettre sans retard en rapport avec lui … ». Aucun nom d’avocat n’est écrit sur ce courrier.

Aucun de ces trois documents, antérieurs à la saisine de Me [N] par Mme [Y], n’établit que le premier a été désigné au titre de l’AJ totale pour le compte de la seconde. Son nom n’apparait sur aucun des documents précités.

Une autre pièce produite par Mme [Y] justifie qu’elle a encore demandé l’AJ le 19 février 2019 dans une procédure contre [V] [U]. Mais elle n’est d’aucun effet sur la présente instance dès lors que cette demande est largement postérieure au dessaisissement de Me [N], intervenu par lettre RAR en date du 04 novembre 2016 de Mme [Y] qui lui avait notamment écrit :

« ‘ je vous informe de mon intention de mettre à votre mission.

Depuis le départ, je ne suis jamais informée de l’état d’avancement de ma procédure alors que vous saviez que dans ce dossier, je bénéficiais de l’aide juridictionnelle totale.

Devant vos nombreuses carences, je suis fatiguée de vous relancer pour des diligences que vous me promettez quotidiennement sans jamais les honorer et sans m’en informer ‘ ».

Il est donc établi au vu de ces éléments que Mme [Y] ne peut pas revendiquer avoir bénéficié de l’aide juridictionnelle totale pour la mission exercée par Me [N].

5 ‘ En revanche, contrairement à ce qui est écrit dans la décision déférée, aucune convention d’honoraires signée par Mme [Y] n’est produite devant la présente cour d’appel, ni facture, ni courrier de l’avocat informant la cliente de son taux horaire.

Par mail rédigé le le 14 janvier 2015, Me [N] l’a informée qu’il lui propose de fixer à 2.000 € HT le montant de son intervention « pendant l’intégralité de la phase d’instruction, somme qui pourra faire l’objet d’un échelonnement mais dont le premier versement ne pourra pas être inférieur à 1.000 € HT, soit 1.200 € TTC … »

En l’absence de convention d’honoraires, il y a lieu de faire application de l’article 10 suivant de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par l’article 14 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, la mission confiée à l’avocat ayant débuté courant janvier 2015 :

« ‘ l’honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. »

6 ‘ Cependant, aucune pièce justifiant des diligences effectuées par l’avocat pour le compte de Mme [Y], entre janvier 2015 et début novembre 2016, ne figure dans le dossier de celle-ci, dans la présente instance.

Me [N], bien que régulièrement informé de la date de l’audience, était ni présent ni représenté à celle-ci et n’a pas demandé à être dispensé d’y comparaitre. Il n’a produit aucune pièce prouvant qu’il a réalisé des diligences, c’est à dire un quelconque travail pour Mme [Y].

Dans ces conditions, il convient de constater qu’aucun honoraire n’est dû par la cliente à l’avocat qui doit donc être condamné à lui restituer la somme de 1.500 € TTC qu’elle lui a versée, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La décision déférée est donc infirmée.

Sur les autres demandes :

7 – Mme [Y] ne justifiant pas avoir subi « un préjudice moral » causé par Me [N], il convient de rejeter sa demande de dommages et intérêts faite de ce chef.

8 – En revanche, il paraît inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles exposés au cours de la présente instance. Me [N] est condamné à lui verser la somme de 1.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Me [N] qui succombe, est condamné aux dépens.

9 ‘ Enfin, le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif, il convient de débouter Mme [Y] de sa demande aux fins d’ordonner l’exécution provisoire du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats publics, en dernier ressort, par décision réputée contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Infirme la décision du 20 février 2018 prononcée par la déléguée du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris,

Dit que Me [E] [N] doit restituer à Mme [O] [Y] la somme de 1.500 € TTC qu’elle lui a versée à titre de provision sur ses honoraires,

En conséquence,

Condamne Me [E] [N] à rembourser à Mme [O] [Y] la somme de 1.500 € TTC avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Laisse les dépens à la charge de Me [E] [N],

Condamne Me [E] [N] à payer à Mme [O] [Y] la somme de 1.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [O] [Y] de ses autres demandes,

Dit qu’en application de l’article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l’arrêt sera notifié aux parties par le greffe de la cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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