ARRET N°216
CL/KP
N° RG 22/00807 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GQFP
S.A. SOCIETE COFIDIS
C/
[Adresse 7]
[W]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 16 MAI 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00807 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GQFP
Décision déférée à la Cour : jugement du 18 février 2022 rendu par le Juge des contentieux de la protection de [Localité 9].
APPELANTE :
S.A. SOCIETE COFIDIS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
[Adresse 8]
[Localité 4]
Ayant pour avocat plaidant Me Florent BACLE de la SARL BACLE BARROUX AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS.
INTIMES :
Madame [J] [E] épouse [W]
née le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 6] (36)
[Adresse 2]
[Localité 5]
Défaillante
Monsieur [X] [W]
né le [Date naissance 1] 1957 à ORAN (99)
[Adresse 2]
[Localité 5]
Défaillant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
– REPUTE CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
Suivant offre préalable signée le 18 septembre 2013, la société anonyme Cofidis (la société Cofidis) a consenti à Monsieur [X] [W] et à Madame [J] [E] épouse [W] (les époux [W]) un crédit aux fins de regroupement de crédit d’un montant de 24’300 euros au taux contractuel annuel de 10,50 %, remboursable en 96 mensualités de 375,18 euros hors assurance.
Le 19 mars 2021, la société Cofidis a fait assigner les époux [W] devant le juge du contentieux la protection du tribunal judiciaire de Poitiers, pour solliciter en dernier lieu leur condamnation solidaire à lui payer les sommes de:
– 20’760,53 euros, avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 janvier 2021 sur la somme de 18’495,94 euros et au taux légal pour le surplus ;
– 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Quoique régulièrement assignés, les époux [W] n’ont pas comparu.
À l’audience du 22 octobre 2021, le premier juge a soulevé d’office des moyens tirés de la déchéance du droit aux intérêts, et a autorisé la société Cofidis à présenter sous quinzaine ses observations par note en délibéré.
Par note en délibéré en date des 3 et 15 novembre 2021, la société Cofidis a présenté ses observations sur les moyens soulevés d’office par le premier juge.
Par jugement réputé contradictoire en date du 18 février 2022, le juge du contentieux la protection du tribunal judiciaire de Poitiers a:
– constaté la résiliation du prêt personnel aux fins de regroupement de crédit n° 837406490421 consenti le 18 septembre 2013 par la société Cofidis aux époux [W] ;
– prononcé la déchéance du droit aux intérêts ;
– condamné solidairement les époux [W] à payer à la société Cofidis la somme de 1383,86 euros, avec intérêts au taux légal non majoré à compter de la présente décision ;
– débouté la société Cofidis de sa demande au titre de la clause pénale ;
– condamné solidairement les époux [W] à payer à la société Cofidis la somme de 150 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 28 mars 2022, la société Cofidis a relevé appel de ce jugement, en intimant les époux [W].
Les époux [W] n’ont pas constitué avocat.
Le 30 mai 2022, la société Cofidis a signifié sa déclaration d’appel à chacun des époux [W] et respectivement à leur personne.
Le 9 juin 2022, la société Cofidis a demandé d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts, et condamné subséquemment les époux [W] à lui payer la somme de 1383,86 euros seulement, assortie des intérêts au taux légal non majoré à compter du jugement,
et statuant à nouveau de :
– condamner solidairement les époux [W] à lui payer au titre du dossier n°837406490421 la somme principale de 20 760’053 euros, actualisée au 20 janvier 2021, assortie des intérêts calculés au taux contractuel de 10,50 % sur la somme de 18’495,94 euros à compter du 20 janvier 2021;
y ajoutant :
– condamner solidairement les époux [W] à lui payer la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 15 juin 2022, la société Cofidis a signifié ses écritures à Madame [W] à sa personne et à Monsieur [W] à domicile.
Le 7 février 2023, a été ordonnée la clôture de l’instruction de l’affaire.
MOTIVATION :
Sur la déchéance du droit aux intérêts :
Sur la vérification de la solvabilité de l’emprunteur:
Selon l’article L. 311-24 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, applicable au litige,
En cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur pourra demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application des articles 1152’et 1231 du Code civil, sera fixée suivant un barème déterminé par décret.
Selon l’article L. 311-9 du même code dans la même version,
Le prêteur vérifie, avant de conclure le contrat de crédit la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l’article L. 334-4, à savoir le fichier national sur les incidents de paiement lié aux crédits accordés aux particuliers (Ficp), dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 335-5, sauf dans les cas des opérations mentionnées au 1 de l’article L. 511- 6 ou au 1 du I de l’article L. 511-7 du code monétaire et financier.
Le prêteur qui n’a pas respecté ses obligations est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge, en application des dispositions de l’article L. 311-48.
Selon l’article 13 de l’arrêté du 26 octobre 2010, dans sa version applicable au contrat,
I. ‘ En application de l’article L. 333-5 du code de la consommation, afin de pouvoir justifier qu’ils ont consulté le fichier, les établissements et organismes mentionnés à l’article 1er doivent, dans les cas de consultation aux fins mentionnées au I de l’article 2, conserver des preuves de la consultation du fichier, de son motif que son résultat, sur un support durable.
Ils doivent être en mesure de démontrer que les modalités de consultation du fichier et de conservation du résultat des consultations garantissent l’intégrité des informations ainsi collectées. Constitue un support durable tout instrument permettant aux établissements et organismes mentionnés à l’article premier de stocker les informations constitutives de ces preuves, d’une manière telle que ces informations puissent être consultées ultérieurement pendant une période adaptée à leur finalité et reproduites à l’identique. Le cas échéant, le résultat des consultations effectuées aux fins mentionnées au II de l’article 2 est conservé dans les conditions décrites ci-dessus.
II. ‘ Les établissements et organismes mentionnés à l’article 1er mettent en place des procédures internes leur permettant de justifier que les consultations du fichier ne sont effectuées qu’aux fins mentionnées à l’article 2 et à elles seules.
La société Cofidis fait grief au jugement de l’avoir déchue de son droit aux intérêts, motif pris de ce qu’elle n’aurait pas justifié d’une consultation complète du fichier national sur les incidents de paiement lié aux crédits accordés aux particuliers (Ficp), avant de consentir le crédit litigieux aux époux [W].
Il ressort d’un document émanant de la Banque de France en date du mois de janvier 2015, produite par la société Cofidis, et ayant trait à la consultation du Ficp ainsi qu’aux réponses obtenues du système informatique de consultation que:
– s’agissant du mode opératoire de consultation, les personnes physiques sont identifiées dans le Ficp par leur nom, prénom date de naissance ; chaque dossier est indexé dans la base de données par une clé composée de 13 caractères correspondant à la date de naissance (jour/mois/année) suivi des cinq premières lettres du nom de famille et d’un numéro d’ordre (dénommée suffixe) pour différencier les dossiers répondant la même clé; cette clé d’indexation dénommée clé Banque de France se présente donc sous la forme JJMMAAXXXXX/NN;
– la recherche dans le fichier est toujours réalisée à partir de la clé Banque de France; l’établissement demandeur compose la clé Banque de France (sans suffixe) de la personne concernée et transmet cette clé sans autre précision au système informatique de consultation;
– s’agissant du contenu détaillé de réponse aux demandes de consultation:
l’établissement a la possibilité d’utiliser plusieurs vecteurs informatiques pour consulter le Ficp ;
quel que soit le vecteur choisi, le format de la réponse demeure identique pour chaque interrogation, le système informatique restitue de 0 à n réponses;
Si aucun dossier n’est recensé dans le SCP pour la rechercher, la réponse sera :
dossiers non trouvés pour la cléJJMMAAXXXXX (zéro réponse si interrogation par télétransmission)
cela signifie qu’aucune personne répondant à la clé de recherche n’est enregistrée au FICP.
La société Cofidis a produit un document justifiant selon elle de sa consultation du Ficp.
Il y sera observé que l’identité des deux emprunteurs, telle que renseignée par l’établissement de crédit, répond parfaitement à la structuration de la clé Banque de France, telle que définie dans le document figurant plus haut
Il ressort du document présenté par la société Cofidis que les réponses de la Banque de France se présentent ainsi:
– pour Madame [W]:
Clé Bdf : 230455LEGUE Nombre d’homonyme : 00
Date et heure de réponse: 27.09. 2013 – 07:54:06
– pour Monsieur [W]:
Clé Bdf : 190957MOMBE Nombre d’homonyme : 00
Date et heure de réponse: 27.09.2013 – 07:53:54
Mais à suivre le document explicatif de la Banque de France, l’absence des intéressés dans le Ficp aurait dû conduire à la réponse dossiers non trouvés pour la clé 230455LEGUE et pour la clé 190957MOMBE, ou bien zéro réponse dans le cas d’une interrogation par télétransmission.
Or, telle n’est pas la réponse retranscrite dans le document établi par la société Cofidis.
Il s’en déduira que le document présenté par la société Cofidis, censé justifier de sa consultation du Ficp, se borne à relater que chacun des deux emprunteurs n’a pas d’homonyme dans le Ficp, mais n’apporte aucune information sur le point de savoir s’ils y étaient déjà ou non inscrits avant la souscription de l’emprunt litigieux.
Avec le premier juge, il sera donc retenu que ce document, censé relater la consultation du Ficp par le prêteur, ne comporte pas le résultat de celle-ci, et ne permet pas d’apprécier la solvabilité des emprunteurs.
Sur la preuve de la remise de la notice d’assurance afférente au crédit :
L’article L. 311-12 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que lorsque l’offre préalable est assortie d’une proposition d’assurance, une notice d’assurance doit être remise à l’emprunteur; comprenant un extrait des conditions générales de l’assurance, ainsi que la durée, les risques couverts et ceux qui sont exclus.
Le prêteur qui accorde un crédit, sans remettre à l’emprunteur un contrat satisfaisant notamment à cette condition, est déchu du droit aux intérêts.
Par arrêt en date du 18 décembre 2014 (CA Consumer Finance, C-449/13) la Cour de Justice de l’Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des dites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48.
Dans le même arrêt, la Cour de Justice précise qu’une clause type figurant dans un contrat de crédit ne compromet pas l’effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 si, en vertu du droit national, elle implique seulement que le consommateur atteste de la remise qui lui a été faite de la fiche d’information européenne normalisée.
Elle ajoute qu’une telle clause constitue un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents, et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire de cette fiche ou de ce que celle-ci ne permettrait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d’information précontractuelles lui incombant.
Selon cet arrêt, si une telle clause type emportait, en vertu du droit national, la reconnaissance par le consommateur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, elle entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des dites obligations, de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48.
Il en résulte que prononce à juste titre la déchéance du droit du prêteur aux intérêts contractuels la cour d’appel qui, après avoir énoncé qu’il incombe à celui-ci de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à son obligation d’information et constaté que le prêteur se prévalait d’une clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’information précontractuelle normalisée européenne, mais ne verse pas ce document aux débats, en déduit que la signature de la mention d’une telle clause ne pouvait être considérée que comme un indice non susceptible, en l’absence d’élément complémentaire, de prouver l’exécution par le prêteur de son obligation d’information (Cass. 1ère civ., 5 juin 2019, n°17-27.066, publié).
Cette jurisprudence, afférente à la fiche européenne d’information normalisée, a tout lieu d’être transposée à la notice d’assurance, en ce que l’information y afférente figure au nombre des informations précontractuelles dont le prêteur est débiteur, et dont il doit démontrer la parfaite observation
De manière analogue, la mention selon laquelle l’emprunteur reconnaît rester en possession d’un exemplaire de l’offre doté d’un formulaire détachable de rétractation ne suffit pas à démontrer que l’offre était effectivement munie de ce formulaire (Cass. 1ère civ., 22 septembre 2011, n°10-30.828, diffusé).
La société Cofidis a produit un exemplaire type de la notice d’assurance qu’elle avance avoir remis aux emprunteurs, vierge de toute signature de leur part.
Pour le surplus, l’établissement de crédit observe, exactement, que les époux [W] ont apposé leur signature au bas de l’offre préalable après avoir déclaré en avoir pris connaissance et avoir conservé un exemplaire de la notice d’assurance.
Il se déduira du tout que la société Cofidis n’a pas rapporté d’élément permettant de corroborer qu’elle avait bien remis aux emprunteurs un contrat comportant la notice d’information relative à l’assurance, comme ces derniers l’avaient reconnu en signant la clause type y afférente.
Et il importe peu à cet égard que les emprunteurs y aient indiqué renoncer à la garantie perte d’emploi, alors qu’ils ont adhéré aux autres garanties proposées par l’assureur.
L’établissement de crédit défaille ainsi dans l’administration de la preuve de ce que l’offre de crédit délivrée à l’emprunteur comporte la notice d’information relative à l’assurance.
Il y aura donc lieu de prononcer la déchéance totale de la société Cofidis de son droit aux intérêts, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la clause pénale :
Dans ses écritures, l’appelant n’a présenté aucun moyen, distinct de ceux afférents à la déchéance des intérêts, critiquant la disposition du jugement l’ayant débouté de sa demande au titre de la clause pénale: le jugement sera confirmé de ce chef.
* * * * *
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les époux [W] aux dépens de première instance et à payer à la société Codifis la somme de 150 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
Succombante à hauteur d’appel, la société Cofidis sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel et sera condamnée aux entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour ;
Y ajoutant :
Déboute la société anonyme Cofidis de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la société anonyme Cofidis aux entiers dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,