Responsabilité de l’Avocat : 16 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/06157

·

·

Responsabilité de l’Avocat : 16 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/06157
Ce point juridique est utile ?

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 16/03/2023

****

N° de MINUTE : 23/107

N° RG 21/06157 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T7W4

Jugement (N° 19/08667) rendu le 17 Juin 2021 par le Tribunal de Grande Instance de Lille

APPELANTE

SARL Nord Forages agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Rreprésentée par Me Grégory Dubocquet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SA Allianz Iard

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Pierre Vandenbussche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assisté de Me Laurent Hay, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 04 janvier 2023 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d’instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 décembre 2022

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

La SARL Nord forages (Nord forages) a passé commande auprès de la SAS Irrifrance industries, aux droits de laquelle est venue la SAS Irrifrance groupe (Irrifrance), de 272 conduites d’irrigation HR alu de 9,5 mu suivant deux factures, la première n° 82938 du 27 avril 2004 pour un montant de 17 179,34 euros et la seconde n° 86247 du 30 juin 2004 pour un montant de 5 251,40 euros, soit un montant total de 22 430,74 euros.

Un litige est survenu entre Nord forages et Irrifrance en raison de défauts de ces conduites.

Suivant facture n°113393 du 6 mai 2008 d’un montant de 22 724,96 euros, Nord forages a commandé des conduites d’irrigation AMS non étanches hors pression auprès d’Irrifrance.

Néanmoins, Nord forages n’a pas réglé cette dernière facture en raison du contentieux l’opposant à Irrifrance au sujet des conduites livrées en 2004.

Le conseil d’Irrifrance a mis en demeure Nord forages de payer la facture n° 113393 de 2008 d’un montant de 22 724,96 euros, outre les pénalités de retard telles que stipulées par le contrat, soit les intérêts au taux contractuel de 18% annuel.

Par arrêt du 4 octobre 2010, la cour d’appel de Montpellier a ordonné une expertise des conduites HR.

Par acte du 16 avril 2010, Irrifrance a fait assigner Nord forages devant le tribunal de commerce d’Arras afin de voir cette dernière condamnée à lui payer la somme de 22 724,96 euros avec intérêts au taux contractuel de 18% l’an à compter de la mise en demeure du 12 août 2009 et la somme de 6 152,18 euros au titre d’une facture n° F10/006 du 4 décembre 2009 relative à l’intervention d’un de ses techniciens sur les 272 conduites HR litigieuses.

Par acte du 31 octobre 2011, Nord forages a fait assigner Irrifrance devant le tribunal de commerce d’Arras aux fins de voir notamment prononcer la résolution de la vente des 272 conduites HR pour manquement à l’obligation de délivrance et, subsidiairement, pour vices cachés, condamner Irrifrance à lui payer la somme de 22 430,74 euros en remboursement du prix de la vente avec intérêts au taux légal et la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial.

C’est dans ce contexte que Nord forages a confié la défense de ses intérêts à Maître [P] [L].

Par jugement du 16 mai 2012, le tribunal de commerce d’Arras a notamment ordonné la jonction des deux affaires enregistrées sous les numéros 2010/0835 et 2011/02447.

Par jugement du 13 novembre 2013, le tribunal de commerce d’Arras a

notamment :

. dit Nord forages partiellement fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

. rejeté la demande de contre-expertise sollicitée à titre principal par Nord

forages ;

. déclaré Irrifrance recevable mais mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

. considéré la fourniture des nouvelles conduites livrées en 2008 par Irrifrance comme la remise en état ou le remplacement des matériels vendus en 2004 ;

. condamné Irrifrance à émettre un avoir d’un montant de 22 724,96 euros.

Par arrêt du 15 janvier 2015, la cour d’appel de Douai a notamment :

. dit que les problèmes constatés sur les conduites HR livrées en 2004 à Nord forages par Irrifrance selon les factures n° 82938 du 27 avril 2004 d’un montant de 17 179,34 euros et n° 86247 du 30 juin 2004 d’un montant de 5 251,40 euros ne relèvent pas de la garantie des vices cachés mais de la garantie due au titre de l’obligation de délivrance conforme ;

. dit qu’Irrifrance n’a pas respecté son obligation de délivrance conforme ;

prononcé la résolution de la vente des 272 conduites HR alu 9,5 m ;

. condamné Irrifrance à restituer le prix de cette vente d’un montant de 22 430,74 euros à Nord forages avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2011, date de l’assignation au fond ;

. condamné Irrifrance à payer à Nord forages la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice commercial ;

. débouté Nord forages de ses plus amples demandes de ce chef ;

. condamné Nord forages à payer à Irrifrance la somme de 22 724,96 euros avec intérêts au taux contractuel de 18% à compter de la mise en demeure du 12 août 2009 ;

. ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties ;

. condamné Irrifrance à payer à Nord forages la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

. condamné Irrifrance aux dépens de première instance et d’appel, comprenant les frais d’expertise judiciaire non encore liquidés.

Cet arrêt est devenu définitif, la Cour de cassation ayant constaté le désistement de Nord forages à son pourvoi du 25 novembre 2015 par ordonnance de désistement du 7 janvier 2016.

Par courriel du 16 janvier 2015, Me [L] a transmis l’arrêt de la cour d’appel de Douai à Nord Forages.

Maître Antoine [U], conseil d’Irrifrance, a adressé le 28 mai 2015 à Me [L] le décompte qu’il a établi à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Douai. Ce décompte présentait un solde de 11 980,70 euros en faveur d’Irrifrance. Me [U] remerciait dans ce courrier son confrère de lui faire parvenir un chèque de ce montant libellé à l’ordre de la Carpa.

Par courrier du 10 juin 2015, Nord forages a adressé à Me [U] un chèque d’un montant de 11 980,70 euros à l’ordre de la Carpa.

Puis, par courrier du 23 décembre 2017, le nouveau conseil de Nord forages a adressé au conseil d’Irrifrance une contestation et sollicité la restitution d’un trop-perçu d’un montant de 24 124,04 euros.

Par acte du 21 mars 2017, Nord forages a fait assigner Irrifrance devant le tribunal de commerce de Montpellier aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 24 124,04 euros en répétition de l’indu.

Par jugement définitif du 7 février 2018, le tribunal de commerce de Montpellier a notamment :

débouté Nord forages de sa demande au titre de la répétition de l’indu ;

condamné Nord forages au paiement d’une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont frais de greffe liquidés à 78,36 euros toutes taxes comprises.

Considérant que Me [L] avait manqué à ses obligations, Nord forages a directement agi à l’encontre de la SA Allianz iard (Allianz), auprès de laquelle le barreau de Béthune a souscrit un contrat d’assurance de responsabilité civile auquel Me [L] a adhéré.

Aucun accord n’étant intervenu, par acte du 15 novembre 2019, Nord forages a assigné Allianz devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de la voir condamner au paiement d’une somme en principal de 33 172,04 euros.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Lille a notamment :

– rejeté la demande de révocation de la clôture ;

– condamné Allianz à payer à Nord forages la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts ;

– rejeté le surplus des demandes indemnitaires ;

– condamné Allianz à payer à Nord forages la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Allianz à supporter les dépens de l’instance.

3. La déclaration d’appel :

Par déclaration du 9 décembre 2021, Nord forages a formé appel de ce jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de révocation de la clôture, condamné Allianz à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts, rejeté le surplus des demandes indemnitaires et condamné Allianz à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 février 2022, Nord forages, demande à la cour, au visa des articles 1135 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, de l’article L. 124-3 du code des assurances et 1240 du code civil, de :

=> infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 17 juin 2021 en ce qu’il a :

– condamné Allianz à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts ;

– rejeté le surplus des demandes indemnitaires ;

=> confirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

– condamner Allianz à lui payer la somme de 33 172,04 euros, ou subsidiairement la somme de 21 304,57 euros ;

– condamner Allianz à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

– condamner Allianz à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Allianz aux entiers frais et dépens d’appel.

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

l’avocat est tenu d’une obligation particulière d’information et de conseil à l’égard de son client et il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ;

à titre principal, dans l’hypothèse d’une connexité des créances réciproques :

dans une telle hypothèse la compensation ordonnée par l’arrêt du 15 janvier 2015 est réputée se produire au jour de l’exigibilité de la première des deux créances ;

la créance d’Irrifrance (22 724,96 euros) est devenue exigible le 5 juillet 2008 alors que la sienne (27 430,74 euros) est devenue exigible dès avril 2004 en raison de l’effet rétroactif attaché à la résolution du contrat de vente et c’est donc à cette dernière date que doit s’opérer la compensation des créances ;

ainsi, Irrifrance se retrouve débitrice et non créancière et le décompte de Me [U] est erroné et c’est fautivement que Me [L] lui a transmis sans en vérifier l’exactitude, la laissant procéder au règlement d’un indu de 11 980,70 euros, Me [L] ayant indiqué que la condamnation prononcée à son encontre « aura des conséquences considérables, eu égard au taux d’intérêts de retard exorbitants » ;

le jugement du tribunal de commerce de Montpellier ayant rejeté sa demande de répétition de l’indu n’a pas autorité de la chose jugée en ses digressions sur la connexité des créances réciproques et ce conformément à l’article 480 du code de procédure civile, l’autorité de la chose jugée ne s’attachant qu’à ce qui a été tranché au dispositif du jugement ;

la cour d’appel de Douai ne s’est pas prononcée sur la connexité parce que Me [L] ne l’a fautivement pas demandée ;

le dispositif de l’arrêt ne se prononçant pas sur la connexité, rien n’interdit de considérer que les créances sont connexes et à cet égard il n’est pas contesté que les deux ventes ont trait au même chantier et que la seconde commande, a précisément été faite pour pallier les difficultés relatives à la première commande et en remplacement des conduites achetées en 2004 ;

Me [L] s’est ainsi fautivement abstenu de faire consacrer le caractère de connexité et s’est fautivement abstenu de contester le décompte de Me [U] ;

il ne peut lui être fait grief de ne pas produire les échanges qu’elle a eus avec Me [L] alors que la charge de la preuve de l’exécution de ses obligations repose sur l’avocat et non le client ;

étant profane en matière juridique, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir émis des critiques à l’encontre de la stratégie de son conseil lorsque les instances étaient en cours ;

ses préjudices sont composés du règlement de l’indu (11 980,70 euros) qu’elle n’a pu obtenir, de la créance qu’elle détenait à l’encontre d’Irrifrance qu’elle n’a pas pu recouvrer, et de l’économie qu’elle aurait dû faire en n’engageant pas une procédure devant le tribunal de commerce de Montpellier ;

le calcul de la créance subsistant en sa faveur s’élève à la somme de 11 473,36 euros, outre les intérêts de retard, arrêtés au 30 juin 2019, d’un montant total de 2 780,55 euros ;

la procédure intentée devant le tribunal de commerce de Montpellier l’a exposée à des frais s’élevant à la somme de 6 937,43 euros ;

ses préjudices s’élèvent ainsi à la somme de 33 172,04 euros

si Allianz conteste devoir prendre en charge le remboursement des frais et honoraires au motif qu’ils ne seraient pas garantis, ces frais n’ont pas été réglés à Me [L], l’assuré, mais au conseil qui a pris la suite de la défense de ses intérêts ;

il ne peut lui être reproché de prétendre à une perte de chance d’obtenir une répétition de l’indu alors qu’elle n’a pas interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Montpellier alors que l’opportunité de l’appel doit s’apprécier à la lumière de l’article 1302 alinéa 2 du code civil ;

de même, l’abandon du pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Douai ne saurait lui être reproché dès lors que ce pourvoi ne pouvait prospérer, Me [L] n’ayant pas sollicité la connexité ;

il ne saurait non plus lui être reproché de ne pas avoir poursuivi l’exécution forcée de l’arrêt de la cour d’appel de Douai en suivant son propre décompte alors que conformément à l’article 410 du code de procédure civile, l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement et que l’article 408 du même code dispose que l’acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l’adversaire et renonciation à l’action ;

ses préjudices sont en lien de causalité avec les fautes commises par Me [L], si celui-ci avait demandé la connexité et/ou contesté le décompte de Me [U], elle n’aurait pas eu à régler le montant indu de 11 980,70 euros et subi ainsi les préjudices ci-dessus exposés ;

à titre subsidiaire, dans l’hypothèse d’une absence de connexité entre les créances réciproques :

Me [L] a commis une faute en ne conseillant pas de régler la facture de 2008 et en continuant de s’exposer aux risques présentés par l’impayé soumis au taux d’intérêt de retard contractuel de 18% l’an ;

elle n’a jamais contesté devoir régler cette facture mais Me [L] s’est contenté au travers des procédures d’en solliciter la compensation avec sa créance alors qu’il n’ignorait pas que le processus judiciaire prendrait du temps et aboutirait à une condamnation de sa cliente à payer des intérêts conséquents ;

si elle avait bien conscience du taux d’intérêt contractuel, il n’est pas établi qu’elle ait eu conscience du risque d’avoir à s’acquitter desdits intérêts et des conséquences du choix stratégique de Me [L] alors que cette stratégie n’était pas sans incidence ;

si devant le tribunal de commerce d’Arras, Me [L] a obtenu un jugement neutralisant les effets du taux d’intérêts contractuels en obtenant une condamnation d’Irrifrance à émettre un avoir pour la seconde facture, Me [L] n’a pas sollicité une telle demande lors de la procédure d’appel et a sollicité la résolution de la première vente de sorte qu’il n’a pas plaidé de manière à neutraliser la facture affectée du taux d’intérêt contractuel de 18% mais de manière à neutraliser la facture affectée du taux d’intérêt légal ;

or, elle n’était pas en mesure d’apprécier la portée de ces subtilités

juridiques ;

cette faute lui a causé un préjudice en ce qu’elle s’est acquittée d’intérêts de retard qui ont couru postérieurement à l’information et au conseil que Me [L] aurait dû livrer ;

son préjudice est également composé des frais engagés dans le cadre de la procédure devant le tribunal de commerce de Montpellier ;

Me [L] aurait dû s’acquitter de l’exécution de son obligation dès qu’elle l’a saisi en suite de l’assignation délivrée par Irrifrance le 16 avril 2010 ;

n’étant cependant pas en mesure d’établir avec précision la date à laquelle elle l’a saisi, il convient de retenir la date du 31 octobre 2011, soit la date à laquelle elle a fait assigner Irrifrance à son tour sous les conseils de Me [L] ;

son préjudice s’élève ainsi à la somme de 21 304,57 euros et le lien de causalité est pleinement caractérisé

en effet, en l’absence de tout conseil, elle ne pouvait raisonnablement imaginer qu’elle se trouverait débitrice d’une telle somme ;

ce manquement au devoir de conseil a eu pour suite direct et immédiate la perte d’une chance sérieuse de ne pas payer de tels intérêts il n’était pas question d’un risque mais d’une certitude dès lors que la créance n’était pas contestée ;

la résistance abusive d’Allianz justifie sur le fondement de l’article 1240 du code civil de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

cette résistance est abusive car, si Allianz pouvait légitimement discuter l’argumentation relative à la connexité des créances réciproques, elle ne pouvait valablement prétendre à l’absence d’un manquement de Me [L] à son obligation d’information et de conseil concernant le taux d’intérêt conventionnel puisqu’elle ne dispose d’aucun élément permettant d’établir que celui-ci l’aurait honorée.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 25 mars 2022, Allianz, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

– déclarer mal fondée Nord forages en son appel, ses demandes, fins et écritures ;

– l’en débouter ;

=> réformer le jugement du tribunal judiciaire de Lille en ce qu’il l’a condamnée à payer à Nord forages les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance ;

statuant à nouveau,

– déclarer Nord forages mal fondée en toutes ses demandes, fins et écritures ;

– l’en débouter ;

en tout état de cause,

– condamner Nord forages à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Nord forages aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés directement par Maître Pierre Vandenbussche conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

– si Me [L] a transmis sans commentaire à la société Nord forages, comme celle-ci le soutient, la demande de règlement de son contradicteur après l’arrêt d’appel, contenant un décompte de la somme dont il demandait le règlement, il n’est pas soutenu que Me [L] ait d’une quelconque façon conseillé ou demandé à sa cliente de procéder à son règlement ;

– si ce règlement a été spontané de la part de Nord forages, sans prendre attache préalablement avec son conseil pour apprécier la justesse de cette demande en paiement, dont elle conteste la pertinence, et ce dès le 10 juin 2015, alors qu’elle avait reçu ce document de Me [L] par fax seulement le 8 juin précédent, et si ce règlement se trouvait, comme elle le soutient, à l’origine de l’impossibilité d’en contester ultérieurement la pertinence en justice et d’obtenir de se voir régler les sommes dont elle dit avoir dû régler son contradicteur de façon injuste et être privée de réclamer la somme dont elle dit qu’elle aurait été alors créancière et non débitrice, elle ne peut dès lors en imputer la faute à Me [L] au seul motif que l’envoi par ce dernier dudit document n’aurait été accompagné d’aucun

commentaire ;

– si la connexité de deux créances doit amener le juge à opérer une compensation, il peut ordonner une compensation entre deux condamnations sans avoir à justifier cette compensation par l’existence d’une connexité entre les créances réciproques ;

– la cour d’appel de Douai n’a à aucun moment relevé la connexité des créances dans son arrêt et il importait peu que dans son dispositif, l’arrêt ne mentionne pas l’absence de connexité puisqu’elle se déduit de la lecture de

l’arrêt ;

– la compensation doit s’apprécier à la date de la décision qui est la date laquelle les deux créances sont devenues exigibles ;

– en effet, en 2004, la créance de Nord forages était litigieuse et non

liquide ;

– le juge a toute liberté pour apprécier la date d’effet de la résolution ;

– les prétentions de Nord forages sont infondées car elles tendent à modifier les termes de l’arrêt qui fixe précisément les dates d’effet des intérêts légaux et contractuels ;

– Nord forages s’est désistée de son pourvoi en cassation et se garde de produire la consultation de son conseil à la Cour de cassation qui l’a incitée à se désister ;

” Me [L] a nécessairement transmis un courrier avec le décompte et Nord forages se garde bien de le communiquer et n’établit pas de manquement à l’obligation de conseil préalable au règlement qu’elle a effectué spontanément et directement auprès d’Irrifrance sans contacter Me [L] antérieurement et postérieurement à ce règlement ;

– à aucun moment elle n’a émis de reproche à l’égard de son conseil concernant son argumentation ou la nature de ses demandes alors qu’elle a été parfaitement informée du déroulement des procédures ;

– Nord forages n’a jamais contesté la facture de 2008 et Me [L] a demandé la jonction des deux procédures et la compensation des créances pour éviter que deux décisions soient rendues pour des montants de créances équivalents, mais dont l’une aurait été assortie d’intérêts contractuels bien plus élevés ;

– Me [L] a par ailleurs demandé à sa cliente de produire une attestation démontrant que la commande de 2008 avait pour objet de remplacer le matériel défectueux livré en 2004 ;

– en demandant la jonction, la compensation des créances et une condamnation en réparation du préjudice commercial, il demandait de facto de voir reconnaître les deux créances comme étant réciproques et connexes même s’il ne l’a pas indiqué expressément ;

– devant la cour d’appel il avait, dans ses écritures, fait valoir que les conduites AMS avaient été fournies en remplacement des conduites HR défectueuses et que Nord forages n’avait pas procédé au règlement de la facture de 2008 d’un montant équivalent à celui des factures de 2004 ;

– quand bien même il n’a pas expressément demandé de voir déclarer les deux créances connexes, les termes de ses demandes formulées devant la cour auraient permis, si la cour y avait fait droit, de rendre inopérantes les demandes d’Irrifrance tendant à voir prononcer une condamnation relative à la facture de 2008 assortie des intérêts contractuels ;

– il aurait pour cela fallu que la cour considère, comme le tribunal de commerce d’Arras, que la commande de 2008 n’était que la remise en état ou le remplacement du matériel défectueux livré en 2004. Or, la cour d’appel n’a pas suivi ce raisonnement et a considéré qu’il existait deux créances distinctes, le matériel commandé en 2008 n’étant pas le même que le matériel commandé en 2004 et le bon de commande de 2008 ne faisant aucune référence à un éventuel remplacement des conduites de 2004 ni à un quelconque accord à ce titre entre les deux

sociétés ;

– la cour d’appel s’est ainsi référée implicitement à la jurisprudence constante alors en vigueur et qui prévoyait qu’en cas d’exécution partielle du contrat, la résolution produisait ses effets à la date fixée par le juge, principe consacré par la réforme de 2016 ;

– si Nord forages peut être considérée comme profane en droit, elle ne peut contester avoir eu communication par son conseil de l’ensemble de ses écritures et avoir pu parfaitement mesurer à ce titre l’exactitude du contenu des écritures de son conseil ;

– de plus, le devoir de conseil de l’avocat ne concerne que les points sur lesquels son savoir professionnel est de nature à éclairer le client sur les chances ou les risques que ce dernier, réputé profane en droit, ne serait pas à même d’apprécier, de sorte qu’il n’est pas fautif en rappelant à son client l’existence de faits dont le client a une parfaite connaissance et dont il peut pleinement mesurer les conséquences sans le conseil de son avocat ;

– en l’espèce, lorsque Me [L] est intervenu, Nord forages avait déjà reçu deux mises en demeure dans lesquelles les pénalités de retard étaient évoquées ainsi que l’assignation d’Irrifrance du 16 avril 2010. Ainsi, Nord forages était parfaitement informée du risque de devoir payer les intérêts de retard et a fait le choix délibéré de ne pas régler la facture en connaissance de ce risque ;

– Nord forage reconnaît qu’elle « avait une parfaite connaissance du taux d’intérêt contractuel applicable à la facture litigieuse de 2008 » tout en soutenant de façon assez incohérente qu’il ne serait néanmoins « absolument pas établi que celle-ci ait eu conscience du risque d’avoir à s’acquitter in fini desdits intérêts » au motif qu’il ne serait pas établi qu’elle « aurait pu être parfaitement informée des conséquences juridiques du choix stratégique de Maître [L] » ; cette argumentation ne peut qu’étonner dès lors que le taux d’intérêt contractuel ne dépend en aucune façon des choix de Me [L] ;

– elle est ainsi fondée à solliciter la réformation du jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts après avoir retenu une faute de Me [L] pour ne pas avoir rapporté la preuve qu’il aurait attiré l’attention de sa cliente sur le risque que représentaient les intérêts au taux particulièrement élevé de 18% ;

– Nord forages aurait dû interjeter appel du jugement du tribunal de commerce de Montpellier ayant rejeté sa demande en répétition de l’indu dès lors que le rejet de sa demande n’était fondé que sur le deuxième alinéa de l’article 1302 du code civil qui ne concerne que les obligations naturelles et qui ne concerne donc pas le règlement effectué à la demande du conseil de la partie adverse en vertu d’une décision de justice exécutoire ;

– Nord forages ne peut donc soutenir l’existence d’une perte de chance alors qu’elle n’a pas interjeté appel et a ainsi entériné elle-même ses chances d’obtenir la répétition de l’indu ;

– il lui appartenait de même de maintenir son pourvoi et non de s’en

désister ;

– nonobstant ces absences de recours, si comme Nord forages le soutient, elle est créancière d’Irrifrance en exécution de l’arrêt, elle disposait et dispose toujours d’un délai de 10 ans pour tenter de l’exécuter par voie d’huissier en vertu de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution et pour saisir le juge de l’exécution, une telle mesure d’exécution étant par nature distincte d’une action judiciaire en répétition de l’indu fondée sur l’article 1302 du code civil ;

– ainsi, Nord forages ne rapporte pas la preuve de l’existence d’une perte de chance en lien avec la faute qu’elle impute à Me [L] ;

– concernant les préjudices allégués, la demande principale de Nord forages repose sur un calcul erroné et non explicité s’agissant de la prise en compte d’intérêts légaux dus par Irrifrance depuis 2004 et sur l’absence de tout intérêt contractuel dû par Nord forages, alors qu’au contraire l’arrêt a condamné Irrifrance à payer des intérêts légaux depuis 2011 et Nord forages à payer des intérêts contractuels depuis 2009 ;

– par ailleurs, Nord forages soutient qu’elle a payé à tort les frais irrépétibles et frais d’expertise sans justifier que ces frais seraient en lien avec les fautes alléguées ;

– les frais de procédures engagés dans le cadre de la procédure devant le tribunal de commerce de Montpellier ne peuvent lui être réclamés puisqu’elle ne garantit pas les demandes de remboursement des frais et honoraires réglés à l’assuré, d’autant plus que le calcul de Nord forages est de nouveau assez peu compréhensible et que seules deux des notes de frais et honoraires produites portent la mention du dossier opposant Nord forages à Irrifrance ; la demande est ainsi infondée en son quantum ;

– si la cour venait à approuver les premiers juges en ce qu’ils ont retenu l’existence d’une faute de Me [L], le taux de perte de chance devra s’apprécier à un degré moindre en ramenant une éventuelle condamnation à une somme infiniment moindre que celle prononcée par les premiers juges ;

– elle n’a commis aucune résistance abusive, les demandes de Nord forages n’étant pas empreintes d’une légitimité évidente.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle que l’objet du litige est déterminé, en application de l’article 4 du code de procédure civile, par les prétentions des parties respectivement formulées dans leurs conclusions récapitulatives, elles-mêmes enserrées dans les limites des prétentions exposées dans leurs premières conclusions visées par l’article 910-4 du même code.

En application du principe d’indisponibilité du litige pour le juge, tel qu’il est prévu par l’article 5 du code de procédure civile, la cour a l’obligation de respecter les termes du litige tel qu’il a été défini par les parties.

En l’espèce, Nord forages demande à la cour, à titre principal, de condamner Allianz à lui payer la somme de 33 172,04 euros et, à titre subsidiaire, la somme de 21 304,57 euros.

La lecture de ses moyens enseigne que sa demande principale est fondée sur les fautes contractuelles alléguées de Me [L] constituées par une abstention fautive de faire consacrer le caractère de connexité des créances réciproques, et un manquement à son obligation d’information et de conseil, en ce qu’il n’a pas contesté le décompte erroné transmis par le conseil d’Irrifrance et ne lui a donné ni information ni conseil lors de sa communication.

La demande subsidiaire est exclusivement fondée sur un manquement à l’obligation d’information et de conseil de Me [L] qui se serait fautivement abstenu de la sensibiliser sur les risques relatifs aux intérêts au taux contractuel annuel de 18% afférents à la facture de 22 724,96 euros.

Sur la responsabilité de l’avocat :

Dans les rapports avec son client, l’avocat est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle lorsqu’il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l’exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l’espèce.

Dans ce cadre, l’avocat est astreint à l’égard de son client à une obligation d’information et de conseil, dont la preuve de l’exécution lui incombe.

Concernant l’obligation d’information, la cour rappelle que la finalité de l’information est d’éclairer le client sur ses droits et obligations, ses possibilités d’action, les risques encourus, les chances de succès, et tous éléments qui permettraient de prendre les meilleures décisions dans son intérêt. Cette information doit être objective et complète.

Le devoir de conseil de l’avocat, bien que souvent indissociable de l’obligation d’information, impose des diligences encore plus importantes et consiste à orienter la décision du client sur ses différentes demandes, sur les voies et moyens utilisables, à évaluer les options envisageables, à apprécier les chances de succès, à mettre en garde sur les risques d’échec, sur les incertitudes du droit positif et en particulier de la jurisprudence.

Sur la faute de l’avocat :

Nord forages soutient que la responsabilité de Me [L] est engagée aux motifs qu’il n’a pas demandé au tribunal de commerce d’Arras et à la cour d’appel de Douai de reconnaître la connexité des créances réciproques dans le litige l’opposant à Irrifrance. Elle fait également valoir que Me [L] s’est fautivement abstenu de critiquer le décompte erroné établi par Me [U], conseil d’Irrifrance, à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015, qu’il lui a transmis sans lui donner d’explication ou d’indication, et qu’elle a ainsi réglé un solde erroné au bénéfice d’Irrifrance.

Sur ce,

Comme exposé ci-dessus, par arrêt du 15 janvier 2015, la cour d’appel de Douai a prononcé la résolution de la vente de 2004 et a condamné Irrifrance à restituer le prix de cette vente, soit la somme de 22 430,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2011, date de l’assignation au fond. Ce même arrêt a également condamné Irrifrance à payer à Nord forages la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice commercial, outre la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles. De son côté, Nord forages a été condamnée à payer à Irrifrance la somme de 22 724,96 euros avec intérêts au taux contractuel de 18% l’an à compter de la mise en demeure du 12 août 2009.

Cet arrêt a par ailleurs ordonné la compensation de ces créances réciproques.

Or, lorsque des créances réciproques sont connexes, le droit antérieur à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 considérait que l’effet extinctif de la compensation judiciairement ordonnée était réputé s’être produit au jour de l’exigibilité de la première créance.

Par conséquent, la connexité de ces créances réciproques ne serait pas sans incidence.

Il convient ainsi de déterminer si ces créances présentaient un caractère connexe. Toutefois, Allianz soutient que le jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 7 février 2018 a déjà répondu à la question et a autorité de la chose jugée. Il est dès lors nécessaire d’examiner s’il a déjà été effectivement statué sur la question puis enfin de vérifier si le décompte établi par Me [U] était bien erroné et si par conséquent Me [L] peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir critiqué ce décompte et pour ne pas avoir respecté ses obligations d’information et de conseil dans le cadre de la communication du décompte litigieux à sa cliente.

Sur l’autorité de la chose jugée

Aux termes de l’article 1351, devenu 1355, du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

L’autorité de la chose jugée n’est attachée qu’au dispositif d’un jugement et non aux motifs de celui-ci.

Dans son jugement définitif du 7 février 2018, le tribunal de commerce de Montpellier, a notamment débouté la société Nord Forages de sa demande au titre de la répétition de l’indu. Le dispositif de ce jugement ne contient aucun chef relatif à la connexité des créances réciproques. Il est donc inexact d’affirmer comme le fait Allianz que la question de la connexité a été tranchée par le tribunal de commerce de Montpellier et que l’autorité de la force jugée dont est revêtu ce jugement fait obstacle à ce que la cour puisse se prononcer sur la connexité des créances réciproques.

Si ce jugement est notamment motivé par le fait que l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 juin 2015 n’a pas établi de lien de connexité entre les créances et que cet arrêt est revêtu de l’autorité de la chose jugée, l’autorité de la chose jugée n’est pas attachée aux motifs de ce jugement et le motif de ce jugement définitif ne fait donc pas obstacle à ce que la cour apprécie si les créances présentaient ou non un lien de connexité.

De même, il n’est pas contesté que l’arrêt de la cour d’appel de Douai n’a pas statué sur la connexité de ces créances, une telle demande n’ayant pas été formulée, Me [L], dans ses conclusions devant la cour d’appel de Douai n’avait formulé aucun moyen sur la compensation et faisait simplement la demande suivante : « ordonner la compensation entre ladite somme de 38 430,74 euros, créance de NORD FORAGE sur IRRIFRANCE, avec celle de 22 724,96 € TTC, créance d’IRRIFRANCE sur NORD FORAGE au titre des conduites livrées en 2008, et constater en conséquence que NORD FORAGE est créancier de la SAS IRRIFRANCE GROUPE, après compensation, de la somme de 15 705,78 € à titre principal ».

Par conséquent, aucune décision judiciaire prononcée précédemment n’a statué sur le lien de connexité entre les créances réciproques de Nord forages et Irrifrance, de sorte que la cour peut aujourd’hui se prononcer sur la question sans méconnaître le principe de l’autorité de la chose jugée.

Sur la connexité des créances réciproques

La cour rappelle que la connexité s’étend au même ensemble contractuel qui peut inclure des contrats distincts. Le lien de connexité peut exister entre des créances et dettes nées de ventes et achats conclus en exécution d’une convention ayant défini entre les parties, le cadre du développement de leurs relations d’affaires ou de plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations.

Toutefois, il n’y a pas de connexité entre les créances réciproques lorsque les contrats générateurs des obligations réciproques n’ont aucun lien entre eux ou lorsque ces contrats se rapportent à des relations commerciales suivies mais qui n’ont pas été organisées pour former un ensemble contractuel.

La connexité est encore exclue lors que les créances sont issues de ventes successives distinctes et indépendantes entre les mêmes parties.

En l’espèce, les créances réciproques proviennent des deux factures d’Irrifrance émises en 2004 et 2008, lesquelles portent sur des ventes bien distinctes de conduites d’irrigation de modèles différents. Ces deux ventes successives ont été conclues entre les mêmes parties et concernent le même chantier. Il ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015 que les problèmes présentés par les conduites achetées en 2004 se sont accentués dans le temps, obligeant à changer les conduites du système d’irrigation en 2008.

Néanmoins, la cour constate que le bon d’achat de 2008 ne comprend aucune mention relative à la précédente commande de conduites d’irrigation HR. Ces ventes successives sont indépendantes l’une de l’autre, et ne suffisent pas à établir l’existence d’un flux habituel de relations commerciales entre les parties.

En effet, il n’est produit aucune pièce démontrant l’existence d’une convention instaurant un ensemble contractuel unique servant de cadre général pour les relations entre Nord forages et Irrifrance.

De plus, si dans ses conclusions Allianz explique que les écritures de Maître [L] tendaient à démontrer l’existence d’une connexité, celui-ci ne l’a pour autant pas expressément mentionnée. En outre, les conclusions d’Allianz, compte tenu de leur ambivalence, ne caractérisent pas un aveu judiciaire, dès lors qu’elles indiquent d’abord que Maître [L], par ses demandes de jonction et de compensation, « demandait de facto de voir reconnaître les deux créances comme étant réciproques et connexes », et ensuite qu’« une telle connexité apparaissait plus que litigieuse ».

Il s’ensuit que le lien de connexité entre les créances réciproques n’est ni établi par les pièces produites ni par un aveu judiciaire.

En conséquent, il n’est pas démontré que Me [L] s’est fautivement abstenu de solliciter la connexité des créances réciproques.

Sur le caractère erroné du décompte et le manquement à l’obligation d’information et de conseil de l’avocat

La connexité des créances réciproques n’étant pas démontrée, la responsabilité de Maître [L] ne saurait être retenue pour n’avoir pas contesté à cet égard le caractère erroné du décompte litigieux.

Néanmoins, Nord forages, après avoir exposé les conséquences qu’aurait eu la connexité et rappelé les termes de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015 et les composantes des créances, considère que le décompte de Me [U] est erroné et que Me [L] lui a fautivement transmis le décompte sans en vérifier et en discuter l’exactitude, la laissant ainsi procéder à un règlement spontané du solde figurant sur ce décompte.

Il est dès lors nécessaire d’examiner si le décompte litigieux comporte ou non des erreurs, étant précisé que Nord forages ne conteste pas le montant des intérêts contractuels au taux annuel de 18% indiqué dans ce décompte.

Le décompte de Me [U] expose qu’il revient :

à Nord forages :

en principal : 22 430,74 euros ;

à titre dommages et intérêts : 5 000 euros ;

pour les frais irrépétibles : 5 000 euros ;

pour les frais d’expertise : 1 767,58 euros ;

=> soit un total de 34 198,32 euros ;

à Irrifrance :

en principal : 22 724,96 euros ;

pour les intérêts contractuels au taux annuel de 18% arrêtés au 6 mai 2015 :

23 454,96 euros ;

=> soit total de 46 179,02 euros.

Ce décompte présente ainsi un solde de 11 980,70 euros au bénéfice d’Irrifrance.

Il s’observe cependant que les intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2011 sur la somme en principal de 22 430,74 euros, auxquels la société Irrifrance a été condamnée, ne figurent pas dans ce décompte.

Par conséquent, le décompte est bien erroné.

Or, la cour constate, d’une part, que par courriel du 16 janvier 2015, Me [L] a transmis l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015 à Nord Forages et lui a indiqué :

« La disposition la plus désagréable pour vous est celle par laquelle, dès lors que vous n’aviez pas réglé le prix de vente des conduites AMS, la Cour vous condamne à payer la somme de 22 724,96€ avec intérêts au taux contractuel de 18% à compter de la mise en demeure du 12/08/2009.

Même si la Cour ordonne la compensation entre les deux condamnations réciproques, la seconde aura des conséquences considérables, eu égard au taux d’intérêts contractuel.

Je vous invite donc à lire attentivement la motivation et le dispositif de l’arrêt, et je reste à votre disposition pour m’en entretenir avec vous. ».

Il apparaît ainsi à la lecture de ce courriel que Me [L] n’a donné aucune instruction à sa cliente.

D’autre part, par courrier du 10 juin 2015, Nord forages a transmis au conseil d’Irrifrance un chèque d’un montant conforme au montant du solde du décompte. Ce courrier indique : « Pour faire suite à l’entretien que nous avons eu avec Maître [L], veuillez trouver ci-joint un chèque bancaire… ».

Le décompte de Me [U] a été établi le 28 mai 2015. Il n’est cependant produit aucun courrier ou fax qui aurait été joint par Me [L] à la communication de ce décompte à sa cliente.

En premier lieu, il résulte ainsi de ces deux documents que le seul renvoi par Me [L] de ses clients à la lecture de l’arrêt qu’il leur avait transmis ne satisfait pas son obligation d’information et de conseil, alors qu’une telle lecture implique que ceux-ci aient été préalablement éclairés par la propre analyse de leur conseil et par ses conseils sur l’orientation de la procédure. La seule proposition de « rester à [leur] disposition » est à cet égard insuffisante.

En second lieu, alors qu’il appartient à l’avocat de démontrer qu’il s’est acquitté de ses obligations d’information et de conseil, l’assureur de Me [L] ne produit aucune autre pièce établissant que ce dernier a tant vérifié l’exactitude du décompte que conseillé à sa cliente de ne pas procéder au paiement litigieux. Si Allianz fait grief à Nord forages d’avoir procédé de sa propre initiative au règlement dès le 10 juin 2015 sans avoir pris attache auprès de son conseil alors qu’il avait reçu le décompte par fax le 8 juin 2015, il appartenait au contraire à Me [L] d’exécuter, spontanément et concomitament à la transmission du décompte litigieux, ses obligations d’information et de conseil auprès de sa cliente dès la transmission du décompte sans attendre que sa cliente revienne vers lui. Ce faisant, Me [L] a commis une faute.

La faute de l’avocat étant établie, il reste à examiner s’il existe un préjudice en lien de causalité avec celle-ci.

Enfin, la cour ayant ainsi retenu la faute invoquée par Nord forages pour solliciter la condamnation de l’assureur de Me [L] à lui payer la somme de 33 172,04 euros, il n’y a pas lieu d’examiner la faute qu’elle invoque au soutien de sa demande subsidiaire aux fins de condamnation de cet assureur à lui payer 22 724,96 euros au motif que son avocat se serait fautivement abstenu de la sensibiliser sur les risques relatifs aux intérêts au taux contractuel annuel de 18% afférents à la facture d’Irrifrance de 2008 d’un tel montant.

Sur le préjudice et le lien de causalité :

Lorsqu’il ne peut être tenu pour certain qu’en l’absence de la faute résultant d’un manquement par l’avocat à son obligation d’information et de conseil, le dommage invoqué par son client ne serait pas survenu, le préjudice subi s’analyse en une perte de chance d’échapper à ce dommage ou de présenter un dommage de moindre gravité, correspondant à une fraction des différents chefs de préjudice, évaluée en mesurant l’ampleur de la chance perdue et non en appréciant la nature ou la gravité de la faute.

Constitue ainsi une perte de chance la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, même faible.

La perte de chance n’est toutefois réparable que si la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l’éventualité favorable espérée.

Dès lors que Nord forages a réglé un montant erroné ne tenant pas compte du montant des intérêts au taux légal sur la somme de 22 430,74 euros à compter du 31 octobre 2011, son préjudice est constitué par la perte de chance de percevoir le montant de ces intérêts.

Cependant, Allianz fait valoir qu’il est toujours possible pour Nord forages de saisir le juge de l’exécution dès lors que le délai de 10 ans pour exécuter l’arrêt conformément à l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution court toujours. Elle fait également valoir qu’il appartenait à Nord forages d’interjeter appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 7 février 2018 ayant rejeté sa demande de répétition de l’indu en raison de la motivation très critiquable de ce jugement.

En réponse, Nord forages soutient qu’elle ne dispose plus d’aucun recours à l’encontre d’Irrifrance et qu’elle ne peut plus poursuivre quelle qu’exécution forcée que ce soit pour avoir exécuté sans réserve une décision de justice non exécutoire et ce conformément aux articles 408 et 410 du code de procédure civile.

L’article 408 du code de procédure civile dispose que l’acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l’adversaire et renonciation à l’action.

L’article 410 précité dispose quant à lui que l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement.

Sur ce point, d’une part, en réglant spontanément le décompte établi par son adversaire à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015, seules les dispositions de l’article 410 du code de procédure civile peuvent s’appliquer et non les dispositions de l’article 408 précité.

D’autre part, l’exécution volontaire, par l’une des parties, de l’un des chefs d’une décision de justice n’entraine de sa part aucun acquiescement ni aucune renonciation au droit d’appel relativement à d’autres chefs du même jugement distincts et indépendants du chef volontairement exécuté.

Or, s’agissant en l’espèce en réalité d’une exécution partielle de l’arrêt ainsi que cela a été constaté ci-dessus, Nord forages n’a pas acquiescé implicitement à l’arrêt comme elle l’expose elle-même à tort. Il s’ensuit que Nord forages ne se trouve pas privée du droit de saisir le juge de l’exécution.

Pour rappel, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable.

Sa réparation ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur une telle disparition.

Nord forages ayant la possibilité de saisir le juge de l’exécution et ayant de fortes chances d’obtenir le règlement des intérêts au taux légal en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 15 janvier 2015, cette perte de chance n’est ni certaine, ni actuelle.

Il s’ensuit que Nord forages ne subit aucune perte de chance de percevoir le montant des intérêts qui lui sont dus.

En revanche, la saisine du tribunal de commerce de Montpellier dans le cadre d’une action en répétition de l’indu ayant pour but de contester le décompte erroné et d’obtenir le règlement du solde correctement calculé de la compensation des créances réciproques est en lien de causalité avec la faute commise par Me [L]. Quand bien même Nord forages ne subit pas de perte de chance certaine de percevoir le montant des intérêts qui lui sont dus, la procédure intentée afin de contester le décompte et le montant réglé trouve en partie son origine dans la faute de Me [L]. En effet, si dans ses prétentions devant le tribunal de commerce de Montpellier, Nord forages présentait des demandes dont le montant était calculé en tenant compte de la connexité alléguée tout en reprochant au décompte d’être calculé de manière erronée en raison d’une compensation opérée sur des bases chronologiques inversées, sa demande incluait également les intérêts au taux légal ayant commencé à courir à compter du 31 octobre 2011 conformément à l’arrêt du 15 janvier 2015 de la cour d’appel de Douai.

Il s’ensuit que si cette procédure n’a pas été engagée exclusivement en lien avec la faute retenue de Me [L], le lien avec cette faute existe néanmoins et il en résulte un préjudice consistant en l’économie qui aurait pu être faite s’il n’avait pas été nécessaire d’engager une telle action.

Toutefois, Nord forages ayant engagé cette action en répétition de l’indu, motivée notamment par ses prétentions sur la connexité alléguée entre les créances réciproques, il convient de limiter le montant de ce préjudice à hauteur de 50%.

Dans la situation contrefactuelle où les intérêts auraient bien été inclus dans le décompte et déduits du solde, les moyens de Nord forages permettent de considérer qu’elle aurait tout de même saisie le tribunal de commerce de Montpellier dès lors que son argumentation est essentiellement centrée sur la connexité entre les créances réciproques.

Sur la liquidation du préjudice :

Concernant le montant des frais exposés dans le cadre de cette procédure, contrairement à ce qu’expose Nord forages, les d’honoraires d’avocat ne s’élèvent pas à la somme de 5 735,80 euros mais à 5 602,74 euros. Par ailleurs, si Allianz soutient que ces notes d’honoraires ne sont pas en lien avec le litige ayant opposé Nord forages à Irrifrance au motif que celles-ci sont postérieures au jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier de 2016 et que seules deux d’entre elles portent la mention du dossier Nord forages / Irrifrance, la cour constate néanmoins que ces notes d’honoraires ont été établies avant le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 7 février 2018 contrairement à ce que soutient Allianz et considère par conséquent qu’elles ont trait à cette procédure.

S’ajoutent à cette somme de 5 602,74 euros les frais irrépétibles auxquels a été condamnée Nord forages par le jugement du tribunal de commerce de Montpellier, les frais de greffe d’un montant de 78,36 euros, les frais de signification du jugement d’un montant de 87,27 euros et le droit de plaidoirie à hauteur de 36 euros.

Les frais engagés s’élèvent ainsi à la somme de 6 804,37 euros suivant les justificatifs produits.

Allianz objecte toutefois que le contrat d’assurance souscrit ne garantit pas les demandes de remboursement des frais et honoraires réglés à l’assuré.

Cependant, il ne s’agit pas ici du remboursement des honoraires de Me [L] lui-même mais des frais d’honoraires du Cabinet Sipp avocats, conseil de Nord forages dans le cadre de l’action en répétition de l’indu devant le tribunal de commerce de Montpellier. La police d’Allianz prévoit bien une exclusion de garantie s’agissant des réclamations visant au remboursement des frais et honoraires de l’assuré. Ce contrat ne prévoit pas d’exclusion de garantie pour les frais et honoraires d’un avocat d’un autre barreau. Or, Me [L] est avocat au barreau de Béthune tandis que le Cabinet Sipp avocats est inscrit au barreau d’Arras.

Par conséquent, Allianz ne justifie d’aucune exclusion de garantie opposable à Nord forages et il convient de la condamner au paiement de la somme de 3 402,18 euros en réparation du préjudice subi par Nord forages en raison de la faute commise par Me [L] après limitation de ce préjudice à hauteur de 50%.

Le jugement querellé sera par conséquent infirmé.

Sur la résistance abusive :

En application de l’article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu’un préjudice en résulte.

La position de Allianz en cause d’appel ne peut être considérée comme résultant d’une attitude fautive, alors même que les demandes de Nord forages n’étaient que partiellement fondées.

De plus, l’assureur ne commet pas de faute lorsqu’il conteste sa garantie en opposant des moyens sérieux, même si ses prétentions sont rejetées.

Le jugement sera ainsi confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt et l’équité conduisent :

d’une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

et d’autre part, à condamner Allianz, outre aux entiers dépens d’appel, à payer à Nord forages la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Lille en ses chefs déférés sauf en ce qu’il a :

– condamné la SA Allianz Iard à payer à la SARL Nord forages somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SA Allianz Iard à supporter les dépens de l’instance,

Le confirme de ces chefs,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la SA Allianz Iard à payer à la SARL Nord forages la somme de

3 402,18 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la SA Allianz Iard aux dépens d’appel,

Condamne la SA Allianz Iard à payer à la SARL Nord forages la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel.

Le greffier, Le président,

Harmony POYTEAU Guillaume SALOMON

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x