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N° de minute : 66/2022
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 15 septembre 2022
Chambre commerciale
Numéro R.G. : N° RG 21/00098 – N° Portalis DBWF-V-B7F-SN7
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 septembre 2021 par le juge de la mise en état de NOUMEA (RG n° :20/246)
Saisine de la cour : 4 octobre 2021
APPELANTS
M. [B] [Y]
né le 6 janvier 1963 à [Localité 2]
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Frédéric DESCOMBES, membre de la SELARL D’AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
S.E.L.A.R.L. DU SANTAL, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Siège social : [Adresse 3]
Représentée par Me Frédéric DESCOMBES membre de la SELARL D’AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [W] [Z]
né le 5 octobre 1956 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Sophie BRIANT, membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 4 août 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 25/08/2022, ayant été prorogé au 01/09/2022, puis au 08/09/2022 et au 15/09/2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l’article R 123-14 du code de l’organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. [Y] a racheté 51 % de parts de l’Eurl GUIBERT, qui exploitait une pharmacie à [Localité 4], pour 20 000 000 Fcfp. Le financement s’est fait par un apport personnel de 6 000 000 Fcfp et un emprunt de 14 637 000 Fcfp souscrit auprès de la BCI.
M. [Z] a racheté 49 % de parts de l’Eurl GUIBERT pour 19 698 000 Fcfp. Le financement s’est fait par un apport personnel de 6 000 000 Fcfp et un emprunt de 14 063 000 Fcfp souscrit auprès de la BCI.
L’acquisition des parts s’est accompagnée d’un remboursement du compte courant du cédant qui a été financé par un emprunt de 45 100 000 Fcfp souscrit par la société GUIBERT.
Transformée en société d’exercice libéral à responsabilité limitée, la société reprise a pris la dénomination « Selarl du SANTAL ».
Par requête déposée le 03/12/2020, M. [Z] a fait appeler la Selarl du SANTAL et M. [Y] devant le tribunal mixte de commerce de Nouméa aux fins de voir dire que M. [Y] avait commis un abus de majorité au détriment de l’associé minoritaire en procédant notamment à la mise en réserve systématique des bénéfices.
M. [Y] et la selarl du SANTAL ont constitué avocat et ont conclu à titre principal à l’incompétence du tribunal saisi.
L’affaire a été appelée devant le juge de la mise en état aux fins qu’il soit statué sur l’exception soulevée.
La Selarl du SANTAL et M. [Y] ont fait valoir que seul le tribunal de première instance est compétent en application de la combinaison des articles L 721-3 et L7721-5 du code de commerce dont il ressort que si les contestations relatives aux sociétés commerciales relèvent de la compétence de la juridiction commerciale, il en est différemment des contestations dans lesquelles une des parties est une société d’exercice libéral ou qui surviennent entre associés d’une société d’exercice libéral ; qu’en l’espèce, les demandes de M. [Z] n’ont pas trait aux actes de commerce réalisés par la Selarl du SANTAL.
Par ordonnance du 17/09/2021, le juge de la mise en état a rejeté l’incompétence estimant que la Selarl du SANTAL qui exerce une activité de gestion d’une officine de pharmacie, bien qu’étant civile par la forme, constitue une société commerciale par nature de sorte que les demandes étant dirigées contre une société commerciale relevaient de la compétence du tribunal mixte de commerce.
PROCÉDURE D’APPEL
Par requête du 04/10/2021, M. [Y] et la Selarl du SANTAL ont fait appel de la décision rendue et demandent à la Cour dans leur mémoire ampliatif du 03/12/2021 et leurs conclusions en réponse d’infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer le tribunal mixte de commerce incompétent au profit du tribunal de première instance, section détachée de [Localité 4], et de condamner M. [Z] à leur payer la somme de 180 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les appelants font grief au premier juge d’avoir écarté les articles L 721-3 et L 721-5 du code de commerce alors que la règle de droit applicable est claire car l’action engagée par M. [Z] est relative non pas aux actes de commerce faits par la société mais bien de contestations entre associés d’une société d’exercice libéral ; que la nature commerciale de la pharmacie peut justifier la compétence des juridictions commerciales si le litige porte sur des actes de commerce, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que cette incompétence a déjà été jugée par la Cour de cassation (arrêt du 29 mars 2017) ; qu’en outre, les associés eux-mêmes ont convenu dans les statuts que les contestations s’élevant entre associés relativement aux affaires sociales seraient soumises aux juridictions des tribunaux civils compétents du siège social.
M. [Z] réplique en demandant la confirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état et la condamnation des appelants à lui payer la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il soutient qu’à partir du moment où une société, bien que constituée conformément à la loi du 31/12/1990, se livre à ses actes de commerce, elle doit être regardée comme ayant la qualité de commerçante si bien qu’un litige dans lequel elle serait impliquée relève de la compétence de la juridiction commerciale ; que la société du SANTAL achetant et vendant des médicaments, a une activité commerciale ; que la question du chiffre d’affaires réalisé par la société est au coeur du litige puisque la responsabilité du gérant majoritaire est recherchée pour n’avoir pas procédé à la distribution de dividendes tout en s’octroyant une augmentation de sa rémunération de gérance ; que le litige est bien relatif à l’activité commerciale de la société.
M. [Z] estime par ailleurs que la clause attributive de compétence invoquée par la selarl est nulle et lui est inopposable puisque le droit calédonien ne permet pas aux parties de déroger par convention aux règles attributives de compétence ; qu’ainsi, la clause litigieuse ne pouvait donner compétence à la juridiction civile alors que le juge naturel du litige était le le tribunal mixte de commerce.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l’article L721-3 du code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
Toutefois, les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations ci-dessus énumérées. Par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci.
En application de ce texte, toutes les demandes dirigées contre une société commerciale relèvent de la compétence des tribunaux de commerce. Il en est ainsi, par exemple, d’un associé qui se plaindrait de ne pas avoir reçu les dividendes auxquels il a droit, d’une action en responsabilité exercée à l’encontre d’un dirigeant d’une société commerciale, toutes actions qui relèveront de la compétence des tribunaux de commerce.
Cependant, l’article L 721-5 dispose que :
« Par dérogation au 2° de l’article L. 721-3 et sous réserve des compétences des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l’une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que des contestations survenant entre associés d’une telle société.
(…) les associés peuvent convenir, dans les statuts, de soumettre à des arbitres, les contestations qui surviendraient entre eux pour raison de leur société. »
Ce texte précise très clairement et dans des termes non équivoques qu’il déroge aux seules dispositions visées par l’alinéa 2 de l’article L721-3 lorsque, notamment, surviennent des contestations entre associés.
En l’espèce, le litige dont est saisi le tribunal touche à la distribution de dividendes et à l’abus de majorité. Il intéresse le fonctionnement et la vie de la société dans ses relations avec les associés ; il ne porte donc pas sur des actes de commerce, stricto sensu, faits par ces derniers ou par la société elle-même.
Les associés d’une pharmacie constituée sous forme d’une Selarl (société civile) n’ayant pas la qualité de ‘commerçant’ et les actes en cause ne constituant pas des actes de commerce, il importe peu que la Selarl soit par nature une société commerciale bien que civile par sa forme. Dès lors que la loi prévoit sans aucune ambiguïté que le conflit survenant entre associés d’une Selarl peut être porté par dérogation devant la juridiction civile, la compétence du tribunal mixte de commerce doit être écartée.
Au demeurant, l’article 34 des statuts de la Selarl du SANTAL a expressément prévu cette compétence des tribunaux civils, étant libellé comme suit : « toutes les contestations qui pourraient s’élever pendant la durée de la société ou lors de sa liquidation, entre les associés, la gérance et la société ou entre les associés eux mêmes, le cas échéant, relativement aux affaires sociales feront l’objet d’une tentative de conciliation … et, en cas d’échec seront jugées conformément à la loi et soumises aux juridictions des tribunaux civils compétents du siège social. »
Cette clause est conforme à la dérogation prévue par la loi de sorte qu’elle n’encourt ni la nullité, ni l’inopposabilité.
L’ordonnance du juge de la mise en état sera infirmée et le litige sera renvoyé devant le tribunal de première instance, section détachée de [Localité 4], siège social de la Selarl du SANTAL.
Il n’est pas inéquitable de débouter les appelants de leur demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] succombant supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision du juge de la mise en état,
Et statuant à nouveau,
Déclare le tribunal mixte de commerce incompétent pour statuer sur l’action engagée par M. [Z],
Renvoie l’affaire devant le tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de [Localité 4],
Ecarte l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Z] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier,Le président.