Compte personnel de formation : 17 mai 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 19/02091

·

·

Compte personnel de formation : 17 mai 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 19/02091
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

17 MAI 2022

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 19/02091 – N° Portalis DBVU-V-B7D-FJ5R

S.A. ORPEA

/

[U] [F]

Arrêt rendu ce DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A. ORPEA

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me David BREUIL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CUSSET/VICHY

APPELANTE

ET :

M. [U] [F]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Emmanuel TOURRET, avocat au barreau de CUSSET/VICHY

INTIME

Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 14 Mars 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [U] [F], né le 1er janvier 1969, a été embauché le 4 juillet 1992 par la SARL [6], reprise par la SA ORPEA, en qualité de veilleur de nuit, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein. Le salarié était affecté à la maison de retraite ‘[6]’ située à [Adresse 5] (03).

Par courrier daté du 6 juin 2018, l’employeur a convoqué Monsieur [U] [F] à un entretien préalable, fixé au 19 juin 2018, à un éventuel licenciement et lui a notifié une mise à pied conservatoire.

Par courrier daté du 25 juin 2018, la société ORPEA a notifié à Monsieur [U] [F] son licenciement pour faute grave.

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

‘Monsieur,

Nous faisons suite à notre entretien du 19 juin 2018, auquel vous étiez assisté et au cours duquel nous vous avons exposé les griefs nous ayant contraints à envisager la rupture de votre contrat de travail.

Nous avons ainsi été contraints de constater de graves dysfonctionnements dans l’exercice de vos fonctions de veilleur de nuit au sein de notre établissement.

En effet, tout d’abord le 6 avril 2018, nous avons pu constater que vous ne remplissez pas ou pas correctement vos fiches de présence.

Vous avez-vous-même reconnu lors de notre entretien ne pas y penser, oublier de le faire systématiquement alors même que vous voyez vos collègues le faire tous les matins.

De tels manquements ne sont pas acceptables compte tenu du caractère obligatoire de la procédure d’émargement des présences d’autant plus importante au sein d’un établissement tel que le nôtre accueillant des personnes fragilisées. Il est en effet essentiel de savoir qui est présent sur la résidence en cas d’incident.

Ces manquements sont d’autant plus inacceptables que ce n’est pas la première fois qu’il vous est demandé de respecter la procédure d’émargement des présences et de remplir ainsi correctement les fiches de présence.

Par ailleurs, les 10 avril, 27 et 31 mai 2018, vous avez tenus des propos familiers totalement déplacés et inacceptables sur le tableau de la salle de transmissions. Vous avez ainsi écrit sur ce tableau de transmission à de nombreuses reprises ‘Foutage de gueule…’

Plus grave encore, le 1er juin 2018, vous avez eu un comportement totalement déplacé à l’accueil de la résidence vous énervant notamment à l’encontre de l’adjointe de direction en proférant notamment des propos là encore totalement déplacés :’ Tu as cafeté à la Direction, toutou de la Directrice, tutoiement, tu ne dois pas rester jusqu’à 20 heures 30 pour me surveiller’. Vous vous en êtes également pris à la Directrice Exploitation lorsque cette dernière a tenté d’intervenir pour vous demander de vous calmer. Vous lui avez notamment tenu les propos suivants : ‘ C’est nul votre courrier…’.

Par ailleurs, tout au long de cet esclandre, vous avez fait preuve d’un comportement menaçant et colérique.

De tels propos et un tel comportement, menaçant et faisant preuve de violence, est inadmissible, d’autant plus au sein d’un établissement tel que le nôtre, accueillant des personnes vulnérables en raison de leur âge et dont l’état de santé est fragilisé.

Une telle attitude va en effet à l’encontre d’une ambiance de travail constructive nécessaire à la bonne prise en charge de nos résidents.

De plus, vous ne pouvez ignorer en travaillant au sein d’un établissement accueillant des

personnes dont l’état de santé est fragilisé par leur âge, l’importance que chacun travaille dans le calme, la courtoisie et dans le respect des autres.

Ces règles de respect et de courtoisie entre membres du personnel permettent de protéger tant l’intérêt des collaborateurs que l’intérêt des résidents que nous accueillons et pour lesquels nous nous devons d’assurer, en toutes circonstances, une prise en charge de qualité.

Par ailleurs, en adoptant une telle attitude, vous contrevenez gravement aux dispositions pourtant claires du règlement intérieur applicable au sein de notre établissement :

‘12.2. Compte tenu du caractère particulier de l’établissement qui reçoit des personnes âgées et dispense des soins à celles~ci, le personnel est tenu à certaines règles strictes :

[…]

– Avoir des attitudes et un comportement corrects et conformes à l’image de l’entreprise

– Rester courtois avec ses collègues en toutes circonstances

– Eviter tout esclandre

– S’abstenir de tout geste ou parole déplacés, notamment avec et devant les personnes précitées’.

Ce comportement agressif non seulement détériore gravement les bonnes relations professionnelles, mais, pire encore, porte également atteinte à la dignité et au bien-être au travail des collaborateurs de notre entreprise.

Ce manque de professionnalisme évident ne peut ainsi être accepte au sein de notre Résidence.

Lors de notre entretien du 19 juin 2018, vous avez reconnu qu’un tel comportement était inacceptable.

Toutefois, compte tenu de la gravité de l’ensemble des faits qui vous sont reprochés et du risque trop important que votre comportement fait courir à la sécurité des personnes présentes au sein de notre établissement, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.

Par conséquent et au regard de tous ces éléments, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave.

Le licenciement prend donc effet immédiatement, à la date de présentation de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

La période non travaillée du 5 juin 2018 à ce jour, au titre de la mise à pied conservatoire nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement pour faute grave, ne vous sera pas rémunérée.

Vous cesserez définitivement de faire partie du personnel de notre entreprise à la date de première présentation de cette lettre.

Les documents liés à la rupture de contrat de travail ainsi que les sommes restant dues vous seront adressés à votre domicile.

Nous vous rappelons également que vos heures acquises au titre du DIF jusqu’au 31décembre 2014 et non utilisées au 1er janvier 2015, sont portées au crédit de votre compte personnel de formation, conformément aux dispositions de la Loi 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Ainsi, les heures de DIF acquises jusqu’au 31 décembre 2014 peuvent être mobilisées entre le 1er janvier 2015 et le 1erjanvier 2021 dans les conditions applicables au CPF.

Dans le cadre des dispositions de l’article 14 de l’ANl (Accord National interprofessionnel)du 11 janvier 2008 et de l’ANl du 11 janvier 2013 et la loi qui en découle, vous avez la possibilité de voir vos garanties Prévoyance et Frais de santé maintenues pendant la durée maximale prévue par ces textes.

Pour ce faire, vous devez ouvrir droit à une indemnisation au titre de l’assurance chômage.

Votre couverture Frais de santé est maintenue pendant une durée maximale de 12 mois (selon la durée de votre contrat de travail et sous condition d’indemnisation par Pôle emploi), sans contrepartie de paiement de cotisation.

Votre couverture Prévoyance est maintenue pendant une durée maximale de 12 mois (selon la durée de votre contrat de travail et sous condition d’indemnisation par Pôle emploi), sans contrepartie de paiement de cotisation.

Pour bénéficier de la portabilité en Prévoyance et Frais de santé, vous devez :

– Adresser a l’organisme de prévoyance l mutuelle (Génération) le justificatif initial attestant de votre prise en charge par l’assurance chômage (Pôle Emploi) dans un délai maximum de 2 mois et renouveler cet envoi chaque mois durant la période de maintien de vos garanties. À défaut, le maintien des garanties cessera immédiatement ;

– informer l’organisme de prévoyance / mutuelle (Génération) de toute reprise d’activité salariée (joindre tout document justificatif précisant la date d’effet de la nouvelle embauche) mettant fin au bénéfice des dispositions de l’ANI.

Nous vous invitons à prendre contact avec la Direction pour organiser la restitution du matériel mis à votre disposition dans l’exercice de vos fonctions et récupérer vos éventuels effets personnels laissés au sein de l’établissement.

Nous vous informons que, pour la forme, ce courrier vous est également adressé sous pli recommandé.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur, I ‘expression de nos salutations distinguées.

Madame [H] [W]

Directrice Exploitation’

Monsieur [U] [F] a contesté les termes de ce courrier par lettre du 7 juillet 2018 adressée à son ancien employeur. En réponse, la société ORPEA, par lettre du 12 juillet 2018, a maintenu sa position.

Le 10 octobre 2018, Monsieur [U] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de VICHY aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.

L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 19 novembre 2018 (convocation notifiée au défendeur le 13 octobre 2018) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement rendu contradictoirement en date du 30 septembre 2019 (audience du 17 juin 2019), le conseil de prud’hommes de VICHY a :

– dit que licenciement de Monsieur [U] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– dit qu’en application de l’article R. 1454-28 du code du travail le salaire de référence s’élève à la somme de 1.876,20 euros bruts ;

– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, à payer et porter à Monsieur [U] [F] :

* 18.762 euros à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.403,93 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire,

* 3.752,40 euros bruts au titre du préavis, outre 375,24 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 14.696,90 euros nets au titre de l’indemnité de licenciement;

– dit que des sommes ci-dessus énoncées en brut devront éventuellement être déduites les charges sociales salariales précomptées et reversées aux organismes sociaux par l’employeur ;

– dit que les sommes nettes s’entendent nettes de toutes cotisations et contributions sociales ;

– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, à remettre à Monsieur [U] [F] le bulletin de salaire rectifié et les documents de fin de contrat de travail rectifiés, sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 15 jour suivant la notification du jugement à intervenir ;

– s’est réservé le droit de liquider l’astreinte ;

– ordonné le licenciement étant intervenu sans cause réelle et sérieuse dans une entreprise comptant plus de 10 salariés et à l’encontre d’un salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté, le remboursement au pôle emploi Auvergne, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, des indemnités de chômage qui ont pu être versées à Monsieur [U] [F] pour une durée de six mois ;

– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur [U] [F] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la SA ORPEA de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de la présente instance.

Le 28 octobre 2019, la société ORPEA a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 2 octobre 2019.

Vu les dernières conclusions notifiées à la cour le 24 janvier 2020 par la société ORPEA,

Vu les dernières conclusions notifiées à la cour le 22 avril 2020 par Monsieur [U] [F],

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 14 février 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, la société ORPEA demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :

A titre principal,

– dire et juger que le licenciement de Monsieur [U] [F] est fondé sur une faute grave ;

– débouter Monsieur [U] [F] de l’intégralité de ses demandes pécuniaires ;

– condamner Monsieur [U] [F] aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire et en cas de requalification du licenciement de Monsieur [U] [F],

– fixer le salaire de référence de Monsieur [U] [F] à hauteur de 1.876,20 euros bruts ;

– limiter sa condamnation à payer à Monsieur [U] [F] les sommes de :

* 5.628,60 euros au titre de dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.403,93euros bruts au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

* 3.752,40 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 375,24 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 14.690,64 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 200 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile;

– limiter l’astreinte à hauteur de 10 euros pour le bulletin de salaire et à 10 euros pour l’attestation pôle emploi à expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir.

La société ORPEA fait valoir que Monsieur [U] [F] n’a pas respecté son contrat de travail et ce sur plusieurs points :

– Non-respect des consignes vis-à-vis du remplissage des feuilles de présence,

– Inscription de propos injurieux au sein de la société,

– Propos violents et attitude déplacée envers une autre salariée de la société.

L’appelante relève que Monsieur [U] [F] n’a apporté strictement aucun élément de preuve laissant supposer que les faits retenus à l’encontre de son licenciement pour faute grave du 25 juin 2018 n’étaient ni réels ni sérieux et que les éléments de preuve apportés par la société ORPEA sur chacun des griefs n’étaient pas sérieux et incontestables.

La faute grave justifiant du licenciement de Monsieur [U] [F] découle simplement d’une accumulation de faits fautifs démontrés et non tolérables par la société ORPEA, eu égard à l’organisme dans lequel exerçait le salarié ainsi que la nature de son emploi mais aussi compte tenu des rappels à l’ordre de Monsieur [U] [F] préalablement à la notification de son licenciement par courrier du 25 juin 2018.

Si par l’impossible la cour admet la requalification du licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle devra tenir compte du barème imposé par l’article L.1235-3 du code du travail.

Dans ses dernières écritures, Monsieur [U] [F] demande à la cour de confirmer le jugement attaqué, sauf à porter à 34.709,70 euros le montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, y ajoutant, à condamner la SA ORPEA aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à lui porter la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Monsieur [U] [F] soutient que l’employeur a utilisé des prétextes soit futiles soit fallacieux pour tenter de justifier une rupture de contrat pour faute grave, sachant que la société ORPEA avait déjà tenté de le sanctionner en 2015, dans le cadre d’une procédure disciplinaire finalement annulée par le conseil de prud’hommes.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

– Sur la cause du licenciement –

Monsieur [U] [F] conclut à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en relevant l’absence de gravité suffisante des griefs invoqués dans le courrier de notification du licenciement.

L’employeur considère quant à lui que l’accumulation des fautes commises par le salarié dans l’exercice de ses fonctions a rendu impossible le maintien de son contrat de travail et a légitimé le licenciement pour faute grave dont il a fait l’objet.

Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

En application des dispositions de l’article L. 1232-6 du code du travail, dans sa version

applicable au présent litige, l’employeur est tenu d’énoncer dans la lettre de licenciement, le ou les motifs du licenciement. La lettre de licenciement fixe les limites du litige, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est- à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou la matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, autrement dit que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, soient suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié, lequel peut être décidé pour un motif disciplinaire, soit à raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). En tout état de cause, le licenciement prononcé ne doit pas être discriminatoire.

Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit toutefois s’agir d’un comportement volontaire, action ou omission. A défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire.

La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni déjà avoir fait l’objet d’une précédente sanction.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. Plusieurs griefs, chacun insuffisant pour justifier un licenciement, peuvent, conjugués, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. L’accumulation des griefs ne saurait toutefois pallier leur inconsistance. Par ailleurs, la gravité de la faute du salarié n’est pas subordonnée à l’existence d’un préjudice subi par l’employeur.

Il s’ensuit que la mesure de licenciement prononcée par l’employeur doit être proportionnée ou proportionnelle à la faute commise par le salarié. Le juge exerce ainsi un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu de la nature et de la gravité des faits reprochés.

L’article L. 1235-1 du même code, alors applicable, précise que pour apprécier la cause

réelle et sérieuse de licenciement, le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement, le doute doit profiter au salarié.

En l’espèce, la société ORPEA a procédé au licenciement pour faute grave de Monsieur [U] [F], tel que cela résulte tant des termes exprès de la lettre de licenciement que des observations concordantes des parties sur ce point.

Il n’est pas contesté que l’employeur reproche au salarié les trois griefs suivants :

1- des manquements répétés s’agissant de la procédure d’établissement et/ou d’émargement des fiches de présence ;

2- des propos désobligeants inscrits sur le tableau d’affichage ou de transmission des informations ;

3- un comportement menaçant et colérique, en tout cas déplacé, à l’encontre d’une collègue de travail le 1er juin 2018.

La cour va examiner les trois griefs invoqués par l’employeur mais constate déjà, à la lecture des pièces produites, que le dossier de la société ORPEA, à qui incombe la charge de la preuve de la faute grave, est vide de tout témoignage.

– Sur le premier grief –

Le courrier de notification du licenciement indique que : ‘En effet, tout d’abord le 6 avril 2018, nous avons pu constater que vous ne remplissez pas ou pas correctement vos fiches de présence. Vous avez-vous-même reconnu lors de notre entretien ne pas y penser, oublier de le faire systématiquement alors même que vous voyez vos collègues le faire tous les matins.’.

L’employeur reproche tout d’abord à Monsieur [U] [F] de n’avoir pas rempli et signé les fiches de présence et ce, à de nombreuses reprises.

Au regard des pièces versées aux débats, il apparaît que Monsieur [U] [F] n’a pas émargé ses fiches de présence, ou de manière imparfaite, à plusieurs reprises entre février 2018 et avril ou début mai 2018. L’employeur verse aux débats la fiche de poste et la fiche de présence journalière de Monsieur [F], qui précisent que le salarié devait émarger et remplir les fiches de présence tous les jours, et parfois plusieurs fois par jour. La fiche de présence journalière précise que le salarié doit remplir sa fiche en arrivant, à la pause et en repartant.

La fiche de poste et la fiche de présence journalière ont été signées par Monsieur [U] [F], dès lors, il apparaît que celui-ci était au courant de cette consigne à l’origine.

Monsieur [U] [F] ne conteste pas la matérialité des faits et reconnaît ne pas avoir toujours rempli correctement et de manière quotidienne ses fiches de présence, cependant celui-ci soutient que cela était monnaie courante dans la résidence. Le salarié ne rapporte toutefois pas la preuve que les autres salariés de la résidence ne remplissaient pas non plus les fiches de présence. Monsieur [U] [F] fait en outre valoir qu’il s’agissait d’un oubli involontaire de sa part.

La société ORPEA ne démontre pas que Monsieur [U] [F] aurait systématiquement refusé d’émarger les fiches de présence, ce qui constituerait un acte d’insubordination, et l’employeur ne soutient pas non plus que ces manquements avaient une origine frauduleuse et avaient pour objet de masquer des absences et des retards.

La société ORPEA fait cependant valoir que la complétion de ces fiches a une grande utilité et qu’il s’agit d’un acte incontournable pour la résidence. En effet, cela permet de savoir qui est, ou était, présent sur les lieux, au sein de la résidence, en cas d’incident.

Par courrier en date du 17 mai 2018, la société ORPEA a informé Monsieur [U] [F] de ce qu’il n’avait pas rempli les fiches de présence et l’a prévenu qu’en cas de réitération, il s’exposait à une sanction.

La société ORPEA ne rapporte pas la preuve que le salarié aurait réitéré ces manquements après le courrier de rappel à l’ordre du 17 mai 2018. Elle soutient avoir fait des remontrances orales au salarié à plusieurs reprises à ce sujet, mais sans en rapporter la preuve.

Ainsi, s’il est établi que Monsieur [U] [F] a manqué à plusieurs reprises, notamment entre février et avril 2018, à ses obligations en ne remplissant pas, ou pas correctement, ses fiches de présence, il apparaît que cette faute relève de la négligence ou indolence, et non d’un comportement d’insubordination ou de provocation, attitude que l’employeur n’avait d’ailleurs pas considérée comme grave puisque, malgré ses affirmations quant à un comportement récurrent et délibéré du salarié, la société ORPEA s’est contentée d’un rappel à l’ordre en date du 17 mai 2018.

Monsieur [U] [F] a d’ailleurs continué à travailler au sein de la résidence après les remarques orales qui lui auraient été faites, mais aussi après le rappel à l’ordre du 17 mai 2018, et ce jusqu’à sa mise à pied conservatoire à compter du 6 juin 2018.

– Sur le deuxième grief –

L’employeur reproche ensuite au salarié d’avoir inscrit sur le tableau d’affichage de la salle de transmissions des propos désobligeants envers les salariés rattachés à la lingerie. Il explique qu’il est important que les salariés aient en toutes circonstances un comportement approprié afin de ne pas perturber la vie des résidents, qui sont des personnes fragilisées.

L’employeur fait valoir que le règlement intérieur de la résidence précise que les salariés doivent éviter tout esclandre et ne doivent pas tenir de propos désobligeants à l’encontre de leurs collègues en présence du public et des résidents.

Le courrier de notification du licenciement indique ainsi : ‘Par ailleurs, les 10 avril, 27 et 31 mai 2018, vous avez tenu des propos familiers totalement déplacés et inacceptables sur le tableau de la salle de transmissions. Vous avez ainsi écrit sur ce tableau de transmissions à de nombreuses reprises ‘Foutage de gueule” ‘.

Monsieur [U] [F] ne conteste pas cet acte et le confirme même dans sa lettre du 7 juillet 2018, adressée à l’employeur, et où il remettait en cause son licenciement, mais aussi dans ses écritures. Il précise toutefois qu’il a inscrit sur le tableau de la lingerie ‘Foutage de gueule la lingerie’ à une seule reprise. Il explique qu’il a écrit ces propos en raison des manquements des salariés de la lingerie, ce qui aurait entraîné une surcharge de travail importante pour lui, et expose qu’il aurait prévenu l’employeur de dysfonctionnements au sein de la lingerie à plusieurs reprises. Le salarié ne rapporte cependant pas la preuve de ses affirmations. Ainsi, il n’est pas possible de savoir si des dysfonctionnements existaient bel et bien, non plus qu’il n’est possible de savoir si l’employeur avait pris en compte les critiques qui auraient été émises.

La société ORPEA fait valoir que le salarié aurait inscrit des propos inappropriés les 10 avril, 27 mai et 31 mai 2018. Cependant, la société ORPEA ne rapporte pas la preuve que Monsieur [U] [F] aurait réitéré ce comportement à plusieurs reprises. Le salarié fait valoir que cela n’est arrivé qu’une seule fois à une date non précisée.

Il apparaît, à la lecture des écritures des parties, que le tableau se trouvait dans un lieu fermé au public et aux résidents de sorte que des personnes extérieures au personnel de la société ORPEA n’ont pas pu être touchées par ces propos. En outre, l’employeur n’excipe nullement de ce que ce comportement aurait créé un esclandre ou un malaise dont aurait été témoin les résidents et le public, ni que ces faits auraient provoqué une mauvaise ambiance entre salariés de la résidence. En effet, aucun témoignage n’est produit par l’employeur au soutien de ses allégations qui prouverait que les inscriptions auraient été préjudiciables aux conditions de travail au sein de la résidence.

Les propos inscrits à une reprise par Monsieur [U] [F] sur un tableau interne, dans une salle close, hors de la vue des résidents et du public, sont malavisés ou inadaptés mais ne sont ni insultants ni orduriers ni gravement diffamatoires et ne visent pas une personne en particulier mais un service.

– Sur le troisième grief –

L’employeur fait grief au salarié d’avoir eu un comportement inapproprié et menaçant à l’égard de Madame [B] [I], adjointe de direction, lors d’une altercation le 1er juin 2018.

La société ORPEA fait valoir que Monsieur [U] [F] a refusé de signer le reçu pour des chèques cadeaux, signe de sa défiance des consignes et s’en est pris violemment à Madame [B] [I] dans un lieu ouvert au public.

Il n’est pas contesté que Monsieur [U] [F] et Madame [B] [I] se sont rencontrés à l’accueil de la résidence le 1er juin 2018.

Cependant, Monsieur [U] [F] conteste s’être emporté et affirme que c’est l’adjointe de direction qui a eu un comportement désobligeant à son égard.

L’employeur ne rapporte pas la preuve d’un comportement violent et menaçant du salarié le 1er juin 2018, nul témoignage ou attestation n’étant versé au débat. La société ORPEA fonde en réalité ce grief sur les seules déclarations de Monsieur [U] [F]. S’il apparaît vraisemblable qu’une altercation a effectivement eu lieu le 1er juin 2018, il n’est pas possible de savoir qui a été l’instigateur de cette altercation, ni de savoir si Monsieur [U] [F] a effectivement eu un comportement menaçant.

La matérialité de ce grief, tel qu’il est présenté dans la lettre de licenciement, n’est pas établie.

– Sur l’analyse finale de la cause du licenciement –

La société ORPEA reproche au premier juge d’avoir considéré la gravité de chaque grief de façon séparée, sans tenir compte d’une accumulation de fautes méritant, selon elle, la qualification de faute grave.

La cour constate d’abord que les griefs qu’elle retient reposent essentiellement sur les aveux de Monsieur [U] [F] tant le dossier de la société ORPEA est vide de justificatifs ou d’éléments suffisamment probants.

Sont donc retenues comme établies les fautes suivantes du salarié :

– plusieurs oublis s’agissant des fiches de présence que Monsieur [U] [F] devait remplir et signer ;

– l’inscription à une reprise, à une date indéterminée, de la mention ‘Foutage de gueule la lingerie’ sur un tableau interne de l’entreprise visible des seuls salariés.

La prétendue altercation verbale en date du 1er juin 2018 avec une salariée de l’entreprise (Madame [B] [I]) n’est pas retenue à l’encontre de Monsieur [U] [F] tant les circonstances restent floues, avec une absence de caractérisation de menaces ou de violences particulières.

L’accumulation de deux fautes légères ne font pas nécessairement une faute grave ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Monsieur [U] [F] a travaillé au sein de la résidence pendant 26 ans et l’employeur ne justifie que d’un rappel à l’ordre en date du 17 mai 2018. Il doit être tenu compte de l’ancienneté du salarié et de l’absence de passif disciplinaire démontré pendant de si longues années.

La société ORPEA ne rapporte pas la preuve que les fautes légères précitées commises par Monsieur [U] [F] auraient entraîné des conséquences particulièrement dommageables pour l’entreprise ou l’établissement.

Les manquements établis susvisés de Monsieur [U] [F] à ses obligations contractuelles ne sont pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La sanction disciplinaire de licenciement apparaît manifestement disproportionnée.

La cour ne relève ni faute grave ni cause réelle et sérieuse de licenciement et considère que le jugement déféré mérite confirmation en ce qu’il a été jugé que le licenciement de Monsieur [U] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– Sur les conséquences du licenciement –

Au moment du licenciement, Monsieur [U] [F] était âgé de 49 ans et présentait une ancienneté de 26 années dans une entreprise employant habituellement plus de 10 salariés.

Les parties ne développent aucune argumentation particulière s’agissant de la rémunération mensuelle brute de référence retenue par le premier juge (1.876,20) ainsi que la condamnation de la société ORPEA à payer et porter à Monsieur [U] [F] les sommes de 1.403,93 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, 3.752,40 euros bruts au titre du préavis, outre 375,24 euros bruts au titre des congés payés afférents. Ces dispositions du jugement entrepris seront confirmées.

S’agissant de l’indemnité légale de licenciement, le premier juge a retenu une somme de 14.696,90 euros nets, ce que ne conteste pas Monsieur [U] [F]. La société ORPEA indique devoir à ce titre la somme de 14.690,64 euros (7,83 x 1.876,20). Toutefois, le salarié a droit au moins à une indemnité légale de licenciement d’un montant net de 14.696,90 euros (1/4 x 1876,2 x10 + 1/3 x 1876,2 x 16), et ce sans même tenir compte de la durée du préavis (+ 2 mois). Le jugement sera également confirmé sur ce point.

S’agissant de la demande de dommages-intérêts, pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l’entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).

Le nouvel article L. 1235-3 du code du travail définit des montants minimaux et maximaux d’indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l’ancienneté et du nombre de salariés dans l’entreprise. Ainsi, dans les entreprises de 11 salariés ou plus, l’article L. 1235-3 prévoit que l’indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l’ancienneté dans l’entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Monsieur [U] [F] peut prétendre à une indemnité de licenciement comprise entre 3 et 18,5 mois de salaire mensuel brut, soit entre 5.628,60 et 34.709,70 euros.

Monsieur [U] [F] a été licencié de manière relativement brutale et vexatoire, après avoir travaillé de très nombreuses années au sein de la résidence ‘[6]’ et justifie donc d’un véritable préjudice au regard de la perte abusive de son emploi.

Vu les éléments d’appréciation dont la cour dispose, notamment au regard du caractère particulièrement abusif du licenciement notifié et de l’âge du salarié au moment du licenciement, la société ORPEA sera condamnée à payer à Monsieur [U] [F] une somme de 25.000 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera réformé en ce sens.

– Sur la remise des documents sous astreinte :

La requalification du licenciement sans cause réelle et sérieuse donne lieu à une rectification des bulletins de salaires et à la remise des documents de fin de contrat conformes.

Le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties en condamnant la SA ORPEA à remettre à Monsieur [U] [F] le bulletin de salaire rectifié et les documents de fin de contrat de travail rectifiés, sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement à intervenir.

– Sur le remboursement des indemnités chômage à Pôle Emploi –

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

– Sur les dépens et frais irrépétibles –

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

La société ORPEA, qui succombe totalement en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à verser à Monsieur [U] [F] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

– Réformant le jugement déféré de ce seul chef, condamne la société ORPEA à payer à Monsieur [U] [F] une somme de 25.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (indemnité en brut) ;

– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;

– Y ajoutant, condamne la société ORPEA à payer à Monsieur [U] [F] une somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– Condamne la société ORPEA aux dépens d’appel ;

– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x