ARRET N° .
N° RG 22/00215 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKAP
AFFAIRE :
S.A.S.U. JEAPI Prise en la personne de son président en exercice domicilié
en cette qualité audit siège.
C/
S.A.S.U. AYOR BATHROOM
PLP/MS
Autres demandes relatives à un contrat de prestation de services
Grosse délivrée à Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, Me Eric DAURIAC, avocats,
COUR D’APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRET DU 27 AVRIL 2023
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Le VINGT SEPT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
S.A.S.U. JEAPI Prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège.
, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES, Me Pauline LAGRAVE de la SCP GARRIGUES ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
APPELANTE d’une décision rendue le 07 MARS 2022 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES
ET :
S.A.S.U. AYOR BATHROOM, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Eric DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 06 Mars 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 01 février 2023.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER et de Madame Géraldine VOISIN, Conseillers, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 27 Avril 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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EXPOSÉ DU LITIGE :
La société AYOR BATHROOM, anciennement dénommée LT ACQUA +, est une filiale du groupe AYOR, spécialisée dans la gestion de l’eau dans l’habitat.
La société JEAPI, devenue depuis la décision de première instance KOESIO AQUITAINE, exerçant sous le nom commercial KOESIO, est spécialisée dans les solutions d’impression et toutes activités connexes ou complémentaires.
Le 26 septembre 2014, la société AYOR BATHROOM a commandé auprès de société JEAPI huit photocopieurs dont le financement a été assuré par une location financière.
Le même jour, AYOR a signé avec la société JEAPI, 8 contrats de maintenance sur une durée de 63 mois.
Il était convenu que la facturation serait établie sur la base d’une redevance en fonction du nombre de copies effectuées et d’un un abonnement IPC trimestriel (informatique périphérique connecté) de 16,50 €.
La prise d’effet des contrats était spécifiée non pas au jour de la signature mais à celui de l’installation des photocopieurs, à savoir le 14 novembre 2014 pour 7 photocopieurs et le 8 décembre 2014 pour le huitième photocopieur.
Par un courrier du 26 septembre 2019, la société AYOR BATHROOM a notifié à la société JEAPI sa volonté de résilier les contrats le 31 décembre 2019.
Le 4 octobre 2019, la société JEAPI a répondu que les dates de prise d’effet des contrats n’étaient pas la date de leur signature mais celle de l’installation des photocopieurs, à savoir le 14 novembre 2014 pour 7 photocopieurs et le 8 décembre 2014 pour le huitième photocopieur, et que dès lors les dates d’échéances étaient respectivement le 13 février 2020 et le 7 mars 2020, et non le 31 décembre 2019. Elle a également indiqué que cette résiliation était anticipée et relevait à ce titre de l’article 9.2 des conditions générales prévoyant des indemnités sollicitant à ce titre la somme de 13 216,37 €.
En réponse, par un courrier du 15 octobre 2019, la société AYOR a admis avoir commis une erreur dans la computation de la date d’échéance et a indiqué qu’elle ne souhaitait pas procéder à une résiliation anticipée.
Postérieurement à une mise en demeure d’avoir à régler les sommes dues, en date du 22 novembre 2019, des échanges infructueux ont ensuite eu lieu afin de trouver une solution.
Par exploit d’huissier du 21 octobre 2021, la société JEAPI a fait assigner la société AYOR BATHROOM devant le tribunal de commerce de Limoges, aux fins de voir reconnaître que la rupture anticipée des contrats de maintenances était à l’initiative de la société AYOR BATHROOM, et d’obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes à ce titre.
Par jugement du 7 mars 2022, le tribunal de commerce de Limoges, considérant que la société JEAPI avait agi avec une particulière mauvaise foi en s’obstinant à réclamer le paiement d’une indemnité de résiliation, sans avoir à lui fournir la moindre contrepartie et alors même qu’elle n’avait subi aucun préjudice, a :
– constaté la paralysie des clauses contractuelles du fait de la mauvaise foi de la société JEAPI ;
En conséquence :
– débouté la société JEAPI de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– débouté la société AYOR BATHROOM de sa demande en dommages-intérêts ;
– condamné la société JEAPI à verser à la société AYOR BATHROOM une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La société JEAPI a interjeté appel de la décision le 17 mars 2022.
Aux termes de ses écritures du 20 mai 2022, la société JEAPI demande à la cour :
– d’infirmer l’ensemble du jugement dont appel ;
– juger la rupture anticipée des contrats de maintenance à l’initiative de la société AYOR BATHROOM ;
– dire que l’indemnité de résiliation anticipée ne constitue pas une clause pénale ;
– condamner la société AYOR BATHROOM à verser à JEAPI, devenue KOESIO AQUITAINE, la somme de 15 859,64 € TTC au titre de la résiliation anticipée du contrat de maintenance ;
– débouter la société AYOR BATHROOM de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société AYOR BATHROOM à payer à la société JEAPI, devenue KOESIO AQUITAINE, la somme de 5 000 € au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance, y compris ceux de première instance.
Elle soutient :
– que c’est de manière parfaitement légitime qu’elle a entériné la résiliation des contrats au 31 décembre 2019 et mis en oeuvre la clause de résiliation anticipée ;
– qu’elle a fait preuve de bonne foi dans les relations contractuelles, tentant une résolution amiable au travers d’un geste commercial ;
– qu’au contraire, la société AYOR BATHROOM s’est montrée particulièrement déloyale en utilisant un procédé pernicieux visant à aller jusqu’au terme du contrat de maintenance tout en contournant l’indemnité de résiliation et d’anéantir le contrat de maintenance en ne faisant plus ou peu de copies ;
– que rien ne permet de qualifier sa procédure d’abusive, ayant seulement maintenu l’application des conditions contractuellement prévues.
Aux termes de ses écritures du 28 juillet 2022, la société AYOR BATHROOM demande à la cour, à titre principal, de :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a constaté la paralysie des clauses contractuelles du fait de la mauvaise foi de la société JEAPI et débouté la société JEAPI de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– débouter la société JEAPI de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– infirmer le jugement critiqué en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau, de :
– juger que la société JEAPI, en abusant de son droit d’agir en justice et d’interjeter appel de la décision de première instance, a engagé sa responsabilité à son égard ;
– condamner la société JEAPI à lui verser la somme de 5 000 € de dommages-intérêts ;
A titre subsidiaire, de :
– réduire le montant de l’indemnité sollicitée à la somme de 1 € ;
En toute hypothèse, de :
– condamner la société JEAPI à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient :
– ne jamais avoir souhaité résilier les contrats de manière anticipée, ayant simplement commis une erreur de bonne foi sur la date du terme qui ne peut donc produire les effets que la société JEAPI entend lui prêter ;
– que la société JEAPI a fait preuve d’une particulière mauvaise fois, ayant refusé de poursuivre le contrat après le courrier par lequel la société AYOR BATHROOM reconnaissait avoir commis une erreur et indiqué souhaiter poursuivre l’exécution du contrat jusqu’à son terme ;
– que la société co-contractante a également fait preuve de mauvaise foi dans la mise en jeu de la clause contractuelle d’indemnisation, situation devant conduire à la paralysie des clauses visées au regard de cette mauvaise foi ;
– qu’elle est fondée à obtenir, à titre incident, la condamnation de la société JEAPI au versement de dommages-intérêts compte tenu de l’abus que celle-ci a fait de son droit à agir.
– à titre subsidiaire, que la clause pénale prévue aux contrats devra être réduite à une somme symbolique, une indemnité de résiliation égale à plus d’un an de redevance, qui a nécessairement et incontestablement un caractère comminatoire, devant s’analyser comme ayant le caractère d’une clause pénale.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la résiliation anticipée des contrats de maintenance par AYOR BATHROOM
Selon l’ancien article 1134 du code civil, applicable aux faits de l’espèce, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Il est acquis que suivant courrier recommandé du 26 septembre 2019, la société AYOR BATHROOM a notifié à la société JEAPI la résiliation de l’ensemble des contrats de maintenance avec effet au 31 décembre 2019, soit avant la date d’échance des contrats, fixée au 13 février 2020 pour les 7 copieurs dont la livraison était intervenue le 14 novembre 2014, et au 7 mars 2020 pour le pour le 8ème copieur qui avait été livré le 8 décembre 2014.
Pour solliciter le versement d’une somme de 15 859,64 € TTC au titre de la résiliation anticipée du contrat de maintenance la société JEAPI se fonde sur les dispositions de l’article 9-2 des conditions générales du contrat de maintenance qui prévoit, en cas de résiliation anticipée, une indemnité due correspondant :
– au chiffre d’affaires réalisé sur les 12 derniers mois à compter de la lettre de résiliation avec un montant minimum de 1525 € HT ;
– à la somme des abonnements dus jusqu’au terme du contrat pour l’abonnement IPC.
Il est manifeste qu’il s’agissait, formellement, d’une résiliation anticipée ouvrant droit aux indemnités contractuelles sollicitées par la société JEAPI.
Toutefois onze jours après que la société AYOR BATHROOM eut reçu le courrier de la société JEAPI sollicitant l’indemnisation au titre d’une rupture contractuelle anticipée, elle a informé cette dernière, par courrier du 15 octobre 2019, qu’elle avait commis une erreur dans la computation de la date d’échéance des contrats et a souhaité rectifier la notification de résiliation en indiquant expressément que sa volonté n’était nullement d’anticiper la résiliation :
« [‘] vous confirmant par la présente que nous ne souhaitons pas anticiper cette résiliation
et que la facture d’indemnité de résiliation anticipée que vous avez émise doit donc être
annulée.
La résiliation de nos relations interviendra ainsi à leurs termes contractuels, sans
anticipations, avec effet au 13 février 2020 : concernant les contrats suivants : J09410, J09411, J09414, J09415, J09417, J09412, J09413, au 7 mars 2020 : concernant le contrat J09536».
A ce stade procédural, bien antérieur à la date des effets de la résiliation annoncée dans un premier temps par la société AYOR BATHROOM, la société JEAPI ne subissait aucun préjudice à accepter de prendre en considération la demande de rectification de la date d’échéance de la résiliation des contrats qui était repoussée.
Contrairement à ce qu’elle alléguait, il n’y avait aucune impossibilité juridique à ce qu’elle accepte de prendre en considération la demande de rectification qui lui était présentée par sa cocontractante en raison d’une erreur de calcul de la date d’échéance des contrats. Cette erreur était d’autant plus crédible que la demande initiale de résiliation ne mentionnait pas qu’il s’agissait d’une résiliation anticipée.
D’ailleurs la réponse que la société JEAPI a faite à la société AYOR BATHROOM dans son courrier du 4 octobre 2019 révèle cette équivoque à travers le doute qu’elle éprouvait à la lecture de ce courrier puisqu’elle ne prenait pas acte de cette résiliation mais informait la société JEAPI que sa demande relevait de la rupture anticipée des contrats entraînant le règlement des indemnités de résiliation prévues à l’article 9.2, sans en indiquer le montant.
Le raisonnement de la société JEAPI qui consiste à affirmer que la tentative de rétractation de la société AYOR BATHROOM avait pour unique objectif de contourner l’indemnité de résiliation, d’une part n’est pas établie, et d’autre part manque totalement de cohérence dès lors que cette résiliation anticipée de seulement 1mois et demi sur le terme contractuel lui coûtait très cher en raison du paiement des indemnités contractuellement fixés correspondant à un montant supérieur à un an
d’utilisation de l’ensemble des machines.
Il y a lieu de considérer que c’est de bonne foi que la société AYOR BATHROOM, après avoir pris très rapidement conscience de sa propre erreur de calcul de la date d’échéance des contrats, s’est rétractée de sa demande de résiliation, bien antérieurement à sa prise d’effet.
A l’inverse il apparaît que la société JEAPI, en refusant cette rétractation, qui ne lui causait aucun préjudice, au motif d’un respect scrupuleux du contrat, a fait montre d’une intransigeance à la seule fin de tirer un bénéfice financier de l’erreur formelle de son cocontractant. En ne dérogeant pas à une lecture littérale de la convention, elle a ainsi fait preuve d’une mauvaise foi contraire à l’esprit qui doit présider à l’exécution des contrats et c’est de manière fondée que les premiers juges l’ont déboutée de l’ensemble de ses demandes en l’absence de résiliation anticipée des contrats.
2- Sur l’abus du droit d’agir et d’appel
La société AYOR BATHROOM demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en dommages et intérêts et de condamner la société JEAPI à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus dans son droit d’agir et d’appel.
Aux termes de l’article 559 du code de procédure civile « En cas d’appel principal dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés ».
Si toute faute dans l’exercice des voies de droit est susceptible d’engager la responsabilité des plaideurs, en diligentant son action en justice devant le tribunal de commerce de Limoges la société JEAPI n’a pas fait preuve de mauvaise foi et n’a pas agi par malice ni avec une légèreté blâmable.
De même, son droit d’ester en justice n’a pas dégénéré en abus en faisant appel du jugement déféré. A la base du contentieux il existe une erreur formelle certes mais bien réelle de la société AYOR BATHROOM et la société JEAPI pouvait s’estimer en droit de s’en tenir à une lecture littérale de la convention. Sa mauvaise foi dans le cadre de l’exécution du contrat ne doit pas être automatiquement assimilée à une mauvaise foi dans la défense de sa situation juridique.
Pour ces motifs, substitués à ceux du tribunal, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société AYOR BATHROOM de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
3- Sur les demandes accessoires
La société JEAPI qui n’obtient pas gain de cause prendra en charge les dépens d’appel et l’équité commande de la condamner à verser à la société AYOR BATHROOM une indemnité de 2 500 €.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré rendu par le tribunal de commerce de Brive le 7 mars 2022, en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE la société JEAPI aux dépens de l’instance d’appel ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société JEAPI à verser à la société AYOR BATHROOM une indemnité de 2 500 € ;
EN L’EMPÊCHEMENT LÉGITIME DU PRÉSIDENT, CET ARRÊT A ÉTÉ SIGNÉ PAR MONSIEUR LE CONSEILLER JEAN-PIERRE COLOMER, MAGISTRAT LE PLUS ANCIEN QUI A SIÈGÉ A L’AUDIENCE DE PLAIDOIRIE ET PARTICIPÉ AU DÉLIBÉRÉ.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER,
Sophie MAILLANT. Jean-Pierre COLOMER