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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT SUR COMPETENCE
DU 20 OCTOBRE 2022
N° 2022/318
Rôle N° RG 21/08725 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHTY2
Société EDMOND DE ROTHSCHILD (EUROPE)
C/
S.A.R.L. SOGEFI
Société P B F
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Agnès ERMENEUX
Me Philippe BRUZZO
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 30 Mars 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 2019006209.
APPELANTE
SA EDMOND DE ROTHSCHILD (EUROPE) Société Anonyme de droit luxembourgeois, prise en la personne de son représentant légal,
dont le siège social est sis [Adresse 3] – [Localité 6]
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Clément DUPOIRIER du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
S.A.R.L. SOGEFI, prise en la personne de son gérant Mr [N] [I], dont le siège social est sis [Adresse 2] – [Localité 5]
représentée par Me Philippe BRUZZO de la SELAS BRUZZO / DUBUCQ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Florent BOUDERBALA de l’ASSOCIATION Laude Esquier Champey, avocat au barreau de PARIS
SARL P B F, représentée par son liquidateur, Monsieur [O] [L],
dont le siège social est sis [Adresse 4] – [Localité 1]
non comparante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Madame Françoise FILLIOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 20 Octobre 2022.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2022
Signé par Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Les faits, la procédure et les moyens des parties ont été exposés dans l’arrêt n°2022/111 du 24 mars 2022, auquel il est expressément référé, qui a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à conclure sur l’absence d’écrit concernant le compte 99191 dont est titulaire la SARL Sogefi dans les livres de la SA Edmond de Rothschild Europe et renvoyé l’affaire à l’audience du 21 juin 2022.
Par conclusions du 29 avril 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SA de droit luxembourgeois Edmond de Rothschild Europe demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence le 30 mars 2021 (n°2019 006209) ;
et statuant à nouveau :
à titre principal,
– juger que la clause attributive de juridiction liant la société Sogefi et la société Edmond de Rothschild (Europe) est opposable à l’égard de la société Sogefi et valide ;
en conséquence :
– déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaitre des demandes de la société Sogefi à l’encontre de la société Edmond de Rothschild (Europe) ;
– renvoyer la société Sogefi à mieux se pourvoir ;
le cas échéant, en cas de doute sur la portée de l’article 25.1 du Règlement Bruxelles I bis,
– soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante « Une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence exclusive des juridictions d’un Etat membre tout en réservant à une seule des parties la possibilité d’introduire une action devant toute autre juridiction compétente est-elle conforme au Règlement Bruxelles 1bis de sorte qu’elle s’impose à la partie ne bénéficiant pas de la possibilité de saisir une juridiction autre que celle nommément visée par la clause ‘ ”
à titre subsidiaire, si la cour considérait que la clause attributive de juridiction liant les parties n’était pas valable,
– juger que le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence n’est pas compétent en vertu de l’article 4 du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
en conséquence :
– déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaitre des demandes de la société Sogefi à l’encontre de la société Edmond de Rothschild (Europe) ;
– renvoyer la société Sogefi à mieux se pourvoir ;
en tout état de cause :
– condamner la société Sogefi au paiement de la somme de 20.000 euros à la société Edmond de Rothschild (Europe) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
– condamner la société Sogefi aux dépens.
Par conclusions du 27 mai 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SARL Sogefi demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence du 30 mars 2021 en toutes ses dispositions ;
– débouter la société Edmond de Rothschild Europe de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner la société Edmond de Rothschild Europe à payer à la société Sogefi la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner la société Edmond de Rothschild Europe aux dépens.
MOTIFS
La cour se réfère expressément aux motifs de l’arrêt du 24 mars 2022 sur l’inapplicabilité de l’article 48 du code de procédure civile et l’absence de violation du contradictoire par les premiers juges.
Il en résulte que les moyens de la SA EDR tendant à considérer que la discussion sur la nullité de la clause figurant dans l’assignation qui lui a été délivrée emporte reconnaissance par la SARL Sogefi de ce que la clause litigieuse lui est opposable, sont sans portée quand aucune irrecevabilité n’est invoquée à l’encontre des demandes de la SARL Sogefi et que le litige est relatif à la validité et l’opposabilité de la clause au regard du Règlement UE 1215/2012. Le simple fait que la SARL SOGEFI n’ait soulevé que la nullité de ladite clause dans son assignation n’emporte pas renonciation expresse et sans équivoque à soulever le moyen selon lequel cette clause ne lui est pas applicable selon ce texte impératif.
La validité de la clause doit ainsi être examinée au regard des dispositions du Règlement UE 1215/2012 dont l’article 25.1 dispose que : si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. (‘)
Pour l’application de ce texte, la CJUE décide que cette disposition a pour objet de prévoir tant les conditions de forme que doivent réunir les clauses attributives de compétence, pour garantir la sécurité juridique et s’assurer du consentement des parties, qu’une condition de fond qui tient à l’objet de la clause laquelle doit porter sur un objet déterminé.
La CJUE a dit pour droit, dès 1976, que, dans le cas où la clause attributive de juridiction était stipulée dans des conditions générales, était licite une telle clause dans le cas où, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à des conditions générales comportant ladite clause.
En l’espèce, la clause litigieuse, libellée en gras, est contenue dans les conditions générales de la SA EDR à l’article 31 élection de domicile, lieu d’exécution, loi applicable et compétence judiciaire sans que ces conditions générales ne soient toutefois signées par la SARL Sogefi.
Elle stipule que les relations entre la banque et le client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des Tribunaux de Luxembourg Ville. La banque se réserve toutefois le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l’élection de juridiction qui précède.
La SARL Sogefi conteste que cette clause ait été régulièrement portée à sa connaissance et soutient qu’elle n’y a pas consenti.
S’il est exact que la SARL Sogefi n’a pas signé les conditions générales de la SA EDR, elle a signé la demande d’ouverture du compte 99190 (pièce 6 SA EDR) laquelle stipule, en dernière page, au-dessus de la signature du gérant de la SARL Sogefi : le client confirme qu’il a lu avec une particulière attention et compris les conditions générales (version 11 07)ainsi que les Conditions particulières-Services de paiement (version 11 09) telles qu’en annexe, dont il a reçu une copie et accepte d’être lié par celles-ci. La banque attire l’attention du client sur les clauses identifiées en gras. (‘) le client reconnait que ses relations avec la banque seront régies par les conditions générales de la banque mais également par tout autre contrat spécifique qui sera conclu avec la banque.
Ainsi, dans le texte même du contrat liant les parties, portant ouverture du compte 99190, il est fait mention de manière très claire, à trois reprises, des conditions générales contenant la clause attributive de juridiction et l’attention de la SARL Sogefi a été spécifiquement attirée sur la clause attributive de compétence, inscrite en gras.
Ainsi, contrairement à ce qu’elle soutient, la SARL Sogefi a eu connaissance de la clause attributive de juridiction et elle a accepté formellement d’être liée par la clause. C’est donc à tort que le tribunal de commerce a déclaré qu’elle lui était inopposable.
Dans ces mêmes conditions générales, acceptées expressément par la SARL Sogefi, figure un article 7 intitulé : unicité de compte, compensation, connexité des opérations duquel découle que tous les comptes d’un même client, indépendamment du numéro de compte (‘) ne constituent en fait et en droit que les éléments d’un compte unique et indivisible (‘).
Si ces stipulations concernent principalement la création d’un solde unique, il n’en demeure pas moins que le principe d’unicité du compte, accepté par la SARL Sogefi dans les conditions ci-dessus rappelées, conduit à l’application des conditions générales contenant la clause attributive de compétence pour le compte 99191, élément du compte 99190.
Sur la validité même de la clause, la SARL Sogefi soutient qu’elle ne respecte pas les impératifs de sécurité et de prévisibilité exigés par le Règlement UE 1215/2012 puisqu’elle ne permet pas d’identifier de manière objective les juridictions pouvant être alternativement saisies, la SA EDR pouvant saisir « tout autre tribunal compétent ».
Sur ce, le Règlement UE 1215/2012, au considérant 15, indique que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et que cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement.
Le considérant 19 prévoit que l’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente devrait être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le règlement.
En l’espèce, la clause litigieuse, qui permet à la banque de saisir à son choix, la juridiction française du domicile du défendeur ou tout autre tribunal qui serait compétent à défaut de celui lié à l’élection de domicile du client au Luxembourg, ne laisse pas la détermination de la juridiction compétente à la seule discrétion de la banque, mais édicte un critère précis pour permettre la détermination de la juridiction compétente selon la nature du litige pouvant opposer les parties, sans contrariété avec les dispositions du Règlement 1215/2012.
Il en résulte que, sans qu’il soit recouru à une question préjudicielle, la clause répond aux impératifs de sécurité et de prévisibilité exigés par le Règlement et ne saurait donc être annulée.
La SARL Sogefi soutient enfin que la compétence de la juridiction française doit être retenue en application de l’article 8-1 du Règlement qui dispose : s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Outre que la clause attributive de compétence, régulière, s’applique dans les relations entre la SARL Sogefi et la SA EDR, c’est à tort que le tribunal de commerce a retenu sa compétence en application de l’article 8-1 du Règlement, quand les responsabilités respectives de la SARL PBF et de la SA EDR ne reposent ni sur les mêmes droits applicables, ni sur les mêmes faits, et que la responsabilité du conseil en investissement financier et du banquier teneur de compte, éventuellement auteur d’une proposition d’investissement, sont différentes et n’ont pas un rapport si étroit qu’il faille les juger ensemble puisque les décisions relatives à la responsabilité de l’une ou l’autre ne peuvent aboutir à des solutions qui pourraient être inconciliables.
C’est donc à tort que le tribunal de commerce a retenu sa compétence concernant l’action en responsabilité exercée par la SARL Sogefi à l’égard de la SA de droit luxembourgeois et le jugement déféré est infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence du 30 mars 2021 en ce qu’il :
– a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la SA EDR,
– condamné la SA EDR aux dépens et au paiement d’une somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
Dit que le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence est incompétent pour connaitre du litige opposant la SARL Sogefi à la SA de droit luxembourgeois Edmond de Rotschild,
Renvoie la SARL Sogefi à mieux se pourvoir,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SARL Sogefi à payer à la SA de droit luxembourgeois Edmond de Rotschild la somme de 10 000 euros,
Condamne la SARL Sogefi aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT