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Arrêt n° 23/00262
04 avril 2023
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N° RG 20/02069 –
N° Portalis DBVS-V-B7E-FL6D
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Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de METZ
15 décembre 2017
15/00713
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Quatre avril deux mille vingt trois
APPELANTE :
S.A.R.L. [V] représentée par son gérant
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me François RIGO, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
M. [Z] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [Z] [Y] a été embauché par la SARL [V] à compter du 5 septembre 1988 en qualité de monteur téléphone. Il a démissionné de son emploi et a quitté les effectifs de la société [V] le 8 janvier 1993.
Par requête enregistrée au greffe le 17 mai 1994, M. [Y] a saisi la section industrie du conseil de prud’hommes de Metz en sollicitant qu’il soit constaté que la rupture du contrat de travail entre les parties intervenue à la date de son départ de l’entreprise en janvier 1993 est imputable à la SARL [V], aux motifs que cette dernière ne lui versait plus ses salaires, ne lui permettait pas de prendre tous ses congés payés, qu’après son dernier retour de congés elle l’avait changé de poste, qu’elle lui avait supprimé son véhicule de fonction et augmenté l’ampleur des déplacements à réaliser, qu’elle ne lui avait pas réglé des heures supplémentaires, et que les repos compensateurs n’avaient pas été pris.
Après cette saisine intervenue au mois de mai 1994, la procédure prud’homale a fait l’objet de plusieurs radiations.
Par décision en date du 28 octobre 1998 la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz a prononcé le redressement judiciaire de la société [V], puis un plan de redressement a été adopté.
Par jugement en date du 15 décembre 1999 l’arrêt du plan de redressement par voie de poursuite d’activité de la société [V] a été prononcé, et Maître [M] a informé le conseil que sa mission de commissaire chargé de veiller à l’exécution du plan d’apurement avait cessé.
Par jugement avant-dire droit en date du 13 septembre 2001 le conseil de prud’hommes de Metz a ordonné des mesures d’instruction (audition des parties et production de pièces), et un rapport d’enquête a été établi le 16 novembre 2001. La radiation de la procédure a été prononcée le 21 mars 2002 pour défaut de diligence du demandeur, suivie de plusieurs autres mesures identiques entre 2002 et mai 2009.
Par jugement avant-dire droit en date du 24 juin 2011 la formation de départage de la section industrie du conseil de prud’hommes de Metz a rejeté l’exception de péremption d’instance soulevée par le CGEA de Nancy, et a ordonné la réouverture des débats en enjoignant :
– à M. [Y] de produire plusieurs documents, ainsi que de fournir des précisions sur diverses demandes et pièces,
– à la société [V] de produire des pièces et des explications sur divers points,
Le tout avant le 31 octobre 2011.
La procédure a été à nouveau radiée le 2 décembre 2011, puis le 9 janvier 2015.
Une décision a été rendue par la formation de départage de la section industrie du conseil de prud’hommes de Metz le 15 décembre 2017, qui a statué comme suit :
”Met hors de cause le CGEA de Nancy ainsi que Maître [M] ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SARL [V] ;
Déboute M. [Y] de sa demande de requalification de sa démission de la SARL [V] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de cette dernière, ainsi que de l’ensemble de ses demandes financières y afférentes ;
Condamne la SARL à verser à M. [Y] les sommes suivantes :
– 905,97 € brut au titre de rappel de l’indemnité compensatrice de congés payés ;
-21 634,80 € brut à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires ;
– 2 163,48 € brut au titre des congés payés y afférents ;
– 11 977,34 € brut au titre de repos compensateur ;
– 1 197,73 € au titre des congés payés y afférents ;
Dit que les condamnations prononcées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du 17 mai 1994, date de la saisine du conseil de prud’hommes ;
– 933,33 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé, avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent jugement ;
Ordonne l’exécution provisoire des condamnations prononcées ci-dessus en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile ;
Déboute M. [Z] [Y] de sa demande de congés payés afférents à la demande de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés ;
Condamne la SARL [V] à payer à M. [Y] la somme de 1 250 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SARL [V] de ses demandes de condamnation de M. [Y] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
Condamne la SARL [V] aux dépens”.
La société [V] a interjeté appel le 5 janvier 2018.
Au cours de la procédure d’appel, une première ordonnance a été rendue par le conseiller de la mise en état le 18 mars 2019 qui a prononcé la radiation en application de l’article 526 du code de procédure civile, précisant que l’appelant pourra être autorisé, sauf péremption constatée, à réinscrire l’affaire au rôle sur justification de l’exécution de la décision attaquée.
Le 12 novembre 2020, la société [V] a déposé des conclusions aux fins de réinscription de l’affaire au rôle, en se prévalant du versement de la somme de 49 000 euros à l’intimé. L’intimé s’est opposé à la demande de réinscription de l’affaire au rôle à défaut d’exécution totale de la décision attaquée.
Par ordonnance en date du 19 mai 2021 le conseiller de la mise en état a rejeté la requête formée par M. [Y] le 13 janvier 2021 aux fins de voir ordonner la radiation de la présente procédure du rôle des affaires en cours, et a renvoyé la procédure à la mise en état du 12 octobre 2021.
Par ses dernières conclusions datées du 11 janvier 2022, la société [V] demande à la cour de statuer comme suit :
”Recevoir en la forme l’appel interjeté par la société [V] contre le jugement de départage prononcé le 15 décembre 2017 par la formation de départage du conseil de prud’hommes de Metz,
Dire cet appel principal bien fondé,
Rejeter l’appel incident de M. [Z] [Y] et l’en débouter,
Confirmer le jugement entrepris quant au rejet des demandes de M. [Y] objet de l’appel incident de M. [Z] [Y] ;
Y faisant droit,
Infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL [V] à payer à M. [Z] [Y] les sommes de :
– 905,97 € bruts à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés ;
– 21 634,80 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
– 2 163,48 € bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 11 977 € bruts à titre de repos compensateur ;
-1 197,73 € au titre des congés payés y afférents ;
– En ce qu’il a dit que les condamnations prononcées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du 17 mai 1994, date de la saisine du conseil de prud’hommes ;
– 933,33 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé, avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent jugement ;
– En ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire des condamnations prononcées ci-dessus en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile ;
– En ce qu’il a condamné la SARL [V] à payer à M. [Y] la somme de 1 250 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– En ce qu’il a débouté la SARL [V] de ses demandes de condamnations de M. [Y] au titre des dispositions de l’article 700 du code procédure civile ainsi qu’aux dépens et en ce qu’il a condamné la SARL [V] aux dépens
Dire et juger l’instance périmée avec toutes conséquence de droit et dire et juger que le jugement avant dire droit du 24 juin 2011 n’a pas statué au fond de sorte que la jurisprudence citée par M. [Y] (Cassation Civile 2ème 4 mars 1987 N°85-17815) est inapplicable
En conséquence,
Vu les dispositions de l’article 385 du code de procédure civile prononcer l’extinction de l’instance,
Subsidiairement en tout état de cause,
Débouter M. [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins, conclusions et appel incident après l’avoir au besoin, déclaré prescrit en ses demandes en rappel de salaires, accessoire de salaires et repos compensateurs ;
A titre infiniment subsidiaire,
Condamner M. [Z] [Y] à rembourser à la société [V] la somme de 21 634,80 € perçue au titre des frais de déplacement, sur le fondement de l’enrichissement sans cause,
Condamner M. [Z] [Y] à payer à la société [V] la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers frais et dépens de première instance et d’appel”.
Au soutien de la péremption de l’instance, la société [V] rappelle que le CGEA de Nancy a soulevé ce moyen, que le jugement déféré n’a pas examiné au regard de la mise hors de cause des parties intervenantes. Elle fait valoir que si, suite à la radiation du 9 janvier 2015, M. [Y] a sollicité la reprise de l’instance le 19 juin 2015, il n’a déposé aucune conclusion à cette date et il n’a déposé des conclusions récapitulatives que le 31 mars 2017, ainsi que les pièces sollicitées par jugement avant dire droit du 24 juin 2011. La société [V] ajoute qu’en vertu d’une jurisprudence constante les conclusions ne couvrent pas la prescription si elles ne tendent qu’à cette fin.
Sur la prescription de l’action, la société [V] se rapporte aux articles 2277 du code civil et L. 143-14 du code du travail, aux termes desquels le délai de l’action est de cinq ans.
Au fond sur les prétentions de M. [Y] au titre de la rupture du contrat de travail, la société [V] fait valoir que la démission de M. [Y] était claire et non équivoque, et qu’elle ne saurait être requalifiée en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société [V] souligne que la demande de M. [Y] a été formulée 16 mois après sa démission. Elle soutient que M. [Y] n’avait jamais évoqué une contestation, ou formulé un reproche par écrit ou par oral, et mentionne que le salarié a transmis sa démission pour rejoindre l’entreprise Tellest deux jours après sa démission.
La société [V] conteste devoir une indemnité au titre des congés payés non pris, et conteste l’existence d’heures supplémentaires, et par là-même devoir une indemnité due aux repos compensateurs, et au titre de dommages et intérêts pour un prétendu travail dissimulé.
Subsidiairement elle réclame le remboursement de frais de déplacement payés au salarié s’il est fait droit aux prétentions de M. [Y] au titre d’heures supplémentaires.
Par ses conclusions datées du 11 octobre 2021, M. [Z] [Y] demande à la cour de statuer comme suit :
”Rejeter l’exception de péremption de l’instance soulevé par la SARL [V] ;
Dire et juger que les demandes de M. [Y] ne sont pas prescrites ;
Sur l’appel principal :
Dire et juger l’appel de la Sarl [V] mal fondé ;
L’en débouter ;
Confirmer le jugement (rendu) par le conseil de prud’hommes de Metz le 15 décembre 2017 en ce qu’il a alloué à M. [Y] les sommes suivantes :
905,97 € brut à titre de rappel d’indemnité de congés payés
21 634,80 € brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires
2 163,48 € brut au titre de congés payés y afférents
11 977,34 € brut à titre de repos compensateur
1 197,73 € au titre de congés payés y afférents
Avec intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du conseil de prud’hommes, le 17 mai 1994
933,33 à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé, avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent jugement
1 250 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Avec intérêts légal à compter du jour de la décision à intervenir
Y ajoutant,
Condamner la SARL [V] à lui payer la somme de :
2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel
Sur l’appel incident :
Dire et juger que la démission de M. [Y] de la Sarl [V] s’analyse en une prise d’acte de la rupture aux torts exclusif de l’employeur
En conséquence,
Condamner la Sarl [V] à payer à M. [Y] les sommes suivantes :
– 609,80 € net au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– 2 440 € brut au titre de l’indemnité de préavis ;
– 244 € brut de congés payés sur préavis ;
– 7 317,55 € nets (à) titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Condamner la SARL [V] aux entiers frais et dépens”.
M. [Y] soutient que le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Metz le 24 juin 2011 est un jugement mixte, qui statue sur la péremption d’instance alors déjà soulevée, et qui a demandé à M. [Y] ainsi qu’à la société [V] d’apporter quelques précisions. Dès lors, l’intimé conteste la péremption.
Concernant la prescription M. [Y] observe que la radiation est sans effet sur l’interruption de la prescription.
A l’appui de ses prétentions M. [Y] expose qu’il a introduit sa demande dans les délais d’action. Il soutient qu’il a été contraint de donner sa démission en raison du comportement de l’employeur : il expose qu’il était difficile voire impossible pour lui de prendre ses congés payés, qu’il réalisait de nombreuses heures supplémentaires, d’où sa demande en paiement de repos compensateur dû au regard du nombre d’heures supplémentaires effectuées.
M. [Y] considère que la société a sciemment mis en place un système de paiement des heures supplémentaires sous la forme de prime. Il estime avoir été victime de travail dissimulé.
M. [Y] conteste la demande de l’employeur de remboursement au titre des frais déplacements.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la péremption de l’instance
La société [V] se prévaut de la péremption de l’instance en invoquant les dispositions de l’article 386 du code de procédure civile ainsi que celles de l’article R. 1452-8 du code du travail dans sa version applicable au présent litige (le conseil de prud’hommes a été saisi avant le 1er août 2016), en vertu desquelles « en matière prud’homale l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. ».
La société [V] soutient que les premiers juges avaient mis à la charge des parties par jugement en date du 24 juin 2011 des diligences qui n’ont pas été accomplies dans les deux ans, et que M. [Y] n’a déposé des conclusions récapitulatives et des pièces que lors de l’audience du 31 mars 2017. Elle ajoute que le CGEA de Nancy avait soulevé la péremption de l’instance, moyen qui n’a pas été examiné par le conseil, dès lors qu’il a mis hors de cause l’organisme de garantie.
M. [Y] rétorque que le jugement du 24 juin 2011 est mixte comme ayant statué sur la péremption d’instance, et que la péremption ne peut atteindre l’instance qui se poursuit avant dire droit.
La cour rappelle que le moyen de péremption constitue un incident qui affecte l’instance et qui doit à peine d’irrecevabilité être invoqué in limine litis à compter du moment où la péremption est acquise, avant tout autre moyen et défense au fond.
Ainsi la péremption doit être soulevée dans les premières conclusions postérieures à l’expiration du délai de péremption.
La société [V] précise elle-même qu’elle n’a pas soulevé la péremption devant le premier juge. Elle mentionne en effet que le premier juge n’a pas statué sur ce moyen soulevé par le CGEA de Nancy, partie intervenante qui a été mise hors de cause.
La société [V] ne peut donc valablement se prévaloir à hauteur de cour de la péremption de l’instance, alors qu’elle avait soutenu des prétentions au fond devant les premiers juges, et sur lesquelles il a été statué, d’où son appel principal partiel.
De surcroît si la société [V] mentionne dans le corps de la motivation de ses écritures que l’exception de péremption est soulevée in limine litis, le dispositif de ses écritures sollicite en premier lieu la confirmation partielle, ce qui implique l’évocation du fond du litige.
L’exception de péremption d’instance soulevée par la société [V] en cause d’appel sera en conséquence déclarée irrecevable.
Sur la prescription de l’action en rappels de salaires et accessoires de salaires
La société [V] se prévaut des dispositions des articles 2277 du code civil et L. 143-14 du code du travail, qui prévoient un délai de cinq ans au soutien de la prescription des actions en rappels de salaires et accessoires.
La société [V] considère dans ses écritures que « Compte tenu des multiples radiations intervenues en l’espèce, compte tenu du défaut de diligences de M. [Y], ses demandes en rappel de salaires, accessoires de salaires et au titre des repos compensateurs étaient prescrites. ».
Or, comme le rappelle avec pertinence M. [Y], dès lors que le cours de la prescription a été interrompu par l’introduction de l’instance prud’homale, la radiation de l’affaire est sans effet sur la poursuite de cette interruption, étant observé que M. [Y] a formulé des demandes de rappels de salaires au titre d’heures supplémentaires et de repos compensateur dès sa saisine du conseil de prud’hommes le 17 mai 1994.
Cette fin de non-recevoir tirée d’une prescription des actions en paiement de salaires et accessoires est rejetée.
Sur les demandes de M. [Y] au titre de l’exécution de son contrat de travail
Il est constant que M. [Y] a été employé en exécution d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 septembre 1988 (aucun contrat écrit n’est produit par les parties) par la société [V] en qualité de monteur téléphone jusqu’au 8 janvier 1993, et qu’il était rémunéré à hauteur d’un salaire mensuel brut de base de 5 800 francs pour 169 heures de travail mensuel.
Sur la demande d’indemnisation des congés payés non pris
M. [Y] a soutenu devant les premiers juges qu’il disposait d’un solde de congés payés de 75,625 jours sur une base de 110 jours acquis au titre de la relation de travail, qu’il évaluait à la somme de 3 459 euros selon un calcul retenant 35 jours de congés pris durant une période courant de janvier 1989 à janvier 1993 (pièce n°14 de l’intimé).
Les premiers juges ont rappelé qu’aux termes de l’article L. 223-2 du code du travail en sa version alors applicable au litige, le salarié qui justifie avoir chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum d’un mois de travail effectif a droit å un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail, la durée totale du congé exigible ne pouvant excéder trente jours ouvrables.
La cour reprend pour sienne l’analyse des fiches de salaires relatives à la période d’embauche de juin 1989 à janvier 1993 (pièces n°23 de l’intimé) qui a été faite par les premiers juges, qui ont retenu un reliquat de 23 jours de congés payés, compte tenu de l’acquisition par M. [Y] de 120 jours de congés payés sur une durée de quatre ans (4 x 30), dont à déduire 97 jours au des congés payés pris ou ayant donné lieu à régularisation.
Les premiers juges ont fixé l’indemnisation du reliquat de 23 jours de congés payés en considération d’un salaire horaire de 5,05 euros, appliqué en 1992, et d’une durée de travail de 7,80 heures dans le cadre d’une durée hebdomadaire de travail de 39 heures, et ont alloué à M. [Y] la somme de 905,97 euros.
La société [V] demande l’infirmation du jugement en argumentant son recours par la seule affirmation de ce que ”le salarié a été entièrement couvert de ses droits”.
M. [Y] sollicite quant à lui la confirmation de la décision entreprise qui a donc partiellement fait droit à ses prétentions.
En l’absence de toute critique du détail des droits du salarié résultant, pour chaque année d’embauche des congés acquis, des congés pris, et des montants perçus par le salarié au titre des régularisations des jours de congés non pris, et en l’absence de toute démonstration développée par la société [V] au soutien de sa contestation du chiffrage retenu par les premiers juges, la décision déférée sera confirmée.
Sur la demande de paiement d’heures supplémentaires
La cour rappelle que M. [Z] [Y] réclamait auprès des premiers juges une somme de 28 411,11 euros au titre d’heures supplémentaires impayées de janvier 1989 à janvier 1993 outre 2 844,11 euros de congés payés afférents, et que la société [V] soutenait le débouté des prétentions du salarié.
Les premiers juges ont alloué à M. [Y] une somme de 21 634,80 euros brut à titre de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires impayées, outre 2 163,80 euros brut de congés payés afférents. M. [Y] sollicite la confirmation de la décision déférée.
A l’appui de son appel, la société [V] se prévaut de ce que le jugement querellé fait à tort référence aux dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, alors que la demande de M. [Y] concerne une période antérieure à la loi du 31 décembre 1992, et qu’il appartenait au salarié non pas de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande mais d’en rapporter la preuve.
La société [V] considère par ailleurs que les éléments de preuve fournis par M. [Y] ne sont pas de nature à étayer sa demande, et que les premiers juges ont dénaturé les déclarations formulées par les parties telles qu’elles ressortent du rapport de l’enquête effectuée au cours de la procédure de premier ressort.
La cour rappelle que la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 a institué l’article L. 212-1-1 du code du travail, devenu après recodification l’article L. 3171-4, qui stipule : « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Si avant ce texte, aucune disposition du code du travail ne régissait la charge de la preuve des heures supplémentaires, de sorte qu’était applicable en la matière l’article 1315 (devenu 1353) du code civil, la cour rappelle que les règles qui gouvernent les modes de preuve sont celles en vigueur au jour où le juge statue, qu’il n’en est autrement qu’en ce qui concerne les preuves préconstituées, qui sont soumises aux règles en vigueur au jour de l’acte, et qu’en l’espèce M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes le 17 mai 1994, soit bien après l’application de la loi du 31 décembre 1992, pour réclamer des heures supplémentaires impayées effectuées jusqu’au mois de janvier 1993.
La cour rappelle également qu’il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande de paiement d’heures supplémentaires, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables.
La cour dispose des mêmes documents que ceux soumis aux premiers juges, et retient :
– que M. [Y] a évalué la durée de ses journées de travail à 12 heures, soit de 7H00 – 7H30 à 19H30 environ, en considération du nombre de clients à visiter chaque jour tel qu’apparaissant sur les grilles journalières produites aux débats, suite à leurs saisies à la demande du salarié par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Metz en date du 13 octobre 1995 (pièces n° 21 et n° 2 de l’intimé) ;
– que les mentions portées sur ces grilles journalières ne comportent aucune indication d’horaires ni de durée d’intervention pour chaque client, mais seulement la liste des clients devant être visités et des mentions relatives à la nature des interventions ;
– que M. [Y] a produit à l’appui de ses demandes un tableau récapitulatif des heures supplémentaires (pièce n°15 de l’intimé), ainsi que les attestations de deux anciens salariés de la société [V], soit M. [L] [F] qui confirme l’accomplissement d’heures supplémentaires « comprises dans les déplacements journaliers » selon les propos mêmes qui ont été tenus en sa présence à M. [Y] par le gérant (pièce n°12 de l’intimé), et M. [W] [I] qui indique que les horaires de travail quotidiens « étaient de 7H15 à 19H15 » (pièce n°13 de l’intimé) ;
– que si la société [V] conteste la pertinence et la valeur probante des éléments produits par le salarié, notamment quant au nombre de clients qui étaient effectivement visités par M. [Y], Elle ne fournit parmi ses 7 pièces aucun élément relatif au suivi du temps de travail de M. [Y];
– que le rapport de l’enquête qui a été effectuée le 16 novembre 2001 en exécution d’un jugement avant dire droit du conseil de prudhommes de Metz en date du 13 septembre 2001, révèle que M. [L] [F] a lors de son audition déclaré que l’ensemble des salariés effectuait des heures supplémentaires payées sous forme de primes, que M. [Y] a indiqué que les indemnités kilométriques mentionnées sur ses fiches de salaires « correspondent à une prime de rendement » et que les primes exceptionnelles correspondent à « du travail mécanique effectué le week-end », et que Mme [E], gérante de la société [V], a déclaré que « les primes de rendement correspondent aux déclarations de M. [Y] » et que « les primes exceptionnelles sont des primes de chantier » et a soutenu que les salariés « n’ont jamais demandé d’heures supplémentaires » (pièce n°5 de l’intimé).
Aussi la société [V] n’émet aucune contestation quant au chiffrage retenu par le premier juge, qui a alloué à M. [Y] la somme de 21 634,80 euros au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires impayées augmentées des congés payés afférents, après avoir observé que s’il est constant que les heures supplémentaires effectuées par les salariés de la société [V] ont pour partie été réglées au moyen de primes, il est tout aussi constant que les heures supplémentaires ne peuvent aucunement être valablement rémunérées de la sorte et que l’employeur n’a procédé à aucun règlement des heures supplémentaires, en tant que telles, accomplies par le demandeur.
En conséquence, au vu de ces données constantes, les dispositions du jugement querellé seront également confirmées sur ce point.
Sur le repos compensateur
Les premiers juges ont alloué à M. [Y] la somme de 11 977,34 euros à titre de repos compensateur, outre la somme de 1 197,73 euros au titre des congés payés afférents.
Si la société [V] conteste également ces dispositions, c’est au regard de sa seule remise en cause de celles relatives à l’octroi à M. [Y] de montants au titre des heures supplémentaires.
Le jugement déféré sera donc également confirmé à ce titre.
Sur la demande de remboursement des frais de déplacement.
La société [V] sollicite à hauteur de cour le remboursement de la somme de 21 634,80 euros perçue par M. [Y] au titre des frais de déplacement, en liant cette prétention subsidiaire à l’octroi au salarié du même montant au titre des heures supplémentaires, et en considérant que les montants versés par elle à ce titre « seraient dès lors dépourvus de contrepartie ».
La cour observe que ce seul argument émis par la société appelante est insuffisant, ce d’autant plus que la société [V] évoque elle-même dans ses écritures l’organisation des journées de travail de M. [Y] en mentionnant que « les programmes étaient groupés géographiquement afin d’éviter les grands déplacements », et qu’il ressort des données du débat que M. [Y] bénéficiait d’un véhicule de service pour effectuer ses tournées.
En conséquence cette prétention sera rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé
Les premiers juges ont fait droit aux prétentions de M. [Y] à ce titre en lui allouant la somme de 933,33 euros, après avoir retenu que la société [V] a mis en place un système de règlement des heures supplémentaires accomplies par ses salariés sous la forme de primes, et qu’une telle démarche destinée à ne pas procéder au règlement, en tant que telles, des heures supplémentaires effectuées par ses salariés, établit le caractère intentionnel de la dissimulation à l’obligation de rémunérer en tant que telles les heures supplémentaires.
La société [V] conteste ces dispositions sans toutefois émettre une autre argumentation que celle relative au rejet des prétentions du salarié au titre des heures supplémentaires, et ce malgré les éléments acquis au débat, tels qu’ils ressortent notamment de la mesure d’enquête ordonnée par les premiers juges.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé dans ces dispositions.
Sur les demandes de M. [Y] au titre de la rupture des relations contractuelles
Par un document manuscrit dont le seul exemplaire produit par la société [V] (pièce n°1) est une photocopie peu lisible qui ne permet pas d’en déterminer la date mais qui comporte quelques passages lisibles et notamment le ”motif : lettre de démission”, M. [Y] a indiqué à son employeur que « suite à notre entretien de ce cinq janvier et d’un commun accord,’ »’ « je vous rappelle qu’à compter’ » il sollicitait ses documents de fin de contrat.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l’analyser en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d’une démission.
Au soutien des manquements de l’employeur M. [Y] fait état en premier lieu de ce qu’il lui était très difficile voire impossible de prendre ses congés, et illustre cet état de fait en évoquant des congés pris à compter du 1er septembre 1992, qui ont été remis en question par la venue du gérant de la société [V] à son domicile le jour de son départ en vacances. M. [Y] soutient que suite à son refus son employeur l’a menacé de sanction, et qu’à son retour de congés il n’a plus occupé le même poste, qu’il s’est vu supprimé le véhicule mis à sa disposition ainsi que son indemnité de déplacement journalier qui a été diminuée de 165 francs à 100 francs alors que kilométrage effectué dans la journée était doublé, d’où une perte de salaire de 1 300 francs.
M. [Y] se prévaut témoignage de M. [F] qui atteste «’que M. [Y] a été contraint de reculer sa date de congés payés pour la 3ème fois consécutive. La nouvelle date ne semblait pas convenir à M. [H], donc il a sanctionné Mr [Y], à son retour de congés il ne faisait plus partie du même service.» ( pièce n° 12 de l’intimé).
M. [Y] fait état en second lieu de ce que la société [V] a mis en place un système de rémunération d’heures supplémentaires sous forme de primes, réalité non contestée par la société appelante.
Il convient de rappeler que l’écrit par lequel le salarié prend l’initiative de mettre fin au contrat de travail ne fixe pas les limites du litige.Ainsi l’argument avancé par la société [V] au soutien du rejet des prétentions du salarié, soit que la lettre de démission ne comporte aucun manquement reproché à l’employeur, est parfaitement inopérant.
Il a été retenu ci-avant que la société [V] a commis des manquements tant au titre des droits à congé du salarié qu’au titre de sa rémunération, ouvrant droit à des rappels de rémunérations conséquents au profit de M. [Y].
Les manquements de la société [V] à ses obligations contractuelles sont donc avérés, et portent notamment sur des éléments essentiels du contrat de travail, à savoir les droits à congés et la rémunération du salarié. Ils ont perduré pendant plusieurs années jusqu’à la démission de M. [Y], si bien qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque.
La démission du salarié s’analyse donc une prise d’acte de rupture prononcée aux torts exclusifs de l’employeur ayant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence il sera fait droit aux prétentions de M. [Y] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Au regard de l’ancienneté et du niveau de rémunération de M. [V] au moment de la rupture, et compte tenu de l’évolution sa situation professionnelle de laquelle il ressort qu’il a démissionné pour débuter un autre emploi sans avoir à connaître de période d’inactivité professionnelle, il lui sera alloué la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Conformément aux dispositions du code du travail applicables au présent litige (anciens article L. 122-6 et L. 122-9 du code du travail), M. [Y] qui au vu de son ancienneté au moment de la rupture d’une ancienneté de services continus de plus de deux ans peut prétendre aux montants qu’il chiffre au titre des indemnités de rupture, se verra allouer la somme de 2 440 euros brut au titre de l’indemnité de préavis outre 244 euros brut de congés payés afférents, et la somme de 609,80 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement.
Le jugement déféré sera également infirmé en ce sens.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement déféré seront confirmées en ce qu’il a fait application de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de M. [Y], et en ce qu’il a condamné la société [V] aux dépens.
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel ; il y a lieu de lui allouer une somme de 2 000 euros à ce titre.
Il n’est pas contraire à l’équité de laisser à la charge de la société [V] qui succombe en son recours ses frais irrépétibles ; sa demande à ce titre sera rejetée, et elle sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare irrecevable l’exception de péremption soulevée par la société [V] ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée d’une prescription des actions en paiement de salaires et accessoires ;
Confirme le jugement rendu le 15 décembre 2017 par le conseil de prud’hommes de Metz en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] [Y] de ses prétentions au titre de sa démission ;
Statuant à nouveau sur ce point, et y ajoutant :
Dit que la démission de M. [Z] [Y] s’analyse en une prise d’acte de la rupture aux torts exclusifs de l’employeur qui a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SARL [V] à payer à M. [Z] [Y] les sommes de :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 440 euros brut au titre de l’indemnité de préavis ;
– 244 euros brut de congés payés sur préavis ;
– 609,80 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
Condamne la SARL [V] à payer à M. [Z] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Rejette les prétentions de la SARL [V] de remboursement par M. [Y] de la somme de 21 634,80 euros au titre des frais de déplacement ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de la SARL [V] ;
Condamne la SARL [V] aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente