Clause attributive de compétence : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/02923

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Clause attributive de compétence : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/02923
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02923 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFJOP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 20/00373

APPELANT

Monsieur [D], [S] [I]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Sandra Karen MORIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0976

INTIMÉES

Société GLENCORE PLC

[Adresse 6]

[Adresse 3] / SUISSE

Société PETROCHAD MANGARA LTD

[Adresse 1]

[Localité 2]/TCHAD

Toutes deux représentées par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Paule ALZEARI, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Olivier FOURMY, Premier Président de chambre

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

M.[D] [I] a été embauché par contrat à durée indéterminée du 22 février 2013 à compter du 19 mars 2013 par la société Petrochad Mangara LTD en qualité de Directeur Health Safety Environnement, sûreté et moyens généraux.

Ce contrat, rédigé en anglais, était soumis au droit canadien. M.[D] [I] exerçait ses fonctions au Tchad.

Suite au rachat par Glencore Xtrta Plc en juillet 2014 de Caracal Énergy Inc., la société Petrochad Mangara LTD a intégré le groupe Glencore International PLC.

Le 6 novembre 2015, M.[D] [I] a conclu un nouveau contrat de travail au Tchad, soumis au droit anglais, avec une reprise de son ancienneté au 1er janvier 2016.

Son salaire mensuel était de 15’328 euros bruts mensuels.

Le 6 janvier 2020, M.[D] [I] a été convoqué par la société Petrochad Mangara LTD à un entretien préalable qui a été reporté au 27 janvier 2020.

Par courrier du 8 janvier 2020, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 16 janvier 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de faire constater la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail et obtenir les indemnités subséquentes.

Par jugement en date du 15 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris s’est déclaré incompétent et a invité les parties à mieux se pourvoir.

M.[D] [I] a interjeté appel de ce jugement le 10 mars 2021. Par ordonnance en date du 2 avril 2021, Madame la présidente de chambre l’a autorisé à assigner à jour fixe la société Glencore PLC et la société Petrochad Mangara LTD.

Par ordonnance du 27 janvier 2022, le président de chambre a ordonné la radiation de l’affaire.

L’affaire a été réinscrite sur justification de nouvelles conclusions.

Par dernières conclusions du 17 juin 2022, M.[D] [I] demande à la cour de :

à titre principal,

‘ réformer entièrement le jugement attaqué du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il s’est déclaré incompétent à connaître de l’affaire en invitant les parties à mieux se pourvoir,

‘ se déclarer compétent à connaître de l’affaire entre les parties et à l’évoquer au fond,

‘ dire que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement nul ou à tout le moins injustifié et sans cause réelle et sérieuse au regard des circonstances,

en conséquence,

‘ condamner, in solidum la société Petrochad Mangara LTD, en sa qualité d’employeur et la société Glencore PLC, au titre de sa responsabilité extra contractuelle, à verser à M.[D] [I] les sommes suivantes :

‘ 182’980,79 euros à titre d’indemnisation du licenciement sans cause,

‘ 68’618,17 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis de 90 jours,

‘ 40’599,08 euros au titre de l’indemnité de licenciement distinct de préavis,

‘ 18’496,48 euros au titre du droit à la prime d’ancienneté,

‘ 45’745,44 euros au titre de l’indemnité de majoration du préavis pendant les congés,

‘ 182’980,79 euros au titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des conditions vexatoires du licenciement et de l’atteinte portée à sa réputation,

‘ 274’472,68 euros au titre du caractère abusif du licenciement, en raison de l’inobservation de la procédure impérative prévue par la loi,

‘ 29’393,72 euros au titre du bonus pour l’année 2019,

‘ 18’027,76 euros au titre de l’intrusion de l’employeur dans sa vie privée, des menaces et du danger auxquels ont été exposés M.[D] [I] et son fils,

‘ 274’472,68 euros au titre de la vulnérabilité de M.[D] [I] du fait de son âge et de la perte de la protection sociale familiale,

‘ soit un total de 1’094’190 euros en considération de son salaire et des manquements à la loi applicable,

‘ déduire s’il y a lieu le prorata du sur la somme de 20’506,58 euros d’ores et déjà perçue par M.[D] [I],

en tout état de cause,

‘ condamner solidairement la société Petrochad Mangara LTD et la société Glencore PLC à verser à M.[D] [I] une indemnité de 10’500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ dire que les dépens seront à la charge de la société Glencore PLC et la société Petrochad Mangara LTD,

‘ condamner solidairement la société Petrochad Mangara LTD et la société Glencore PLC à verser à M.[D] [I] les intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019.

Selon dernières écritures du 25 mai 2022, la société Petrochad Mangara LTD et la société Glencore PLC demandent à la cour de :

‘ juger que le contrat de travail de M.[D] [I] avec la société Petrochad Mangara LTD est un contrat de travail international soumis à la compétence des juridictions étrangères,

en conséquence,

‘ juger que M.[D] [I] a renoncé au privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil,

‘ juger que le privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil ne peut être opposé à la société Glencore PLC en vertu de la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 30 octobre 2007 (dite Convention de Lugano),

dès lors,

à titre principal, dans l’ordre international,

‘ confirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré incompétent et a renvoyé M.[D] [I] à mieux se pourvoir,

à titre subsidiaire, dans l’ordre interne français, si par extraordinaire la cour d’appel retenait la compétence internationale des juridictions françaises dans le présent litige,

‘ se déclarer matériellement incompétente pour connaître des demandes formulées à l’encontre de la société Glencore PLC au profit du tribunal judiciaire de Draguignan,

‘ se déclarer territorialement incompétent pour connaître des demandes formulées à l’encontre de la société Petrochad Mangara LTD et renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Fréjus,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour d’appel de Paris se déclarait incompétente matériellement et territorialement :

‘ ne pas faire droit à la demande d’évocation et renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris dans le cadre du respect du double degré de juridiction,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour d’appel de Paris se déclarait compétente matériellement et territorialement, et décidait d’évoquer le fond de l’affaire :

‘ mettre hors de cause la société Glencore PLC,

concernant la prise d’acte de rupture,

principalement en droit anglais,

‘ juger que le contrat de travail est soumis à la loi anglaise, loi choisie par les parties et que la loi tchadienne n’est pas plus favorable que la loi anglaise, la prise d’acte étant inconnue en droit tchadien,

‘ juger que la prise d’acte de rupture produit les effets d’une démission en droit anglais,

subsidiairement en droit tchadien,

‘ juger que la prise d’acte de rupture n’existe pas en droit tchadien et qu’à défaut d’une démission personnelle de M.[D] [I] et de changement substantiel dans ses conditions de travail, elle ne peut être assimilée à un licenciement aux torts de l’employeur, ni à une rupture du fait de l’employeur en vertu des articles 144 et 134 du code du travail tchadien,

en conséquence,

‘ débouter M.[D] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

‘ condamner M.[D] [I] à payer à la société Petrochad Mangara LTD la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS,

Au soutien de son appel compétence, M.[D] [I] conteste la validité des clauses attributives de compétence contenues dans ses contrats de travail en raison de l’absence de consentement réel, libre et éclairé de sa part lors de la signature des contrats.

Il ajoute que ces clauses sont également inefficaces et ineffectives du fait de l’absence de rattachement significatif entre sa prestation de travail et l’Angleterre et de la nécessaire autorisation préalable du juge anglais pour agir.

Il sollicite également l’exclusion de l’application du règlement Bruxelles I bis du fait de l’absence d’établissement de la société Petrochad Mangara LTD au sein de l’union européenne.

Il conclut donc à la compétence du juge français en vertu de l’article 14 du Code civil.

En réponse, les intimées estiment que le litige est sans lien avec la France, M.[D] [I] ayant conclu un contrat de travail avec une société immatriculée aux Bermudes, la société Petrochad Mangara LTD, et ayant toujours exercé son emploi au Tchad.

Il n’était pas payé en France et ne cotisait pas aux caisses françaises.

Il n’existe donc aucun lien de rattachement professionnel avec la France.

Elles précisent que dans l’ordre international, M.[D] [I] a valablement renoncé à son privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil, en acceptant une clause de juridiction initialement au profit des juridictions canadiennes, puis au profit des juridictions anglaises.

Dès lors, son consentement n’a nullement été vicié lors de la signature de son contrat de travail alors qu’il n’a jamais contesté la juridiction choisie.

Elles indiquent que l’article 14 ne peut être opposé à la société Glencore PLC , dont le principal établissement est situé en Suisse, et ce en vertu de la Convention de Lugano.

Elles indiquent, à titre subsidiaire, que si la compétence des tribunaux français était retenue, la cour d’appel de Paris ne pourra que se déclarer matériellement et territorialement incompétente et renvoyer l’affaire devant les juridictions appropriées.

Aux termes de l’article 14 du code civil, « l’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. »

Le moyen pris du privilège de juridiction prévu à l’article 14 du Code civil n’est pas d’ordre public et n’édicte donc pas au profit du demandeur français une compétence impérative.

Dans cette mesure, le ressortissant français peut valablement renoncer à se prévaloir de cette disposition notamment, en présence d’une clause attributive de juridiction qui vaut renonciation, par le contractant français, au privilège de juridiction.

Ainsi, lorsqu’un contrat de travail conclu à l’étranger, pour y être exécuté, est soumis à la loi étrangère, la clause attributive de juridiction qu’il contient est valable, dès lors que les français ont la faculté de renoncer au privilège qui leur est conféré par l’article 14 et que le contrat échappe aux dispositions des lois françaises de compétence interne.

En l’espèce, il est constant que le contrat de travail a été conclu à l’étranger et a été exécuté également à l’étranger.

En outre, M.[D] [I] a expressément renoncé à ce privilège par la conclusion d’un contrat de travail international désignant des juridictions étrangères (article 20 de son contrat de travail).

L’article 20.2 du contrat contient une clause attributive de juridiction ainsi libellée : « les parties se soumettent à la compétence exclusive des tribunaux anglais ».

Sur le consentement libre et éclairé de M.[D] [I], il est établi que dès le 1er novembre 2015, ce dernier recevait une information relative à la démarche initiée par la société de faire signer à ses salariés expatriés de nouveaux contrats de travail.

Il est fait grief à la société d’avoir indiqué que si le contrat n’était pas signé, l’emploi prendrait fin le 1er janvier 2016 sans autre paiement.

Cependant, ces circonstances ayant précédé la signature du nouveau contrat de travail ne peuvent caractériser un vice du consentement au regard de la seule clause attributive de compétence alors qu’il doit être considéré que pendant quatre ans, les termes du nouveau contrat de travail ont été exécutés avec les jours de rotation et l’augmentation de salaire afférente.

Il convient d’y ajouter que c’est à deux reprises que M.[D] [I] a expressément renoncé aux dispositions de l’article 14 du Code civil puisque son contrat de travail initial était soumis à la juridiction canadienne.

Le contrat de travail initial signé le 27 février 2013 n’a jamais été contesté par l’intéressé alors qu’il était déjà soumis à la juridiction de tribunaux étrangers avec la conséquence de l’exclusion de la compétence des juridictions françaises.

S’agissant de la validité de la clause attributive de compétence, il doit être retenu que la désignation globale des juridictions d’un état dans une clause attributive de compétence est licite si le droit interne de cet État permet de déterminer le tribunal matériellement compétent.

Sur le risque de déni de justice, l’absence de rattachement suffisant avec l’Angleterre n’est pas caractérisée alors qu’il est justifié que les interlocuteurs quant à la gestion du contrat de travail sont basés en Angleterre et que tous les échanges se font en langue anglaise.

M.[D] [I] a adressé sa prise d’acte à la société Glencore UK LTD.

À l’opposé, il doit être rappelé que M.[D] [I] n’exécutait pas sa prestation de travail en France, n’était pas payé en France et ne cotisait pas aux caisses françaises.

Sur l’effectivité, les intimées font utilement valoir que la procédure devant les tribunaux du travail en droit anglais nécessite un préalable de conciliation et non une autorisation préalable du juge.

Au demeurant, M.[D] [I] ne peut se prévaloir d’une décision des juridictions anglaises d’incompétence pour connaître de son litige.

Pas plus, il ne démontre que les juridictions tchadiennes, si elles étaient compétentes, se rendraient nécessairement coupables d’un déni de justice.

En outre, la clause attributive de juridiction n’est nullement déséquilibrée ou asymétrique puisque les deux parties sont également soumises à la compétence des tribunaux anglais, sans aucune faculté de choix pour l’employeur.

Le jugement est donc confirmé en ce que les premiers juges se sont déclarés incompétents en application des dispositions de l’article 81 du code de procédure civile et sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen subsidiaire des intimées quant à la compétence dans l’ordre interne français.

M.[D] [I], qui succombe sur les mérites de son appel, doit être condamné aux dépens et débouté en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera fait application de cet article au profit de la partie intimée qui en a fait la demande.

PAR CES MOTIFS,

Contradictoire, dernier ressort, publiquement

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M.[D] [I] aux dépens d’appel,

Condamne M.[D] [I] à payer à la société Petrochad Mangara LTD la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière, La Présidente,

 


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