Péremption d’instance : 10 mai 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 22/00221

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Péremption d’instance : 10 mai 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 22/00221
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Arrêt N°23/

FA

R.G : N° RG 22/00221 – N° Portalis DBWB-V-B7G-FVE7

[Z]

[Y] [A]

S.E.L.A.R.L. [V]

C/

[K]

[K]

[G]

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE SAINT DENIS

COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS

ARRÊT DU 10 MAI 2023

Chambre commerciale

Appel d’un jugement rendu par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT PIERRE en date du 22 FEVRIER 2022 suivant déclaration d’appel en date du 02 MARS 2022 rg n°: 2016003706

Appel d’un jugement rendu par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT PIERRE en date du 26 OCTOBRE 2021 suivant déclaration d’appel en date du 14 MARS 2022 rg n°: 2016003706

APPELANTS :

Madame [T] [M] [Z] épouse [L] [I]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION – Me Lorans CAILLERES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [O] [H] [Y] [A]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION – Me Lorans CAILLERES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.E.L.A.R.L. [V] La SELARL [C] et [R] [V], Mandataires judiciaires, domiciliée au [Adresse 7]), prise en la personne de Maître [R] [V], Mandataire Judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP, société à responsabilité limitée dont le siège est sis [Adresse 1]), immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Saint Pierre sous le numéro 539 126 466, désignée à ces fonctions par jugement rendu le 2 juin 2015 par le Tribunal mixte de commerce de Saint Pierre

[Adresse 7]

[Localité 10]

Représentant : Me Sophie LE COINTRE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur [B] [K]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représentant : Me Jean claude DULEROY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Monsieur [J] [K]

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représentant : Me Jean claude DULEROY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Monsieur [X] [E] [W] [G], en qualité de gérant de la société SMTP

[Adresse 3]

[Localité 8]

PARTIE INTERVENANTE FORCEE :

ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 10]

[Adresse 2]

[Localité 10]

DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 février 2023 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère

Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 19 avril 2023 prorogé par avis au 10 mai 2023.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le  10 mai 2023.

Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.

* * * * *

LA COUR

La Sarl Entreprise [K] [B], devenue depuis le 2 juin 2014 la Sarl SMTP, a été constituée le 17 janvier 2012 sous la forme d’une société à responsabilité limitée au capital social de 1.000 euros afin d’exploiter une activité de travaux de réseaux et voies divers. Ont été désignés co-gérants, M. [B] [K] et [J] [K], lesquels ont cédé, selon acte notarié en date du 1er octobre 2013, leurs parts sociales à la société civile Société Réunionnaise de Travaux Public (SRTP), appartenant aux époux [T] [Y] [A] (Mme [L]) et [O] [Y] [A] (M. [L]) qui se sont portés cautions solidaires du prêt souscrit aux fins de financer l’acquisition et une augmentation de capital dans la société SRTP.

Le prix de cession a été fixé à la somme de 700.000 euros, outre la part variable de 120.000 euros et le remboursement de la créance de compte courant d’associé détenu par M. [B] [K] dans les comptes de la société, à hauteur de 150.000 euros, soit une somme minimum de 850.000 euros.

La société civile SRTP est alors la holding qui détient l’ensemble du capital de la société SMTP, lequel est détenu par Mme [T] [L] à hauteur de 45% et, M. [O] [L] à hauteur de 55 %.

A compter du 1er octobre 2013, les époux [L] ont exercé conjointement la gérance de la société SMTP, et ce jusqu’au 30 mai 2014. Par la suite, c’est Mme [L] qui a assumé seule la gérance jusqu’au 1er février 2015 puis, son mari, qui a pris sa place jusqu’au 23 mars 2015, étant précisé que M. [O] [L] a procédé à une déclaration de cessation des paiements de la société SMTP, le 8 mars 2015.

Par jugement du 10 mars 2015, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société SMTP et désigné la Selarl [C] et [R] [V] en qualité de mandataire judiciaire, la mission étant conduite par Maître [R] [V]. Ce même jugement a désigné la Scp Caviglioli Baron Fourquie en qualité d’administrateur judiciaire avec mission d’assistance et, fixé provisoirement la date de cessation des paiements de la société SRTP au 10 novembre 2014. M. [X] [G] a également été désigné en qualité de gérant de ladite société, ce afin de tenter de redresser son activité. Il a alors pris la suite de M. [L] à compter du 23 mars 2015.

Malgré cela, a été sollicitée la conversion du redressement judiciaire de la société SMTP en liquidation judiciaire, laquelle a été ordonnée par jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en date du 2 juin 2015. Ce même jugement a mis fins aux fonctions de la Scp Caviglioli Baron Fourquie ès-qualités et désigné la Selarl [C] et [R] [V] en qualité de liquidateur judiciaire, la mission demeurant conduite par Maître [R] [V].

Par jugement du 1er décembre 2015, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a reporté la date de cessation des paiements de la société SMTP au 10 septembre 2013.

Par acte en date des 6 et 8 décembre 2016, la Selarl [V] prise en la personne de Maître [R] [V], es qualité de mandataire liquidateur de la Sarl SMTP, a assigné devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre statuant en matière de sanctions, M. [B] [K], M. [J] [K], Mme [T] [L], M. [O] [L] et M. [X] [G] aux fins de les voir solidairement condamner au paiement d’une somme de deux millions d’euros au titre de leur responsabilité dans l’insuffisance d’actif et de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec le prononcé de l’exécution provisoire a minima pour la somme de 200.000 euros.

Dans le cadre de cette instance, le tribunal a été sollicité afin qu’il ordonne le sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir dans l’instance que les époux [L] avaient engagée à l’encontre des consorts [K] sur le dol de la cession des parts de la société intervenue le 1er octobre 2013.

Par jugement en date du 6 mars 2018, la juridiction commerciale a fait droit à la demande de sursis et ordonné la réouverture des débats à l’audience du 5 juin 2018.

Par jugement du 24 avril 2018, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion a débouté la société SRTP de sa demande de nullité de la cession des parts sociales détenues par les Consorts [K] dans le capital de la société SRTP.

Par un arrêt du 29 janvier 2021, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a confirmé le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions. La société SRTP a formé un pourvoi en cassation à l’égard de cet arrêt, par déclaration formée le 26 mars 2021, et il demeure pendant devant la chambre commerciale de la Cour de cassation.

Les époux [L] ont saisi le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre d’un incident de péremption de l’instance introduite par la Selarl [V] ès qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP et, par jugement avant dire droit en date du 26 octobre 2021, la juridiction saisie a constaté que l’action de la Selarl [V] à l’encontre de M. [B] [K] et M. [J] [K], Mme [T] [L], M. [O] [L] et M. [X] [G], n’était pas éteinte et renvoyé l’examen du dossier à l’audience de sanctions du 2 novembre 2021.

A la suite de cette dernière audience, la juridiction commerciale de [Localité 8], dans sa décision du 22 février 2022, a statué en ces termes :

REJETTE la demande de sursis à statuer formée par les époux [L] ;

DEBOUTE la Selarl [V], prise en la personne de Maître [R] [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP, de l’ensemble de ses demandes ;

DECLARE la demande de prononcé d’une mesure de faillite personnelle irrecevable ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la Selarl [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP aux entiers dépens de la présente instance.

*

La Selarl [V], par déclaration d’appel enregistrée au greffe le 2 mars 2022, a interjeté appel du jugement rendu le 22 février 2022 et sollicité son infirmation.

Le 14 mars 2022, par déclaration au greffe, les époux [L] ont interjeté appel du jugement du 26 octobre 2021 pour en solliciter l’infirmation, et se sont également constitués intimés. Par cette même déclaration, ils ont également entendu obtenir la réformation du jugement du 22 février 2022 en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Les époux [L] ont communiqué par RPVA le 24 mars 2022 leurs premières conclusions, auxquelles les autres parties ont répondu selon les mêmes formes, pour la Selarl [V] le 26 avril 2022, puis pour M. [B] [K] et M. [J] [K] le 4 mai 2022, étant précisé que la déclaration d’appel et leurs conclusions ont été notifiés par RPVA à l’avocat de la Selarl [V] le 1er avril 2022, et à l’avocat de Mrs [K] le 9 avril 2022.

Par ordonnance du 16 mai 2022 portant avis de fixation de l’affaire à bref délai, il a été fait application de l’article 904-1 du code de procédure civile, l’audience étant fixée au 21 septembre 2022.

Par acte d’huissier en date du 2 mai 2022, les conclusions de la Selarl [V] ont été signifiées à l’association UNEDIC-DELEGATION AGS CGEA de [Localité 10] en sa qualité de contrôleur de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl SMTP ainsi qu’à M. [X] [G] en sa qualité de gérant de ladite Sarl.

Par acte d’huissier du 18 mai 2022, les consorts [K] ont signifié leurs conclusions à l’UNEDIC-DELEGATION AGS CGEA de [Localité 10] et, le 19 mai 2022 selon les mêmes formes à M. [X] [G].

Par actes d’huissier datés du 24 mai 2022 et du 27 juin 2022, les appelants ont signifié à M. [X] [G] la déclaration d’appel, l’avis de fixation et les conclusions d’appelants.

Ni M. [X] [G] (intimé), ni l’association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA (partie intervenante) de [Localité 10] n’ont constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 08 février 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS

Selon conclusions en réplique et récapitulatives enregistrées par RPVA le 25 mai 2022, les appelants sollicitent de la cour de :

Vu les articles 378 et suivants, 386 et suivants du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée,

– ORDONNER la jonction de la présente instance avec celle pendante devant la chambre commerciale de la cour de céans sous le n° de RG 22/00221,

A TITRE PRINCIPAL :

– INFIRMER le jugement avant-dire droit rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion le 26 octobre 2021 en ce qu’il a :

– CONSTATE que l’action de la Selarl [V], es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP, à l’encontre de Mrs [B] et [J] [K], de Mme [T] [M] [Z] épouse [L] [I], de M. [O] [H] [Y] [A] et de M. [X] [G] n’est pas éteinte;

– RENVOYE l’examen du dossier à l’audience de sanctions du 2 novembre 2021 à 14H00 ;

– RESERVE les dépens

– INFIRMER le jugement au fond rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion le 22 février 2022 en ce qu’il a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

STATUANT A NOUVEAU :

– CONSTATER la péremption de l’instance introduite par la Selarl [V] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP par exploit d’huissier du 6 décembre 2016, enrôlée devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre sous le n° 2016003706,

EN CONSEQUENCE,

– DECLARER éteinte l’instance introduite par la Selarl [V] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP par exploit d’huissier du 6 décembre 2016, enrôlée devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre sous le n° 2016003706,

– CONDAMNER la Selarl [V] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP à payer à M. [O] [L] et à Mme [M] [L] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer en première instance,

– CONFIRMER le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion (RG n° 2016003706) en ce qu’il a:

– DEBOUTE la Selarl [V], prise en la personne de Maître [R] [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP, de l’ensemble de ses demandes ;

– DECLARE la demande de prononcé d’une mesure de faillite personnelle irrecevable ;

– CONDAMNE la Selarl [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP aux entiers dépens de la présente instance ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

– DIRE n’y avoir lieu à l’application de l’article L. 651-2 du code de commerce à l’égard de M. [O] [L] et de Mme [M] [L], et, statuant à nouveau,

– DEBOUTER la Selarl [V], prise en la personne de Maître [R] [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société SMTP, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

– CONDAMNER la Selarl [V] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP à payer à M. [O] [L] et à Mme [M] [L] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer en cause d’appel,

– CONDAMNER la Selarl [C] et [R] [V] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société SRTP aux entiers dépens de l’instance et autoriser Maître Isabelle MERCIER BARRACO, avocat au Barreau de Saint-Denis, à en recouvrer le montant, pour ceux-là concernant, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

A l’appui de leurs prétentions, les appelants font valoir qu’en l’absence de diligences interrompant le délai de péremption, cette péremption a été acquise le 24 avril 2019, à tout le moins le 24 avril 2020 ou en tout état de cause le 6 juin 2020.

Ils ajoutent sur le fond que :

– Le montant de l’insuffisance d’actif de la société SMTP s’élève à la somme de 2.822.344,72 euros et non 3.375.965,42 euros ;

– Aucune faute de gestion n’est à leur encontre caractérisée :

Sur l’absence d’une comptabilité incomplète et non sincère, le commissaire aux comptes a certifié les comptes annuels et n’a fait qu’émettre une réserve portant sur la valorisation des stocks à la somme de 138.360 euros ; en outre, il n’est pas rapporté la preuve que la comptabilité n’était pas tenue au fil de l’eau ;

Sur l’insuffisance dans la gestion de la société, les causes à l’origine des difficultés de la société SMTP sont structurelles et découlent de décisions de gestion qui ne sont pas imputables aux consorts [L] ;

Sur l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, l’état de cessation des paiements date du 10 septembre 2013 et se trouve donc être antérieur à la cession des parts sociales, sans compter que la preuve du caractère volontaire de l’omission de déclaration n’est pas rapportée ;

Sur la poursuite abusive de l’activité déficitaire dans l’intérêt personnel des époux [L], celle-ci doit être écartée parce que, tout d’abord, l’exploitation déficitaire de la société débitrice s’est poursuivie moins de deux années ; ensuite, parce que le détail des créances a été surévalué ; enfin, parce qu’il n’existe pas de flux anormaux au bénéfice de sociétés dans lesquelles les époux [L] possèdent des intérêts ;

Les époux [L] ont multiplié leurs engagements personnels afin de garantir le financement de l’activité de la société SMTP et cela a permis de diminuer à due concurrence le passif de la société SMTP ;

Sur l’absence de détournement des actifs, la qualification d’abus de biens sociaux doit être écartée, tout comme celle de banqueroute par détournement d’actif en ce que les époux [L] n’avaient pas connaissance de l’état de cessation des paiements de la société SMTP ;

Sur la retenue du précompte salarial, si tant est qu’une telle retenue (contribution salariale de 87.051 euros non reversée à la CGSS) constitue une faute de gestion, il n’est pas démontré qu’elle ait contribué à l’aggravation de l’insuffisance d’actif (pas de majorations de retard générées) ;

– Le liquidateur judiciaire ne démontre pas que les fautes de gestion sont la cause de l’aggravation de l’insuffisance d’actif :

Aucun élément ne prouve que l’augmentation irrationnelle des charges de personnel a creusé le passif puisqu’il a été nécessaire de répondre aux besoins de chacun des marchés nouvellement souscrits ;

– La condamnation à supporter tout ou partie du montant de l’insuffisance d’actif est inopportune, et ce par application du principe de proportionnalité à observer entre le montant de la condamnation mise à la charge du dirigeant et le nombre et la gravité des fautes de gestion relevées à son égard mais aussi au regard de la situation personnelle des dirigeants fautifs ; les époux [L] supportent déjà de lourdes conséquences financières eu égard à leurs engagements de caution qu’ils ont souscrits ;

– La demande de prononcé d’une mesure de faillite personnelle est irrecevable au motif que le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre n’a pas été saisi initialement d’une telle demande (le mandataire liquidateur avait seulement sollicité la condamnation des époux [L] au paiement de la somme de 2.000.000 euros) et ce n’est que pour l’audience du 2 novembre 2022 que le ministère public et le liquidateur ont formulé une telle demande.

* * *

En réplique, selon conclusions enregistrées par RPVA le 26 avril 2022, la Selarl [V] demande à la cour :

Vu l’article L. 651-2 du code de commerce,

Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,

A TITRE PRINCIPAL,

– DECLARER irrecevable l’appel interjeté le 14 mars 2022 par les époux [L] [I] inscrit sous le numéro RG 22/00273,

A TITRE SUBSIDIAIRE,

– CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement n° 21/797 rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre le 26 octobre 2021,

– INFIRMER le jugement n° 22/118 rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre le 22 février 2022 uniquement en ce qu’il a débouté la Selarl [V], prise en la personne de Maître [R] [V], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP de sa demande de condamnation solidaire de Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et de M. [O] [H] [Y] [A] au paiement de la somme de deux millions d’euros au titre de leur responsabilité dans l’insuffisance d’actif de la société SMTP, sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce, ainsi que de sa demande de condamnation au paiement des entiers dépens et frais irrépétibles,

– CONFIRMER le jugement n° 22/118 rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre le 22 février 2022 pour le surplus,

STATUANT A NOUVEAU,

– JUGER que Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A], ont chacun et ensemble commis en leurs qualités de gérants de la société SMTP des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif et, en conséquence,

– CONDAMNER solidairement Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A] au paiement de la somme de deux millions d’euros (2 000 000 €) au titre de leur responsabilité pour insuffisance d’actif,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

– CONDAMNER solidairement Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER solidairement Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A] au paiement des entiers dépens, en ce compris notamment le droit de timbre pour 225 euros.

Au soutien de ses prétentions, le mandataire judiciaire fait valoir sur la forme que :

– le délai de 10 jours pour interjeter appel n’a pas été respecté ;

– dans la décision du 6 mars 2018, le sursis à statuer est motivé par l’attente d’un événement à intervenir conformément à l’article 392 du code de procédure civile, puis qu’au regard du lien de dépendance direct et nécessaire avec l’instance en nullité de la cession des parts sociales, les diligences accomplies par une partie dans une instance interrompent la péremption de l’autre instance en application de l’article 386 du même code.

Sur le fond, il précise que:

– l’insuffisance d’actif s’élève hors contestation à la somme de 3.375.965,42 euros et s’explique par plusieurs fautes de gestion :

Une comptabilité incomplète et dénuée de sincérité ;

Une incurie manifeste dans la gestion de la société ;

Des cessions d’actifs indispensables à l’activité en période suspecte, notamment des cessions d’immobilisations corporelles entre janvier 2015 et mars 2015 ;

L’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal ;

La poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, laquelle résulte des éléments comptables et de la date de cession des paiements retenue ;

La retenue du précompte salarial ;

– s’agissant du principe de proportionnalité, la gravité des fautes de gestion a entraîné un préjudice conséquent, et que les époux [L] n’ont jamais justifié ni de la portée de leurs engagements puis qu’ils ne sauraient être considérés comme des néophytes dans la gestion d’entreprise.

* * *

Selon conclusions enregistrées par RPVA le 4 mai 2022, M. [B] [K] et M. [J] [K] souhaitent voir la cour :

Vu le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre le 26 octobre 2021,

Vu le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre le 22 février 2022,

Vu l’appel interjeté par Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A],

Vu l’article L 651-2 du code de commerce,

Vu les pièces produites,

– STATUER ce que de droit concernant la recevabilité de l’appel interjeté par Mme [T] [M] [Y] [A] née [Z] et M. [O] [H] [Y] [A],

– DONNER ACTE à Mrs [B] et [J] [K] de ce qu’ils s’en rapportent sur la demande des consorts [L] tendant à voir la cour déclarer éteinte l’instance introduite par la Selarl [V], es qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP, pour cause de péremption de l’instance,

ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, si la Cour rejetait la demande des consorts [L] relatives à la péremption de l’instance,

– CONFIRMER le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en ce qu’il a débouté la Selarl [R] [V] de ses demandes à l’encontre de M. [B] [K] et de M. [J] [K],

– CONFIRMER le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de prononcé d’une mesure de faillite personnelle à l’encontre de Mrs [B] et [J] [K],

ET Y AJOUTANT,

– CONDAMNER toute partie succombant à payer à Mrs [B] et [J] [K] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– CONDAMNER toute partie succombant aux entiers dépens de l’instance.

Pour justifier leur position, ils arguent que :

– la mise en liquidation d’une personne morale de droit privé, visée par l’article L. 651-2 du code de commerce, ne leur est pas imputable ;

– ils n’étaient pas gérants de droit ou de fait postérieurement à l’acte de cession des parts sociales:

Ils n’étaient plus gérants de droit à compter du 1er octobre 2013 et non pas à compter du 6 décembre 2013 correspondant à la date de publication des démissions ;

Ils n’ont jamais été les dirigeants de fait de la société SMTP dans la mesure où ils n’ont pas agi en toute indépendance dans les fonctions de direction de la société,

– il n’y avait pas d’insuffisance d’actif à la date de cessation des fonctions de gérant par les consorts [K],

– aucune faute de gestion n’est imputable aux consorts [K] en ce qu’ils ne peuvent se voir reprocher :

D’une part, une déclaration tardive de l’état de cessation des paiements

D’autre part, une poursuite d’activité déficitaire à des fins personnelles :

***

Le ministère public, par avis du 16 septembre 2022, dans le dossier RG 22/273, dit adhérer aux conclusions développées par la Selarl [V] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP ; dans le dossier 22/221, il indique « sous réserve de justification par l’appelant du respect des prescriptions de l’article 905-1 et 905-2 du code de procédure civile (éléments qui n’apparaissent pas sur WinciCA), il y aura lieu de relever la caducité de la déclaration d’appel ».

* * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 15 février 2023 et, mise en délibéré au 19 avril 2023 prorogé par avis au 10 mai 2023.

MOTIFS

A titre liminaire

Il est rappelé qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile «la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif », et que les demandes de « constater », « donner acte » ou « dire et juger » ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des prétentions. Dans ce même ordre d’idée, il est noté que l’avis du ministère public ne comporte aucune prétention.

La cour relève ensuite que la déclaration d’appel se rapportant au jugement du 22 février 2022, et émanant de la Selarl [V], emporte volonté d’infirmation des chefs de jugement relatifs à la condamnation en comblement de passif et confirmation du surplus. Malgré cela, ses prétentions, exprimées dans ses dernières conclusions, se limitent à l’infirmation dudit jugement uniquement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation solidaire de Mme [M] [L] et de M. [O] [L] au titre de leur responsabilité dans l’insuffisance d’actif de la société SMTP.

Pour le surplus, il sollicite la confirmation.

Il s’en déduit donc, d’une part, que les prétentions des consorts [K] sur leurs responsabilités ne sont plus discutées et que la décision du 22 février 2022 s’en trouvera donc de ces chefs confirmée (en effet, la seconde déclaration d’appel, émanant cette fois-ci des consorts [L], tend à contester la décision du 22 février 2022 sur le seul chef des frais irrépétibles et, les consorts [K] demandent la confirmation de leur mise hors de cause) ; d’autre part, que la question de la sanction économique n’est plus remise en cause également, les consorts [K] et les époux [L] sollicitent quant à eux la confirmation de ce chef. Dès lors, ce chef de jugement sera également confirmé.

Par ailleurs, au sujet de la demande de sursis à statuer exprimée en première instance par les époux [L], force est de constater que ces derniers ne la reprennent pas et que la Selarl [V] sollicite la confirmation. Il y sera donc fait droit.

Sur la jonction

Les appelants sont les seuls à solliciter la jonction des procédures.

SUR CE,

L’article 367 du code de procédure civile, lequel dispose : « le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble. Il peut également ordonner la disjonction d’une instance en plusieurs. »

L’article 368 du même code ajoute : « Les décisions de jonction ou disjonction d’instances sont des mesures d’administration judiciaire. »

De l’ensemble, il en résulte que, pour être jointes, les instances doivent être unies par un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble. Il est nécessaire encore que ces instances soient pendantes devant la même juridiction.

Au cas d’espèce, la demande de péremption exprimée dans le cadre de l’appel interjeté contre le jugement avant-dire droit du 26 octobre 2021 justifie à elle seule le lien et l’intérêt visés par les articles précités, puisque si elle devait être acceptée cela aurait des conséquences sur l’issue de l’appel interjeté contre la décision du 22 février 2022.

La jonction des procédures sera donc ordonnée selon les modalités reprises au dispositif.

Sur la recevabilité de l’appel.

Le mandataire saisit la cour d’une demande tendant à voir juger l’appel, interjeté par les époux [L] à l’encontre du jugement avant dire droit du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre du 26 octobre 2021, irrecevable au motif que celui-ci serait intervenu postérieurement à l’expiration du délai de 10 jours suivant la signification du jugement au fond du 22 février 2022.

Les consorts [K] concluent à ce qu’il soit statué ce que de droit tandis que les appelants rétorquent qu’au jour de la déclaration d’appel, soit le 14 mars 2022, aucune signification du jugement sur le fond n’était intervenue de sorte que le délai d’appel n’a jamais commencé à courir.

SUR CE,

L’article R. 661-3 du code de commerce dispose que « sauf dispositions contraires, le délai d’appel des parties est de dix jours à compter de la notification qui leur est faite des décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d’actif, de faillite personnelle ou d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 ».

Au cas d’espèce, force est de constater qu’aucune pièce ne permet de fonder la signification du jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre, ce que reconnaît d’ailleurs le mandataire judiciaire dans ses écritures : « la concluante reste dans l’attente de la part du greffe du procès-verbal de signification du jugement de sanction querellé ».

En l’absence d’une telle justification, le délai de 10 jours visé à l’article R. 661-3 du code de commerce n’a pas commencé à courir.

L’appel sera donc déclaré recevable.

Sur la caducité de la déclaration d’appel

L’analyse des pièces de procédure montre que l’avis du greffe portant fixation de l’affaire à bref délai est daté du 14 mars 2022 et que les époux [L] se sont constitués intimés le même jour. Il convient donc de faire application de l’alinéa second de l’article 905-1 du code de procédure civile qui dispose que « cependant, si entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d’appel, il est procédé par notification à son avocat ». Or, cette notification est intervenue le 11 avril 2022.

Dès lors, les conditions posées par les articles 905-1 et 905-2 du code de procédure civile ont été respectées.

* * *

La cour se trouve donc valablement saisie d’un appel du jugement avant dire droit du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre du 26 octobre 2021 ayant rejeté l’incident de péremption soulevé par les époux [L] ainsi que d’un appel du jugement sur le fond du même tribunal en date du 22 février 2022 en ce qu’il a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles, et d’un appel principal formé par la Selarl [V].

Sur la péremption de l’instance (déclaration d’appel relative au jugement du 26 octobre 2021)

Les appelants font valoir que si l’instance a été suspendue entre le 6 mars 2018 et le jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre en date du 24 avril 2018, relatif à la cession des parts sociales au profit de la société SRTP, aucune diligence interruptive d’instance n’a par la suite été accomplie par les parties, précisant que les demandes de renvoi d’audience, même conjointes, ne sont pas constitutives d’une diligence interrompant le délai de péremption.

En effet, afin d’être interruptive, la diligence procédurale doit être destinée à continuer l’instance. Les appelants ajoutent que le délai de péremption n’a pas été suspendu suivant le jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion du 6 mars 2018 dans la mesure où le dispositif de la décision ne précise pas le terme du sursis à statuer, étant précisé que les motifs ne peuvent suppléer cette carence – autrement dit, seul le dispositif de la décision est de nature à fixer le terme du sursis ; que l’événement déterminé, tel que visé à l’article 392 du code de procédure civile, était constitué de la seule décision des premiers juges et non de l’obtention d’une décision définitive se rapportant à l’action en nullité de la cession de parts sociales.

Dès lors, ils estiment que cette péremption d’instance a été acquise, si ce n’est dès le 24 novembre 2019, à tout le moins le 24 avril 2020 ou en tout état de cause le 6 juin 2020 puisque le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre a débouté la société SRTP de sa demande en nullité de la cession de parts sociales, le 24 avril 2018.

Le mandataire judiciaire explique que, dans la décision du 6 mars 2018, le sursis à statuer est motivé par l’attente d’un événement à intervenir conformément à l’article 392 du code de procédure civile, à savoir la décision se rapportant à la remise en cause de la cession des parts sociales, laquelle est intervenue avec l’arrêt rendu par la cour d’appel de céans le 29 janvier 2021 ; que, de surcroît, le sursis est intervenu à la demande même des appelants en première instance de sorte qu’ils ne peuvent se contredire, ce d’autant plus que la demande de sursis à statuer est en elle-même interruptive du délai de péremption ; que, enfin, le lien de dépendance direct et nécessaire avec l’instance en nullité de la cession des parts sociales impliquent, au visa de l’article 386 du code de procédure civile, que les diligences accomplies par une partie dans une instance interrompent la péremption de l’autre instance ; que ce lien a été reconnu par l’ensemble des parties ainsi que par la juridiction commerciale de première instance statuant en chambre des sanctions ; que, en conséquence, tous les actes de procédure accomplis (déclaration d’appel, conclusions, l’ordonnance de clôture et de fixation des plaidoiries) par les consorts [K] et par les époux [L] aux fins qu’il soit statué sur la nullité des parts sociales ont nécessairement eu pour effet d’interrompre le délai de péremption de l’instance.

Pour ce qui est des consorts [K], ils s’en rapportent sur le bien-fondé de cette demande, ajoutant toutefois qu’au cas où elle serait accueillie, le caractère indivisible de la péremption implique qu’en présence d’une pluralité de parties la péremption sollicitée par l’une éteint l’instance à l’égard des autres.

SUR CE,

Le code de procédure civile prévoit :

– en son article 4 que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois, l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant » ;

– en son article 378 que « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine » ;

– en son article 386 que « l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans » ;

– en son article 392 que « l’interruption de l’instance emporte celle du délai de péremption. Ce délai continue à courir en cas de suspension de l’instance sauf si celle-ci n’a lieu que pour un temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l’expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement ».

Il en résulte, notamment, qu’une diligence procédurale ne peut interrompre la péremption que s’il est constaté qu’elle est de nature à faire progresser l’affaire ou faire avancer le litige vers sa conclusion. Autrement dit, la démarche accomplie doit démontrer la volonté de poursuivre l’instance, traduisant une impulsion processuelle. Et, c’est la dernière de ces démarches qui constitue le point de départ de la péremption de deux ans, sachant qu’un nouveau délai repart à compter de chaque diligence accomplie par l’une ou l’autre partie.

Si, en principe, les actes qui sont accomplis en dehors de l’instance ou dans le cadre d’une autre instance ne sauraient être considérés comme des diligences interruptives de péremption, il existe cependant une réserve lorsque les procédures sont rattachées l’une à l’autre par un lien de connexité direct et nécessaire.

Au cas d’espèce, la procédure objet de la demande de péremption, initialement introduite par la Selarl [V] es qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP par exploit d’huissier devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre aux fins de voir les époux [L] tenus pour responsables en comblement de passif ‘ qui a abouti au jugement du 26 octobre 2021constatant que l’action n’était pas éteinte – présente un lien de dépendance directe et nécessaire avec la procédure introduite devant la même juridiction commerciale qui tend à voir prononcer la nullité de la cession des parts sociales, cette dernière procédure ayant été tranchée par jugement du 24 avril 2018, confirmé par l’arrêt de la cour de céans le 29 janvier 2021.

En effet, ce lien découle :

– tout d’abord, des démarches procédurales suivies ces dernières années par les époux [L] : dans le cadre de l’instance ayant abouti au jugement rendu le 22 février 2022, ils ont ainsi sollicité du tribunal que soit ordonné un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de cassation qui a été saisie à la suite de l’arrêt du 29 janvier 2021, c’est-à-dire dans la procédure relative à la nullité de la cession de parts sociales (pièce n°14 des appelants ‘ exposé du litige, des moyens et prétentions), étant ajouté qu’ils avaient déjà soutenu le même type de demande à l’audience ayant conduit au jugement du 6 mars 2018 rendu par la juridiction de commerce de Saint-Pierre, cette demande tendait alors à voir « surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur le dol de la cession des parts du 1er octobre 2013 » (pièce n°10 des appelants ‘ exposé du litige, des moyens et prétentions) ;

– ensuite, il est manifeste que l’instance en nullité de la cession des parts sociales précède l’instance en sanction mais que son résultat peut avoir une incidence directe sur l’issue de l’action en comblement de passif comme en témoigne la motivation de la cour qui, dans son arrêt du 29 janvier 2021, a analysé une partie des arguments soulevés dans la présente instance pour en tirer des conséquences sur le terrain du dol soutenu par les époux [L].

Ainsi, tous les actes de procédure accomplis par les consorts [K] et par les époux [L] aux fins qu’il soit statué sur la nullité des parts sociales ont eu pour conséquence d’interrompre le délai de péremption de l’instance en sanction. Il en est ainsi :

– de la déclaration d’appel du 4 juin 2018, formalisée contre la décision du 24 avril 2018 ;

– des dernières conclusions des consorts [K] le 14 octobre 2019 ;

– de l’ordonnance de clôture et de fixation des plaidoiries du 25 octobre 2019 ;

– de l’arrêt du 29 janvier 2021.

Il s’en déduit par application de l’article 392 du code de procédure civile précité, que la décision rendue par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion le 29 janvier 2021 – et non pas la décision rendue en première instance qui n’était pas exécutoire par provision ‘ constitue le point de départ reporté du délai de péremption, cette dernière n’étant pas acquise au 26 octobre 2021.

En conséquence, il convient de confirmer en tous points le jugement entrepris du 26 octobre 2021 en ce qu’il a décidé que l’action introduite par la Selarl [V] aux fins de condamnation des appelants en comblement de passif n’était pas éteinte.

Sur l’insuffisance d’actif

Il résulte de l’analyse des pièces versées aux débats que l’insuffisance d’actif certaine telle qu’inscrite au passif de la liquidation de la société SMTP s’élève à la somme de 2.300.000 euros dont 1.160.942 euros de créance CGSS. Les juges de première instance ont tranché en ce sens de sorte que ce chef de jugement sera confirmé.

Sur l’action en comblement de passif (déclaration d’appel relative au jugement du 22 février 2022)

Les époux [L], pour justifier leurs prétentions, exposent dans le détail que :

– Aucune faute de gestion n’est à leur encontre caractérisée, étant précisé que conformément à l’article L. 651-2 du code de commerce en cas de simple négligence la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait ne peut être engagée :

Sur l’absence d’une comptabilité incomplète et non sincère, le commissaire aux comptes a certifié les comptes annuels et n’a fait qu’émettre une réserve portant sur la valorisation des stocks à la somme de 138.360 euros, il n’a pas indiqué que l’inventaire permanent des stocks n’aurait pas été effectué ni qu’aucune procédure de contrôle de l’inventaire des stocks n’aurait été mise en place ; en outre, il n’est pas rapporté la preuve que la comptabilité n’était pas tenue au fil de l’eau, sans compter qu’à la date de clôture de l’exercice 2014 / 2015, les époux [L] n’étaient plus gérants et que les pièces comptables ont été remises à la SCP Caviglioli ainsi qu’à la Selarl [V] ;

Sur l’insuffisance dans la gestion de la société, les causes à l’origine des difficultés de la société SMTP sont structurelles et découlent de décisions de gestion qui ne sont pas imputables aux consorts [L], ces derniers ne pouvaient avoir conscience desdites difficultés lors de la cession des parts sociales ; les consorts [K] ont conservé une indépendance totale dans la gestion et la souscription des marchés de la société SMTP, caractérisée notamment par une délégation pour valider les bons de commande « aux lieu et place de M. [L] », ce qui s’est traduit par la souscription de 22 marchés pour un montant total de 8.096.442,60 euros ; les époux [L] ne disposaient d’aucun élément pouvant laisser supposer que la croissance attendue du chiffre d’affaires de la société SMTP serait mal maîtrisée et, ce d’autant plus qu’ils n’avaient pas le recul nécessaire et que ce n’est qu’à la fin de la mission d’accompagnement des consorts [K] que les difficultés réelles de l’entreprise sont véritablement apparues ; les marchés souscrits par les consorts [K] ont été sous-vendus et ont engendré la nécessité d’un recours accru à la sous-traitance ;

Sur l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, l’état de cessation des paiements date du 10 septembre 2013 et se trouve donc être antérieur à la cession des parts sociales, sans compter que la preuve du caractère volontaire de l’omission de déclaration n’est pas rapportée ; l’ancienneté et l’ampleur des dettes ne sont pas suffisantes de ce point de vue ; la connaissance de l’état de cessation des paiements n’est pas prouvée s’il n’est accompagné d’éléments démontrant le caractère exigé du passif, elle a été effective dans le courant des opérations de liquidation judiciaire ;

Sur la poursuite abusive de l’activité déficitaire dans l’intérêt personnel des époux [L], celle-ci doit être écartée parce que, tout d’abord, l’exploitation déficitaire de la société débitrice s’est poursuivie moins deux années ; ensuite, parce que le détail des créances a été surévalué, il en est ainsi de la créance de la société GMF (11.500,67 euros au lieu de 14.412,74 euros) et, surtout, celle de la CGSS Réunion (314.052 euros et non 1.160.914 euros) ; enfin, parce qu’il n’existe pas de flux anormaux au bénéfice de sociétés dans lesquelles les époux [L] possèdent des intérêts, ils sont tous causés et justifiés (la Selarl [V] a une lecture erronée de la comptabilité de la société SMTP et, certains flux correspondent à une gestion de groupe de la trésorerie des sociétés détenues par les époux [L] qui s’est exécutée dans le cadre d’un schéma de LBO, les bénéfices réalisés par la société SMTP devant permettre à la société SRTP de rembourser le prêt souscrit pour les besoins de l’acquisition de son capital social ; il ne peut être fait le reproche d’avoir soldé les comptes tiers fournisseurs des sociétés VST, ces dernières étant des fournisseurs majeurs pour la société SMTP ; en tout cas, elles n’ont reçu aucun traitement particulier par rapport aux autres créanciers ; les époux [L] ont multiplié leurs engagements personnels afin de garantir le financement de l’activité de la société SMTP et cela a permis de diminuer à due concurrence le passif de la société SMTP et, partant, le montant de son insuffisance d’actif ; les époux [L] ont hérité au moment du rachat d’une société en état de cessation des paiements bien établi et à la surévaluation de l’entreprise lors de son apport initial) ;

Sur l’absence de détournement des actifs, la qualification d’abus de biens sociaux doit être écartée, tout comme celle de banqueroute par détournement d’actif en ce que les époux [L] n’avaient pas connaissance de l’état de cessation des paiements de la société SMTP, que les actifs cédés en paiement des créances de la société SMTP l’ont été à leur valeur réelle, sans compter qu’ils n’étaient pas indispensables à son activité et que les créances à payer ne sont pas contestées ;

Sur la retenue du précompte salarial, si tant est qu’une telle retenue (contribution salariale de 87.051 euros non reversée à la CGSS) constitue une faute de gestion, il n’est pas démontré qu’elle ait contribué à l’aggravation de l’insuffisance d’actif (pas de majorations de retard générées) ;

– Le liquidateur judiciaire ne démontre pas que les fautes de gestion sont la cause de l’aggravation de l’insuffisance d’actif :

Aucun élément ne prouve que l’augmentation irrationnelle des charges de personnel a creusé le passif puisqu’il a été nécessaire de répondre aux besoins de chacun des marchés nouvellement souscrits, que l’absence de finalisation des comptes 2014 / 2015 n’a eu aucune incidence sur l’insuffisance d’actif de la société SMTP (le défaut de sincérité n’est même pas établi et les époux [L] ont toujours respecté leurs obligations comptables) étant ajouté que le montant du passif né pendant la période suspecte a été largement surévalué par le liquidateur judiciaire et que la majeure partie du passif est née du temps de gestion des consorts [K] ;

– La condamnation à supporter tout ou partie du montant de l’insuffisance d’actif est inopportune, et ce par application du principe de proportionnalité à observer entre le montant de la condamnation mise à la charge du dirigeant et le nombre et la gravité des fautes de gestion relevées à son égard mais aussi au regard de la situation personnelle des dirigeants fautifs ; les époux [L] supportent déjà de lourdes conséquences financières eu égard à leurs engagements de caution qu’ils ont souscrits ;

*

En réponse, le mandataire liquidateur affirme que l’insuffisance d’actif est certaine, elle s’élève hors contestation à la somme de 3.375.965,42 euros et s’explique par plusieurs fautes de gestion :

Une comptabilité incomplète et dénuée de sincérité, qui se caractérise premièrement par les réserves émises par le commissaire aux comptes sur l’exercice 2013-2014, ce dernier n’ayant pas pu assister à l’inventaire physique des stocks ce qui signifie que la société SMTP n’avait sciemment mis en place ni inventaire permanent ni aucune procédure de contrôle de l’inventaire des stocks de sorte que le résultat comptable n’a pas pu être déterminé ; deuxièmement, par l’existence d’un exercice comptable 2014-2015 non finalisé (écarts entre les comptes fournisseurs et les déclarations de créance, non comptabilisation en charge des dettes locatives), non justifié et soustrait à toute appréciation professionnelle de l’expert-comptable, du commissaire aux comptes et du mandataire judiciaire du fait, sinon de la réticence fautive, de l’incurie des dirigeants, ces derniers n’ayant fait preuve d’aucune collaboration avec les professionnels comptables ;

Une incurie manifeste dans la gestion de la société qui se manifeste à travers, en premier lieu, le constat de l’administrateur judiciaire qui relève une augmentation mal maîtrisée du chiffre d’affaires et une absence de rentabilité des marchés signés (les objectifs de croissance poursuivis par les appelants principaux n’ont pas été accompagnés par la mise en place de moyens de financement adaptés, malgré une mise en garde du cabinet OPTIMUM) ; en second lieu, à travers l’augmentation irrationnelle des charges de personnel sur le dernier exercice 2014-2015, les charges en question ont crû de 70,3 % par rapport à l’exercice précédent malgré une baisse de 26 % du chiffre d’affaires (l’effectif des salariés est de 38 à 65 salariés) ; en troisième lieu, à travers une augmentation irrationnelle du poste autres achats et charges externes, laquelle s’explique par une volonté de maintenir artificiellement en vie la société VST en procédant à une cession d’actifs en période suspecte permettant à la société VST de facturer des prestations de location pour lesdits actifs transférés (les facturations de sous-traitance s’élèvent alors à 1.613.882 euros) ;

Des cessions d’actifs indispensables à l’activité en période suspecte, notamment des cessions d’immobilisations corporelles entre janvier 2015 et mars 2015, soit en période suspecte, pour une valeur de 129.834 euros ; ces cessions ont privé la société de matériels indispensables à son activité et ont permis par la suite de justifier le recours à la sous-location de matériels ;

L’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal, et ce malgré de nombreuses mises en demeure et contraintes adressées à la direction pour régulariser la situation de la société ;

La poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, laquelle résulte des éléments comptables et de la date de cession des paiements retenue ; en effet, à l’exception d’une créance d’un montant de 11.750,55 euros déclarée par CENERGI, toutes les créances déclarées résultent exclusivement de la gestion de droit et/ou de fait de chacun des époux [L] ; de surcroît, la société SMTP a été maintenue artificiellement en activité afin d’être profitable directement et indirectement aux époux [L], et ce à travers l’organisation de flux financiers anormaux avec la holding, la société SRTP (l’objet et la nature de plusieurs flux, d’un montant total de 204.849 euros, sont inconnus et un abus de biens sociaux est qualifié), ou encore avec les autres sociétés appartenant aux dirigeants ou à des proches (dans cette hypothèse, l’analyse des pièces comptables laisse supposer des créances surévaluées pour les sociétés tiers) ; par ailleurs, les époux [L] ont cherché à avantager les entreprises dans lesquels ils avaient un intérêt direct ou indirect ;

La retenue du précompte salarial en ce que, après précompté la contribution salariale à hauteur de 87.051 euros, les dirigeants n’en ont pas effectué le reversement à la Caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, ce qui constitue une contravention de 5° classe conformément à l’article R. 244-3° du code de la sécurité sociale ;

Le mandataire liquidateur explique ensuite – s’agissant du principe de proportionnalité qui implique que le prononcé d’une sanction pécuniaire s’apprécie en considération de l’ampleur des fautes mais doit également tenir compte des efforts déployés par le dirigeant pour tenter de redresser la situation – que la gravité des fautes de gestion a entraîné un préjudice conséquent, ce d’autant plus qu’il s’est constitué après seulement 18 mois de gérance et que les époux [L] n’ont jamais justifié ni de la portée de leurs engagements vis-à-vis des partenaires de la société SMTP ni de leur situation patrimoniale, de sorte que des efforts ne peuvent être retenus. Quant à leur degré de connaissance du monde de l’entreprise, le mandataire liquidateur relève que époux [L] ne sauraient être considérés comme des néophytes pour avoir tous deux une expérience confirmée dans le BTP de la Réunion, Monsieur étant à la tête de nombreuses sociétés depuis 2002 dont des sociétés d’ampleur et, Madame est directrice adjointe de la société PREFABLOC.

*

Quant aux consorts [K], ils affirment à l’appui de leurs prétentions que :

– la mise en liquidation d’une personne morale de droit privé, visée par l’article L. 651-2 du code de commerce, ne leur est pas imputable, la condition par l’article précitée n’est donc pas remplie ;

– ils n’étaient pas gérants de droit ou de fait postérieurement à l’acte de cession des parts sociales:

Ils n’étaient plus gérants de droit à compter du 1er octobre 2013, date de cession de leurs parts sociales et de leur démission – qui n’a pas besoin de recouvrir une forme particulière pour prendre effet immédiatement, ce d’autant plus que le nouveau gérant en était informé et qu’il a été procédé à la modification des statuts de la société, laquelle s’est matérialisée sur le K-bis ‘ et non pas à compter du 6 décembre 2013 correspondant à la date de publication des démissions ;

ils n’ont jamais été les dirigeants de fait de la société SMTP dans la mesure où ils n’ont pas agi en toute indépendance dans les fonctions de direction de la société, impliquant des actes de direction ; conformément à la lettre d’intention signée par les parties le 19 décembre 2012, confirmée par le rapport d’audit des risques établi par le cabinet Optimum, il était question d’un accompagnement temporaire ayant pour but d’assurer une transition managériale, étant précisé que cette intervention était une condition déterminante imposée par les époux [L] :

– Ils sont intervenus, pour le compte de la société, postérieurement à la cession des parts sociales, en qualité de prestataire extérieur uniquement;

– Les prérogatives de M. [B] [K] reposaient sur un rôle de conseil en ingénierie sur la partie « conduite de travaux » ; le contrat de prestation de service implique que le prestataire n’avait pas reçu l’autorisation de signer des actes d’engagements pour le compte de la société SMTP mais uniquement de valider des bons de commande auprès des fournisseurs en vue d’approvisionner les chantiers en matériel et sous réserve d’une contre-signature du gérant ; le prestataire ne préparait pas non plus les éléments nécessaires à l’élaboration des documents comptables et des déclarations fiscales et ne disposait pas de délégation de signature sur les comptes bancaires ; c’est M. [L] qui donnait les instructions pour répondre aux appels d’offre à compter de la date de la cession des parts sociales ; l’allocation d’un espace au sein de l’entreprise est indifférent pour tirer des conclusions sur l’existence d’une gestion de fait ;

– Les fonctions de M. [J] [K] consistaient, au titre d’une première convention, en un accompagnement des nouveaux gérants et du directeur financier pour « assurer une transition managériale efficace » puis, au titre d’une convention d’apporteur d’affaires, en l’établissement des dossiers d’appels d’offre ; dans ce cadre, il n’avait pas le pouvoir de déterminer les marchés auxquels il convenait de répondre, ni même celui de fixer seul les prix et conditions du marché choisi par la société SMTP ;

– il n’y avait pas d’insuffisance d’actif à la date de cessation des fonctions de gérant par les consorts [K], étant précisé d’une part que la notion d’insuffisance d’actif est distincte de celle d’état de cessation des paiements, la première correspondant à la fraction des dettes sociales non couverte par les biens de la personne morale tandis que la seconde est l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible, d’autre part que la totalité des éléments de l’actif doit être prise en considération peu importe que tout l’actif ne soit pas immédiatement réalisable ni réalisé ; en l’espèce, ladite insuffisance d’un montant de 3.986.934,31 euros date du 27 novembre 2015 et, surtout au 30 juin 2013, la différence entre l’actif disponible (823.124 euros) et le passif exigible (359.220 euros) présentait un solde positif de 463.904 euros, plus encore selon le cabinet Fidecorex l’analyse des dettes fiscales, sociales et des comptes fournisseurs démontre l’absence de dégradation de la société au 1er octobre 2013 ;

– aucune faute de gestion n’est imputable aux consorts [K] en ce qu’ils ne peuvent se voir reprocher :

D’une part, une déclaration tardive de l’état de cessation des paiements dans la mesure où :

– Selon l’arrêt de la cour du 29 janvier 2021, l’état de cessation de paiements de la Sarl SMTP antérieur à la cession de parts du 1er octobre 2013 n’est pas établi, pas plus qu’il ne l’est en juin 2014 (le jugement de report du 1er décembre 2015 n’a apporté aucune précision chiffrée sur le montant de l’actif disponible, du passif exigible et de l’insuffisance d’actif à la date du 10 septembre 2013) ;

– Les éléments comptables et financiers présentés en première instance ne justifient nullement d’un état de cessation des paiements au 10 septembre 2013 (selon l’analyse du cabinet d’expertise comptable : au 30 juin 2013, l’actif disponible de la société [K] [B] s’élevait de 823.127 euros pendant que son passif exigible était de l’ordre de 359.220 euros ; au 10 septembre 2013, les situations active et passive de la société ne s’étaient pas dégradées et l’entreprise était à jour de ses obligations fiscales et sociales ; l’existence d’un découvert ne peut à elle seule constituer la preuve d’une cessation de paiement, celle-ci pouvant s’expliquer par des délais de fonctionnement entre les encaissements et les décaissements ; encore, la situation comptable pour l’exercice ouvert le 1er juillet 2013 et clos le 30 juin 2014 a été bénéficiaire, avec notamment une augmentation du chiffre d’affaires de 24,70%, une marge globale en augmentation de 25,2 % et une diminution des charges de personnels de -5,5 % et une trésorerie de 344.249 euros) ; enfin, les créances déclarées, à l’exception d’une seule d’un montant de 11.750,55 euros, démontre que celles-ci étaient nées et échues postérieurement au 1er octobre 2013, il en est de même s’agissant des inscriptions prises par la CRR et la CGSSR ;

– Les éléments comptables et financiers produits par les consorts [L] ne justifient pas non plus d’un état de cessation des paiements au 10 septembre 2013 : l’existence d’un passif de 2.484.713 euros lors de l’apport de l’entreprise individuelle est erronée à la lecture du rapport du commissaire aux apports, cette erreur ayant été constatée par la cour, dans son arrêt du 29 janvier 2021 ; la perte de 47.577 euros, enregistrée au 30 juin 2013, correspond à la comptabilisation de charges exceptionnelles consécutives au passage d’une entreprise individuelle en une société ; les comptes débiteurs dès le mois d’octobre 2013 selon les époux [L] ne prennent pas en compte la situation des comptes ouverts auprès de la banque de la Réunion et d’Oséo ; le compte-courant d’associé de M. [B] [K] figure dans le bilan clos le 30 juin 2013 ainsi que dans l’acte de cession, de sorte qu’il ne pouvait être ignoré par les époux [L], ce qui a été confirmé par l’arrêt du 29 janvier 2021 ; le premier rapport d’audit des risques de la société d’expertise comptable Optimum n’a jamais été produit en sa forme finalisée et n’émet aucune inquiétude quant à la trésorerie de l’entreprise [K] [B], au mois de décembre 2012 ou encore quant aux marges réalisées par l’entreprise, les prix pratiqués étant parfaitement adaptés aux clients et au marché ; l’entreprise [K] [B], tout comme la Sarl du même nom, n’était pas soumise à l’obligation de constituer un commissaire aux comptes, les consorts [K] étaient également à jour de leurs obligations en matière d’élection des représentants du personnel ;

– Les consorts [K] n’ont jamais su ou pu savoir que leur entreprise aurait été en situation de cessation des paiements au 10 septembre 2013 puisque l’entreprise a toujours été à jour de ses obligations fiscales et sociales ‘ les bilans, comptes de résultats et annexes pour les exercices allant de 2007 à 2013 en témoignent, et l’entreprise était certifiée QUALIBAT ‘ et qu’elle a pu, n’ayant pas eu à connaître de difficultés de trésorerie, bénéficier de la confiance des banques et de l’accompagnement de ces dernières ; par ailleurs, les contrôles financiers de l’entreprise opérés avant la cession de parts sociales ont tous conclu à sa parfaite santé financière ;

– Les époux [L] n’ont jamais mise en ‘uvre la garantie de passif des consorts [K] ;

– Le commissaire aux comptes, M. [D], au titre de l’exercice ouvert le 1er juillet 2013 et clos le 30 juin 2014, émet une réserve sur la valorisation des stocks de l’entreprise mais n’indique pas que la société SMTP serait en état de cessation des paiements ;

– Les époux [L] ont donné quitus à la gestion des consorts [K] pour l’exercice clos au 30 juin 2013 ;

– Au 1er octobre 2013, le délai légal de 45 jours n’était nullement expiré ;

D’autre part, une poursuite d’activité déficitaire à des fins personnelles :

– Le prix de cession des parts sociales, d’un montant de 700.000 euros n’a nullement été surévalué, celui-ci résultant de la valorisation du commissaire aux apports mais également du carnet de commandes fermes, autrement dit le prix de vente correspond à la réalité économique de l’entreprise ;

– Les consorts [K] ont démissionné de leurs fonctions de gérants de la Sarl Entreprise [K] au 1er octobre 2013 et n’ont jamais été dirigeants de fait de la société SMTP, sans compter que l’administrateur judiciaire ne leur a jamais fait grief de poursuivre un intérêt personnel ;

– Les sommes perçues par les consorts [K] postérieurement à la cession de leurs parts sociales correspondaient à une prestation effective de leur part et n’ont pas été critiquées par le liquidateur judiciaire ;

– La problématique liée à deux comptes tiers non soldés concerne le remboursement de son compte-courant d’associés ;

*

SUR CE,

Aux termes de l’article L651-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige :

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. »

Il en résulte que l’action pour insuffisance d’actif est une action en responsabilité civile délictuelle spécifique, ayant pour objet la réparation du préjudice collectif subi du fait de l’insuffisance d’actif d’une personne morale.

La faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif doit avoir été commise dans l’administration de la société et prouvée par le demandeur. Elle peut également résulter d’une abstention. La faute doit être imputable au dirigeant poursuivi, pour des faits commis durant l’exercice de ses fonctions.

Cette faute n’est pas définie par la loi, et est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, étant entendu qu’elle peut s’entendre d’une action ou d’une inaction commise par un dirigeant d’entreprise dans l’administration générale de sa société, manifestement contraire à son intérêt. Elle peut également être constituée par des man’uvres frauduleuses sans jamais, depuis la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi Sapin II, être une simple négligence dans la gestion de la société.

En tout état de cause, un intérêt personnel n’est pas exigé et, en vertu du principe de proportionnalité, si plusieurs fautes de gestion sont retenues, chacune d’elles doit être justifiée.

En outre, le seul constat d’un passif ne suffit pas et un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. Si plusieurs fautes de gestion sont reprochées, le lien de causalité doit être établie pour chacune d’elles. La faute doit avoir seulement «contribué» à l’insuffisance d’actif. Il n’est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage.

En l’espèce, se fondant sur le rapport de l’administrateur judiciaire établi en date du 28 mai 2015, peu avant la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire (lequel conclut à une augmentation mal maîtrisée du chiffre d’affaire en 2013 / 2014 qui a conduit les époux [L] à procéder à des recrutements massifs qui ont lourdement obéré la trésorerie en générant une masse salariale manifestement excessive et, entraîné une chute de rentabilité ainsi que du résultat d’exploitation), le mandataire liquidateur estime caractérisées trois fautes de gestion se rapportant aux orientations économiques et sociales des époux [L] (l’incurie manifeste dans la gestion de la société ; l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal ; la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire dans un intérêt personnel), et trois autres fautes de gestion, à savoir les cessions d’actifs indispensables à l’activité en période suspecte, une comptabilité irrégulière et dénuée de sincérité ainsi que la retenue du précompte salarial.

Sur les fautes de gestion se rapportant aux orientations économiques et sociales

Les divers éléments comptables versés aux débats convergent dans le même sens, la situation comptable et fiscale de l’entreprise SMTP au 1er octobre 2013, date de la cession des parts sociales, paraissait saine :

Les comptes annuels de l’entreprise individuelle [K] (ayant fait l’objet d’un apport à la Sarl Entreprise [B] [K], devenue la SMTP) pour les trois exercices précédant 2013, soit du 1er juillet 2009 au 30 juin 2012, font état d’un chiffre d’affaires en évolution notable (au 30 août 2010 : 4.255.540 euros ; au 30 juin 2011 : 5.117.807 euros ; au 30 juin 2012 : 6.504.399 euros) ;

L’expert-comptable du cabinet Fidecorex, dans le cadre de sa présentation faite le 19 septembre 2013 à propos de l’exercice clos le 30 juin 2013, précise que la baisse du chiffre d’affaires est consécutive à la période de transition liée à la cession de la société mais que la marge s’améliore, les charges de fonctionnement étant en baisse par rapport à l’exercice précédent ;

Le prévisionnel établi par l’expert-comptable Fidecorex pour la société débitrice pour la période de juillet 2014 à juin 2016 sur la base des informations transmises par Mme [L] est tout à fait positif puisqu’il y est fait état des comptes prévisionnels se caractérisant par les données suivantes : chiffre d’affaires 2015 : 8.809.000 euros ; résultat net comptable 2015 : 314.382 euros ; total du bilan 2015 : 2.528.486 euros.

Cette dernière donnée ne peut qu’interroger au regard de l’état de cessation des paiements qui a été fixé, après report, par jugement du 1er décembre 2015 rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre, au 10 septembre 2013.

De cette apparente contradiction, il en résulte qu’il est nécessaire, pour démontrer l’existence de fautes, d’apprécier la gestion des époux [L] à la lumière du fonctionnement économique de la SMTP et non pas seulement à travers le prisme des pièces comptables, ce d’autant plus que le cabinet d’expertise Fidecorex conteste rigoureusement l’analyse financière du cabinet Ulysse consulting – effectuée à la demande des époux [L] et qui remet en cause l’analyse des résultats sur laquelle se fonde l’administrateur judiciaire pour affirmer que la situation de la Sarl Entreprise [K] était saine antérieurement au 1er octobre 2013.

Cette démarche, permettant de vérifier l’existence de difficultés structurelles antérieures au 1er octobre 2013, et donc susceptibles d’expliquer les orientations économiques et sociales des époux [L], s’inscrit dans le raisonnement suivi par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre et conduisant à sa décision du 1er décembre 2015. En effet, il indique dans sa motivation : « Il résulte des éléments de fait soumis à l’appréciation du tribunal que la société débitrice a accumulé un important passif comportant des dettes anciennes. La cessation des paiements était caractérisée bien au-delà des 18 mois précédant le jugement d’ouverture ».

L’analyse économique du cabinet d’expertise Fiduciaire Atectam & Partners renseigne sur le modèle économique ayant prévalu au sein de l’entreprise individuelle [K] au cours des cinq exercices précédant sa liquidation judiciaire. Après avoir pris soin d’expliciter sa méthode de travail, reposant sur la documentation établie au cabinet d’expertise comptable Fidecorex et indépendamment de la forme juridique qui a prévalu à son fonctionnement, le cabinet Fiduciaire Atectam & Partners conclut pour les 5 derniers exercices clôturés précédemment à la mise en liquidation judiciaire, à une entreprise structurellement déficitaire, fortement consommatrice de besoins en fonds de roulement, et vouée à l’échec :

– sur le caractère structurel déficitaire, le cabinet relève : « cette entreprise fait preuve d’un certain dynamisme dans sa capacité à se maintenir à un niveau significatif d’activité, autour d’une tendance moyenne de 5.647.000 euros ; bien que les variations d’un exercice à l’autre puissent être significatives (+/- 30 %), cette évolution montre une tendance durable à la progression du niveau d’activité » ;

Il est ajouté de manière importante que « compte tenu des délais de négociation et de mise en ‘uvre des marchés des travaux, il convient ici de relever que le chiffre d’affaires post cession à la famille [L] a été fortement impacté par le carnet de commande « hérité » au moment de la cession » ;

la marge de production y est décrite comme évoluant significativement au cours de la période et de façon cohérente avec la variation de la production de sorte qu’elle a tendance à s’améliorer au cours des deux derniers exercices, toutefois la marge en valeur, en pourcentage de la production, est de 76,58 % pour l’exercice 2009/2010 à 83,40 % pour l’exercice 2013/2014, ce qui traduit selon l’expertise « une dégradation de la rentabilité du modèle économique conçu par M. [K], dégradation qui s’est accentuée par la comptabilisation à compter de l’exercice 2012/2013 de la rémunération des dirigeants » ; le résultat d’exploitation, après correction de la rémunération des dirigeants [K], démontre également une absence de rentabilité ; il en est de même du résultat net comptable, qui est évalué sur la période à 124.592 euros pour une production cumulée de 28.271.594 euros, soit 0,44 % et, après correction de l’impact de la rémunération de l’exploitant (sur la base 2012/2013), il s’élève à un chiffre négatif, – 175.408 euros ;

– sur une entreprise fortement consommatrice de trésorerie : le fonds de roulement est détaillé par l’expert-comptable Fiduciaire Atectam & Partners comme suit : « les capitaux propres (‘) sont en forte diminution en 2011/2012, ce qui conduit à un fonds de roulement négatif de 76.430 euros au cours de cet exercice. Cette évolution traduit deux ratios de structure financière dégradés (le financement des besoins à moyen et long terme par des dettes à court terme ; un rapport capitaux propres/capitaux empruntés inférieur à 0, ce qui signifie que l’entreprise est financée dans des proportions plus importantes par le système bancaire que par le chef d’entreprise puis par les associés (‘) A l’exception de l’exercice 2012/2013, qui a bénéficié d’apports en comptes courants d’associés de la famille [K], le fonds de roulement de l’entreprise apparaît fortement négatif », « les apports de la famille [K] en 2012/2013 ont vraisemblablement permis de retarder l’impasse financière, mais le remboursement de ses apports a remis le fonds de roulement à son niveau antérieur (-151.699 euros contre -137.994 en 2011/2012) » ;

L’expertise souligne ensuite que, à l’exception de l’exercice 2010/2011, l’entreprise a une structure de financement à court-terme satisfaisant, cependant dans les faits ces chiffres traduisent « un endettement à court-terme très important notamment en termes de dettes fournisseurs et de dettes clients (avances consenties par les clients) et, un crédit clients maintenu à un niveau inférieur aux dettes fournisseurs, grâce au recours à l’affacturage » ;

Au 30 juin 2013, l’expertise relève une amélioration de la situation grâce à une restructuration importante de la situation active et passive à court-terme ; enfin, la trésorerie, après retraitement des avances sur affacturage, la trésorerie de l’entreprise devient négative tout au long des cinq exercices analysés ;

– une partie des créances déclarées à la procédure collective de la société SMTP, comme l’a déjà relevé la cour dans son précédent arrêt du 29 janvier 2021, trouve son fait générateur dans des contrats conclus avant la cession du 1er octobre 2013 ;

– de l’ensemble, l’expertise en conclut que l’entreprise individuelle de M. [B] [K], devenue la Sarl SMTP avait des besoins de financement à court-terme importants, artificiellement masqués par des dettes clients et fournisseurs importantes, et partiellement couverts par un recours important à l’affacturage, de sorte que cette « exposition au crédit à court-terme ne pouvait que conduire à la liquidation de cette structure, échéance qui a pu être différée par la mobilisation couteuse du financement bancaire ou assimilé (affacturage) ».

Dans ces conditions, quand bien même les époux [L] peuvent être considérés au regard de leur expérience comme étant des gérants aguerris, qu’ils s’étaient entourés de précaution en faisant procéder à un audit et que les éléments comptables étaient globalement positifs, force est de constater qu’une analyse fine a permis de considérer que la rentabilité présentée de l’entreprise dissimulait une réalité toute autre, bien plus complexe.

Cette « erreur de diagnostic », entretenue tout à la fois par les analyses rassurantes des conclusions du cabinet Fidecorex et l’accompagnement des anciens gérants (les consorts [K], certainement enclins à conseiller de faire comme ils pratiquaient auparavant, ont acté dans l’accord de confidentialité et la lettre d’intention une stratégie d’entreprise consistant en « une diminution de l’activité dans le temps tout en améliorant substantiellement sa marge »), a pu prospérer en l’absence de certification des exercices comptables de l’entreprise individuelle [K] par un commissaire aux comptes jusqu’au 30 juin 2014 – la cour rappelle qu’une telle certification n’était pas obligatoire pour une entreprise individuelle, mais l’est devenue à l’occasion du changement de forme juridique en Sarl.

L’acte notarié actant la cession des parts sociales relève : « La société dénommée Sarl Entreprise [K] [B], créée depuis le 20 janvier 2012, n’a encore arrêté aucun bilan et n’a pas eu d’activité. Il sera donc utilisé la situation nette comptable telle qu’elle ressort à la date des créances ».

En tout état de cause, l’erreur commise permet de mieux comprendre les risques financiers pris par les époux [L], qui se sont engagés en qualité de cautions solidaires pour des sommes très conséquentes, et qu’ils justifient aujourd’hui être tenus à remboursement.

En conséquence, sachant que la version définitive de l’audit de l’entreprise individuelle [K], pratiquée avant le 1er octobre 2013, n’a pas été versée aux débats, il n’est pas démontré que les époux [L] ont eu connaissance de la situation véritable de l’entreprise et, il s’en déduit qu’ils ont pu être induits en erreur.

Ce faisant, leurs orientations et leurs choix de gestion ne sont pas révélateurs des trois fautes de gestion que la Selarl [V] leur reproche.

Par ailleurs, et de manière surabondante, tout comme l’ont relevé les premiers juges, si le lien avec des sociétés détenues par des membres de la famille [L] est établi, le mandataire judiciaire échoue cependant à démontrer la manière dont ces sociétés auraient bénéficié de la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire.

Sur les détournements d’actifs

La Selarl [V] fait grief aux époux [L] d’avoir cédé, dans le courant de l’exercice 2014/2015 des immobilisations corporelles pour une valeur totale de 129.834 euros en paiement des créances de fournisseurs.

Cependant, le mandataire judiciaire n’établit pas que les époux [L] avaient connaissance de l’état de cessation des paiements au moment des cessions et que celles-ci ont été faites à vil prix au préjudice de la société. En outre, il ne conteste pas la réalité des créances, d’ailleurs la cour observe que l’administrateur judiciaire n’a signalé aucune difficulté durant la période d’observation en lien avec la cession des actifs.

La faute de gestion alléguée n’est donc pas caractérisée.

Sur la comptabilité incomplète et dénuée de sincérité 

Force est de constater qu’en dépit d’une réserve portant sur la valorisation des stocks (138.360 euros), aux termes de laquelle « le commissaire aux comptes indique dans son rapport n’avoir pas pu assister à l’inventaire physique des stocks malgré sa demande », le commissaire aux comptes a certifié les comptes annuels pour l’exercice 2013/2014. Il s’en déduit que les critiques exprimées par le mandataire liquidateur n’ont eu aucune incidence, ce d’autant plus que la valorisation des stocks paraît conforme au niveau d’activité de l’entreprise.

Quant à l’absence de finalisation des comptes pour l’exercice 2014/2015, aucune certification des comptes ne pouvait plus intervenir à compter de l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société SMTP, sans compter que M. [L] avait cessé tout mandat de gestion à compter du 23 mars 2015 de sorte qu’il ne peut lui être reproché le manquement à une obligation qui ne lui incombait plus.

Cette faute de gestion n’est pas non plus caractérisée.

Sur la retenue du précompte salarial.

La Selarl [V] soutient qu’après avoir précompté la contribution salariale à hauteur de 87.051 euros, les époux [L] n’en auraient pas effectué le versement à la CGSS de la Réunion, ce qui constituerait un abus de confiance.

Dans leurs écritures, les époux [L] ne contestent pas cette absence de versement.

Reste que, pour contribuer à l’insuffisance d’actif, le défaut de reversement du précompte doit avoir généré des frais et/ou des majorations de retard. A défaut, effectivement, l’équilibre de l’actif et du passif n’est pas modifié. Autrement dit, le défaut de reversement ne constitue pas à lui seul une aggravation du passif. Or, la Selarl [V] ne démontre pas l’existence de frais ou de majorations de retard générés par le défaut de reversement.

La faute de gestion dénoncée n’est donc pas caractérisée.

*

En conséquence, et en l’absence de faute de gestion caractérisée et non du fait de négligence comme l’ont relevé les premiers juges, il en résulte que le jugement déféré doit être confirmé par substitution de motifs.

Sur les demandes accessoires

Eu égard à l’équité, il n’y a pas lieu d’infirmer le jugement rendu le 22 février 2022 du chef des frais irrépétibles et des dépens.

A hauteur d’appel, l’équité commande cette fois-ci de condamner la Selarl [V] à payer aux époux [L] la somme de 3000 euros, et aux consorts [K] la somme de 1000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Partie qui succombe, la Selarl [V] sera également condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt de défaut rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

ORDONNE la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00273 à la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00221,

DIT l’appel interjeté contre la décision du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion, en date du 26 octobre 2021, recevable,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion le 26 octobre 2021,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion le 22 février 2022,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Selarl [C] et [R] [V], mandataires judiciaires, prise en la personne de Maître [R] [V], mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP, immatriculée au RCS de [Localité 8] de la Réunion sous le numéro 539 126 466, à payer aux époux [L] (Mme [T] [Y] [A] et M. [O] [Y] [A]), la somme de 3.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Selarl [C] et [R] [V], mandataires judiciaires, prise en la personne de Maître [R] [V], mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SMTP, immatriculée au RCS de [Localité 8] de la Réunion sous le numéro 539 126 466, à payer aux consorts [K] (M. [B] [K] et M. [J] [K]), la somme de 1.000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Selarl [V] aux dépens d’appel, et autorise Maître Isabelle Mercier-Barraco, avocat au barreau de Saint-Denis, à en recouvrer le montant, pour ceux la concernant, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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