Clause attributive de compétence : 14 novembre 2022 Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 21/01316

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Clause attributive de compétence : 14 novembre 2022 Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 21/01316
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COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° 562 DU 14 NOVEMBRE 2022

N° RG 21/01316

N° Portalis DBV7-V-B7F-DMN7

Décision déférée à la cour : Ordonnance de référé du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, décision attaquée en date du 03 décembre 2021, enregistrée sous le n° 2021R00051.

APPELANTES :

S.A Caisse d’Epargne ( CEPAC)

[Adresse 7],

[Adresse 7]

[Localité 1]

S.A. Bred Banque Populaire

[Adresse 2]

[Localité 5]

E.P.I.C. L’ Agence Française de Développement (AFD)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Ayant tous pour avocat Me Jean-Marc Deraine de la Selarl Deraine & Associés, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

INTIMEE :

S.A.S. Solcer Saint-Martin

Dont le siège social est [Adresse 8]

[Localité 6]

Représentée par Me Frederic Decap de la Selas Caplaw Sbh, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 septembre 2022, en audience publique, devant Mme Annabelle Clédat chargée du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposé, puis mise en délibéré devant la cour composée de :

Madame Annabelle Clédat, conseillère, présidente

Madame Marie-Josée Bolnet, conseillère,

Madame Valérie Marie-Gabrielle, conseillère,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 14 novembre 2022.

GREFFIER : Lors des débats ainsi que lors du prononcé Mme Armélida Rayapin, greffier.

ARRET : Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Signé par Mme Annabelle Clédat, présidente, et par Mme Armélida Rayapin, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Solcer Saint-Martin, ci-après dénommée Solcer, a repris en 2018 un complexe hôtelier situé à Saint-Martin qui avait été laissé à l’abandon à la suite du cyclone Irma.

Afin de financer les travaux nécessaires, cette société a conclu le 30 juillet 2019 par acte authentique un contrat de crédit d’un montant de 30.000.000 euros avec un groupement de banques composé notamment de la Caisse d’Epargne CEPAC, de la Bred Banque Populaire et de l’agence française de développement. Les fonds devaient être mis à sa disposition en deux tirages, le premier d’un montant de 5.000.000 euros et le second de 25.000.000 euros, qui était subordonné notamment à la souscription par la société Solcer d’une assurance dommage-ouvrage et à la constitution d’un compte de réserve.

La société Solcer a procédé immédiatement au premier tirage mais n’a pas pu procéder au second.

Suite aux difficultés rencontrées en raison du confinement débuté le 16 mars 2020, quinze jours après le début de l’exploitation de l’hôtel, le président du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a ouvert une procédure de conciliation au bénéfice de la société Solcer par ordonnance du 02 juin 2020 et désigné Maître [C] [J] en qualité de conciliateur avec notamment pour mission d’assister la société dans la recherche de solutions adéquates afin de disposer des ressources nécessaires pour faire face à ses besoins courants et pour l’assister dans les négociations à conduire avec l’Etat et ses principaux partenaires, notamment bancaires, ainsi que dans la recherche de financements externes complémentaires aux encours existants.

La mission du conciliateur a été prorogée jusqu’au 02 avril 2021, date à laquelle il a rendu son rapport de fin de mission.

Les négociations avec les banques n’ont pas abouti mais, le 02 avril 2021, la société Solcer a conclu un protocole de conciliation avec ses actionnaires, qui a été constaté par ordonnance du président du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre le 23 avril 2021.

Par courrier daté du 11 mai 2021, la Caisse d’Epargne CEPAC a mis en demeure la société Solcer de lui rembourser la somme de 5.259.536,37 euros, dont 5.000.000 euros en principal, 71.354,17 euros de commission de non utilisation et 172.569,44 euros d’intérêts.

Par acte du 24 juin 2021, la société Solcer a fait assigner la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement devant le président du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre au visa des articles L.611-10-1 et R.611-35 du code de commerce afin d’obtenir principalement une diminution de la commission de non utilisation et des intérêts réclamés par les banques et de voir ordonner le report pour une durée de 24 mois du paiement intégral de la somme qui pourrait leur être due.

Les défenderesses ayant principalement conclu à l’incompétence matérielle et territoriale de la juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris, la présidente du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a, par ordonnance du 03 décembre 2021:

– rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement,

– rejeté la demande de diminution du quantum des sommes dues formée par la société Solcer,

– dit que les sommes réclamées par la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement à la société Solcer Saint-Martin, soit un quantum de 5.259.536,37 euros, seraient intégralement reportées pour un délai de 24 mois à compter de la décision rendue,

– dit que cette somme serait assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision rendue,

– rejeté les demandes plus amples ou contraires,

– condamné in solidum la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement à payer à la société Solcer Saint-Martin la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,

-rappelé que la décision bénéficiait de plein droit de l’exécution provisoire.

La Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 30 décembre 2021, en indiquant expressément que leur appel portait sur chacun des chefs de jugement, à l’exception du rejet de la demande de diminution du quantum des sommes dues formée par la société Solcer.

La procédure a fait l’objet d’une orientation à bref délai avec fixation de l’affaire à l’audience du 25 avril 2022.

La société Solcer Saint-Martin a régularisé sa constitution d’intimée par voie électronique le 20 janvier 2022.

A l’audience du 25 avril 2022, l’affaire a été renvoyée au 12 septembre 2022, date à laquelle la clôture est intervenue. L’affaire a été immédiatement plaidée et la décision a été mise en délibéré au 14 novembre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement, appelantes :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 août 2022 par lesquelles les appelantes demandent à la cour :

– à titre principal :

– de juger que la présidente du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre était incompétente pour statuer sur les demandes de la société Solcer,

– en conséquence, de réformer l’ordonnance rendue,

– de juger que la durée d’exécution du protocole est expirée,

– de renvoyer la société Solcer à mieux se pourvoir et de la débouter de toutes ses demandes,

– subsidiairement :

– de réformer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

– de débouter la société Solcer de toutes ses demandes,

– très subsidiairement :

– de réformer l’ordonnance déférée et, statuant à nouveau :

– de limiter à la somme de 245.500 euros le quantum de la somme reportée pour un délai de 12 mois à compter de la décision à intervenir,

– en toute hypothèse :

– de condamner la société Solcer à leur payer une somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

2/ La SAS Solcer Saint-Martin, intimée :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 02 septembre 2022 par lesquelles l’intimée demande à la cour :

– de débouter la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement de leur appel et de leurs demandes,

– de confirmer l’ordonnance rendue le 03 décembre 2021,

– de condamner in solidum la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur l’exception d’incompétence de la juridiction saisie :

Comme en première instance, la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement soutiennent que la présidente du tribunal mixte de commerce statuant selon la procédure accélérée au fond était incompétente, tant territorialement que matériellement pour connaître des demandes de la société Solcer dans la mesure où le contrat de crédit prévoyait dans son article 30.2 une clause attributive de compétence au profit des tribunaux compétents de la cour d’appel de Paris et où l’octroi de délais de grâce en présence d’un titre exécutoire relève de la compétence du juge des référés.

Cependant, la présidente du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a retenu sa compétence, tant territoriale que matérielle, en se fondant sur les dispositions dérogatoires au droit commun des articles L.611-10-1 et R.611-35 du code de commerce.

En vertu de l’article L.611-10-1, pendant la durée de son exécution, l’accord constaté ou homologué dans le cadre d’une procédure de conciliation interrompt ou interdit toute action en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle tant sur les meubles que les immeubles du débiteur dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font l’objet ; nonobstant les dispositions de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts. Il interrompt, pour la même durée, les délais impartis aux créanciers parties à l’accord à peine de déchéance ou de résolution des droits afférents aux créances mentionnées par l’accord.

Si, au cours de cette même durée, le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par l’un des créanciers appelés à la conciliation dans le but d’obtenir le paiement d’une créance qui n’a pas fait l’objet de l’accord, le juge qui a ouvert la procédure de conciliation peut, à la demande du débiteur et après avoir recueilli, le cas échéant, les observations du mandataire à l’exécution de l’accord, faire application des dispositions de l’article 1343-5 du code civil, en prenant en compte les conditions d’exécution de l’accord. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux créanciers mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 611-7.

L’article R.611-35 précise quant à lui que pour l’application de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 611-7 ou du dernier alinéa de l’article L. 611-10-1, le débiteur assigne le créancier mentionné par ces dispositions devant le président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation. Celui-ci statue sur les délais selon la procédure accélérée au fond après avoir recueilli les observations du conciliateur ou, le cas échéant, du mandataire à l’exécution de l’accord.

En l’espèce, il est parfaitement constant que la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement ont été appelées à la conciliation, à laquelle elles ont d’ailleurs participé de manière effective.

Il est également incontestable que la créance de ces banques n’a pas fait l’objet d’un accord dans le cadre de la conciliation.

Par ailleurs, le protocole de conciliation qui a été signé le 02 avril 2021 par la société Solcer et ses actionnaires a été constaté par ordonnance du président du tribunal mixte de commerce du 23 avril 2021.

Néanmoins, cette ordonnance ne fixait aucune limite temporelle à l’exécution de l’accord et les appelantes reprochent au premier juge d’avoir considéré que le protocole d’accord était bien toujours en cours d’exécution à la date à laquelle il a statué et que l’article L.611-10-1 du code de commerce était donc applicable, justifiant sa compétence tant territoriale que matérielle.

L’article 3 de cet accord de conciliation disposait en effet:

‘ Les actionnaires ont apporté directement ou indirectement en cours de conciliation et pour assurer la viabilité et la relance de l’entreprise, outre le paiement des fournisseurs, la somme de 2,75M$ (soit 2,34 M€) selon le détail suivant :

– apport n°1 par Sole Resort pour 500K€ en date du 20 décembre 2020,

– apport n°2 par Certares pour 1.500K€ en date du 20 décembre 2020,

– apport n°3 par Certares pour 750K€ en date du 20 mars 2021.

Les actionnaires s’engagent à :

– abandonner une portion de leurs intérêts sur les créances en compte-courant à l’encontre de la société Solcer, pour un montant minimal de 1.000 K€ pour Certares et de 1.000 K€ pour Sole Resorts,

– suspendre le cours des intérêts de leurs créances contre la société pour une durée minimale de trois mois (ce qui représente 975 K€),

– ne pas solliciter le remboursement du solde de leurs apports en compte courant en capital et intérêts jusqu’à ce que l’activité de la société soit revenue à l’équilibre’.

L’article 4 de cet accord contenait par ailleurs les dispositions suivantes :

‘Les parties s’engagent à réitérer de bonne foi les stipulations du présent protocole à travers la conclusion de la documentation sociale liée à la capitalisation des créances des actionnaires prévue à l’article 3,

– les parties s’engagent également à réitérer les stipulations du protocole en autant d’actes subséquents qu’il sera nécessaire pour aboutir à sa parfaite réalisation.

– les parties s’engagent à faire diligence pour régulariser au plus vite ces actes de mise en oeuvre du protocole et justifieront de leurs diligences au mandataire à l’exécution de l’accord’.

Par ailleurs, l’accord de conciliation prévoyait dans son article 6 l’intervention d’un mandataire à l’exécution, qui a été désigné en la personne de M. [J] le 23 avril 2021, chargé de :

‘1- Veiller à la bonne exécution du protocole et se faire communiquer par la société des éléments justifiant de la matérialité des engagements des actionnaires prévus à l’article 3 du protocole,

2 – tenter de trouver une issue négociée avec les partenaires bancaires de l’entreprise, qui ont accepté le principe d’un standstill, mais en le conditionnant à un accord dont les termes n’ont pas été acceptés par la société.

Au titre de cette mission, il appartiendra à la société de communiquer au mandataire à l’exécution de l’accord un prévisionnel de trésorerie au plus tard le 14 avril 2021 , et le mandataire à l’exécution de l’accord devra inviter une réunion avec les banques pour tenter de trouver une solution négociée pour les créanciers appelés à la conciliation mais dont les créances ne sont pas objet du présent accord de conciliation.

3- superviser les discussions entre Solcer Saint-Martin, Banema et, le cas échéant, le BCT, pour assister la société dans la perspective d’obtenir une assurance dommage-ouvrage’.

Il n’est pas contestable, ainsi que le soulignent les appelantes, que les missions n°2 et 3 confiées au mandataire à l’exécution de l’accord ne peuvent être déterminantes pour apprécier si l’accord du 02 avril 2021 était toujours en cours d’exécution dès lors qu’il s’agit de missions très vastes, sans relation directe avec l’exécution des engagements pris par les parties, dont l’exécution pourrait se prolonger de manière artificielle.

En conséquence, seule la mission consistant à ‘veiller à la bonne exécution du protocole et se faire communiquer par la société des éléments justifiant de la matérialité des engagements des actionnaires prévus à l’article 3 du protocole’ peut permettre d’apprécier si l’exécution de l’accord est toujours en cours.

A ce titre, les actionnaires se sont engagés à ‘ne pas solliciter le remboursement du solde de leurs apports en compte courant en capital et intérêts jusqu’à ce que l’activité de la société soit revenue à l’équilibre’, engagement auquel le mandataire à l’exécution de l’accord est tenu de veiller.

Compte tenu de l’effet relatif de cet accord de conciliation, revendiqué par les appelantes en pages 13 et 14 de leurs conclusions, elles ne peuvent se prévaloir de la nullité de cette clause, dont la réalisation déprendrait de la seule volonté des investisseurs, pour conclure que cette échéance ne pouvait pas être retenue par le premier juge qui aurait dès lors ‘artificiellement étendu sa compétence hors des prévisions du texte pour une durée indéterminée dont le terme n’est pas précisé’.

Au contraire, c’est à bon droit que le premier juge a retenu que le retour à l’équilibre de l’activité de la société Solcer constituait bien le terme de l’exécution de l’accord de conciliation.

En effet, l’accord mentionne que le mandataire doit ‘se faire communiquer par la société des éléments justifiant de la matérialité des engagements des actionnaires prévus à l’article 3 du protocole’. Par ailleurs, ainsi que le rappellent les appelantes elles-mêmes en page 15 de leurs conclusions, le mandataire doit présenter un rapport au président du tribunal en cas de difficulté faisant obstacle à l’exécution de sa mission, conformément à l’article L.611-8 du code de commerce.

En conséquence, la détermination du terme de l’accord ne dépend pas de la seule volonté de la société Solcer et l’intervention du mandataire est de nature à garantir que les mesures arrêtées dans le cadre de la conciliation ne perdureront pas indéfiniment et qu’elles prendront bien fin lorsque la société Solcer justifiera, au moins à sa demande, d’un retour à l’équilibre.

Dès lors, c’est à bon droit que la présidente du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a écarté l’exception d’incompétence territoriale et matérielle soulevée par la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement et a retenu sa compétence, dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, sur le fondement des articles L.611-10-1 et R.611-35 du code de commerce.

La décision déférée sera confirmée sur ce point.

Sur la demande de délais de grâce formée par la société Solcer :

Conformément aux dispositions de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

L’article L.611-10-1 du code de commerce, précise que le juge qui a ouvert la procédure de conciliation peut faire application des dispositions de l’article 1343-5 du code civil, à condition de prendre en compte les conditions d’exécution de l’accord.

Conformément à ces textes, la demande de délais de grâce doit donc être appréciée en fonction de la situation du débiteur, en considération des besoins du créancier et en prenant en compte les conditions d’exécution de l’accord.

En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l’octroi de délais de paiement n’est pas subordonné à la démonstration d’une identité de situation entre les créanciers ayant accepté un accord de conciliation et ceux auxquels pourraient être imposés des délais de paiement, notamment quant à l’antériorité de leur créance.

Pour le même motif, il n’y a pas lieu de suivre l’argumentation des appelantes en ce qu’elles demandent à la cour, afin de respecter l’égalité des créanciers, de ‘limiter les délais accordés à due concurrence de la même proportion de créances de prêteurs que celles des actionnaires concernés par le protocole de conciliation’, soit à la somme de 245.500 euros correspondant à 4,91% du montant du prêt.

En l’espèce, les actionnaires ont accepté d’apporter une aide financière conséquente à la société Solcer durant la période de conciliation, mais également de renoncer à une partie des intérêts sur leur créance et au remboursement de leurs apports tant que la société ne serait pas revenue à l’équilibre, afin de lui permettre de se redresser.

Ainsi que l’a relevé à juste titre le premier juge, au terme d’une motivation détaillée que la cour ne peut qu’adopter, la situation financière de la société Solcer était particulièrement fragile à la date à laquelle la décision contestée a été rendue, le résultat du premier semestre 2021 montrant un résultat déficitaire et une trésorerie faible.

Dans ces conditions, il aurait été contraire à l’intérêt de la société Solcer de permettre aux banques d’agir immédiatement en paiement au risque de la fragiliser de manière très importante, voire irréversible, alors que leur situation de créanciers hypothécaires n’imposait pas un recouvrement immédiat de leur créance, tandis que dans le même temps les actionnaires qui tentaient de soutenir cette société auraient été privés de toute possibilité de remboursement de leurs apports.

Sur ce point, les appelantes échouent à démontrer que les signataires de l’accord de conciliation n’auraient pas respecté le protocole d’accord comme ils s’y étaient engagés.

Elles procèdent pour cela à une analyse des comptes clos de l’exercice au 31 décembre 2020 et du procès-verbal des décisions de l’associé unique en date du 24 janvier 2022 qui se révèle inopérante dès lors que les versements des actionnaires sont majoritairement intervenus durant les exercices 2021 et 2022.

Il ressort au contraire des pièces produites par la société Solcer que l’actionnaire Certares a versé 500.000 USD le 28 décembre 2020, 1.000.000 USD le 11 janvier 2021 et 750.000 USD le 25 mars 2021, respectant l’engagement financier pris dans le cadre de la conciliation, et qu’il a par ailleurs abandonné de manière effective une partie des intérêts qui lui étaient dus. Par ailleurs, les appelantes ne démontrent aucun remboursement du solde des apports en compte courant.

Il en est de même s’agissant de l’actionnaire Sole Resort, même s’il n’a versé que 265.000 USD en mars et avril 2022 sur les 500.000 USD auxquels il s’était engagés.

Dès lors, le protocole de conciliation ayant été très largement exécuté, il n’y a pas lieu de considérer que la société Solcer serait irrecevable à invoquer les dispositions de l’article L.611-10-1 du code de commerce.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la société Solcer a produit en pièce 23 de son dossier une situation financière du mois de juin 2022 dont il ressort que le résultat brut d’exploitation des six premiers commence juste à être bénéficiaire à hauteur de 180.040 euros, après avoir été largement négatif sur la même période en 2021. Si ce résultat est de nature à laisser penser que la société Solcer pourrait revenir à l’équilibre dans des délais raisonnables, il s’avère encore trop fragile pour considérer que cette société pourrait désormais faire face sans difficulté à la demande en paiement des appelantes, qui s’élève à plus de 5 millions d’euros, sans mettre en péril son avenir.

Il n’y a pas non plus lieu de limiter le montant de la créance pouvant faire l’objet de délais de paiement, dans la mesure où la situation financière de la société Solcer ne lui permettrait pas plus de faire face sans difficulté au remboursement immédiat d’une créance qui s’élèverait encore à plus de 4,5 millions d’euros.

En conséquence, compte tenu de la situation du débiteur, en considération des besoins du créancier et en prenant en compte les conditions d’exécution de l’accord, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a dit que les sommes réclamées par la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement à la société Solcer Saint-Martin, soit un quantum de 5.259.536,37 euros, seraient intégralement reportées pour un délai de 24 mois à compter de la décision rendue et que cette somme serait assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement, qui succombent à l’instance d’appel, seront condamnées in solidum aux entiers dépens.

Par ailleurs, l’équité commande de les condamner in solidum à payer à la société Solcer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et de les débouter de leur propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance rendue le 03 décembre 2021 en toutes ses dispositions contestées,

Y ajoutant,

Condamne in solidum la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement à payer à la SAS Solcer Saint-Martin la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement de leur propre demande à ce titre,

Condamne in solidum la Caisse d’Epargne CEPAC, la Bred Banque Populaire et l’agence française de développement aux entiers dépens de l’instance d’appel.

Et ont signé,

La greffière La présidente

 


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