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07/10/2022
ARRÊT N°2022/405
N° RG 21/00854 – N° Portalis DBVI-V-B7F-N73G
CB/AR
Décision déférée du 11 Février 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTAUBAN ( F 18/00132)
[U]
[V] [F]
C/
Société EUROLEAGUE PROPERTIES S.A.
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 7 19 2022
à Me Alexandre DELORD
Me Nicolas BEZOMBES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [V] [F]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Alexandre DELORD, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
INTIMEE
Société EUROLEAGUE PROPERTIES S.A.
[Adresse 2] LUXEMBOURG
Représentée par Me Nicolas BEZOMBES de l’AARPI BLEUROI, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Gilles MOREU, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
L’EuroLeague est une compétition annuelle de basket-ball masculin.
La SA Euroleague Properties est une société immatriculée au Luxembourg, filiale de la société EuroLeague Commercial Assets.
M. [V] [F] exerce la profession d’arbitre et est inscrit en tant que tel sur la liste de la fédération française de basket-ball.
Il a arbitré des matchs de l’EuroLeague.
Considérant que la relation des parties constituait un contrat de travail relevant de la loi française, M. [F] a, le 15 juin 2018, saisi le conseil de prud’hommes de Montauban aux fins de voir condamner la société Euroleague Properties au paiement de diverses sommes tenant tant à l’exécution qu’à la rupture d’un contrat de travail.
Par jugement du 11 février 2021, le conseil a :
– dit et jugé qu’il y a défaut d’intérêt à agir de M. [F] à l’encontre de la société Euroleague Properties, prise en la personne de son représentant légal,
– dit et jugé que les demandes de M. [F] à l’encontre de la société Euroleague properties sont irrecevables.
En conséquence :
– déclaré M. [F] irrecevable en ses demandes,
– condamné M. [F] aux dépens.
M. [F] a relevé appel de la décision le 24 février 2021 puis le 16 mars 2021 énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement. Les deux déclarations ont fait l’objet d’une jonction.
Par ordonnance du 14 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation d’un incident de mise en état portant sur la traduction des pièces.
Dans ses dernières écritures en date du 5 août 2022, auxquelles il est fait expressément référence, M. [F] demande à la cour de :
– débouter la société Euroleague Properties de sa demande visant à voir écarter la pièce n 26,
– déclarer irrecevables les exceptions soulevées par la société Euroleague properties,
– subsidiairement, la débouter de l’ensemble de ses exceptions et se déclarer compétent pour connaître de l’action de M. [F] contre la société Euroleague Properties,
– infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
– débouter la société Euroleague properties de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [F] et déclarer l’action de M. [F] recevable,
– constater que la rupture du contrat de travail de M. [F] par la société Euroleague Properties s’analyse comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Euroleague Properties à verser à M. [F] la somme de :
-178 278,68 euros titre de rappel de salaire,
-17 827,87 euros de congés payés sur rappel de salaire,
– 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 24 006,87 à titre d’indemnité de licenciement,
– 14 900 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 490 euros à titre de congés payés sur préavis,
– 4 966,94 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 29 801,64 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
– condamner la société Euroleague Properties à remettre à M. [F] les documents sociaux afférents à la rupture du contrat de travail outre les bulletins de salaires régularisés au visa de l’arrêt à intervenir.
Y ajoutant :
– condamner la société Euroleague Properties à lui verser la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance.
M. [F] considère que sa pièce 26 est recevable en ce qu’elle démontre, peu important la traduction du terme ‘fee’ par ‘honoraire’, ‘rémunération’ ou ‘salaire’, qu’il a perçu une somme d’argent en contrepartie de sa prestation de travail. Il soulève l’irrecevabilité des exceptions articulées par la société Euroleague Properties qui n’ont pas été soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, tant en première instance qu’en appel. À titre subsidiaire, si la cour considère que ces exceptions sont recevables, il soutient que la cour d’appel de Toulouse est bien compétente pour trancher ce litige, nonobstant l’existence d’une clause attributive des juridictions de Barcelone insérée dans les contrats de prestation de service. Par ailleurs, M. [F] considère que l’action diligentée à l’encontre de la société Euroleague Properties est recevable en ce que celle-ci a succédé à la société EuroLeague Basket-ball.
Au fond, M. [F] soutient qu’il était lié à la société Euroleague Properties par un contrat de travail.
Dans ses dernières écritures en date du 27 juillet 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société Euroleague properties demande à la cour de :
In limine litis :
– se déclarer incompétent pour juger du présent litige et le cas échéant désigner les juridictions de Barcelone compétentes.
Si par extraordinaire elle se déclarait compétente :
– confirmer le jugement rendu le 11 février 2021 par le conseil de prud’hommes de Montauban, sauf en ce qu’il n’a pas condamné M. [F] à indemniser la société Euroleague Properties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– relever et confirmer la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. [F] à l’encontre de la société Euroleague Properties.
En conséquence :
– déclarer l’action de M. [F] irrecevable, sans examen au fond,
– débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Euroleague Properties,
– condamner M. [F] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Elle soulève l’incompétence de la cour au regard du statut indépendant de l’arbitre et de la clause attributive de compétence insérée au contrat de prestation de service. Elle reprend la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. [F] à son encontre en ce qu’elle n’a jamais conclu de contrats de prestation de service avec M. [F], ce dernier intervenant en qualité d’arbitre pour la société EuroLeague Basket-ball SL. Elle conteste l’existence d’un contrat de travail entre elle et M. [F] et discute la valeur de la pièce 26 communiquée.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 23 août 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la société Euroleague Properties,
Il résulte des dispositions de l’article 74 du code de procédure civile que les exceptions de procédure doivent être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, et ce alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.
En l’espèce si devant la cour l’intimée soulève bien son exception d’incompétence, au profit de juridictions étrangères, avant toute défense au fond et fin de non-recevoir, la question des pièces figurant dans le dispositif des premières écritures pouvant être un préalable, il apparaît que tel n’a pas été le cas devant le conseil.
En effet, il résulte des écritures que l’intimée avait développées devant le conseil que si l’exception de procédure était certes invoquée devant les premiers juges, elle l’était après la fin de non-recevoir retenue par le conseil. Des exceptions et fins de non-recevoir peuvent être articulées dans le même document mais encore faut-il pour que les exceptions de procédure et donc de compétence demeurent recevables qu’elles soient présentées en premier. La procédure devant le conseil de prud’hommes est orale et les conclusions telles que présentées en première instance ne privaient pas la société Euroleague Properties de la possibilité de soulever l’exception in limine litis lors des débats. Mais contrairement aux énonciations de l’intimée aucun élément ne permet de constater que tel a été le cas de manière effective devant les premiers juges. Il n’est pas produit de note d’audience en faisant état et la relation de la procédure par le jugement reprend l’ordre des écritures.
Il s’en déduit que l’exception d’incompétence est irrecevable devant la cour.
Sur la recevabilité de l’action de M. [F] à l’encontre de la société Euroleague Properties,
Les premiers juges ont fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Euroleague Properties sur le fondement du défaut d’intérêt à agir de M. [F] à l’encontre de cette société. Le débat relève davantage d’une question de qualité à agir du défendeur, laquelle procède toutefois des mêmes dispositions, puisque ce que soutenait le défendeur est que l’action était mal dirigée dès lors que c’est avec une autre société du même groupe, en l’espèce Euroleague Basketball SL, que M. [F] avait eu des relations contractuelles. Elle ajoute être uniquement en charge des droits commerciaux du groupe de sociétés et titulaire des droits de propriété intellectuelle. M. [F] considère lui que l’intimée aurait succédé à la société Euroleague Basketball.
La situation est en réalité plus confuse. En effet, la notion selon laquelle l’intimée aurait succédé à la société Euroleague Basketball est peu articulée juridiquement et il est exact qu’il n’est pas justifié d’une fusion, absorption ou reprise pouvant être juridiquement qualifiée entre ces deux sociétés du même groupe. Il est également exact que les contrats de prestation qui ont été signés par M. [F] l’ont été avec la société Euroleague Basketball.
Cependant, M. [F] produit un nombre certain de documents d’où il résulte qu’il devait adresser des documents sur sa capacité physique à être arbitre ainsi que ses factures à la société intimée (pièces 3 et 10 notamment) et que c’est bien celle-ci qui lui réglait diverses sommes et en paiement de ses honoraires ou salaires selon la qualification donnée (pièce 18).
Il s’en déduit qu’il existait bien un lien de nature contractuelle avec l’intimée, lequel pouvait ne pas être exclusif d’un lien avec d’autres sociétés du groupe, de sorte que M. [F] justifie d’un intérêt et de sa qualité à agir à l’encontre de la société Euroleague Properties pour voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré l’action irrecevable.
Sur le fond,
La cour n’est pas saisie dans le dispositif des écritures de l’intimée d’une demande tendant à voir écarter des débats la pièce 26 de l’appelant, étant observé que le débat qui oppose les parties quant à la qualité de la traduction de cette pièce procède du débat au fond en ce qu’il tient à la force probante de ce document et de sa traduction.
Le contrat de travail se définit comme la convention par laquelle une partie s’engage à réaliser pour une autre une prestation de travail moyennant une rémunération et ce dans un lien de subordination.
Il est certain que M. [F] a exécuté des prestations d’arbitrage et qu’il a perçu des sommes pour ces arbitrages qualifiées « fees » en anglais dans les documents, terme pour lequel les parties s’opposent, M. [F] produisant une traduction mentionnant le terme salaire alors que l’intimée produit des éléments de traduction excluant ce terme pour le mot « fees » au profit de celui d’honoraires.
En toute hypothèse, la qualification que les parties auraient pu donner à leur relation, qui n’a jamais été celle d’un contrat de travail, n’est pas déterminante et il convient pour la cour de qualifier cette relation. Il n’existe pas en l’espèce de présomption de salariat d’invoquée ou de contrat de travail apparent. La charge de la preuve repose donc sur M. [F] qui revendique un contrat de travail et c’est en particulier la question du lien de subordination qui fait débat.
Il convient tout d’abord de rappeler que par application des dispositions des articles L. 223-1 et suivants du code du sport, le principe n’est pas celui du salariat pour les arbitres, lequel ne peut être envisagé dans certaines conditions qu’avec l’accord des parties pour les arbitres salariés de leurs fédérations sportives et ce par la dérogation prévue à l’article L. 222-2-2 du code du sport, laquelle ne peut être que d’interprétation stricte.
Il est exact que ces dispositions ne sont pas directement applicables à la relation des parties en ce qu’elles visent les relations entre les arbitres et les fédérations nationales, lesquelles disposent d’un agrément de la puissance publique. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un élément à prendre en considération dans le faisceau d’indices et ce alors que l’inscription de M. [F] comme arbitre de la fédération était un préalable nécessaire à ce qu’il soit également arbitre de compétitions européennes (pièce 37 notamment). Si M. [F] se prévaut d’un contrat de travail avec la fédération de basketball, la cour ne peut que constater qu’il est antérieur à la loi du 23 octobre 2006 posant le principe d’une relation non salariale et qu’il portait certes sur des missions d’arbitrage mais bien davantage sur des missions d’organisation et de formation à l’arbitrage.
Pour conclure à l’existence d’un contrat de travail avec l’intimée, M. [F] se prévaut des règles qui lui étaient imposées quant au port d’une tenue, aux horaires d’arrivée sur le lieu d’arbitrage, à sa situation de santé ainsi qu’au remboursement des frais. Ces éléments sont exacts mais ils ne sont pas en l’espèce et dans le cadre d’une compétition européenne déterminants. En effet, ils peuvent s’expliquer par des nécessités organisationnelles imposant une présence certaine des arbitres pour le début des matchs, leur identification rattachée au sponsor de la compétition y compris pendant l’échauffement. Quant à la question de l’état de santé, elle apparaît tout simplement nécessaire à l’arbitrage d’une compétition sportive de surcroît de haut niveau. Le remboursement des frais pouvait tout autant nécessiter des règles d’organisation, les arbitres venant de toute l’Europe.
Demeure la question du pouvoir disciplinaire. Il s’agit certes d’un élément important et M. [F] invoque ce pouvoir de son adversaire pour revendiquer un contrat de travail. Il produit certes des documents en ce sens. Toutefois, la cour ne peut en l’espèce les rattacher à un lien de subordination. En effet, le règlement disciplinaire invoqué en pièce 40 fait état d’un tel pouvoir mais non pas à l’encontre des seuls arbitres. Il est expressément mentionné qu’il concerne également les associations membres, les clubs, leurs dirigeants, les joueurs, les entraîneurs et plus généralement toutes les personnes et entités qui entreprennent des activités techniques ou sportives dans le cadre organisationnel d’Euroleague. Il est manifeste que ni les dirigeants des clubs, ni les joueurs ou leurs entraîneurs ne peuvent être considérés comme des salariés d’Euroleague. Dès lors, le pouvoir disciplinaire dont il est question ne constitue pas dans ce cas un élément d’un lien de subordination mais relève de l’organisation d’une compétition avec ses règles applicables à tous ceux qui entendent la rejoindre et ce quelques soient leur rôle.
Au regard de la confrontation de l’ensemble de ces éléments et alors que M. [F] a officié pendant de nombreuses années en tant qu’arbitre en adressant nécessairement des factures d’honoraires puisqu’il s’agissait de la procédure prévue et qu’il ne méconnaît pas avoir été payé par Euroleague, il ne satisfait pas à la charge probatoire qui est la sienne quant à l’existence d’une relation de travail salarié.
M. [F] sera donc débouté de l’ensemble de ses demandes qui toutes procèdent de l’existence d’un contrat de travail à temps complet pour une rémunération correspondant à celles que lui verse la fédération pour un contrat tout à fait distinct.
Au regard des circonstances, il n’apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais non compris dans les dépens par elle exposés. M. [F] supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Montauban du 11 février 2021,
Déclare l’action de M. [F] à l’encontre de la SA Euroleague Properties recevable,
Au fond, déboute M. [F] de l’ensemble de ses demandes,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [F] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
A. RAVEANE C. BRISSET
*******.