Responsabilité de l’Avocat : 19 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15849

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Responsabilité de l’Avocat : 19 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15849
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRET DU 19 AVRIL 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/15849

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juin 2020 -Tribunal Judiciaire de Paris – RG n° 19/08407

APPELANTE

Madame [Y] [J] épouse [B]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Miguel NICOLAS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0288

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/026132 du 07/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

INTIME

Madame [V] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Denis DELCOURT POUDENX, avocat au barreau de PARIS, toque : R167, substitué à l’audience par Me Dan KEINAN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 19 avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Mme [Y] [J] et M. [E] [B] se sont mariés le [Date mariage 2] 2005 au Cambodge.

Une première requête en divorce déposée par M. [B] a donné lieu à une ordonnance de non-conciliation rendue le 4 janvier 2011 par le juge aux affaires familiales de Paris, laquelle a été déclarée caduque le 17 juillet 2014 en l’absence d’assignation au fond.

A la suite d’une seconde requête en divorce déposée le 7 janvier 2016 par Mme [J], représentée par Mme [V] [D], avocat, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance de non-conciliation le 29 septembre 2016 rejetant notamment sa demande de pension au titre du devoir de secours présentée à hauteur de 300 euros par mois.

Mme [J] a interjeté appel de cette ordonnance le 11 novembre 2016, lequel a été déclaré caduque par décision du 11 septembre 2017 à défaut de signification de la déclaration d’appel à M. [B], non constitué, dans le délai prévu par l’article 902 du code de procédure civile.

Mme [D] s’est dessaisie de l’affaire le 16 octobre 2017.

En l’absence d’assignation au fond, l’ordonnance de non-conciliation du 29 septembre 2016 a été déclarée caduque le 19 septembre 2019.

C’est dans ces circonstancs que par acte du 18 juin 2019, Mme [J] épouse [B] a fait assigner Mme [D] devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité civile professionnelle.

Par jugement du 10 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

– débouté Mme [J] épouse [B] de l’ensemble de ses prétentions,

– condamné Mme [J] épouse [B] aux dépens,

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 4 novembre 2020, Mme [J] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 9 janvier 2023, Mme [Y] [J] épouse [B] demande à la cour de :

– déclarer la recevabilité et le bien-fondé de son action,

– infirmer la décision rendue,

statuant à nouveau,

– condamner Mme [D] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral dont elle a souffert,

– débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

– condamner Mme [D] à verser la somme de 2 000 euros à Me [U] [Z] au titre de l’article 37 de la loi de 1991 sur l’aide juridictionnelle, outre le paiement des entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 25 janvier 2023, Mme [V] [D] demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré seulement en ce qu’il a retenu un manquement à son devoir de diligence,

par conséquent,

– constater l’absence de faute dans l’accomplissement de sa mission de conseil et d’assistance,

en tout état de cause,

– confirmer le jugement déféré, en ce qu’il a constaté l’absence de démonstration du préjudice invoqué par Mme [J],

en conséquence,

– débouter Mme [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre,

reconventionnellement et en toute hypothèse,

– condamner Mme [J] à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [J] aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 31 janvier 2023.

SUR CE :

Sur la responsabilité de l’avocat :

Sur la faute :

Le tribunal a jugé que Mme [D] avait manqué à son devoir de diligence en ne signifiant pas dans le délai légal la déclaration d’appel litigieuse à M. [B], la correspondance produite par Mme [D] n’établissant pas que Mme [J] aurait renoncé à l’appel.

Mme [J] soutient que :

– son avocate, soumise à une obligation de résultat en matière de procédure, a commis une faute en ne procédant pas à la déclaration d’appel dans le respect des délais légaux et la charge de la preuve d’une absence de faute lui incombe,

– la signification des conclusions de l’appelant est distincte de la signification de la déclaration d’appel, les premières ne pouvant être signifiées qu’après la signification de la seconde ou, à défaut, de manière concomitante à celle-ci,

– Mme [D] ne justifie pas qu’elle lui aurait demandé de ne pas poursuivre la procédure d’appel, auquel cas elle aurait dû faire constater son désistement, et non pas laisser courir le délai jusqu’au constat de la caducité, et son courriel du 12 octobre 2017 fait au contraire état de sa volonté de poursuivre la procédure,

– le jugement critiqué fait défaut dans sa motivation, en ce qu’il constate que l’avocate a manqué à son devoir de diligence sans indiquer que cette faute engage sa responsabilité civile professionnelle,

– elle a vainement demandé à son avocate de modifier ses conclusions par courriel du 23 février 2017, en rectifiant le montant de la pension réclamée et l’adresse de son conjoint.

Mme [D] réplique que :

– Mme [J] ne lui a pas donné mandat de poursuivre la procédure d’appel, ayant pour sa part informé sa cliente qu’elle devait fournir des justificatifs de sa situation personnelle et financière et toutes deux ayant convenu de renoncer à cette procédure vouée à l’échec et de se concentrer sur la procédure de fond, dans laquelle une demande de prestation compensatoire allait être formulée,

– elle n’a pas manqué de diligence, des conclusions ayant été rédigées et signifiées par voie d’huissier à M. [B], et des observations formulées à la cour quant à l’éventuelle caducité.

L’avocat engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits à charge pour celui qui l’invoque de rapporter la preuve d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

La déclaration d’appel régularisée par Mme [D] représentant Mme [J] fait présumer qu’elle a reçu mandat d’interjeter appel. Si l’intimée a informé sa cliente de l’insuffisance des pièces produites par celle-ci pour obtenir gain de cause en appel, elle ne justifie pas de la renonciation de Mme [J] à poursuivre la procédure d’appel engagée et pour laquelle elle était mandatée.

Le défaut de signification de la déclaration d’appel à M. [B] n’ayant pas constitué avocat, dans le respect du délai légal de l’article 902 du code de procédure civile applicable, caractérise un manquement de l’avocat à son obligation de diligence.

A défaut de production aux débats des conclusions régularisées par l’intimée, le surplus des fautes alléguées, tenant au défaut de précision de la bonne adresse de M. [B] et de la réduction de la demande au titre du devoir de secours conformément à la demande de Mme [J] par courriel du 23 février 2017, ne sont pas établies.

– Sur le lien de causalité et le préjudice :

Le tribunal a jugé que Mme [J] échouait à rapporter la preuve de son préjudice, soit la perte de chance d’obtenir en appel la condamnation de M. [B] à lui verser une pension alimentaire, aucune pièce contemporaine de l’époque litigieuse sur sa propre situation, établissant un besoin, ou sur celle de son époux n’étant rapportée, et aucune explication n’étant donnée quant à la remise en cause de la motivation de la décision de première instance constatant l’absence de capacité contributive de M. [B] à partir des propres déclarations de Mme [J].

Mme [J] soutient que la faute de Mme [D] ayant entrainé la caducité de la déclaration d’appel lui a fait perdre une chance d’obtenir une pension de son époux au titre de son devoir de secours, qu’elle évalue à 20 000 euros.

Mme [D] conteste toute perte de chance de Mme [J] d’obtenir gain de cause en appel à défaut de justifier de sa situation personnelle et financière, étant relevé qu’elle bénéficiait de l’aide financière de son nouveau compagnon, que malgré sa précarité liée à l’absence de titre de séjour ne lui permettant pas de travailler, le juge aux affaires familiales a refusé de faire droit à sa demande de pension au titre du devoir de secours, qu’en appel, sa situation personnelle et financière aurait été plus stable dès lors qu’âgée de 48 ans elle disposait d’un titre de séjour lui permettant d’obtenir un emploi, alors que M. [B], âgé de 81 ans avait comme seul revenu une retraite de 600 euros mensuels.

Le dommage causé par la faute de l’avocat ayant fait perdre à son client le bénéfice de la voie de droit envisagée ne peut consister qu’en une perte de chance, définie comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

Il appartient à l’appelante d’apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance.

Pour apprécier les chances de succès de la voie de droit envisagée, le juge du fond doit reconstituer fictivement le procès manqué par la faute de l’avocat, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Mme [J] procède par voie d’affirmation en soutenant, sans en faire la démonstration, que la faute de l’avocat lui a causé une perte de chance d’obtenir gain de cause en appel.

Ainsi que l’ont relevé les premiers juges, elle ne produit aucune pièce relative à sa situation personnelle et financière et celle de M. [B] de nature à remettre en cause la pertinence de l’ordonnance du juge aux affaires familiales de Paris du 29 septembre 2016, non produite aux débats et ayant débouté Mme [J] de sa demande au titre du devoir de secours, étant relevé qu’il n’est pas discuté que sa situation personnelle s’est améliorée entre temps, Mme [J] disposant d’un titre de séjour lui permettant d’obtenir un emploi déclaré, alors que celle de M. [B], âgé de 81 ans, est peu susceptible d’évoluer favorablement.

A défaut de justifier d’une perte de chance d’obtenir gain de cause en appel, Mme [J] a été pertinemment déboutée de ses demandes par les premiers juges.

Le jugement est donc confirmé dans toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Mme [J] échouant en ses prétentions est condamnée aux dépens d’appel, sans qu’aucune considération tirée de l’équité ne justifie sa condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’intimée dont la faute est caractérisée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Déboute Mme [V] [D] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [Y] [J] épouse [B] aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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