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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 24 MARS 2023
N°2023/ 90
Rôle N° RG 19/08612 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEK2S
[H] [W]
C/
SAS TOUTE LA MER
Copie exécutoire délivrée
le : 24/03/2023
à :
Me Christian JOURDAN, avocat au barreau de TARASCON
Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 23 Avril 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00077.
APPELANT
Monsieur [H] [W], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SAS TOUTE LA MER, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Christian JOURDAN, avocat au barreau de TARASCON et par Me Philippe MESTRE, avocat au barreau d’AVIGNON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre chargé du rapport, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2023.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon contrat à durée déterminée du 9 mai 2007, M.[W] a été recruté par la SARL «’Toute la mer’» en qualité de voyageur représentant placier (VRP) multicartes. La relation de travail s’est poursuivie sous la forme dun contrat à durée indéterminée.
Le 5 août 2014, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Au terme d’un accord transactionnel du 19 août 2014, la SARL «’Toute la mer’» lui a versé la somme de 8’000’euros à titre d’indemnité de clientèle et 2’000’euros au titre de son préjudice moral, professionnel et financier.
Courant 2015, M.[W], contestant la validité de cette transaction, a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon d’une demande à l’encontre de la SARL «’Toute la mer’» en paiement de diverses sommes au titre de l’indemnité de clientèle, de la clause de non-concurrence, de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’indemnité de préavis, des congés payés y afférents, de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les parties ont comparu devant le bureau de conciliation le 5 octobre 2015.
L’affaire a été retirée du rôle le 5 septembre 2016.
Elle a été réenrôlée le 12 février 2018 à la demande de M.[W].
Par jugement du 23 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Toulon a débouté M.[W] de ses demandes et l’a condamné à payer à la SARL «’Toute la mer’» la somme de 500’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 27 mai 2019, a fait appel de ce jugement.
Selon ses conclusions du 27 août 2019, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, M.[W] demande de’:
-‘Annuler la transaction intervenue le 19 août 2014 entre lui et la SARL «’Toute la mer”‘;
-‘Condamner la SARL «’Toute la mer’» à lui payer les sommes suivantes’:
– 60’000’€ au titre de l’indemnité de clientèle’;
– 9’996,40’€ au titre de la clause de non-concurrence’;
– 3’578,71’€ au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement’;
– 7’497,30’€ au titre de l’indemnité de préavis, outre la somme de 749,73’€ au titre des congés payés y afférents’;
-29’989,20’€ au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
-‘Condamner la SARL «’Toute la mer’» à lui payer la somme de 3000’€ par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens de l’instance.
A l’issue de ses conclusions du 18 novembre 2019, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, la SARL «’Toute la mer’» demande de’:
au principal’;
-‘déclarer périmée l’action de M.[W]’;
-‘en tout état de cause confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Toulon’;
subsidiairement’;
-‘constater la validité de l’accord transactionnel signé le 19 août 2014, et dès lors déclarer irrecevables les demandes de M.[W]’;
infiniment subsidiairement’;
-‘dire et juger qu’elle s’est libérée de son obligation de reclassement’;
-‘dire et juger que le licenciement dont a fait l’objet M.[W] pour inaptitude physique repose sur une cause réelle et sérieuse’;
-‘dire et juger que M.[W] a été entièrement rempli de ses droits en ce qui concerne l’indemnité de clientèle, l’indemnité compensatrice de congés payés, l’indemnité conventionnelle de licenciement et l’indemnité de non-concurrence’;
-‘condamner M.[W] à lui verser, à titre reconventionnel, la somme de 10’000’€ résultant de l’annulation de l’acte transactionnel’;
-‘en tout état de cause débouter M.[W] de l’intégralité de ses demandes’;
-‘condamner M.[W] à lui payer la somme de 5.000’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
-‘condamner M.[W] aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 décembre 2022. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.
SUR CE’:
sur la péremption de l’instance’:
moyens des parties’:
la SARL «’Toute la mer’» expose, à titre préliminaire, que l’instance devant le conseil de prud’hommes est périmée, M.[W] n’ayant accompli aucune diligence entre l’audience de conciliation du 5 octobre 2015 et sa demande de remise au rôle du 12 février 2018.
M.[W] n’a pas conclu sur ce point.
réponse de la cour’:
L’article 386 du code de procédure civile dispose que l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.
En l’espèce, le dossier de la procédure ne révèle aucune diligence interruptive de péremption entre l’audience de conciliation du 5 octobre 2015 et sa demande de remise au rôle du 12 février 2018 .
Cependant, il résulte des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 que les dispositions abrogées de l’article R. 1452-8 du code du travail, aux termes desquelles en matière prud’homale, l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction, demeurent applicables aux instances prud’homales dès lors que le conseil de prud’hommes a été saisi avant le 1er août 2016.
En l’espèce, il ne ressort pas du dossier de la procédure suivie devant le conseil de prud’hommes que les premiers juges ont expressément mis à la charge de M.[W] des diligences particulières. En tout état de cause, il en résulte que la SARL «’Toute la mer’» n’a pas soulevé la péremption d’instance devant le conseil de prud’hommes et que l’instance prud’homale s’est achevée par le jugement dont appel du 23 avril 2019. La péremption d’instance ne peut donc être invoquée à l’égard d’une procédure terminée. La SARL «’Toute la mer’» sera en conséquence déboutée de sa demande en péremption d’instance.
sur la transaction du 19 août 2014′:
moyens des parties’:
M.[W] soutient qu’il est fondé à conclure à l’annulation de la transaction du 19 août 2014 aux motifs qu’une transaction suppose des concessions réciproques de la part des parties, que la SARL «’Toute la mer’» n’a effectué aucune concession, qu’il était en droit de prétendre à une indemnité de clientèle beaucoup plus importante ce dont avait parfaitement conscience la SARL «’Toute la mer’», qu’il a été licencié alors qu’il venait de subir plusieurs années d’arrêt de travail consécutives à des hospitalisations de telle sorte qu’il était extrêmement affaibli, qu’il se trouvait en état de fragilité, raison pour laquelle la SARL «’Toute la mer’» a pu surprendre son consentement, que la SARL «’Toute la mer’», en lui allouant la somme de 8’000’€ au titre de son indemnité de clientèle, n’a en réalité consenti aucune concession, compte tenu du montant auquel il était en droit de prétendre, qu’en effet, il a lui-même créé toute la clientèle dont bénéficiait la SARL «’Toute la mer’» au titre de la vente de soupe de poisson qu’elle conditionnait sous la forme de «’BIB’» et qu’il a ainsi généré au profit de la SARL «’Toute la mer’» un chiffre d’affaires de 1’245’237’€ si l’on raisonne en termes de télévente ou de 249’087,40 euros, si l’on raisonne en termes de produits d’épicerie.
La SARL «’Toute la mer’» soutient que M.[W] ne peut conclure à la nullité de la transaction du 19 août 2014 aux motifs que la conclusion et la signature de l’acte transactionnel du 19 août 2014 confirment de façon incontestable l’accord des parties sur le montant de l’indemnité de clientèle, qu’elle a été particulièrement généreuse dans la mesure où M.[W] n’avait même pas droit à l’indemnité de clientèle, les conditions imposées par la jurisprudence pour ouvrir droit à cette indemnité n’étant pas remplies, que le licenciement pour inaptitude prive le salarié de son indemnité compensatrice de préavis dans la mesure où ce dernier est dans l’impossibilité de l’exécuter, qu’elle a procédé à des recherches de reclassement et a proposé deux propositions de reclassement que M.[W] a refusées et que l’indemnité transactionnelle, à hauteur de 10.000 euros, représente donc une concession suffisante, de sa part pour valider l’acte transactionnel signé le 19 août 2014, rendant irrecevables les demandes de M.[W].
Enfin, à titre reconventionnel, si l’accord du 19 août 2014 était annulé, elle sollicite la condamnation de M.[W] à lui rembourser la somme de 10’000’€ perçue lors de la signature de la transaction.
réponse de la cour’:
Selon l’article 2044 code civil, dans sa version en vigueur lors de la signature de l’accord transactionnel contesté, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Il était de principe que ces dispositions impliquaient, à peine de nullité, l’existence de concessions réciproques des parties.
Il est de jurisprudence constante que la notion de concessions doit s’interpréter en considération des prétentions des parties lors de la conclusion de la transaction litigieuse et non en fonction des droits auxquels elles auraient pu prétendre. En d’autres termes, il n’appartient pas au juge, pour apprécier l’existence de concession, d’aborder le fond afin d’apprécier les droits que les parties auraient pu effectivement revendiquer mais de se prononcer au regard des prétentions des parties au jour de la signature de la transaction. Par ailleurs, sauf caractère dérisoire des concessions, s’apparentant à leur inexistence, il n’est pas nécessaire qu’existe une équivalence entre les concessions réciproques.
L’accord transactionnel du 19 août 2014 rappelle, de manière exhaustive, la date d’embauche de M.[W], l’emploi occupé par lui au terme de la relation de travail, la date à laquelle il a été placé en arrêt maladie, la date à laquelle il a été classé en invalidité de deuxième catégorie, la procédure au terme de laquelle le médecin du travail a émis à l’égard de M.[W] un avis d’inaptitude et les conclusions du médecin du travail, le détail des trois propositions de reclassement adressées à M.[W], l’absence de réponse de ce dernier et la procédure à l’issue de laquelle M.[W] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Cet accord indique en outre que M.[W] a contesté les sommes allouées au titre de la rupture ainsi que les conditions de cette rupture alors que la SARL «’Toute la mer’» estimait avoir rempli ses obligations.
Il prévoit le paiement par la SARL «’Toute la mer’» au profit de M.[W], à titre transactionnel, des sommes suivantes’:
– une indemnité de clientèle de 8’000’euros bruts, avant prélèvement de la CSG et de la CRDS ainsi que des éventuelles cotisations de sécurité sociale, en considération de la perte de clientèle de M.[W] suite à la rupture de son contrat de travail,
– une indemnité de 2’000’euros bruts, avant prélèvement de la CSG et de la CRDS ainsi que des éventuelles cotisations de sécurité sociale, en considération du préjudice moral, professionnel et financier que M.[W] prétendait avoir subi du fait de la rupture de son contrat de travail.
Il en résulte ainsi que, lors de la signature de l’accord litigieux, M.[W] contestait le montant des sommes payées par la SARL «’Toute la mer’» au titre de la rupture de son contrat de travail ainsi que les conditions de cette rupture, remettant ainsi en cause la validité de son licenciement pour inaptitude et impossibilité, et que, de son côté, l’employeur estimait que M.[W] avait perçu les sommes auxquelles il pouvait prétendre au titre de la rupture de son contrat de travail et que la procédure de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était régulière.
Dès lors, selon cette convention, M.[W] a consenti à limiter à 8’000’euros le montant de sa perte de clientèle et à 2’000’euros l’indemnisation du préjudice moral, professionnel et financier subi à raison de la rupture de son contrat de travail. La SARL «’Toute la mer’», quant à elle, alors qu’elle estimait ne devoir aucune somme à M.[W] tant au titre de la perte de clientèle que du préjudice subi à raison de la rupture du contrat de travail, a accepté de lui payer une somme totale de 10’000’euros. Ainsi chacune des parties, soit en limitant le montant de ses demandes, soit en consentant à payer une indemnité, a procédé à des concessions réciproques.
Selon l’article 1108 code civil, dans sa version en vigueur au 19 août 2014, le consentement de la partie qui s’oblige constitue une condition essentielle pour la validité d’une convention.
M.[W] ne verse aux débats aucun élément de nature à établir qu’il était extrêmement affaibli et qu’il n’était pas en mesure de consentir valablement à cette transaction.
Dès lors, M.[W] sera débouté de sa demande en annulation de la transaction du 19 août 2014.
Selon les articles 2049 et 2052, dans leur version en vigueur au 19 août 2014, les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé et ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.
Enfin, l’article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La transaction du 19 août 2014 prévoit la renonciation de M.[W] à agir en justice contre la SARL «’Toute la mer’» ainsi qu’à exercer contre elle toute action, de quelque nature qu’elle soit notamment au sujet des rapports ayant existé entre les parties, au titre de l’exécution comme de la rupture du contrat de travail, que, en conséquence, sont réglés définitivement tous les comptes, sans exception ni réserve, pouvant exister entre les parties au titre de l’exécution, comme de la résiliation du contrat de travail et, plus généralement, à quelque titre que ce soit et que le protocole, met un terme aux différents litiges et liens existant entre les parties.
Dès lors, la transaction du 19 août 2014 avait pour effet tous différends entre M.[W] et la SARL «’Toute la mer’» au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail. Elle bénéficie en conséquence, entre les parties, de l’autorité de la chose jugée.
Dès lors, il appartenait au conseil de prud’hommes de déclarer M.[W] irrecevable en ses demandes et non de l’en débouter.
sur les mesures accessoires’:
Enfin M.[W], partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, devra payer à la SARL «’Toute la mer’» la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARE M.[W] recevable en son appel,
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Toulon du 23 avril 2019 en ce qu’il a condamné M.[W] à payer à la SARL «’Toute la mer’» la somme de 500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens,
L’INFIRME pour le surplus,
STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation,
DEBOUTE M.[W] de sa demande en nullité de l’accord transactionnel du 19 août 2014′;
DECLARE M.[W] irrrecevable pour le surplus de ses demandes’;
DEBOUTE M.[W] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE M.[W] à payer à la SARL «’Toute la mer’» la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE M.[W] aux dépens.
Le Greffier Le Président