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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 21 MARS 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02312
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2020 – Cour d’Appel de Paris – RG n°19/02520
APPELANT
Monsieur [H] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Agnès PEROT de la SELARL AVOX, avocat au barreau de PARIS, toque : J109
INTIMEE
EURL [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe PAINGRIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E2050
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 21 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Le 20 juillet 2018, l’EURL [L] a procédé au licenciement de Mme [I] [S] avec l’assistance de M. [H] [N], avocat au barreau du Val de Marne, qui a rédigé la lettre de convocation à l’entretien préalable et la lettre de licenciement.
Le conseil de prud’hommes de Paris a, par jugement du 14 mars 2019, déclaré nul le licenciement intervenu et condamné la société [L] à payer à Mme [S] les sommes de :
– 16 976,73 euros au titre des salaires du 6 octobre 2018 au 23 juin 2019, date de la fin de la période de protection,
– 1 697,67 euros au titre des congés payés y afférents,
– 990,88 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 99,08 euros au titre des congés payés y afférents avec intérêts de droit à compter de la réception par la défenderesse de la convocation à l’audience de conciliation,
– 11 890,65 euros d’indemnité pour nullité du licenciement avec intérêts de droit à compter de la décision,
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il a considéré que le licenciement pour cause réelle et sérieuse était nul comme étant intervenu pendant la période de protection dont bénéficiait Mme [S] alors enceinte.
Par acte du 19 mars 2019, la société [L] a fait assigner M. [N] au titre de sa responsabilité professionnelle devant le tribunal de grande instance de Créteil.
Par jugement du 14 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a :
– condamné M. [N] à payer la somme de 32 654,92 euros à la société [L] à titre de dommages-intérêts outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [N] aux dépens,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 28 janvier 2020, M. [N] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 8 septembre 2020, M. [H] [N] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a :
– condamné à payer la somme de 32 654,92 euros à la société [L] à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné aux dépens de l’instance,
– débouté de ses demandes tendant à voir condamner la société [L] à lui verser une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l’instance,
statuant à nouveau :
– débouter la société [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société [L] à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner au paiement des entiers dépens de l’instance,
subsidiairement,
– faire une juste appréciation du pourcentage de chance perdue de se trouver dans une situation plus favorable et du quantum des condamnations qui auraient pu être évitées avec un meilleur conseil,
– débouter la société [L] de ses demandes excédant le préjudice de perte de chance éventuellement subi.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 8 juin 2020, l’EURL [L] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que M. [N] a commis une faute professionnelle,
– confirmer la décision en ce qu’elle a condamné M. [N] au paiement d’une somme de 32 654,92 euros,
– réformer la décision déférée et :
– condamner M. [N] au paiement d’une somme de 7 089,49 euros,
– condamner M. [N] à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– condamner M. [N] au paiement d’une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [N] au paiement des entiers dépens.
SUR CE,
Sur la faute
Le tribunal a retenu que M. [N] avait manqué à son devoir d’information et de conseil envers la société [L] puisqu’informé par l’employeur par sms et courrier électronique du 29 juin 2018 que la salariée était enceinte, il lui a adressé le 20 juillet suivant un projet de lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse alors qu’il aurait dû attirer son attention sur le fait qu’elle ne pouvait licencier sa salariée pendant son congé maternité, ni pendant les dix semaines subséquentes en application de l’article L.1225-4 du code du travail.
M. [N] conteste avoir commis des fautes aux motifs que :
– la société [L] produit des sms antérieurs au licenciement qui évoquaient seulement des affirmations orales de sa salariée sur son état de grossesse et elle ne justifie pas lui avoir transmis la déclaration de grossesse et le certificat médical qu’elle avait reçus par lettre recommandée datée du 3 juillet 201 ni même de l’avoir averti de cette déclaration de grossesse,
– il conteste avoir reçu le courriel que lui aurait adressé le 6 juillet 2018 Mme [L] contenant ces deux documents, lequel est d’ailleurs particulièrement douteux et n’a été produit en première instance qu’en dernière minute avant la clôture de l’instruction,
– ce n’est que postérieurement au licenciement et par courriel du 1er août 2018 que Mme [L] lui a transmis pour la première fois un courrier reçu de sa salariée évoquant la déclaration de grossesse,
– d’une part, il n’était pas certain le 28 juin 2018 que la salariée était enceinte et d’autre part, le licenciement a notamment été motivé par ‘ une impossibilité de poursuivre la relation de travail pour motifs personnels’ étrangers à l’état de grossesse, motif permettant aux termes de l’article L.1225-4 du code du travail de licencier une femme enceinte, dont le contrat n’est pas encore suspendu au titre du congé de maternité, ce qui était le cas en l’espèce,
– il n’a donc commis aucune erreur,
– le fait de ne pas avoir informé la société [L] qu’elle disposait de 15 jours pour renoncer au licenciement à compter de la réception de la lettre de contestation de sa salariée n’est pas fautif puisque cette lettre lui a été transmise le 1er août 2018 à 48 heures de son départ en congé et qu’il n’a pas pu en discuter avec sa cliente ni en prendre connaissance pour savoir qu’elle invoquait une déclaration de grossesse.
La société [L] soutient que :
– M. [N] n’aurait jamais dû lui conseiller de licencier sa salariée en invoquant le motif d’une cause réelle et sérieuse alors qu’il était incontestablement informé que Mme [S] était enceinte avant de lui adresser la lettre de licenciement le 20 juillet 2018 à envoyer le jour même puisque non seulement par courriel du 6 juillet elle lui avait transmis le certificat de grossesse de sa salariée qu’elle avait reçu la veille mais aussi, il reconnaît qu’il avait été informé verbalement de cette situation potentielle et son devoir de conseil lui imposait, avant de procéder à la convocation à l’entretien préalable puis à la rédaction de la lettre de licenciement, de vérifier auprès de sa cliente l’information essentielle relative à l’état de grossesse de Mme [S],
– la lettre de licenciement qu’il a rédigée liste des griefs qu’il a qualifiés de cause réelle et sérieuse de licenciement et le conseil donné de choisir ce motif de licenciement est erroné compte-tenu de sa connaissance de l’état de grossesse de la salariée,
– il a également commis une faute professionnelle en ne donnant pas le conseil de rétracter le licenciement et de réintégrer la salariée, au vu de son état de grossesse dont il a eu connaissance avant l’expiration du délai de rétractation de 15 jours.
L’engagement de la responsabilité de l’avocat, sur le fondement de l’article 1231 du code civil, nécessite la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
L’avocat, en sa qualité de rédacteur d’acte, est redevable envers son client d’une obligation d’information et tenu à un devoir de conseil, consistant à l’informer et attirer son attention sur les risques encourus au vu des dispositions contractuelles, mais également de s’assurer de la validité et de l’efficacité de l’acte.
L’article L. 1225-4 du code du travail prévoit que :
Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.
Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
L’article L. 1225-5 du même code dispose que :
Le licenciement d’une salariée est annulé lorsque, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, l’intéressée envoie à son employeur, dans des conditions déterminées par voie réglementaire, un certificat médical justifiant qu’elle est enceinte.
Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque le licenciement est prononcé pour une faute grave non liée à l’état de grossesse ou par impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.
Le 29 juin 2018, Mme [L], gérante de la société [L], a échangé par sms avec M. [N], au sujet de sa salariée, lui exposant qu’elle voulait s’en séparer, qu’elle avait déjà adressé un avertissement et que cette dernière venait de lui annoncer le matin même qu’elle était enceinte.
Le 30 juin, elle lui a écrit par sms que sa salariée lui avait annoncé qu’elle allait recevoir un courrier concernant sa grossesse.
Elle a doublé cette information d’un courriel du même jour dans lequel elle précisait que la réponse de sa salariée à l’avertissement annoncé avait été :’Sachez que je suis enceinte et vous n’allez pas pouvoir me virer’.
Le 2 juillet suivant, M. [N] a transmis par courriel à sa cliente la convocation à un entretien préalable à compléter et à envoyer à la salariée le jour même avant 16 heures. Aucune interrogation sur la justification de l’état de grossesse n’y figure.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juillet suivant, Mme [S] a transmis à son employeur sa déclaration de grossesse et un certificat médical de grossesse.
Dans sa requête de saisine du conseil de prud’hommes, celle-ci relate qu’elle a envoyé deux autres lettres distinctes à son employeur ce même jour, l’une relative à un ‘avertissement d’harcèlement’ et l’autre intitulée ‘ incident du 29 juin 2018″.
Or, le 6 juillet, Mme [L] a envoyé un courriel à son avocat dans lequel elle lui indique ‘Veuillez trouver ci-joint les 3 recommandés’, ce qui établit la transmission de la déclaration de grossesse et du certificat médical de grossesse à M. [N].
En effet, ce courriel n’apparaît pas douteux au seul motif qu’il correspond à un courriel transférant à M. [N] un courriel du jour précédent de Mme [L] à M. [N] qui annonce l’envoi des trois recommandés mais ne contient pas de pièces jointes et M. [N] ne peut, pour contester l’existence de ce document, tirer argument du fait que la gérante de la société [L] n’a pas invoqué l’état de grossesse de sa salariée pendant l’entretien préalable au licenciement, alors que ce comportement aurait été constitutif d’une faute de sa part puisque cet état ne pouvait être un motif de licenciement.
Le 20 juillet suivant, M. [N] a envoyé à sa cliente la lettre de licenciement à adresser à la salariée laquelle portait en entête ‘ licenciement pour cause réelle et sérieuse’, que la société [L] a adressée le jour même, conformément aux consignes de son avocat.
Il s’en déduit que M. [N] a manqué à son devoir d’information et de conseil puisqu’informé dès le 29 juin 2018 de l’état de grossesse allégué par la salariée, il n’a pas cherché à vérifier cette information avant d’envoyer la lettre de convocation à l’entretien préalable et qu’ayant reçu le 6 juillet suivant le certificat médical de grossesse, il a conseillé à la société [L] de procéder à un licenciement pour cause réelle et sérieuse, ce qui se révèle être un mauvais conseil puisqu’il ne pouvait ignorer qu’un licenciement pour ce motif en cas de grossesse déclarée était nul au vu des dispositions du code du travail précitées.
Il ne peut pas davantage arguer pour justifier qu’il aurait donné un conseil pertinent du fait qu’il mentionne, dans la lettre de licenciement qu’il a rédigée, notamment le grief suivant : ‘ Faisant fi de tout ce qui précède, manifestation d’un véritable refus de subordination, par là-même, votre comportement constituait à lui seul une impossibilité de poursuivre la relation de travail pour motifs personnels, pouvant être sanctionnée au besoin par le licenciement’ alors que l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse prévu, à titre d’exception, à l’article L. 1225-4 du code du travail précité comme motif de licenciement pendant la grossesse impose, selon la jurisprudence, que les circonstances invoquées soient indépendantes du comportement de la salariée.
Par lettre recommandée adressée le vendredi 27 juillet 2018 à son employeur, Mme [S] a contesté les motifs invoqués pour justifier du licenciement et rappelé qu’elle était enceinte et qu’elle l’en avait informé officiellement par écrit.
La gérante de la société [L] a averti par sms son avocat le 31 juillet qu’elle avait reçu un recommandé qu’elle irait chercher à la poste le jour même, présumant qu’il provenait de sa salariée puis par second sms que la poste lui avait indiqué qu’elle ne pourrait récupérer la lettre que le lendemain, ce qu’elle a fait et l’en a informé par sms, message qu’elle a doublé d’un courriel du même jour à 15h42 dans lequel elle adressait en pièce jointe la lettre de sa salariée.
M. [N] lui a répondu le 3 août suivant qu’il annulait le rendez-vous prévu car il partait le lendemain en vacances et n’avait pas eu le temps de s’occuper de son affaire et qu’il le ferait à son retour de vacances.
La société [L] reproche, toutefois, à tort à son ancien avocat de ne pas lui avoir conseillé de se rétracter de sa décision de licenciement dans un délai de quinze jours à compter de la notification du licenciement puisque le seul texte qu’elle vise dans ses conclusions à savoir l’article L. 1225-5 précité n’avait pas vocation à s’appliquer. En effet, il vise une possibilité d’annulation du licenciement si la salariée adresse un certificat de grossesse dans le délai de quinze jours à compter de sa notification mais aucunement une faculté de rétractation qui serait offerte à l’employeur.
Au surplus, la salariée avait, en l’espèce, adressé ce certificat de grossesse depuis quinze jours à la date à laquelle la lettre de licenciement lui a été notifiée et aucune annulation n’était dès cette date plus possible.
Ce manquement n’est donc pas établi.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Le tribunal a retenu que :
– M. [N] qui soutient que la solution adoptée était la plus avantageuse pour sa cliente ne démontre pas que l’employeur aurait dépensé plus d’argent en attendant la fin de la période de protection pour licencier sa salariée,
– la société [L] ne rapporte pas la preuve du versement de la somme de 7 089,49 euros à son ancienne salariée laquelle ne résulte d’aucune condamnation et son préjudice matériel doit être évalué à due concurrence de la somme de 32 654,92 euros allouée par le conseil de prud’hommes de Paris,
– le préjudice moral de la société [L] n’est pas constitué.
L’appelant soutient que :
– le seul préjudice dont la société [L] pourrait se prévaloir est la perte de chance de se trouver dans une situation plus favorable devant le conseil de prud’hommes et de tenter d’éviter les condamnations qui ont été prononcées contre elle,
– le jugement doit être infirmé en ce qu’il n’a pas fait l’analyse de cette perte de chance et a accordé à l’intimée l’intégralité de ce qu’elle réclamait en remboursement des condamnations prononcées à son encontre,
– il n’est pas certain que mieux conseillée la société [L] aurait pu éviter sa condamnation par le conseil des prud’hommes ou se trouver dans une situation moins coûteuse,
– la procédure de licenciement entamée n’a pas eu de conséquences moins favorables que les autres options dont disposait la société [L] pour se séparer de sa salariée, à savoir licencier sa salariée pour faute grave ou différer le licenciement à l’issue de la période de protection, lesquelles ne lui auraient pas permis d’éviter la saisine par Mme [S] du conseil de prud’hommes puisqu’elle a contesté tous les griefs reprochés et donné une toute autre version des faits puisqu’elle se plaignait d’un harcèlement de la part de son employeur,
– Mme [L] ne supportait plus sa salariée et leur mésentente était telle que la société [L] n’aurait pas renoncé au licenciement si elle avait été mieux informée sur les conséquences de l’état de grossesse de sa salariée et aurait préféré notifier un licenciement pour faute grave plutôt que différer la procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– s’il est exact qu’il n’y a pas de préavis en cas de faute grave et que le licenciement aurait alors pris effet immédiatement de sorte qu’il n’y aurait eu ni congé maternité ni période de protection supplémentaire pendant 10 semaines après la reprise du travail, la société [L] ne produit pas les éléments qui auraient pu convaincre le conseil de prud’hommes de la gravité de la faute commise et le licenciement pour faute grave aurait été requalifié en licenciement pour faute simple ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse et annulé en raison de la période de grossesse durant laquelle il a été prononcé, de sorte qu’elle se serait retrouvée dans ure situation identique puisque les chances d’éviter l’annulation du licenciement étaient nulles,
– si le licenciement avait été différé, d’une part, le congé de maternité aurait commencé le 23 décembre 2018 pour se terminer le 14 avril 2019 et l’entretien de licenciement aurait été fixé au plus tôt le 8 juillet 2019 avec un préavis de deux mois de sorte que la société [L] aurait dû payer des salaires et congés payés pendant une période plus longue et, d’autre part, une action en requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse n’aurait pas manqué d’être initiée, de sorte qu’il aurait coûté plus cher,
– la société [L] ne justifie d’aucune perte de chance.
La société [L] soutient que :
– il ne lui était possible de licencier sa salariée que pour faute grave et M. [N] aurait dû tirer des griefs qu’il a mentionnés dans la lettre de licenciement toutes conséquences sur la caractérisation d’une faute grave (page 15 de ses conclusions),
– s’il l’avait correctement conseillée, elle n’aurait pas payé les indemnités auxquelles elle a été condamnée après annulation du licenciement ni les indemnités de licenciement et de préavis et congés afférents au préavis qu’elle a payées en dehors de toute condamnation mais qui n’auraient pas été dues en cas de licenciement pour faute,
– M. [N] déplace maladroitement le débat et raisonne curieusement en prétendant que s’il n’avait pas manqué à son obligation de conseil, la situation n’aurait pas été meilleure de sorte qu’elle ne justifie d’aucune perte de chance,
– il ne justifie aucunement que le licenciement pour faute grave aurait été requalifié et que l’indemnité aurait été la même que celle résultant de la nullité du licenciement, cette affirmation unilatérale étant hors sujet,
– si comme il l’écrit, les licenciements pour faute grave et pour cause réelle et sérieuse devaient produire les mêmes conséquences financières, il devait obligatoirement en avertir sa cliente afin qu’elle puisse décider en parfaite connaissance de cause si elle licenciait ou pas sa salariée au regard des risques financiers encourus,
– l’argumentation adverse est erronée et fallacieuse.
Au titre de son appel incident, elle sollicite le versement de dommages et intérêts pour les sommes qu’elle a dû verser à sa salariée au titre des indemnités de licenciement et de préavis et des congés payés sur préavis dont elle aurait été dispensée en cas de licenciement pour faute grave et pour le préjudice moral subi, en raison de la désinvolture de M. [N] à lui répondre alors que le litige potentiel représentait la moitié du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise et en raison du fait qu’il a mésestimé son inquiétude.
Les conséquences d’un manquement à un devoir d’information et de conseil ne peuvent s’analyser qu’en une perte de chance dès lors qu’il n’est pas certain que mieux informé, le créancier de l’obligation d’information et de conseil se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse.
En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l’aléa jaugé et ne saurait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
La société [L] reproche à son avocat de ne pas avoir caractérisé au vu des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement qu’il a rédigée, une faute grave lui permettant de licencier sa salariée, ce qui lui aurait évité d’être condamnée par le conseil des prud’hommes mais aussi de payer les indemnités de licenciement et de préavis et les congés payés sur préavis qui ne sont pas dus en cas de faute grave qui dispense de préavis.
Elle n’invoque pas le fait qu’elle aurait pu différer la date du licenciement envisagé à la fin de la période protégée si elle avait été avertie de l’impossibilité de licencier sa salariée pour cause réelle et sérieuse dès la déclaration de grossesse et pendant toute la période protégée.
En tout état de cause, M. [N] soutient à bon droit que Mme [L] ne supportait plus sa salariée et que leur mésentente était telle que la société [L] n’aurait pas renoncé au licenciement si elle avait été mieux informée sur les conséquences de l’état de grossesse de sa salariée et aurait préféré notifier un licenciement pour faute grave plutôt que différer la procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Les termes du courriel qu’elle lui a dressé le 30 juin 2018 le prouvent :
‘ Je ne peux tolérer ce comportement, il faut faire QQ chose.
Elle se sent indispensable, pense et dit que je suis incapable de travailler TT seule, je lui ai répondu, je ne demande qu’à travailler seule. Je ne la supporte plus. Je ne peux pas travailler dans un telle ambiance.’
Il appartient, dès lors, à l’intimée d’apporter la preuve que sa perte de chance d’éviter le paiement de toute indemnité si sa salariée avait été licenciée pour faute grave est réelle et sérieuse et donc d’apporter la preuve que la faute grave était caractérisée puisque, comme le soutient de manière pertinente M. [N], Mme [S] a dans sa lettre du 27 juillet 2018 indiqué à la gérante de la société [L] : ‘Je conteste fermement l’ensemble des griefs que vous me reprochez et considère que ce licenciement n’est que l’aboutissement de semaines de harcèlement que vous me faites subir’ et qu’elle aurait, de toute évidence saisi le conseil des prud’hommes de la même façon.
Le caractère grave de la faute exigé induit que la faute doit rendre impossible la continuation de la relation de travail, même pour la durée du préavis et comme en matière de licenciement disciplinaire classique, si un doute subsiste, il doit profiter à la salariée enceinte (article L 1225-3).
L’insuffisance professionnelle de la salariée ne peut constituer un motif rendant impossible le maintien du contrat de travail, dès lors qu’elle n’est pas constitutive d’une faute grave.
Mme [L] qui a acquis, le 5 février 2018 avec effet rétroactif au 1er janvier 2018, l’institut de beauté dans lequel Mme [S] travaillait depuis 2011, a motivé sa lettre de licenciement comme suit :
‘ Depuis notre arrivée (…), n’ont été constatées qu’insubordinations auprès de votre nouvel employeur.
En effet, vous n’avez cessé de refuser d’exécuter les directives ; pire, vous avez de nombreuses fois eu l’audace d’être incorrecte vis à vis de votre employeur et ce, en présence des clientes.
En date du 5 juin 2018, vous aviez déjà reçu un avertissement valablement réceptionné que vous n’avez pas contesté. (…)
Vous obstinant dans votre posture et depuis votre avertissement, vous avez encore fait preuve d’insolence et de critiques inappropriées et ce, de nouveau, en présence de clientes.
Vous avez même procédé par malveillance, en refusant de nombreux rendez-vous de client(e)s sous des prétextes fallacieux, à savoir que le salon était complet ou qu’aucune esthéticienne n’était disponible pour les soins demandés, voire que ces derniers n’étaient pas pratiqués.
Tout comme le fait de ne pas nous transmettre les communications de cliente(e)s nous sollicitant directement, de ne pas nous informer des messages laissés ni de les noter (…)
De même, chaque demande de rendez-vous pour une pédicure a été unilatéralement et arbitrairement refusé par vos initiatives (…).
Enfin, malgré de nombreuses interpellations, vous ne respectez pas les règles d’hygiène les plus élémentaires, en laissant les impuretés et produits utilisés sans nettoyage ni ménage.’
Dans sa requête aux fins de saisine du conseil de prud’hommes, Mme [S] a soutenu que dès son arrivée, Mme [L] qui avait été contrainte de la reprendre en application de l’article L. 1224-1 du code du travail exerçait sur elle des pressions constantes afin de se débarrasser d’elle par tous moyens, dans un contexte de difficultés financières débutantes, et qu’alors qu’elle avait donné pleine satisfaction à son ancien employeur, les reproches se sont soudainement multipliés, avec une exacerbation des tensions à la fin du mois de mais 2018, date à laquelle elle a refusé d’accepter le règlement de son salaire en deux fois.
Dans ce contexte, elle lui a adressé un avertissement au motif qu’elle aurait réalisé des gommages au sel en laissant des saletés dans un coin et s’était montrée encore plus agressive quand elle lui avait annoncé sa grossesse.
Mme [S] relatait également qu’elle avait adressé à son employeur trois lettres recommandées avec accusé de réception le 3 juillet suivant dont une ayant pour objet ‘avertissement d’harcèlement’ dans laquelle elle se plaignait de ce que Mme [L] l’accusait à tort de réaliser de mauvais résultats faisant baisser son chiffre d’affaires, lui interdisait de prodiguer des soins du visage et avait une attitude méprisante et agressive à son égard.
Elle contestait comme elle l’avait fait dès la notification de son licenciement les griefs qui lui étaient reprochés en relevant que ‘ Mme [L] se contentait de faire état de prétendus faits fautifs sans les dater et sans en justifier par la moindre pièce versée aux débats’.
Elle ajoutait qu’elle même produisait de nombreuses attestations justifiant de son professionnalisme et de ses qualités émanant de clientes qui se louaient de ses compétences (deux attestations) mais aussi de l’ancienne gérante du salon de beauté.
La société [L] ne produit aucune pièce susceptible de justifier des griefs reprochés et de caractériser l’existence d’une faute grave.
Elle n’établit pas que le conseil de prud’hommes aurait retenu la gravité de la faute commise et le licenciement pour faute grave aurait été requalifié en licenciement pour faute simple ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse et annulé en raison de la période de grossesse durant laquelle il a été prononcé, de sorte qu’elle se serait retrouvée dans ure situation identique puisque les chances d’éviter l’annulation du licenciement étaient nulles.
Dès lors, sa perte de chance est inexistante et elle ne justifie d’aucun préjudice à ce titre.
En conséquence, la société [L] doit être déboutée de ses demandes en paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et le jugement doit être infirmé en ce qu’il a condamné M. [N] à lui payer la somme de 32 654,92 euros et confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 7 089,49 euros.
La société [L] qui sollicite des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ne se prévaut pas d’un préjudice subi en raison de l’existence de la procédure prud’homale mais en raison de la gestion désinvolte de son affaire par l’avocat.
Elle relève à juste titre qu’alors qu’elle l’interrogeait sur la procédure de licenciement, il lui répondait par sms et lui adressait des documents sans aucune explication et qu’alors qu’elle s’inquiétait de la procédure prud’homale le 24 novembre 2018 et des dommages et intérêts réclamés pour plus de 47 000 euros, il lui répondait trois jours plus tard par sms ‘ Kiss de [Localité 5]’ sans répondre à sa question sur la procédure en cours.
Ce comportement désinvolte est contraire aux principes déontologiques qui régissent la profession d’avocat et justifie l’octroi d’une somme de 2 500 euros en réparation du préjudice moral subi. Le jugement est infirmé en ce sens.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d’appel doivent incomber à M. [N] dont la faute professionnelle est retenue.
Il est également condamné à payer à la société [L] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance en confirmation du jugement et celle de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ce qu’il a :
– condamné M. [H] [N] à payer la somme de 32 654,92 euros à l’EURL [L] à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,
– débouté l’EURL [L] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Déboute l’EURL [L] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,
Condamne M. [H] [N] à payer à l’EURL [L] la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Confirme le jugement en ses autres dispositions,
Condamne M. [H] [N] aux dépens d’appel,
Condamne M. [H] [N] à payer à l’EURL [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,