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ARRET
N°
S.A.S. AISNEDIT
C/
[C]
copie exécutoire
le 15/03/2023
à
Me DE HAUT DE SIGY
Me FELDMAN
LDS/IL/SF
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 15 MARS 2023
*************************************************************
N° RG 21/05790 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IJNX
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SAINT-QUENTIN DU 29 NOVEMBRE 2021 (référence dossier N° RG 21/00012)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. AISNEDIT
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Bertrand DE HAUT DE SIGY de la SELARL UGGC AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Alaric LAZARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Marie-laure VIEL de la SCP MARIE-LAURE VIEL, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN, avocat postulant
ET :
INTIMEE
Madame [R] [C]
née le 04 Juin 1967 à BOULOGNE-BILLANCOURT (92)
de nationalité Française
Chez Monsieur [E] [Y] [Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée, concluant et plaidant par Me Jean-philippe FELDMAN, avocat au barreau de PARIS
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d’AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l’audience publique du 18 janvier 2023, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Laurence de SURIREY indique que l’arrêt sera prononcé le 15 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 15 mars 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
Mme [C] a été embauchée par la société Aisnedit (la société ou l’employeur), à compter du 10 avril 2017, par contrat à durée indéterminée, en qualité de commerciale.
La société est spécialisée en informatique, édition de logiciels et vente de matériels informatiques. Elle emploie plus de 10 salariés.
Le 5 juin 2020, à la suite d’une période de congé maladie, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste avec la mention « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Elle a été licenciée pour inaptitude médicalement constatée, le 7 juillet 2020.
Ne s’estimant pas remplie de ses droits au titre de l’exécution du contrat de travail, affirmant avoir été victime d’un harcèlement moral et contestant la légitimité de son licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Quentin le 5 février 2021
Par jugement du 29 novembre 2021, le conseil a :
– condamné la société à payer à la salariée les sommes de 54 774,72 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019, 5 477,47 euros à titre de congés payés sur les heures supplémentaires et 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise d’un bulletin de paie récapitulatif conforme, d’un certificat de travail rectifié et d’une attestation Pôle emploi rectifiée dans des délais raisonnables,
– ordonné la capitalisation des intérêts à partir du premier jour du mois suivant la présentation par voie d’huissier de justice de ce jugement,
– ordonné l’exécution provisoire dans la limite de neuf mois du salaire moyen,
– débouté la salariée du surplus de ses demandes,
– dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
La société Aisnedit, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par conclusions récapitulatives et en réponse N°3 remises le 3 janvier 2023, demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il :
o l’a condamnée à payer à Mme [C] les sommes suivantes :
‘ 54 774,72 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019 ;
‘ 5 477,47 euros à titre de congés payés sur les heures supplémentaires ;
‘ 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
o ordonné la remise d’un bulletin de paye récapitulatif conforme, d’un certificat de travail rectifié, et d’une attestation Pôle emploi rectifiée dans des délais raisonnables,
o ordonné la capitalisation des intérêts à partir du premier jour du mois suivant la présentation par voie d’huissier de ce jugement,
o ordonné l’exécution provisoire de droit de cette décision dans la limite légale de neuf mois du salaire moyen,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– constater que Mme [R] [C] n’a réalisé que 42 heures supplémentaires en 2018 et 31 heures supplémentaires en 2019 ;
– considérer que la société AISNEDIT devra procéder au paiement à Mme [C] de la somme de 1 492,40 euros au titre de ses heures supplémentaires pour l’année 2018 et 1 142,94 euros pour l’année 2019 ;
A titre subsidiaire,
– constater que Mme [C] a procédé à la surévaluation de 206 heures supplémentaires sur les années 2018 et 2019 ;
– constater que Mme [C] n’a pas réalisé 1363 heures supplémentaires au titre des années précitées mais 1157 heures et la condamner au remboursement du trop-perçu ;
– considérer qu’elle devra procéder au paiement de la somme de 45 754,80 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019 et de la somme de 4575,48 euros à titre de rappel de congés payés sur heures supplémentaires 2018-2019 ;
En tout état de cause,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] [C] du surplus de ses demandes ;
– la recevoir dans ses écritures, les disant bien fondées ;
– constater que Mme [R] [C] n’a fait l’objet d’aucun harcèlement moral de la part de M. [J] ;
– constater que le licenciement de Mme [R] [C] le 7 juillet 2020 en raison de son avis d’inaptitude est valable ;
– débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, fins, conclusions et appel incident ;
– condamner Mme [C] à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions en réplique et récapitulative remises le 28 décembre 2022, Mme [C] demande à la cour de :
– dire irrecevable et à tout le moins mal fondée la société en son appel,
– la dire recevable et bien fondée en son appel incident,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société à lui payer les sommes de 54 774,72 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019, 5 477,47 euros à titre de congés payés sur les heures supplémentaires et 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, a ordonné la remise d’un bulletin de paie récapitulatif conforme, d’un certificat de travail rectifié et d’une attestation Pôle emploi rectifiée dans des délais raisonnables et la capitalisation des intérêts,
– réformer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,
– condamner la société à lui payer les sommes de :
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 18 641 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– subsidiairement, 18 641 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– à titre infiniment subsidiaire :
– 4 660 euros à titre d’indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement,
– 4 660 euros à titre d’indemnité pour absence de notification des motifs de l’impossibilité de reclassement,
– en tout état de cause :
– 13 980 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
– 27 961 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– fixer la moyenne des salaires à 4 660,31 euros la moyenne des 12 derniers mois de salaire hors heures supplémentaires non payées,
– condamner la société aux dépens de première instance et d’appel.
En cours de délibéré, la cour a demandé aux parties de présenter leurs observations sur la recevabilité des demandes de dommages-intérêts pour irrégularitée de la procédure de licenciement présentées pour la première fois en cause d’appel par l’intimée.
Par note déposée le 25 janvier 2023, la société a conclu à l’irrecevabilité des demandes en application de l’article 564 du code de procédure civile.
L’intimée, par note reçue le même jour, a soutenu que ses demandes étaient recevables comme découlant directement du licenciement et qu’elle attendait pour les présenter de se voir communiquer certaines pièces qui ne l’ont jamais été.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS,
1/ Sur les demandes liées à l’exécution du contrat de travail :
1-1/ Sur l’existence d’un harcèlement moral :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, la salariée fait valoir qu’elle a subi une situation de harcèlement moral caractérisée par une tentative de la part de son supérieur hiérarchique de modifier ses fonctions par le biais d’un e-mail reçu le 19 février 2020, au prétexte qu’elle avait émis le souhait de quitter l’entreprise ce qui est faux, pour lui confier l’action KW consistant en de simples prospections téléphoniques, que l’employeur s’est borné à contester tout harcèlement moral sans lancer d’enquête à la suite de sa dénonciation des faits alors que l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 étendu par l’arrêté du ministère du travail du 23 juillet suivant exige que lorsqu’un salarié se plaint de faits de harcèlement moral, sa plainte soit suivie d’une enquête et soit traitée sans retard, toute inertie de l’employeur étant fautive.
Elle affirme que ce harcèlement moral est à l’origine de la dégradation de son état de santé et de ses arrêts de travail.
Elle se prévaut :
– d’un email du 19 février 2020 par lequel le responsable commercial, M. [F], lui fait part de ce qu’elle sera « mise à 100 % sur l’action KW », le reste étant géré par « [W] » et par lui, qu’au bureau il ferait le dispatching des affaires en cours et que, bien sûr si elles rentrent « avant son départ » elle serait commissionnée dessus et lui précisant que pour KW elle serait en direct avec [P] [J] plusieurs fois par semaine pour l’avancement des actions »,
– sa réponse au travers de laquelle elle fait part de son étonnement quant au contenu de ce message, l’évocation de son départ, exprimant les craintes qu’elle soit menacée de licenciement ou poussée à la démission,
– l’échange de lettres recommandées qui a suivi ces courriers électroniques aux termes desquelles :
– elle précise son étonnement quant au changement de fonction évoqué, le met en rapport avec sa demande de travailler uniquement en télétravail et du refus de son supérieur hiérarchique, qui lui a suggéré de démissionner si elle n’était pas contente, se plaint de la pression exercée par M. [J], qu’elle décrit comme son nouveau N+1, qui « l’inonde dès six heures du matin d’une flopée de messages et d’ordres » alors qu’elle est en arrêt de travail,
– M. [F] conteste les propos qu’elle lui prête ainsi que toute intention de la conduire à la démission, lui répond que sa proposition d’affectation exclusive à la gestion de l’action KW ne résultait pas d’une quelconque pression de sa part mais de la prise en compte de son souhait de rejoindre son compagnon à Tahiti à l’horizon 2020, qu’il ne s’agissait nullement d’un changement de fonction et qu’il continuerait à être son N+1,
– elle maintient que les fonctions nouvellement imposées sont très différentes et moins valorisantes que celles qu’elle exerçait précédemment et se plaint à nouveau du traitement que lui a fait subir M. [J],
– une copie d’écran de messages WhatsApp que lui a adressé M. [J] les 11, 13, 18 et 19 février 2020, dont certains très matinaux,
– ses avis d’arrêt de travail du 3 au 15 février puis du 19 au 20 février 2020
– son avis d’inaptitude selon lequel tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé,
– une lettre du médecin du travail à son médecin traitant indiquant que son état psychologique ne semble pas compatible avec une reprise de son poste,
– une lettre de son médecin traitant faisant état d’une dépression réactionnelle depuis le mois de février à la suite d’un conflit professionnel,
– une lettre d’un psychiatre selon laquelle elle présente un syndrome de stress post-traumatique consécutif à des problèmes survenus à son travail depuis la fin de l’année 2019, des angoisses, une anhédonie, des troubles du sommeil et des conduites d’évitement.
Mme [C] n’apporte pas la preuve des propos visant à la pousser à démissionner qu’elle prête à son supérieur hiérarchique.
Par ailleurs, il ne résulte pas des échanges de messages électroniques et de lettre recommandée que la salariée se soit expressément plainte de harcèlement moral de sorte qu’elle ne peut reprocher à la société de ne pas avoir diligenté une enquête.
Les autres éléments (pression de M. [J] pendant son arrêt de travail et tentative de modification de ses fonctions) ainsi présentés, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral.
L’employeur soutient que sa proposition d’affecter la salariée à l’action KW ne constitue pas un changement de ses fonctions, ce dont elle n’a pu se rendre compte puisqu’elle a été placée en arrêt de travail dès le lendemain ; que les cinq messages reçus de M. [J] ne constituent pas « une flopée de messages », que l’auteur de ceux-ci ne savait pas qu’elle était en arrêt de travail, Mme [C] ne l’en ayant pas informé et qu’il n’est pas salarié de la société mais un partenaire commercial ; que la salariée a toujours loué les excellents rapports qu’elle avait avec la société ; que plusieurs personnes attestent de l’excellente ambiance qui régnait dans l’entreprise et de l’absence de pression mise sur les collaborateurs ; que Mme [C] ne rapporte pas la preuve de l’origine professionnelle de ses problèmes de santé ; que les lettres des médecins ne sont pas conformes à la déontologie médicale et que, la salariée n’ayant été présente que deux jours en février 2020, la chronologie des événements ne rend pas crédible les accusations de harcèlement moral.
La copie d’écran de messages WhatsApp montre l’envoi de cinq messages par M. [J] en l’espace de sept jours ouvrés. La salariée n’a répondu qu’à l’un d’eux pour dire qu’elle n’avait pas les photos demandées, surtout sans aviser son interlocuteur, dont elle ne conteste pas qu’il n’est pas un salarié de l’entreprise mais un partenaire commercial, de ce qu’elle était en arrêt de travail. Ce fait apparaît donc justifié par un élément objectif.
Il ne reste donc que la modification des fonctions de Mme [C], laquelle constitue un fait unique qui comme tel ne peut caractériser une situation de harcèlement moral de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a dit que le harcèlement moral n’était pas caractérisé et a rejeté les demandes de ce chef.
1-2/ Sur les heures supplémentaires :
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, Mme [C] soutient qu’elle a effectué plus de 1800 heures supplémentaires en 2018 et 2019.
Elle produit :
– des captures d’écran de ses agendas 2018 et 2019 montrant certains jours des amplitudes de travail importantes,
– plusieurs pages de messages électroniques dont certains reçus et/ou envoyés à des heures tardives ou très matinales ou encore le dimanche,
– ses bulletins de paie ne faisant mention du paiement que de quelques heures supplémentaires,
– les tableaux synoptiques de ses heures de travail réalisées sur les années 2018 et 2019 jour par jour,
– les tableaux synoptiques des calculs des heures supplémentaires, semaine par semaine pour les années 2018 et 2019.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre en y apportant les siens.
Ce dernier répond pour l’essentiel que la salariée n’a pas revendiqué d’heures supplémentaires avant de quitter l’entreprise, que les courriels qu’elle verse aux débats ne sont pas pertinents en ce qu’ils ne traduisent pas l’exécution d’un travail en dehors des heures normales, que les motifs retenus par le conseil de prud’hommes sont contradictoires et que les décomptes de Mme [C] sont délibérément erronés et surévalués. Il présente son propre décompte faisant apparaître des heures supplémentaires à hauteur de 1 492,40 euros pour l’année 2018 et 1 142,96 euros pour l’année 2019.
A titre subsidiaire, il demande à la cour de constater qu’elle devra procéder au paiement des sommes de 45 754,80 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019 et de la somme de 4575,48 euros à titre des congés payés y afférents.
C’est en vain que l’employeur avance que Mme [C] n’a pas revendiqué le paiement d’heures supplémentaires avant son départ de l’entreprise, cet argument étant inopérant, seule la prescription limitant dans le temps l’action d’un salarié en paiement de son salaire. De même, le fait que lors de ses entretiens d’évaluation 2018 et 2019 Mme [C] n’ait pas évoqué une surcharge de travail n’implique pas qu’aucune heure supplémentaire n’ait pas été exécutée, la salariée n’ayant d’ailleurs pas été spécifiquement interrogée sur ce point.
Si les très nombreux e-mails reçus très tôt le matin ou très tard le soir, voire même dans la nuit, n’impliquaient pas pour la plupart une réponse, ils traduisent néanmoins le non-respect par la société du droit à la déconnexion de ses collaborateurs et le fait qu’il était courant en son sein que les collaborateurs travaillent au milieu de la nuit. De plus, le fait que ces messages ne se soient pas traduits par un travail effectif visible de Mme [C] ne suffit pas à contredire les allégations de cette dernière sur l’exécution d’heures supplémentaires.
De plus, l’absence de coïncidences exactes entre les agendas produits et les décomptes ne suffit pas non plus à invalider ces derniers dès lors que sur un agenda ne figure pas forcément l’intégralité de l’activité professionnelle d’un salarié mais pour l’essentiel ses rendez-vous. D’ailleurs si l’on devait suivre l’employeur dans son argumentation, l’on devrait retenir que Mme [C] ne travaillerait même pas 35 heures par semaine puisque certains jours seule une heure de travail est mentionnée.
La société n’apporte pas d’élément permettant de penser que les copies d’agenda sont fausses.
Enfin, son propre décompte qui ne repose pas sur un mode fiable de contrôle du temps de travail est dépourvu de toute valeur probante.
En revanche, c’est à juste titre que l’employeur fait remarquer que le décompte de Mme [C] comporte un certain nombre d’erreurs de calcul qui conduisent à rejeter une partie des demandes de cette dernière.
Ainsi, au vu des éléments produits de part et d’autre, et sans qu’il soit besoin d’ordonner une mesure d’instruction, la cour a acquis la conviction au sens du texte précité que Mme [C] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées à hauteur de 45 754,80 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires 2018-2019 à laquelle il faut ajouter les congés payés pour 4 575,48 euros.
1-3/ Sur la demande au titre du travail dissimulé :
La société soutient que la salariée ne rapporte pas la preuve de l’élément intentionnel de l’infraction qu’elle allègue, affirmant que les messages adressés à cette dernière pendant son arrêt maladie avaient pour seul objet de mettre en place les éléments nécessaires pour assurer le suivi du dossier en son absence.
Mme [C] fait valoir que la mauvaise foi ou l’intention frauduleuse de la société s’évince de la multitude de mails reçus tôt le matin ou tard le soir dans la semaine ainsi que les samedis et les dimanches, du fait que la société ne s’est inquiétée de la nécessité ou non d’heures supplémentaires pour la réalisation de sa mission que le 2 mars 2020 ainsi que de l’envoi de courriels pendant ses arrêts de maladie en février et en mars 2020.
L’article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l’article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d’emploi salarié.
Aux termes de l’article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
Le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention d’heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
Au cas d’espèce, l’importance des heures supplémentaires accomplies et le mépris manifesté pour les horaires de travail ainsi qu’en témoigne l’envoi récurrent à la salariée de messages matinaux ou tardifs ou encore durant les fins de semaine sans contrôle du temps de travail, caractérisent l’élément intentionnel de l’infraction de travail dissimulé.
Par conséquent, par infirmation du jugement, la société sera condamnée à verser à Mme [C] la somme, non spécifiquement contestée dans son quantum, de 27 961 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
1-4/ Sur la demande au titre de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail :
Mme [C], au soutien de sa demande, invoque le non paiement des heures supplémentaires y compris à la suite de sa réclamation, alors que la société a reconnu en cause d’appel lui devoir une somme à ce titre, le non-respect du plafonnement annuel du nombre d’heures supplémentaires et de la durée légale du travail, le refus de faire droit pendant de longues semaines à sa légitime demande d’envoi des documents sociaux consécutifs au licenciement et son solde de tout compte au lieu de les tenir à sa disposition ce qui a entraîné un retard dans son indemnisation par Pôle emploi et le retard dans le paiement de la clause de non-concurrence.
La société conteste la pertinence de ces arguments et invoque à son tour la mauvaise foi de la salariée manifestée par son revirement brutal quant à son départ annoncé de la société et les relances répétées qui ont été nécessaires pour qu’elle procède à la restitution du matériel en sa possession.
Il est certain que l’ampleur des heures supplémentaires, qui plus est impayées, manifeste un manquement de l’employeur aux règles sur la durée du travail nécessairement source d’un préjudice pour la salariée.
Il résulte, par ailleurs, des pièces versées aux débats que la société a attendu d’être mise en demeure pour faire parvenir à la salariée ses documents de fin de contrat et lui payer partiellement ce qui lui était dû au titre de la clause de non-concurrence.
Mme [C] ne justifie cependant pas de l’existence d’un préjudice à ce titre.
Au vu de ce qui précède, la société sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages intérêts de nature à assurer la réparation intégrale de son préjudice lié au non-respect des règles sur la durée du travail.
2/ Sur la rupture du contrat de travail :
2-1/ Sur la nullité du licenciement :
La demande de ce chef reposant sur des allégations de harcèlement moral qui n’ont pas été retenues, sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
2-2/ Sur la cause réelle et sérieuse de licenciement :
Mme [C] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la lettre de licenciement ne fait aucune référence à l’impossibilité de reclassement.
L’employeur répond à juste titre qu’il n’avait pas à mentionner dans la lettre de licenciement l’impossibilité de reclassement puisqu’il en était dispensé par l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail.
Il y a lieu par conséquent, confirmant en cela la décision des premiers juges, de rejeter les demandes de ce chef.
2-3/ Sur les demandes au titre de l’inobservation de la procédure de licenciement et de notification des motifs d’impossibilité de reclassement :
Par application de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Il est constant que ces demandes sont présentées par Mme [C] pour la première fois en cause d’appel. Si elles ont trait au licenciement, elles ne sont ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire des demandes présentées devant le conseil de prud’hommes de sorte qu’elles sont irrecevables.
2-4/ Sur les demandes au titre du préavis :
Mme [C] ne présente aucun moyen au soutien de ses demandes de sorte qu’il y a lieu, en application de l’article 954 du code de procédure civile, de confirmer le jugement qui les a rejetées.
3/ Sur les demandes accessoires :
Il n’y a pas de contestation s’agissant de la moyenne des salaires.
La société ne présente pas de moyen au soutien de sa demande d’infirmation du jugement s’agissant de la capitalisation des intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.
La société, qui perd le procès, doit en supporter les dépens et sera condamnée à payer à la salariée la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a condamné la société Aisnedit à payer à Mme [C] les sommes de 54 774,72 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 5 477,47 euros au titre des congés payés y afférents, en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [C] au titre du travail dissimulé, en ce qu’il a dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,
Fixe à 4 660 euros la moyenne des trois derniers mois de salaire,
Condamne la société Aisnedit à payer à Mme [C] les sommes de :
– 45 754,80 euros au titre des heures supplémentaires pour les années 2018 et 2019 outre 4 575,48 euros au titre des congés payés y afférents,
– 27 961 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
– 1 500 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne à la société Aisnedit de remettre à Mme [C] les documents de fin de contrat conformes à la présente décision (bulletin de paie et attestation Pôle emploi),
Déboute la société Aisnedit de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.