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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01195 –
N° Portalis DBVH-V-B7G-IMRO
ET – NR
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
21 mars 2022
RG:21/02080
[R]
[F]
C/
COURANT
Grosse délivrée
le 08/06/2023
à Me Charles FONTAINE
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 21 Mars 2022, N°21/02080
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 11 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Juin 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTS :
Monsieur [P] [R]
né le 08 Avril 1962 à [Localité 10]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Madame [G] [F] épouse [R]
née le 14 Décembre 1965 à[Localité 9])
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentés par Me Charles FONTAINE de la SCP FONTAINE ET FLOUTIER ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Maître Stéphane Denis COURANT
[Adresse 8]
[Localité 5]
Assigné à étude le 31 mai 2022
Sans avocat constitué
ARRÊT :
Arrêt rendu par défaut, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 08 Juin 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Suivant acte sous seing privé du 12 avril 2005, M. [P] [R] et Mme [G] [F] épouse [R], acquéreurs, ont conclu un compromis de vente avec les consorts [A]-[M], vendeurs, aux fins d’acquisition de parcelles de terrain à bâtir, cadastrées Section BH N°[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], sises à [Localité 6] (Bouches-du-Rhône).
Par jugement du 18 septembre 2008, confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 7 octobre 2010, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête introduite par des tiers à l’encontre du permis de construire délivré par la commune de [Localité 6].
Par actes des 20 et 26 janvier 2016, les époux [R] assistés de Me [Z] [H] avocat, ont assigné les vendeurs en réitération de la vente conclue par compromis le 12 avril 2005 devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence.
À l’été 2016, les acquéreurs ont découvert l’affichage de deux permis de construire sur les parcelles des consorts [A]-[M] au profit de M. [J] [X] et de M. [Y] [S].
Par acte du 18 octobre 2016, les époux [R] ont engagé une procédure devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence afin d’entendre ordonner l’arrêt des travaux de construction entrepris.
Par ordonnance du 12 janvier 2017, le juge des référés a rejeté leurs demandes aux motifs que ni le compromis de vente du 12 avril 2005 ni l’assignation au fond des consorts [A]-[M] n’ont été publiés à la conservation des hypothèques.
Par acte du 31 mai 2021, M. [P] [R] et Mme [G] [R] ont assigné Me [Z] [H] devant le tribunal judiciaire de Nîmes afin de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.
Par jugement réputé contradictoire du 21 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nîmes a :
– débouté M. Dulcino [R] et Mme [G] [F] [R] de l’ensemble de leurs demandes ;
– condamné M. Dulcino [R] et Mme [G] [F] [R] aux dépens.
Le tribunal a estimé que, bien que Me [H] ait commis une faute dans l’accomplissement de son mandat pour les assignations des 20 et 26 janvier 2016 et 18 octobre 2016, les demandeurs échouent à démontrer le lien de causalité entre leur préjudice et la faute commise par leur avocat.
Il a notamment retenu que la publication faite par les actes des 20 et 26 janvier 2016 n’aurait eu aucune influence sur la perte de droits des demandeurs sur les parcelles et a souligné que les numéros des parcelles visées par l’ordonnance de référé du 12 janvier 2017 ne coïncidaient pas
avec les numéros des parcelles objet du compromis de vente conclu par les époux [R].
Par déclaration du 30 mars 2022, les époux [R] ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 12 décembre 2022, la procédure a été clôturée le 28 mars 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 11 avril 2023.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 mai 2022, les époux [R] demandent à la cour d’infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
-juger que Me [Z] [H] a commis une faute et a engagé sa responsabilité civile contractuelle,
– condamner Me [Z] [H] à leur payer la somme de 40 961,84 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des frais engagés dans le cadre des procédures judiciaires et de la perte de chance d’obtenir la réitération de la vente,
– condamner Me [Z] [H] à payer la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que Me [Z] [H] a commis une faute en omettant de faire publier l’assignation devant le tribunal de grande instance d’Aix leur ayant fait perdre une chance d’obtenir la réitération de la vente.
Ils s’estiment ainsi fondés à obtenir la condamnation de Me [H] à leur payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance d’obtenir la réitération de la vente.
La déclaration d’appel et dernières conclusions des appelants ont été signifiées à Me [Z] [H], intimé défaillant le 31 mai 2022.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1- Sur la faute de Me Courant
L’avocat est tenu à l’égard de son client d’un devoir d’information et de vigilance et d’une obligation de conseil.
En vertu des articles 411 à 418 du code de procédure civile, le mandat de représentation et d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir, au nom du mandant, tous les actes de la procédure, d’informer et conseiller la partie et de présenter sa défense dans le respect des règles de droit en vigueur.
La responsabilité de l’avocat envers son client est régie par le droit commun de la responsabilité contractuelle, en l’occurrence et s’agissant d’une relation née antérieurement au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, par l’article 1147 ancien du code civil.
Il revient aux appelants d’établir l’existence d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre cette faute et le préjudice. Il convient d’ajouter que le manquement au devoir de conseil est réparé, dès lors qu’il est établi, en considération de la chance perdue par le client.
En l’espèce, il est acquis aux débats que Me [H] était le conseil des époux [R] devant le tribunal de grande instance d’Aix -en -Provence lors de leur action en exécution forcée de la vente conclue par compromis du 12 avril 2005 engagée par assignations des 20 et 26 janvier 2016, et il est tout aussi constant que ces dernières n’ont pas fait l’objet d’une publication à la publicité foncière.
Or il résulte de l’article 37- 2 1° du décret du 4 janvier 1955, que, peuvent être publiées au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles, les demandes en justice tendant à obtenir la réitération ou la réalisation en la forme authentique des dites actes.
Ce même article prévoit in fine que l’article 30 5° est applicable et dispose que le défaut de publication de la demande en justice est sanctionné par l’irrecevabilité de la demande.
Il en est découlé que les droits réels dont étaient détenteurs les époux [R] se sont révélés inopposables aux tiers et ont ainsi permis la vente des parcelles à d’autres personnes notamment aux consorts [C]-[S] qui ont acquis le bien par acte authentique le 31 mai 2016 soit postérieurement à l’assignation litigieuse.
Tel qu’il l’a été retenu par le premier juge, la méconnaissance du formalisme révèle un défaut de conseil et de diligence.
Le fait que certaines parcelles mentionnées à l’acte de compromis ne correspondent pas exactement à celle figurant à l’acte du 31 mai 2016 n’est pas pleinement démontré, et est indifférent puisque en toute hypothèse les deux actes mentionnent à tout le moins une parcelle commune : BH [Cadastre 1] et qu’aucun élément ne vient contredire que les deux actes (compromis du 12 avril 2005 et acte authentique du 31 mai 2016) ne portent pas sur les mêmes parcelles propriété des consorts [A]-[M] à [Localité 6].
Ainsi, en ne conseillant pas à ses clients d’envisager pour protéger leurs droits à l’égard des tiers, la publication de l’assignation et en ne publiant pas l’assignation aux fins de réitération de la vente, Me [H] a manqué à l’obligation de diligence dont il était débiteur envers eux constitutif de faute préjudiciable aux appelants qui n’ont pu obtenir réitération de la vente pourtant antérieurement conclue par compromis à la vente rappelée ci-dessus.
2- Sur le préjudice et le lien de causalité
Le préjudice causé par la faute d’un avocat dans le cadre d’une mission d’assistance et de représentation est caractérisé par la perte d’une chance de gagner son procès ou d’obtenir une issue plus favorable. La perte de chance est donc la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Il appartient aux demandeurs à l’action d’apporter la preuve de l’existence de leur préjudice qui doit résulter de manière directe et certaine de cette perte.
Afin d’apprécier les chances de succès d’une voie de droit, il convient de reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu avoir lieu au regard des conclusions et des pièces produites.
Il appartient donc aux époux [R] de rapporter la preuve de l’existence d’une perte de chance réelle et certaine qu’ils auraient pu obtenir une issue favorable dans le cadre de l’action en réitération de la vente.
En premier lieu, il convient de rappeler qu’il n’est pas contestable que le compromis est une promesse synallagmatique qui leur conférait des droits sur les parcelles litigieuses antérieurement à la vente du 31 mai 2016 rendant les consorts [C]-[S] propriétaires. L’absence de publication de l’assignation de 2016 a permis la validité de la vente postérieure, ce qui n’aurait pas été le cas s’ils avaient pu opposer leurs droits aux tiers. Leur perte de chance de devenir propriétaire et de concrétiser leur projet immobilier en gagnant leur procès dés lors est très importante au regard de leur chance de succès.
En second lieu, les époux [R] ont été contraint de se défendre devant le tribunal administratif dans le cadre d’un recours contentieux du permis de construire qu’ils avaient obtenu. Ils ont déboursé pour cela la somme de 4 361,84 euros d’honoraires d’avocat versés à Me [I] avocat en pure perte puisque au final et par la faute de Me [H], ils perdront leurs droits réels immobiliers.
Ils ont également versé à Me [H] dans le cadre du procès devant le tribunal d’Aix-en-provence la somme de 3 600 euros d’honoraires et seront condamnés au surplus à des indemnités de 3 000 euros sur le fondement d e l’article 700 du code de procédure civile.
Il s’ensuit que la chance d’obtenir réitération de la vente et de concrétiser leur projet doit être évaluée à 95% et que le dommage réparable doit être arrêté à la somme de 20 000 euros de perte de chance de devenir propriétaire des parcelles à laquelle s’ajoutera 95% des montants évoqués ci-dessus et constituant les condamnations prononcées plus les frais d’honoraires d’avocats des deux procédures, soit un total de (20 000 + 10 413,75) = 30 413,75 euros et Me [H] sera condamné à leur payer cette somme.
Le jugement sera par voie de conséquence, infirmé en ce qu’il a débouté les appelants de toutes leurs demandes.
3- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie perdante, Me [H] supportera les dépens de première instance et d’appel.
Enfin, l’équité commande d’allouer aux époux [R] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Infirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne Me Stéphane Courant avocat à payer à M. [P] [R] et Mme [G] [R] la somme de 30 413,75 euros en réparation de leurs préjudices ;
Le condamne à supporter la charge des dépens de première instance et d’appel.
Le condamne à payer à M. [P] [R] et Mme [G] [R] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,