Contrat d’édition : 23 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03809

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Contrat d’édition : 23 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03809
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 MARS 2023

N° RG 21/03809 – N° Portalis DBV3-V-B7F-USI7

AFFAIRE :

S.C.I. IMMO-CONCEPT PARTENAIRES

C/

S.A.R.L. GOUMOND

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mars 2021 par la chambre des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles

N° RG : 20/05621

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Charles TONNEL

Me Martine DUPUIS

TJ VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.C.I. IMMO-CONCEPT PARTENAIRES

RCS Versailles n° 493 000 830

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Charles TONNEL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 204 et Me Arthur DE GALEMBERT de l’AARPI CORTEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1939

APPELANTE

****************

S.A.R.L. GOUMOND

RCS Versailles n° 481 955 623

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Eric DELFLY de la SELARL VIVALDI- AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LILLE, vestiaire: 0275

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon acte authentique du 11 décembre 2009, la SCI Immo-Concept Partenaires (ci-après Immo-Concept) a donné à bail commercial à la SARL Goumond des locaux en rez-de-chaussée d’un immeuble sis [Adresse 1], pour une durée de neuf années, afin qu’elle y exploite une activité principale de salon de coiffure mixte, moyennant un loyer annuel de 30.000 € HT et HC.

Par l’effet de la clause d’indexation stipulée au bail, le loyer annuel a été porté à 33.324,48 € HT et HC par an à compter du 31 décembre 2017.

Le bail s’est poursuivi par tacite prolongation.

Le 28 décembre 2018, la société Goumond a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2019, pour un loyer annuel de 15.000 € HT et HC.

Le 29 janvier 2019, la société Immo-Concept a indiqué, en retour, accepter le principe du renouvellement du bail et a proposé un loyer annuel fixé à 38.000 € HT et HC.

Par acte du 7 juin 2019, la société Goumond a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Versailles.

Par jugement du 15 novembre 2019, le juge des loyers commerciaux de ce tribunal a notamment :

– Déclaré irrecevable devant le juge des loyers commerciaux la demande de la société Goumond tendant au paiement des trop-perçus de loyers par la société Immo-Concept ;

– Constaté le renouvellement du bail au 1er janvier 2019 ;

– Avant dire droit sur la fixation du montant du loyer du bail renouvelé, ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [I] [F] [M] ;

– Fixé le loyer provisionnel dû par la société Goumond, pour la durée de l’instance, au montant du loyer tel que résultant du bail échu ;

– Sursis à statuer sur les autres demandes dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.

L’expert a déposé son rapport le 26 juin 2020.

Par jugement contradictoire du 25 mars 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles a :

– Fixé le loyer renouvelé au 1er janvier 2019 à la valeur locative de 23.622,80 € hors charges et hors taxes par an, dû par la société Goumond à la société Immo-Concept Partenaires pour les locaux situés[Adresse 1] ;

– Dit que le différentiel de loyer entre le loyer provisionnel acquitté par la société Goumond et le loyer renouvelé portera intérêt au taux légal à compter de l’assignation puis à compter de chaque échéance et que les intérêts échus depuis plus d’une année produiront eux-mêmes intérêts en conformité des dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

– Rejeté toutes les autres demandes des parties ;

– Dit que les dépens, en ce compris les frais d’expertise, seront supportés par moitié entre les parties et les y a condamnées en tant que de besoin ;

– Dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 15 juin 2021 et enregistrée le 16 juin 2021, la société Immo-Concept a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2022, la société Immo-Concept Partenaires demande à la cour que :

– La surface pondérée des locaux soit fixée conformément aux préconisations de la Charte de l’expertise dans sa dernière édition à 42,11 m²p ;

– La valeur locative des locaux soit fixée à 710,36 € /m²p, sans abattement ;

– Le loyer de renouvellement des locaux exploités par la société Goumond et dépendant de l’immeuble sis [Adresse 1] en résultant s’élevant à la somme annuelle de 29.913,41 € HT/HC par an et ce à compter du 1er janvier 2019 ;

– Le preneur soit débouté de toutes ses demandes ;

– La société Goumond soit condamnée aux entiers dépens de la présente instance ;

– Soit ordonnée l’exécution provisoire de la décision.

Par dernières conclusions notifiées le 27 octobre 2022, la société Goumond demande à la cour de :

– Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles le 25 mars 2021 en ce qu’il :

– fixe le loyer renouvelé au 1er janvier 2019 à la valeur locative de 23.622,80 € hors charges et hors taxes par an, dû par la société Goumond à la société Immo-Concept Partenaires pour les locaux situés [Adresse 1],

– dit que le différentiel de loyer entre le loyer provisionnel acquitté par la société Goumond et le loyer renouvelé portera intérêt au taux légal à compter de l’assignation puis à compter de chaque échéance,

– rejette les autres demandes de la société Goumond,

– dit que les dépens, en ce compris les frais d’expertise, seront supportés par moitié entre les parties et les y condamne en tant que de besoin,

– rejette la demande de la société Goumond à voir condamner la société Immo-Concept Partenaires aux frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonne l’exécution provisoire ;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés,

– Fixer le prix du loyer du bail renouvelé à la somme de 11.350 € HT/HC/an, à compter du 1er janvier 2019 ;

– Juger que les intérêts courront de plein droit à compter de la demande, soit le 1er janvier 2019, et subsidiairement, à compter de la date de la présente assignation par application de l’article 1155 du code civil ;

– Juger que les intérêts se capitaliseront conformément à l’article 1154 du code civil ;

– Condamner la société Immo-Concept Partenaires à payer à la société Goumond la somme de 7.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– La condamner aux entiers frais et dépens de l’instance ;

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fixation du loyer du bail renouvelé

La société Immo-Concept indique qu’elle est d’accord avec la surface de 42,11 m²p retenue par le juge des loyers commerciaux, lequel s’est fondé comme l’expert sur le mesurage des surfaces réalisé par le cabinet Goudard & associés, géomètre-experts ; elle souligne que ce mesurage a été fourni par le preneur lui-même.

Elle critique l’analyse de la pondération des surfaces du local communiquée par le preneur, en ce qu’elle émane d’un expert missionné par ce dernier et en ce que cette analyse a été réalisée dans un sens unilatéral favorable au preneur au point que ce document se réfère à la charte de l’expertise en évaluation immobilière de 2015, et non à sa dernière version de 2017, et qu’il retient des pondérations très éloignées de celles retenues tant par l’expert que par la juridiction de première instance et ce, sans aucun justificatif des coefficients retenus.

Elle sollicite la fixation de la valeur locative des locaux sous expertise au montant de 710,36 €/m²p, ce qui aboutit à une valeur locative totale de 710,36 € * 42,11 m²p = 29.913,41 € HT/HC par an. Elle précise que cette valeur locative ne doit en aucun cas supporter d’abattement car la taxe foncière est communément mise à la charge des preneurs dans les baux commerciaux si bien que les références relevées par l’expert en tiennent « probablement » déjà compte.

La société Goumond estime quant à elle que la méthode de calcul préconisée par la charte de l’expertise en évaluation immobilière a été incorrectement appliquée par l’expert mais aussi par le premier juge. Elle souligne que le local donné à bail est singulier dans la faiblesse de sa vitrine, dans la petitesse des surfaces après la vitrine (surface d’accueil de 17 m², arrière-boutique de 16 m²) et surtout dans sa profondeur (18 mètres) avec un « goulot d’étranglement » d’1,40 mètre sur 6 mètres linéaires. Elle se réfère à l’attestation de « superficies utiles » établie à sa demande par le cabinet Goudard & associés, qui fixe la surface utile brute des locaux (SUB) à 53,80 m² au lieu des 53,90 m² retenus par le rapport d’expertise. Elle accepte néanmoins de retenir une SUB de 53,90 m² mais vise un certain nombre d’erreurs matérielles commises par l’expert dans la ventilation des surfaces de la SUB et demande de ne pas retenir sa ventilation, qui n’est pas suffisamment détaillée, ce qui selon elle rend incontrôlable la pondération opérée, et de prendre comme seule référence le plan de surfaces établi par le géomètre-expert. Elle propose, pour tenir compte des spécificités du local, d’appliquer des coefficients de pondération différents de ceux retenus dans le rapport d’expertise, pour aboutir à une surface de 35,11 m²p.

Elle estime que la valeur locative des locaux loués ne peut excéder 350 €/m²p/an, soit la somme totale de 12.588,50 € HT et HC, sur laquelle doivent être pratiqués un premier abattement de 340 € pour tenir compte de la taxe foncière puis un second abattement de 5 % pour procéder à une adaptation des locaux vis-à-vis des comparables qui ne subissent pas un certain nombre de spécificités qu’elle énonce. Elle aboutit ainsi à un loyer arrondi à 11.350 €/an HT et HC qu’elle sollicite de voir fixer à compter du 1er janvier 2019, date de renouvellement du bail.

*****

Il est en l’espèce établi que le bail conclu le 11 décembre 2009 s’est poursuivi par tacite prolongation au-delà de la durée contractuelle de neuf ans, avant que le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Versailles constate son renouvellement à compter du 1er janvier 2019.

Selon l’article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage, qui sont déterminés dans les conditions prévues à l’article R.145-7 du même code.

– Sur le calcul de la surface pondérée

Il ressort du rapport d’expertise judiciaire de M. [M] que le bail porte sur un local commercial de plain-pied dépendant d’un immeuble à usage mixte de logements d’habitation en étages et de commerces en rez-de-chaussée, sis à [Adresse 1], qui est la principale artère commerçante de la ville. Le local est occupé par un salon de coiffure exploité par la société Goumond sous l’enseigne ‘Vog’. Il bénéficie d’un linéaire de vitrines de 5,50 mètres environ, avec deux enseignes : l’une importante en façade et l’autre en drapeau. L’accès au salon de coiffure est surélevé de deux marches et comporte un sas commun avec un magasin de prêt à porter (Cashmere) et un accès aux logements en étage par une porte à droite. L’entrée dans le salon de coiffure se fait par une porte vitrée en retrait. Le commerce se compose d’une première partie à l’entrée, comportant la zone de coiffage et les sanitaires, d’un dégagement, d’une deuxième partie dédiée au lavage des cheveux et d’une annexe faisant office de bureau et de réserve, ces locaux étant disposés en « enfilade » et communiquant directement les uns avec les autres.

L’expert a retenu, sur la base du relevé de surfaces établi le 5 mai 2020 par le cabinet Goudard & associés, que lui a communiqué la société Goumond en annexe de son dire n°3, une surface utile de 53,90 m² ainsi ventilée :

– salon de coiffure zones 1 et 2 : 26,70 m²

– espace de vente – couloir zones 2 et 3 : 7,10 m²

– salon de lavage zone 3 : 12,30 m²

soit un sous-total espace de vente de 46,10 m²

– sanitaires : 1,20 m²

– placard : 1,50 m²

– bureau : 5,10 m²

soit un sous-total annexes de 7,80 m².

En se référant aux coefficients préconisés par la charte de l’expertise en évaluation immobilière de 2017 (ci-après la Charte) pour les commerces de centre-ville d’une superficie de moins de 600 m², l’expert a ensuite fixé la surface utile pondérée du local considéré à 40,10 m²p, se décomposant comme suit’:

– salon de coiffure zones 1 et 2 : 26,70 m²p (coefficient 1)

– espace de vente – couloir zones 2 et 3 : 3,55 m²p (coefficient 0,50)

– salon de lavage zone 3 : 7,38 m²p (coefficient 0,60)

soit un sous-total espace de vente de 37,63 m²p

– placards/sanitaires : 0,68 m²p (coefficient 0,25)

– bureau : 1,79 m²p (coefficient 0,35)

soit un sous-total annexes de 2,47 m²p.

La société Goumond conteste tant la ventilation des surfaces que les coefficients de pondération retenus par l’expert.

S’agissant de la surface utile brute des locaux (SUB), elle fait valoir que le géomètre-expert Goudard auquel elle a fait appel a appliqué les deux méthodes alternatives d’évaluation prévues par la Charte, à savoir à partir de la porte d’entrée et à partir de la limite de propriété (façade des locaux), et ce afin de permettre à l’expert judiciaire de sélectionner sa méthode ; que plutôt que de choisir l’une ou l’autre hypothèse, ce dernier s’est totalement affranchi de la Charte et a réalisé son propre panachage, en calculant les zones 1 et 2 à partir de la porte d’entrée et la zone 3 à partir de la limite de propriété.

La cour observe cependant que, contrairement à ce qui est soutenu, l’expert s’est fondé uniquement sur le relevé de surfaces établi par le cabinet Goudard & associés à partir de la limite de propriété et que les valeurs retenues sont bien les mêmes, à ceci près que la présentation qui en est faite par le géomètre-expert distingue les surfaces selon la zone de profondeur. Ainsi qu’il l’a indiqué aux parties dans une note du 15 mai 2020 en réponse au dire n°3 adressé par le conseil de la locataire, l’expert a en outre noté une légère erreur du géomètre, la surface comprise entre 15 et 20 mètres ressortant à 17,80 m² et non 17,70 m².

S’agissant de la pondération des surfaces, il convient d’examiner successivement les différentes zones du local :

– le salon de coiffure (zones 1 et 2)

La société Goumond reproche à l’expert d’avoir ignoré l’atypicité des locaux en traitant la totalité du salon de coiffure dans une seule et même zone, à laquelle il a appliqué le coefficient de 1. Elle considère que le respect de la Charte aurait dû le conduire à retenir une pondération de 1 pour la zone 1 et une pondération d’au maximum 0,9 pour la zone 2, compte tenu notamment de l’exiguïté de cette zone et de l’absence d’éclairage naturel.

Toutefois, comme le fait pertinemment observer le bailleur, la partie de la zone 2 appartenant au salon de coiffure se trouve totalement dans la continuité de la zone 1, ce qui justifie d’appliquer une pondération similaire (1) à cette surface de 26,70 m², ainsi que l’a pratiquée l’expert qui n’a pas noté de différences entre ces deux zones, contrairement au couloir qui mène au salon de lavage et qui a été pondéré à 0,5.

– la vitrine

La société Goumond prétend que l’arrière-vitrine, d’une surface utile d’1,6 m², lui est inaccessible car elle ne dispose pas des clés de l’escalier menant aux étages, de sorte qu’elle doit solliciter l’intervention du bailleur à chaque fois qu’elle a besoin d’y accéder, notamment pour l’entretien du bloc climatisation entreposé dans l’arrière-vitrine avec l’accord verbal du bailleur. Elle indique qu’il est matériellement impossible d’accéder à la vitrine par l’avenue, comme le prévoit le contrat, et que dans ces conditions, cette zone ne peut raisonnablement être pondérée que comme un débarras, soit selon un coefficient de 0,1 conformément à la Charte.

Selon le bail signé le 11 décembre 2009, la vitrine ouvrante sur l'[Adresse 1] est accessible exclusivement par l’avenue. Le contrat précise que le sas permettant de pénétrer dans les locaux loués est commun en ce sens qu’il dessert également un escalier permettant d’accéder aux autres niveaux de l’immeuble. Il prévoit expressément que la société Goumond n’a aucun droit d’emprunter cet escalier notamment pour accéder par l’arrière à sa vitrine.

Il résulte des éléments produits aux débats que le locataire a fait le choix d’installer un appareil de climatisation dans l’arrière-vitrine, sans autorisation du bailleur et en pleine connaissance de ces contraintes, ainsi que le lui a rappelé le gestionnaire dans un courriel du 26 août 2020. Comme l’a justement souligné le juge des loyers commerciaux, l’expert a défini les zones à partir de la limite de propriété et il a légitimement intégré la surface de la vitrine dans la zone 1, sachant qu’un grand visuel a été introduit dans cette vitrine par la société Goumond, ce qui rend la boutique particulièrement visible depuis la voie publique. Il n’y donc pas de raison de traiter cet espace comme un simple débarras.

– l’espace de vente – couloir (zones 2 et 3)

Le juge des loyers commerciaux a, à raison, relevé une erreur concernant le coefficient appliqué à cette zone puisque l’expert a mentionné un coefficient de 0,50 dans le tableau récapitulatif figurant dans son rapport après avoir indiqué plus haut dans la même page qu’il appliquait un coefficient de 0,60. Ce point n’étant pas discuté par les parties, la cour suivra le premier juge qui a retenu une pondération de cette zone à hauteur de 4,26 m²p au lieu des 3,55 m²p du rapport d’expertise.

– le salon de lavage (zone 3)

La société Goumond prétend que le salon de lavage se situe à 17 mètres linéaires de l’entrée des locaux et qu’en refusant de pondérer cette zone en deçà de 0,5 (pondération minimale avant la réforme de la Charte en 2015) tout en faisant état de références locatives antérieures à 2015 sans corriger l’écart de méthode, l’expert a artificiellement augmenté le prix au m² des locaux. Elle demande de corriger la pondération à 0,4.

Le juge des loyers commerciaux, suivant en cela l’argumentation développée par la bailleresse, a retenu un coefficient de 0,7 « conforme à la jurisprudence en matière de salons de coiffure ».

Toutefois, quoiqu’effectivement essentiel à l’activité de salon de coiffure, le salon de lavage en question se trouve en zone 3, telle que définie par la Charte, la partie du local dans laquelle il est situé comporte une différence de niveau (marche) et de hauteur (réduite) sous plafond par rapport aux zones 1 et 2, comme l’a constaté l’expert, de sorte qu’il convient de retenir comme ce dernier une pondération de 0,6, soit un résultat de 7,38 m²p.

– la zone de bureau

La société Goumond réclame l’application d’un coefficient de pondération de 0,25, tenant compte de l’éloignement de la zone par rapport à l’entrée, alors que l’expert et le juge des loyers commerciaux ont tous deux retenu un coefficient de 0,35.

Aucun élément ne justifie cependant de réduire le coefficient de 0,35 appliqué à cette zone, dans le respect des préconisations de la Charte, étant observé que l’expert a tenu compte du faible éclairage naturel de cet espace en ne retenant pas, comme le réclamait le bailleur, la pondération maximale de 0,40. En outre, et contrairement à ce qu’a pu relever le juge des loyers commerciaux, aucune erreur n’a été commise concernant la surface utile du bureau, qui est bien de 5,10 m² telle que mesurée par le géomètre-expert et reprise par l’expert. Cette zone comptera donc pour 1,79 m²p dans le calcul de la surface pondérée.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de retenir, par infirmation du jugement entrepris, une pondération à concurrence de 40,81 m²p, sachant que la zone de placards/sanitaires de 0,68 m²p ne fait l’objet d’aucune discussion. Il apparait utile de préciser que ce calcul n’est pas utilement remis en cause par le rapport établi le 22 juillet 2020 par Mme [L] [O], expert près la cour d’appel de Paris, à la demande de la société Goumond. En effet, ce rapport, aboutissant à une SUP de 30,53 m², se limite à appliquer des coefficients de pondération selon la zone de profondeur, sans apporter aucune justification aux choix opérés.

– Sur la valeur locative

L’expert judiciaire a appliqué la méthode par comparaison et recherché, « dans un souci de pertinence », des références de commerces situés [Adresse 1], dont un autre salon de coiffure. Ces éléments de comparaison font ressortir des loyers, indexés au 1er janvier 2019, compris entre 339 €/m²p et 971 €/m²p. L’expert a également cité, « pour information complémentaire », trois références de salons de coiffure et de beauté dans des artères secondaires (loyers compris entre 287 €/m²p et 378 €/m²p). Dans le rapport d’expertise, sont également mentionnés trois références fournies par la société Immo-Concept (commerces mitoyens et loyers compris entre 560 €/m²p et 880 €/m²p) et une référence fournie par la société Goumond (salon de coiffure MG Leroy au [Adresse 2]), qui n’a cependant pu être exploitée par l’expert faute d’éléments suffisants.

L’expert a retenu une valeur locative en renouvellement de 650 €/m²p, après avoir relevé parmi les points forts pour le preneur que les locaux, en bon état d’usage et d’entretien, étaient situés dans une commune à pouvoir d’achat élevé et en hausse, dans l’artère commerciale « prime » de [Localité 4], à proximité d’enseignes nationales avérées, outre des charges locatives de faible niveau et un chiffre d’affaires en hausse très sensible depuis 2010. Il a néanmoins noté comme points faibles pour le preneur : l’accès aux locaux par un sas d’entrée commun, en retrait de la rue, leur configuration en profondeur avec une différence de niveau d’une marche et un dégagement assez important et étroit, un ratio loyer/chiffre d’affaires élevé ainsi qu’une forte concurrence à proximité avec plusieurs salons de coiffure.

Au vu du rapport d’expertise, le juge des loyers commerciaux a retenu une valeur locative en renouvellement de 570 €/m²p.

Le bailleur considère que l’expert [M] a commis une erreur de calcul importante dans la détermination de la moyenne des valeurs locatives de l'[Adresse 1], qui a servi de base au raisonnement du juge des loyers, et qu’il convient de rectifier cette moyenne pour la porter à 643,80 €/m²p (641 €/m²p si l’on exclut les références extrêmes). Il ajoute, qu’outre cette rectification, il convient d’intégrer dans les références servant de base au calcul du prix unitaire des locaux, les trois références qu’il a communiquées portant sur des locaux sis [Adresse 1] et qui n’ont pas été prises en compte par l’expert dans son calcul, même s’il les a mentionnées dans son rapport définitif, alors que deux de ces références concernent des locaux appartenant au même immeuble que les locaux exploités par la société Goumond et que la troisième référence est située sur le même trottoir et constitue incontestablement la référence la plus pertinente. Le bailleur estime légitime de porter le prix unitaire du m²p au-dessus de la moyenne des références de l'[Adresse 1], excluant les valeurs extrêmes, soit à un montant de 710,36 €/m²p.

Quant à elle, la société Goumond soutient notamment que, pour parvenir à un résultat cohérent, il faut écarter toutes les références se rattachant à une unité autonome de marché, en l’occurence l’espace commercial Newmarket édifié entre le 13 et le 31 [Adresse 1], contrairement à ce qu’ont appliqué le rapport d’expertise et le jugement. Elle indique qu’il faut ensuite, par application de l’article R.145-7 du code de commerce, pondérer les références restantes au regard de la destination du bail, dans la mesure d’une part, où les activités autres que la coiffure, exercées dans les locaux figurant dans le panel de comparaison de l’expert, ne peuvent être exercées dans les locaux loués et d’autre part, où le modèle économique et donc le taux d’effort de loyer acceptable repose sur des bases différentes. Elle fait observer qu’au 1er janvier 2019, date de renouvellement du bail, tous les baux des immeubles voisins des locaux, sans exception, ont une valeur locative inférieure de moitié à celle retenue au rapport d’expertise ; qu’en outre, la valeur locative dans les bases de l’administration fiscale est elle-même inférieure de moitié à celle suggérée par l’expert [M]. Elle en déduit que la valeur locative des locaux loués ne peut excéder 350 €/m²p/an.

Comme l’a justement relevé le juge des loyers commerciaux, il n’y a pas lieu d’exclure les références issues des commerces situés dans le centre Newmarket, qui sont des commerces de pied d’immeuble tout à fait classiques dont l’accès se fait sur rue. De plus, l’ensemble commercial Newmarket ne constitue pas un véritable centre commercial et le fait qu’il existe un parking souterrain à cet endroit n’apporte pas d’avantage supplémentaire par rapport aux autres commerces de l'[Adresse 1], compte tenu du nombre d’emplacements de parkings en surface.

Il convient ensuite de rappeler que selon l’article R.145-7 du code de commerce, les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l’ensemble des éléments mentionnés aux articles R.145-3 à R.145-6, à savoir les caractéristiques propres au local et les éléments extrinsèques éventuels, la destination des lieux et les facteurs locaux de commercialité. A défaut d’équivaIence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Si le locataire remet en cause la pertinence de certaines des références retenues par l’expert, il sera souligné que ce dernier, tout comme le juge des loyers commerciaux, a tenu compte, dans son appréciation de la valeur locative en renouvellement, de différents éléments parmi lesquels l’activité de salon de coiffure exercée dans les locaux loués, étant au demeurant observé que figure dans le panel de comparaison le salon de coiffure Fabio Salsa situé au [Adresse 3], dont le bail a été renouvelé en 2018 sur la base d’un prix unitaire de 895 €/m²p.

La société Goumond propose comme seules références, selon elles pertinentes, deux commerces situés [Adresse 1] mais dont l’activité est différente (Nicolas et Beauregard Optique, dont la valeur locative est respectivement de 360 €/m²p et de 339 €/m²p) ainsi que tous les salons de coiffure situés dans la zone de chalandise, se limitant néanmoins à citer les salons Studio R (331 €/m²p) et L Coiff (287 €/m²p), qui présentent une moindre commercialité en ce qu’ils sont situés dans des artères secondaires de [Localité 4].

Le salon de coiffure MG Leroy, quoique situé au [Adresse 2] soit à proximité des locaux objets du renouvellement, a été écarté par l’expert de la liste des références dès lors qu’il ne disposait pas des éléments nécessaires pour estimer la surface pondérée des locaux et donc pour calculer un prix unitaire. La société Goumond verse aux débats en cause d’appel un certificat de mesurage desdits locaux en loi Carrez, qui ne permet pas mieux de délimiter les différentes zones de pondération.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments et tenant compte aussi bien des points forts que des points faibles des locaux pour le preneur, le premier juge a procédé à une estimation raisonnable, que la cour approuve, de la valeur locative en renouvellement à hauteur de 570 €/m²/an, étant précisé que la valeur locative enregistrée pour ces locaux dans les bases de l’administration fiscale ne saurait être prise en considération, comme le sollicite l’intimée, au regard des critères d’évaluation énoncés par l’article L.145-33 du code de commerce.

La valeur locative des locaux s’établit donc à 23.261,70 € hors charges et hors taxes par an, sur laquelle doit être pratiqué un abattement de 340 € correspondant au montant de la taxe foncière mis à la charge du preneur aux termes du bail et acquitté par ce dernier, ce qui constitue une charge exorbitante du droit commun.

Il n’y a en revanche pas lieu de faire droit à la demande de minoration de 5 % de la société Goumond, comme l’a justement décidé le premier juge, qui a souligné que l’atypicité des locaux avait déjà été prise en considération pour fixer le prix unitaire.

En conséquence de ce qui précède, le loyer renouvelé au 1er janvier 2019 sera fixé, par infirmation du jugement entrepris, à la somme de 22.921,70 € hors charges et hors taxes par an.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le différentiel de loyer entre le loyer provisionnel acquitté par la société Goumond et le loyer renouvelé porterait intérêt au taux légal à compter de l’assignation puis à compter de chaque échéance et que les intérêts échus depuis plus d’une année produiraient eux-mêmes intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

La société Immo-Concept Partenaires, qui succombe, supportera les dépens d’appel. Elle sera en outre condamnée à verser à la société Goumond la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu le 25 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles sauf en ce qu’il a fixé le loyer renouvelé au 1er janvier 2019 à la valeur locative de 23.622,80 € hors charges et hors taxes par an ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

FIXE à la somme de 22.921,70 € hors charges et hors taxes par an le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2019, dû par la société Goumond à la société Immo-Concept Partenaires pour les locaux sis [Adresse 1] ;

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE la société Immo-Concept Partenaires aux dépens d’appel ;

CONDAMNE la société Immo-Concept Partenaires à verser à la société Goumond la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code procédure civile ;

DÉBOUTE la société Immo-Concept Partenaires de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, le président,

 


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