Compte personnel de formation : 5 juillet 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00264

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Compte personnel de formation : 5 juillet 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00264
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05 JUILLET 2022

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 20/00264 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FLV2

[Y] [I]

/

S.A.R.L. SOCIETE [S]

Arrêt rendu ce CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Karine VALLEE, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [Y] [I]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS

APPELANT

ET :

S.A.R.L. SOCIETE [S]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Stéphane MESONES, avocat au barreau de MOULINS

INTIMEE

Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 23 Mai 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [Y] [I], né le 20 novembre 1965, a été embauché par Monsieur [S] le 1er avril 1997 aux droits duquel est venue la SARL SOCIÉTÉ [S] à compter du 28 novembre 2017.

En dernier lieu, il occupait un poste de maçon, compagnon professionnel, position 2, niveau 3, coefficient 230 par référence à la Convention Collective des Ouvriers du Bâtiment.

Il a été victime de deux accidents du travail, les 9 janvier et 22 juin 2017, tous deux pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.Il a été déclaré consolidé de son dernier accident du travail le 15 février 2019.

Monsieur [Y] [I] a été déclaré inapte par le médecin du travail suivant deux visites des 10 et 22 octobre 2018 sans possibilité de reclassement.

Monsieur [Y] [I] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier daté du 16 novembre 2018.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

‘ Monsieur,

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable le mardi 13 novembre 2018 pour vous exposer les motifs du licenciement envisagé à votre égard.

Les motifs exposés au cours de l’entretien sont les suivants :

Sur votre avis d’inaptitude daté du 10 octobre 2018, le Docteur [N] [V] médecin du travail, a conclu: ‘ Inapte au poste de maçon. Inapte à la station debout prolongée. Inapte aux travaux de couverture et au travail en hauteur. Faire étude de poste et des conditions de travail, à revoir à l’issue.”

Sur votre deuxième avis d’inaptitude daté du 22 octobre 2018, le médecin du travail a coché :

– dans le cadre «déclaration d’inaptitude” :

étude poste en date du : 04/0 7/2018,

étude des conditions de travail en date du : 04/07//2018,

échange avec l’employeur en date du : 10/10//2018,

date de dernière actualisation de la fiche entreprise : 15/01/2018,

– dans le cadre ‘ cas de dispense de l’obligation de reclassement ‘ : «L ‘état de santé du salarié fait, obstacle à tout reclassement dans un emploi.”

Le médecin du travail a conclu sur ce deuxième avis d’inaptitude daté du 22 octobre 2018 : ‘ Revu après étude de poste et des conditions de travail. Inapte au poste de maçon. Inapte a la station debout prolongée. Inapte aux travaux de couverture et au travail en hauteur. Pas de reclassement nécessaire car l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. ‘

Notre entreprise nécessite exclusivement des postes de travail afférents à l’activité bâtiment. Ainsi, ses six salariés occupent des postes de travail propres à l’activité bâtiment : un chef d’équipe, quatre maçons (dont vous-même), un manoeuvre.

Il est impossible d’aménager votre poste de travail et/ou votre temps de travail, car le médecin du travail vous a déclaré inapte à votre poste de travail de maçon.

Aucune mutation n’est possible au regard des postes de travail de notre entreprise. En effet, ils induisent des tâches contraires aux indications médicales (exemples : station debout prolongée — travail en hauteur…).

Notre entreprise n’a aucun poste de travail vacant. La taille et le volume de l’activité de notre entreprise ne permet pas la création d’un poste de travail, même a temps partiel.

En sus, le médecin du travail a précisé : « Pas de reclassement nécessaire car l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. ”

Ainsi, compte tenu des termes de l’avis d’inaptitude, selon lesquels ‘ l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ‘, nous sommes dispensés de recherche de reclassement à votre égard (article LI226-2-1, article L. 1226-12 et R.4624-42 du Code du travail).

Manifestement, votre reclassement au sein de notre entreprise est impossible. Nous avons effectué des démarches de reclassement externes, qui sont également restées vaines. ‘

L’inaptitude, qui vous frappe, constatée par le médecin du travail ainsi que l’impossibilité de reclassement ne permettent pas de maintenir votre contrat de travail. Cette situation constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement dont les motifs sont liés à votre inaptitude constatée par le médecin du travail et à l’impossibilité de vous reclasser.

Votre contrat de travail prendra fin à la date d’envoi de cette lettre, soit le 16 novembre 2018.

Légalement, il n’y aura pas de préavis à effectuer, ni d’indemnité compensatrice de préavis.

Depuis le 1er janvier 2015, chaque personne dispose d’un compte personnel de formation (CPF) des son entrée sur le marché du travail. Le CPF est comptabilisé en heures et il est alimenté des lors que la personne acquiert le statut de salarié. Le crédit d’heures est calculé à due proportion du temps de travail sur la base de : 24 heures par an dans la limite de 120 heures, puis de 12 heures par an dans la limite de 150 heures. Le nombre d’heures portées au crédit du compte personnel de formation ne peut pas être supérieur à 150 heures, hors abondement. Les droits acquis au titre du droit individuel à la formation (DIF) jusqu’au 31 décembre 2014 et non utilisés seront mentionnés sur le compte professionnel formation (CPF). Les heures de DIF pourront être mobilisées jusqu’au 1°’ janvier 2021. Après cette date, le solde de DIF sera perdu. Lorsqu’ils seront mobilisés, les droits acquis au titre du DIF obéiront au régime applicable aux heures inscrites sur le CPF a compter du 1er janvier 2015. Les heures acquises au titre du DIF sont cumulables avec les heures acquises au titre du CPF et ne sont pas prises en compte pour le calcul du plafond de 150 heures de ce dernier.

Seront tenus à votre disposition notamment votre certificat de travail, votre attestation destinée à Pôle Emploi, votre reçu pour solde de tout compte et les éventuelles sommes qui vous seraient dues.

Vous pourrez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Nous avons la faculté d’y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l’initiative d’apporter des précisions il ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs. ‘

Le 20 mars 2019, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud’hommes de MOULINS aux fins notamment de voir obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.

L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 24 avril 2019 (convocation notifiée au défendeur le 29 mars 2019) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire en date du 24 janvier 2020 (audience du 25 octobre 2019), le conseil de prud’hommes de MOULINS a :

– reçu Monsieur [I] en ses demandes ;

– débouté Monsieur [I] de l’intégralité de ses demandes ;

– débouté la société [S] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Monsieur [I] aux éventuels dépens de la présente instance.

Le 11 février 2020, Monsieur [I] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 7 février 2020.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 23 juin 2020 par Monsieur [I],

Vu les conclusions notifiées à la cour le 2 septembre 2020 par la société [S],

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 25 avril 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, Monsieur [I] demande à la cour de :

– constater la recevabilité et le bien fondé de son appel ;

– constater l’origine professionnelle de son inaptitude ;

– condamner, en conséquence, la société [S] à lui payer et porter les sommes suivantes :

* 4.441,70 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 14.201,02 euros nets à titre d’indemnité spéciale de licenciement,

* 3.000.00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dire que ces sommes porteront intérêts de droit au taux légal à compter :

– de la convocation de l’employeur à comparaître devant le bureau de conciliation pour les sommes allouées à caractère salarial,

– de l’arrêt à intervenir pour les sommes allouées à caractère indemnitaire,

– condamner la société [S] en tous les dépens.

Monsieur [I] considère que les sommes qui lui ont été versées à l’occasion de la rupture de son contrat de travail sont insuffisantes. Il sollicite le versement d’une somme à titre d’indemnité compensatrice de préavis et d’une somme à titre d’indemnité légale de licenciement doublée ou indemnité spéciale de licenciement. Il fait valoir que l’origine professionnelle de son inaptitude est incontestable. Dès lors, l’employeur ne peut se soustraire à l’obligation de lui verser les indemnités spéciales de licenciement prévues à l’article L1226-14 du code du travail. Il argue ensuite que les dispositions de cet article du code du travail sont opposables à la société [S] car son contrat de travail a été transféré dans le cadre des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail à ladite société lorsque celle-ci a été constituée. Il ajoute que le lien au moins partiel entre son inaptitude et sa pathologie prise en charge au titre de la législation professionnelle est démontré. Il indique avoir toujours été pris en charge au titre de l’accident du travail jusqu’à la fin de son incapacité temporaire de travail en octobre 2018, soit la veille de la constatation définitive de son inaptitude.

Dans ses dernières écritures, la société [S] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté le moyen tiré du fait qu’elle n’était pas l’employeur de Monsieur [I] et demande à la cour, y ajoutant, de :

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté le moyen tiré du fait qu’elle n’était pas l’employeur de Monsieur [I] ;

En conséquence,

– juger que l’origine de l’inaptitude n’est pas professionnelle;

– débouter Monsieur [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

– condamner Monsieur [I] à lui porter et payer une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

La société [S] soutient que Monsieur [I] n’a jamais travaillé pour son compte et n’a jamais en contrepartie perçu le moindre salaire, étant précisé que le salarié a été embauché par Monsieur [S] en 1997. Le contrat de travail signé entre Monsieur [I] et Monsieur [S] n’a jamais trouvé à s’appliquer au profit de la société [S]. Aucun nouveau contrat n’a été signé entre Monsieur [I] et la société [S]. Dès lors, elle indique que le contrat de travail dont se prévaut Monsieur [I] à l’encontre la société [S] n’existe pas puisqu’aucun commencement d’exécution n’a jamais eu lieu entre les parties à la présente procédure. Elle estime que Monsieur [I] aurait dû actionner en justice son employeur, Monsieur [S].

La société [S] ajoute que l’inaptitude de Monsieur [I] a une origine non professionnelle. Elle indique que le médecin du travail a établi un certificat précisant que l’inaptitude n’avait pas une origine professionnelle et précise que le salarié ne communique aucune pièce médicale qui contredirait ce certificat médical.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

– Sur l’employeur de Monsieur [Y] [I] –

Il est constant que Monsieur [Y] [I] a été embauché en avril 1997 par M. [S], artisan exerçant à titre individuel, et que les accidents dont il a été victime sont survenus en janvier et juin 2017.

Pour soutenir qu’elle ne serait pas son employeur, la société [S] fait valoir qu’au moment des accidents, elle n’était même pas constituée et qu’elle n’a été créée que le 14 novembre 2017, ainsi qu’en fait foi l’extrait Kbis qu’elle produit. Elle souligne que Monsieur [Y] [I] n’a jamais travaillé pour son compte et qu’il n’a jamais reçu en contrepartie le moindre salaire, expliquant qu’en raison de son arrêt de travail, le contrat de Monsieur [Y] [I] n’a jamais trouvé à s’appliquer après le mois de novembre 2017.

Cependant, il résulte de l’extrait du registre du commerce et aussi des propres explications de l’employeur, que le fonds de commerce initialement propriété de M. [S], artisan, a été acheté à ce dernier et que ce fonds a été depuis lors exploité par l’acquéreur sous la forme de la SARL [S], dont le gérant est M. [H]. Il s’agit donc d’une cession d’entreprise dont il n’est pas contesté que l’activité n’a pas été modifiée.

Or, l’article L. 1224-1 du code du travail dispose : ‘Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise’.

Cet article a vocation à s’appliquer toutes les fois qu’il y a transfert d’une entité économique autonome, conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, l’entité économique devant être entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit principale ou accessoire.

Dans la mesure où, en l’espèce, il n’est pas contesté que l’entité économique constituée par le fonds de commerce de M. [S] a été transférée à la SARL [S], ce transfert d’activité a eu pour effet d’entraîner, de plein droit, le transfert du contrat de travail de Monsieur [Y] [I] à la société [S], même si le salarié se trouvait en situation d’arrêt de travail au moment du transfert en raison d’accidents survenus antérieurement et même s’il n’a, depuis lors, exercé aucune activité effective au service du nouvel employeur en raison de la prolongation de son arrêt de travail. C’est en conséquence le même contrat de travail, initié en 1997, qui s’est poursuivi avec la société [S], devenue l’employeur de Monsieur [Y] [I] après la cession.

Contrairement à ce que soutient la société [S], le contrat de travail a continué à s’appliquer après la cession puisque des bulletins de salaire ont toujours été émis et que c’est le nouvel employeur qui a procédé au licenciement.

D’ailleurs, non seulement le nouvel employeur a émis des bulletins de salaire jusqu’à la date de la rupture en mentionnant l’ancienneté totale du salarié mais le certificat de travail établi par la SARL [S] le 22 novembre 2018 à l’occasion de la rupture du contrat de travail, mentionne expressément que Monsieur [Y] [I] ‘a fait partie de notre personnel’ du 1er avril 1997 au 16 novembre 2018, englobant la période pendant laquelle Monsieur [Y] [I] était le salarié de M. [S].

La SARL [S] ne saurait non plus soutenir valablement ne pas avoir été l’employeur de Monsieur [Y] [I] à l’époque des accidents dont il a été victime et s’opposer, pour ce motif, aux prétentions de Monsieur [Y] [I] en ce qu’il revendique des indemnités de rupture calculées en raison de l’origine qu’il estime professionnelle de ces accidents.

En effet, le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date de la modification en application de l’article L. 1224-2 du code du travail. Si, en application de l’article L 1226-6 du code du travail, les dispositions légales relatives aux accidents du travail ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d’un accident du travail survenu au service d’un autre employeur, elles sont, en revanche, applicables dès lors que le salarié et le nouvel employeur sont liés par le même contrat de travail souscrit avec l’employeur précédent par l’effet des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.

Les prétentions de la SARL SOCIÉTÉ [S] sur ce point doivent être rejetées.

– Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude –

Il est constant que Monsieur [Y] [I] a été victime d’un accident du travail survenu le 22 juin 2017 et que, selon la déclaration effectuée le 23 juin suivant, l’accident a occasionné une entorse de la cheville droite. Le salarié s’est vu prescrire un arrêt de travail pris en charge dans le cadre de la législation professionnelle selon décision de la caisse primaire d’assurance maladie du 10 juillet 2017 et cet arrêt de travail a été constamment renouvelé dans le même cadre jusqu’au 14 février 2019.

Monsieur [Y] [I] a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail à l’occasion de la visite de reprise du 10 octobre 2018, avis d’inaptitude confirmé le 22 octobre 2018.

Pour contester l’origine professionnelle de l’inaptitude, l’employeur se prévaut de l’avis du médecin du travail émis par lettre du 14 novembre 2018 aux termes de laquelle il ‘confirme l’origine non professionnelle de l’inaptitude’ de Monsieur [Y] [I] en précisant que cet avis est donné ‘en accord’ avec le salarié. L’employeur ajoute que le salarié ne justifie pas du premier arrêt en date de janvier 2017 et qu’il a été déclaré apte à la reprise du travail le 14 mars 2018.

Toutefois, l’employeur n’est pas fondé à reprocher au salarié de ne pas justifier d’un premier accident du travail survenu en janvier 2017 puisque, contrairement à ce que soutient la société [S], les prétentions de Monsieur [Y] [I] ne reposent pas sur cet accident mais sur celui du 22 juin 2017.

S’il est vrai que, postérieurement à l’avis d’inaptitude, le médecin du travail a affirmé auprès de l’employeur, par simple lettre, que l’inaptitude avait une origine non professionnelle, sans fournir davantage d’explications, la société [S] ne pouvait se contenter d’un tel avis pour se dispenser de mettre en oeuvre les dispositions applicables aux victimes d’un accident du travail.

Il convient de rappeler que les articles L. 1226-10 et suivants du code du travail organisent une protection spécifique au profit des victimes d’accident du travail et que cette protection est acquise dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine l’accident du travail. Elle doit être mise en oeuvre dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude dès lors que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. C’est à la juridiction prud’homale de rechercher l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude.

En l’espèce, même en possession de la lettre du 14 novembre 2018 du médecin du travail, l’employeur qui avait été informé, en son temps, de l’accident du 22 juin 2017, avec ses circonstances et ses conséquences, ne pouvait ignorer que le caractère professionnel de cet accident avait été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie et pris en charge à ce titre du 23 juin 2017 au 20 novembre 2018, ce caractère professionnel n’ayant jamais été contesté par la société [S]. L’employeur ne pouvait davantage ignorer que l’arrêt de travail prescrit médicalement a constamment été renouvelé sur le fondement de l’accident du travail du 22 juin 2017. L’employeur ne peut se prévaloir de l’avis d’aptitude émis le 14 mars 2018, donné ‘pour tenter une reprise du travail au sol seulement’ alors qu’il admet lui-même dans ses écritures qu’il n’y a jamais eu de reprise du travail. Le bulletin de salaire du mois de novembre 2018 porte d’ailleurs la mention ‘accident du travail’ comme motif de l’absence du salarié.

Monsieur [Y] [I] ayant été déclaré ‘inapte au poste de maçon, inapte à la station debout prolongée, inapte aux travaux de couverture et au travail en hauteur’, alors que l’accident du travail avait occasionné une ‘entorse de la cheville droite’, blessure compatible avec l’inaptitude, l’ensemble de ces éléments démontre qu’au moment du licenciement, l’inaptitude de Monsieur [Y] [I], en l’absence de preuve de l’existence d’une quelconque autre cause, avait, au moins partiellement, une origine professionnelle.

Il ne peut être invoqué utilement un ‘accord’ du salarié pour reconnaître une origine non professionnelle de l’inaptitude. Rien ne permet de vérifier la nature et la consistance de cet accord qui n’est évoqué que dans la lettre du médecin du travail adressée exclusivement à l’employeur. Si le médecin du travail a pu, postérieurement à l’avis d’inaptitude, donner une indication à l’employeur sur ce qu’il pense de l’origine de l’inaptitude et s’il vise un ‘accord’ du salarié dont le contenu exact n’est pas autrement précisé, une telle indication ne pouvait s’imposer en elle-même, en l’absence de tout autre élément, alors que l’employeur était également en possession d’indications solides et fiables permettant d’attribuer à cette inaptitude une origine professionnelle.

Dès lors, dans la mesure où la société [S] avait connaissance d’une origine professionnelle au moins partielle lorsqu’elle a notifié le licenciement, les dispositions applicables au licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle devaient être appliquées et Monsieur [Y] [I] est en droit de prétendre à l’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 1226-14 du code du travail ainsi qu’à l’indemnité spéciale de licenciement.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes.

– Sur les sommes restant dues –

Compte tenu de son salaire (2.220,85 euros brut selon le bulletin de salaire de novembre 2018) et de son ancienneté, Monsieur [Y] [I] est bien fondé à solliciter la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 4.441,70 euros brut à titre d’indemnité compensatrice (soit deux mois de salaire correspondant au montant de l’indemnité compensatrice de préavis).

L’article L. 1226-14 du code du travail prévoit le versement d’une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité de licenciement lorsque la rupture du contrat de travail est consécutive à une inaptitude d’origine professionnelle.

Eu égard à son ancienneté (21 ans et 8 mois), Monsieur [Y] [I] est donc en droit de prétendre à l’indemnité de licenciement prévue par l’article R. 1234-2 du code du travail (un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans) portée au double, soit la somme de (2.220,85 /4 x10) + (2.220,85/3×11,67) = 28.382,48 euros. Ayant perçu 14.181,46 euros lors du licenciement, l’employeur reste lui devoir la somme de 14.201,02 euros.

– Sur les intérêts –

En application des dispositions des articles 1231-6 du code civil et R. 1452-5 du code du travail, les sommes allouées, dont le principe et le montant résultent de la loi, porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 29 mars 2019.

– Sur les dépens et frais irrépétibles-

La société [S], qui succombe au principal, devra supporter les entiers dépens de première instance et d’appel, ce qui exclut qu’elle puisse prétendre bénéficier des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser Monsieur [Y] [I] supporter l’intégralité des frais qu’il a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts. La société [S] sera condamnée à verser à une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

– Infirme le jugement en ce que Monsieur [Y] [I] a été débouté de ses demandes et, statuant à nouveau, condamne la société [S] à payer à Monsieur [Y] [I] les sommes suivantes :

* 4.441,70 euros brut à titre d’indemnité compensatrice,

* 14.201,02 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement;

– Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2019 ;

– Condamne la société [S] aux dépens de première instance ;

– Y ajoutant, condamne la société [S] à payer à Monsieur [Y] [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société [S] aux dépens d’appel ;

– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN

 


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