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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 22 MARS 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02748 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBN5Y
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2020 -Tribunal Judiciaire de Paris – RG n° 18/11270
APPELANTE
Madame [H] [P]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Ayant pour avocat postulant Me Aude DUCRET, avocat au barreau de PARIS, toque : R049
Ayant pour avocat plaidant Me RELANGE Hélène du barreau de PARIS
INTIMES
Cabinet [R] [D] – Monsieur [R] [D]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399 – présent
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399 – présent
SA MMA IARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399 – présent
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
– Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première présidente de chambre
– Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
– Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 22 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première présidente de chambre et par Mme Florence GREGORI, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
M. [R] [D], avocat au barreau de Paris exerçant au sein du cabinet [R] [D], a été mandaté par Mme [H] [P] aux fins de l’assister dans ses déclarations d’impôt.
L’administration fiscale a dressé une proposition de rectification à la suite de ces déclarations, considérant notamment que les plus-values mobilières consécutives à des cessions de titres opérées en 2013 avaient été minorées.
C’est dans ces circonstances que, par acte du 28 septembre 2018, Mme [P] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris le ‘cabinet [R] [D]’ et la société MMA Iard assurances mutuelles aux fins d’engager la responsabilité civile professionnelle de son ancien avocat.
Par jugement du 15 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
– déclaré recevables les interventions volontaires de la société MMA Iard et de M. [D],
– débouté Mme [P] de ses demandes,
– condamné Mme [P] aux dépens,
– rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration du 4 février 2020, Mme [P] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 26 mars 2021, Mme [H] [P] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes,
et statuant à nouveau,
– dire et juger que les manquements de M. [D] (cabinet [R] [D]) à ses obligations professionnelles constituent une faute de nature à engager sa responsabilité civile,
– dire et juger qu’elle a subi un préjudice d’un montant de 387 933,80 euros du fait de ces manquements,
– condamner solidairement M. [D], le cabinet [R] [D] et ses assureurs, les sociétés MMA, à lui payer la somme de 387 933,80 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre intérêts au taux légal, se décomposant comme suit:
– intérêts de retard : 255 270 euros,
– majorations : 94 183 euros,
– honoraires de défense versés : 24 480,80 euros,
– préjudice moral : 10 000 euros,
– condamner solidairement M. [D], le cabinet [R] [D] et et ses assureurs, les sociétés MMA, à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement M. [D], le cabinet [R] [D] et ses assureurs, les sociétés MMA, aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Aude Ducret, avocat au barreau de Paris.
Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 5 juillet 2021, M. [R] [D], le cabinet [R] [D], la société MMA Iard assurances mutuelles et la société MMA Iard, demandent à la cour de :
– constater que le mandat de l’avocat était limité à une mission d’assistance dans la déclaration
de revenus 2013 de Mme [P], déclaration qu’elle a elle-même effectuée,
– constater que la requérante (sic) n’a pas transmis toutes les informations nécessaires à la réalisation de la mission de l’avocat,
– constater que Mme [P] n’est pas revenue vers son avocat après que celui-ci lui a transmis un projet de déclaration,
– dire que l’avocat n’a commis aucune faute dans le traitement de ce dossier,
par conséquent,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il retient la faute de l’avocat s’agissant des modalités de calcul du prix de revient,
– le réformer sur ce point,
en toute hypothèse,
– dire que le préjudice ne pourrait qu’être limité à une perte de chance,
à titre infiniment subsidiaire,
– débouter Mme [P] de la demande formée au titre de la somme versée à l’administration
fiscale pour les intérêts de retard, dont elle a, de fait, pu elle-même bénéficier pendant la période
considérée,
– débouter Mme [P] de la demande qu’elle a formée au titre de la majoration, alors qu’elle
n’a pas fourni à son avocat les informations qu’il lui a réclamées,
– débouter Mme [P] de sa demande formée au titre des honoraires de défense versés, dont
elle ne justifie pas du règlement, et qui, en toute hypothèse, ont été exposés à son initiative, sans
qu’elle ait cru devoir informer l’avocat concluant du redressement dont elle était l’objet,
– débouter Mme [P] de sa demande formée au titre du préjudice moral,
en toute hypothèse,
– condamner Mme [P] à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d’instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la Scp Cordelier et Associés, Me Louis Vermot, avocat au barreau de Paris.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 18 janvier 2023.
La cour, soulevant d’office la question de la recevabilité des demandes formées à l’encontre du cabinet [R] [D], a invité les parties à préciser la situation juridique dudit cabinet, à justifier qu’il a la personnalité morale et, en cas contraire, à former leurs observations sur la recevabilité des demandes formées à son encontre, ce par notes en délibéré devant être déposées au plus tard dans le délai de 15 jours. Les parties ont chacune déposé une note en délibéré dans les délais impartis.
SUR CE :
Sur la recevabilité des demandes formées à l’encontre du cabinet [R] avocat :
M. [D] exerçant en nom propre, les demandes formées à l’encontre du cabinet [R] avocat dépourvu de la personnalité juridique sont irrecevables en application de l’article 122 du code de procédure civile.
Sur la responsabilité contractuelle de l’avocat:
Sur la faute :
Le tribunal judiciaire de Paris a retenu diverses fautes de M. [D], ayant pour mission d’assister Mme [P] au titre des déclarations de revenus 2013 et d’impôts de solidarité sur la fortune 2014, en ce que :
– il ne peut être reproché à l’avocat de ne pas avoir vérifié l’information transmise par sa cliente au titre du calcul de l’abattement alors qu’il lui a rappelé de manière claire et univoque, par courriel du 31 mai 2014, les conditions notamment de durée pour pouvoir bénéficier de l’abattement de 85% et que Mme [P] a soutenu que les actions cédées remplissaient ces conditions,
– en revanche, s’agissant des modalités de calcul du prix de revient, l’avocat qui avait sollicité des éléments nécessaires par courriel du 6 mai 2014, en réponse duquel sa cliente lui a demandé de se référer aux éléments déjà en sa possession datant de juin 2010, et qui a indiqué à sa cliente qu’il était d’accord avec les évaluations, ne peut sérieusement soutenir qu’il pensait que les éléments transmis étaient suffisants et ne justifie pas avoir averti sa cliente des risques importants d’inexactitude des calculs,
– l’avocat n’établit pas avoir informé sa cliente qu’il estimait que le temps imparti était insuffisant pour achever correctement sa mission,
– il a donc engagé sa responsabilité en cautionnant sans réserve les prix de revient déclarés à l’administration fiscale.
L’appelante fait valoir le manquement de M. [D] à son devoir de conseil et à son obligation de diligence aux motifs que :
– elle lui a confié le 2 mai 2014 une mission d’assistance dans la préparation de sa déclaration de revenus 2013, notamment de calcul de la plus-value de cessions de titres de société imposable, cette mission se situant dans le prolongement d’une précédente mission en 2011 portant sur la détermination de la plus-value de cession des mêmes titres et n’étant pas limitée à une relecture de projets de déclarations,
– l’avocat saisi le 2 mai 2014 pour une déclaration attendue le 14 juin 2014, a disposé d’un temps suffisant et avait en sa possession les éléments nécessaires pour accomplir sa mission,
– les déclarations préparées par l’avocat, qui lui ont été adressées le 31 mai 2014 et qu’elle a reprises fidèlement à l’occasion de sa déclaration en ligne auprès de l’administration fiscale, contiennent des erreurs de calcul sur le prix de revient retenues pour les plus values des cessions de titres en 2013, que l’avocat a confondu avec leur prix de cession en 2010,
– l’avocat ne s’est pas livré aux vérifications nécessaires, alors qu’il disposait de tous les éléments pour procéder correctement à ce calcul, ayant déjà déterminé le prix de revient de cession des actions en 2011, qu’en outre elle l’a invité par courriel du 6 mai 2014 à reprendre le dossier de 2010 et que dans son courriel du 31 mai 2014, il n’a émis aucune réserve quant aux éléments en sa possession,
– l’avocat n’a pas vérifié l’exactitude et la cohérence des prix de revient déterminés et ne l’a pas informée sur la potentielle impertinence et inexactitude des informations transmises,
– l’avocat a également retenu un taux d’abattement forfaitaire renforcé de 85% sur les cessions de titres Proformance et Adm Réalisation détenus depuis 6 ans alors que ce taux est applicable aux détentions de titres au delà d’une durée de 8 ans et qu’il aurait dû appliquer le taux d’abattement de droit commun de 65%, sa faute consistant en un calcul erroné de la durée de détention des titres, alors qu’il avait en sa possession l’ensemble des éléments lui permettant de déterminer correctement cette durée,
– à l’occasion de leur échange de courriels portant sur l’abattement, l’avocat ne l’a pas interrogée sur le point de savoir si les titres étaient détenus depuis plus de 8 ans et n’a pas attiré son attention sur la différence d’abattement entre 6 et 8 ans de détention, et elle s’est bornée à répondre à la question qui lui était posée, à savoir si les sociétés cédées remplissaient les conditions pour être considérées comme des PME communautaires, l’avocat affirmant clairement qu’elle détenait les actions des sociétés depuis plus de 8 ans, laissant penser qu’il s’était livré au calcul de la durée de détention des titres.
Les intimés contestent toute faute de l’avocat aux motifs que :
– l’appelante ne saurait reprocher à l’avocat d’avoir opéré une confusion entre prix de revient et prix de cession, lequel est calculé sur la base d’informations chiffrées non transmises à l’avocat qui en avait pourtant sollicité la communication,
– il a été confié au cabinet, qui n’est pas l’avocat habituel de Mme [P], la mission d’assistance consistant principalement à passer en revue le projet de déclaration qu’elle avait établi pour l’impôt de solidarité sur la fortune en 2014, et non pas à réaliser la déclaration de Mme [P], qu’elle-même a effectuée en apportant, de sa propre initiative, des modifications au projet du cabinet et en commettant des erreurs,
– le cabinet ne disposait pas des éléments nécessaires à cette déclaration, n’ayant pas eu en 2010 tous les éléments permettant de chiffrer les plus-values concernant les cessions réalisées en 2013,
– le cabinet s’est fondé, pour la détermination du prix de revient, sur les déclarations des filles mineures de Mme [P] en 2010 ayant bénéficié de cessions de titres, conformément à l’indication de celle-ci par courriel du 6 mai 2014, et ne pouvait se plonger dans l’examen des opérations de capital susceptibles d’avoir été réalisées entre 2004 et les cessions de titres de 2013 dont Mme [P] ne l’a pas informé bien qu’il l’ait interrogée à ce titre et qu’il ait réclamé les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission,
– l’avocat n’a commis aucune erreur au titre du calcul des plus-values compte tenu des éléments communiqués,
– l’avocat a correctement rempli son devoir d’information et de conseil en réclamant les éléments nécessaires pour réaliser la déclaration de revenus n°2074,
– il n’est pas davantage justifié d’une erreur d’abattement ayant trait à la durée de détention sur les cessions de titres Proformance et Adm Réalisation, dès lors que l’avocat a appliqué le taux de 65% dans le projet de déclaration et l’a modifié conformément aux instructions de Mme [P] qui lui a affirmé que les conditions de l’abattement renforcé, clairement exposées, étaient applicables, étant relevé que le redressement ne porte pas sur la définition de l’abattement renforcé mais sur la durée de détention des titres, information qui était nécessairement connue de Mme [P] ayant créé et dirigé les sociétés concernées.
L’avocat engage sa responsabilité contractuelle sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits, à charge pour celui qui l’invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.
L’avocat, tenu à une obligation de diligence et à un devoir de conseil, doit accomplir tous les actes utiles à la défense des intérêts de son client et l’éclairer sur les incidences des actes qu’il établit et les risques encourus.
La note d’honoraires de M. [D] adressée à Mme [P] le 1er juillet 2014 au titre de l”assistance pour la déclaration IR 2013 et d’ISF 2014″ et les échanges de courriels entre le cabinet d’avocats et Mme [P] ayant trait tant à la déclaration de l’impôt sur les revenus 2013 qu’à la déclaration de l’impôt de solidarité sur la fortune établissent que l’avocat a été investi d’une mission d’assistance dans l’établissement de la déclaration de l’impôt sur le revenu pour l’année 2013 et non pas seulement pour la déclaration d’impôt de solidarité sur la fortune de 2014.
Le 15 décembre 2016, Mme [P] a fait l’objet d’une proposition de rectification portant sur l’impôt sur les revenus 2013 compte tenu de :
– la minoration des plus-values de cessions des titres Crèche Attitude, Sarl Proformance et Sas ADM Réalisation, soumises à l’impôt sur le revenu en vertu de l’article 150-0 du code général des impôts et qui sont constituées de la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci diminué, le cas échéant, des réductions d’impôt effectivement obtenues, en application de l’article 150-0 D du code général des impôts,
– l’application aux cessions des titres Sarl Proformance et Sas ADM Réalisation de l’abattement renforcé de 85% prévu à l’article 150-D du code général des impôts lorsque les titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de cession, en lieu et place du taux d’abattement de 65% applicable aux cessions de titres détenus entre 4 et 8 ans, Mme [P] détenant ces titres depuis 6 ans à la date de cession du 18 septembre 2013.
Les causes du redressement ne sont pas en débat, mais la faute de M. [D] au titre de l’établissement de la déclaration erronée d’impôts sur le revenus 2013 de Mme [P].
Il n’est pas démontré que le redressement fiscal porterait sur des montants inscrits d’initiative par Mme [P] dans sa déclaration d’impôt sur les revenus 2013 et qui différeraient de ceux conseillés par son avocat au titre des projets de déclaration 2074 et 2074-1 transmis par courriels des 31 mai et 2 juin 2014, les erreurs de déclarations soulignées par les intimés portant sur d’autres lignes.
S’agissant de la minoration de la plus-value de cessions des titres qui doit être calculée en soustrayant du montant du prix de cession le montant du prix de revient, M. [D] a demandé à sa cliente, par courriel du 6 mai 2014, de lui communiquer ‘tous les documents concernant le prix d’achat, le prix de vente, les augmentations de capital…’, laquelle lui a répondu ‘Pour rappel, pour la vente de l’entreprise, vous aviez procédé aux calculs de prix de revient pour les premières cessions de titres intervenues en juin 2010, je vous laisse reprendre le dossier’.
L’avocat a établi le projet de déclaration de revenus sur la seule base desdits éléments transmis par Mme [P], ayant trait à la cession après donation de titres au profit de ses filles mineures le 4 juin 2010, sans solliciter d’autres documents de sa cliente ni l’alerter sur l’insuffisance des pièces communiquées et le risque d’un calcul erroné de la plus-value de cession des titres. Il a, sur la base de ces documents, retenu que le prix de revient unitaire des titres cédés en 2013 correspondait à la valeur unitaire des titres cédés le 4 juin 2010, ce alors qu’il avait calculé le 7 juin 2011 un prix de revient différent au titre de ladite cession, ayant fait l’objet d’une déclaration de plus-value réalisée en 2010. Ces éléments caractérisent un double manquement de l’avocat à son devoir de conseil et à son obligation de diligence.
Le taux d’abattement applicable en matière de cession de valeurs mobilières de placement est prévu à l’article 150-0 D du code général des impôts qui dispose que ‘Les gains nets résultant de la cession à titre onéreux ou retirés du rachat d’actions, de parts de sociétés, de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés à l’article 150-0 A (…) sont réduits d’un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon les cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article (…).
1 ter. L’abattement mentionné au 1 est égal à
(…)
b) 65% du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution (…).
I quater A- Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B sont remplies, les gains nets sont réduits d’un abattement égal à
(…)
2° 65% de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession
3° 85% de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession.
B -L’abattement mentionné au A s’applique sous réserve du respect de l’ensemble des conditions suivantes :
1° Les conditions mentionnées au B du 1 ter sont remplies ;
2° La société émettrice des actions, parts ou droits cédés remplit l’ensemble des conditions suivantes :
a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n’est pas issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes. Cette condition s’apprécie à la date de souscription ou d’acquisition des droits cédés ;
b) Elle est une petite ou moyenne entreprise au sens de l’annexe I du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité. Cette condition est appréciée à la date de clôture du dernier exercice précédant la date de souscription ou d’acquisition de ces droits ou, à défaut d’exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de souscription ou d’acquisition de ces droits ;
c) Elle n’accorde aucune garantie en capital à ses associés ou actionnaires en contrepartie de leurs souscriptions ;
d) Elle est passible de l’impôt sur les bénéfices ou d’un impôt équivalent ;
e) Elle a son siège social dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales;
f) Elle exerce une activité commerciale au sens des articles 34 ou 35, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues. (…)’.
Par courriel du 5 janvier 2018, l’avocat a indiqué à sa cliente : ‘Pour nos calculs, nous avons pratiqué un abattement de droit commun de 65% du montant de la PV [plus-value] car vous détenez les actions depuis plus de 8 ans. Néanmoins, par dérogation au régime de droit commun, il existe un abattement dit ‘renforcé de 85% (pour les détentions de + de 8 ans) lorsque la société dont les actions sont cédées remplissent les conditions suivantes:
– être une PME communautaire,
– être créée depuis moins de dix ans et ne pas être issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activité préexistantes, cette condition s’appréciant à la date de souscription ou d’acquisition des droits cédés,
– n’accorder aux souscripteurs que les seuls droits résultant de leur qualité d’associé ou d’actionnaire, à l’exclusion de tout autre avantage ou de garantie de capital,
– être passible de l’impôt sur les bénéfices ou d’un impôt équivalent,
– avoir son siège social dans un Etat de l’Espace économique européen,
– exercer une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l’exception de la gestion de son patrimoine mobilier ou immobilier.
Merci de bien vouloir nous indiquer si les actions des sociétés CAT, ADM Réalisation et Proformance remplissent ces conditions auquel cas il conviendrait d’appliquer l’abattement renforcé de 85% aux PV de cession’.
Ce faisant, l’avocat a pris pour acquis que les titres cédés étaient détenus depuis plus de 8 ans et a interrogé Mme [P] sur la seule réalisation des conditions supplémentaires prévues au B de l’article 150-0 D dont le cumul avec une durée de détention de titres de plus de huit ans permettait le bénéfice d’un taux d’abattement de 85%, alors que le seul respect de ces conditions associé à une durée de détention de titres de moins de huit ans donnait lieu à application du taux de 65%.
L’avocat a donc manqué à son devoir de conseil mais également à son obligation de diligence en n’attirant pas l’attention de sa cliente sur la différence de régime entre une détention de titres inférieure ou supérieure à 8 ans et en retenant une durée erronée de détention des titres sans en vérifier l’exactitude ni même interroger sa cliente sur ce point. Il ne saurait faire grief à sa cliente de lui avoir indiqué remplir les conditions prévues à l’article B en réponse à son interrogation circonscrite à ce seul sujet.
La faute de l’avocat est donc également caractérisée de ce chef.
Sur le lien de causalité et le préjudice :
Le tribunal a jugé qu’il n’était justifié d’aucun préjudice en lien de causalité directe avec la faute de l’avocat en ce que :
– la responsabilité de l’avocat est limitée à la part de redressement lié au calcul du prix de revient et non pas à celle relevant du montant du coefficient d’abattement,
– les intérêts de retard dans le paiement de l’impôt, qui constituent un préjudice réparable, sont compensés par l’avantage de trésorerie qui en résulte pour la demanderesse qui n’a pas payé immédiatement l’impôt, et Mme [P] ne démontre pas que la conservation des sommes appelées au titre du redressement fiscal à la suite de la faute de l’avocat ne lui a pas apporté un avantage compensant ou supérieur au dommage subi,
– si la faute de l’avocat a contribué à la majoration de l’impôt, il n’est pas justifié la part des droits supplémentaires résultant de cette faute, de la part des droits supplémentaires résultant de l’erreur commise par Mme [P],
– l’intégralité du redressement ne pouvant être imputée qu’à l’avocat mais également à Mme [P] qui aurait dû faire face à un redressement, ses demandes au titre d’honoraires de défense et du préjudice moral ne peuvent être accueillies.
L’appelante soutient que :
– les fautes commises par l’avocat lui ont causé un préjudice financier, constitué des intérêts de retard et de la majoration de 10% appliqués par l’administration fiscale et des honoraires de défense exposés au titre de la procédure fiscale, ainsi qu’un préjudice moral au regard de l’incertitude de la procédure et notamment des conséquences financières très importantes qu’elle comporte, source d’inquiétude, d’angoisse et de stress, son intégrité et son honnêteté ayant été par ailleurs remises en cause,
– le taux d’intérêt de retard de 4,80% par an est dénué de toute corrélation avec la jouissance des sommes laissées à sa disposition en raison de la faute de l’avocat, en sorte qu’elle est fondée à solliciter la réparation de son préjudice au titre des intérêts de retard appliqués,
– sa responsabilité ne peut être recherchée et seul doit être tenu pour responsable l’avocat,
– ces préjudices étant nés, actuels et certains, il n’y a pas lieu de prendre en compte le bénéfice d’une situation reconstituée,
– elle justifie de l’ensemble des éléments permettant à la cour de déterminer le quantum du redressement fiscal dont elle a fait l’objet imputable à chaque faute de l’avocat.
Les intimés répliquent que :
– Mme [P] ne peut se prévaloir que d’une perte de chance d’éviter le redressement fiscal, laquelle n’est pas démontrée,
– l’avocat ne peut être tenu des intérêts de retard au titre du paiement différé de l’impôt dû, qui ne constituent pas un préjudice indemnisable, la somme dont Mme [P] devait s’acquitter ayant généré des fruits à son bénéfice,
– l’avocat ne peut se substituer à l’appelante pour régler la majoration des impôts qui lui a été appliquée puisqu’il a rempli son obligation de moyen en informant la cliente,
– l’avocat ne saurait être tenu au paiement des frais d’honoraires de défense avancés par l’appelante, étant précisé qu’il n’a pas été informé des difficultés de l’appelante avec l’administration fiscale et n’a pas à supporter le choix de celle-ci de rétribuer un confrère par des honoraires de résultat,
– la demande au titre du préjudice moral n’est pas fondée puisque Mme [P] a saisi l’avocat en connaissance de cause du délai limité dans lequel elle se trouvait sans lui transmettre les informations nécessaires et qu’elle aurait nécessairement fait l’objet d’un redressement fiscal en raison de ses manquements propres.
Le redressement fiscal porte sur les rectifications de l’impôt sur le revenu au titre des plus-values, mais également sur d’autres éléments (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et prélèvements sociaux) étrangers à l’intervention de l’avocat.
La rectification proposée au titre des plus-values réalisées en 2013 porte sur un rehaussement de 1 413 125 euros au total, au titre de l’erreur sur la détermination du prix de revient mais également de l’application d’un taux d’abattement erroné. Il n’est pas discuté qu’au vu de l’avis d’imposition rectificatif dont elle a fait l’objet s’agissant de l’impôt sur le revenu 2013, Mme [P] s’est acquittée d’une somme de 255 269 euros au titre des intérêts de retard et d’une somme de 94 183 euros ayant trait à la majoration de 10%.
Les manquements de l’avocat à son obligation de diligence, en mentionnant des montants inexacts de plus-values par une erreur de calcul du prix de revient et un défaut de vérification de la durée de détention des titres, sont la cause exclusive du redressement fiscal de Mme [P] au titre des plus-values réalisées.
Mme [P] n’ayant pas acquitté à l’échéance l’impôt légalement dû en raison du manquement de l’avocat à son obligation de diligence, le paiement des majorations et intérêts de retard s’analyse en un préjudice né, actuel, certain et entièrement réalisé, et non pas une perte de chance.
Ce préjudice est réparable et entièrement imputable à l’avocat, en sorte que Mme [P] est fondée à solliciter, à titre de dommages et intérêts, sa condamnation au paiement d’une somme équivalente aux montants réglés au titre des intérêts et majoration de retard.
De même, Mme [P] justifie avoir exposé des frais de défense au titre de la procédure de redressement fiscal dont elle a fait l’objet. Ces frais sont en lien de causalité directe avec la faute de l’avocat, sans qu’il puisse être fait grief à Mme [P] d’avoir eu recours à un autre conseil pour assurer la défense de ses intérêts auprès de l’administration fiscale, ni être critiqué l’application d’un honoraire de résultat par ce conseil. La demande de Mme [P], à titre de dommages et intérêts, du montant des honoraires qui lui ont été facturés par M.[Y] ayant formulé des observations auprès de l’administration fiscale le 28 février 2017 en particulier en contestant la mauvaise foi de sa cliente ayant adressé ses déclarations conformément aux indications reçues de son avocat, et dont le montant de 24 480,80 euros a été confirmé par ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris du 20 mars 2019 est donc fondé.
En revanche, il n’est démontré aucun préjudice moral de Mme [P] en lien de causalité avec la faute de l’avocat, au titre des tracas et inquiétudes induits par la procédure de redressement fiscal qu’elle aurait nécessairement subie, le redressement fiscal portant également sur des griefs extérieurs à l’intervention de l’avocat.
M. [D] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles doivent donc être condamnés in solidum à payer à Mme [P] la somme totale de 373 933,80 euros (255 270 + 94 183 euros + 24 480, 80 euros).
Le jugement est donc infirmé dans l’ensemble de ses dispositions.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Les intimés échouant en leurs prétentions sont condamnés in solidum aux dépens de première instance et d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile et à payer à Mme [P] une indemnité de 12 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit irrecevable les demandes formées à l’encontre du cabinet [R] [D],
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Condamne in solidum M. [R] [D], la société anonyme MMA Iard et la société d’assurances mutuelles MMA Iard assurances mutuelles à payer à Mme [H] [P] la somme de 373 933,80 euros en réparation de son préjudice matériel,
Déboute Mme [H] [P] de sa demande au titre du préjudice moral,
Condamne in solidum M. [R] [D], la société anonyme MMA Iard et la société d’assurances mutuelles MMA Iard assurances mutuelles à payer à Mme [H] [P] la somme de 12 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [R] [D], la société anonyme MMA Iard et la société d’assurances mutuelles MMA Iard assurances mutuelles aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente,