Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUILLET 2022
N° RG 19/02988 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TLHT
AFFAIRE :
[E] [X]
C/
SAS CARREFOUR MANAGEMENT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : F17/01157
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Ariane PIERRE NOEL
la AARPI TEYTAUD-SALEH
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [E] [X]
né le 09 Février 1965 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Ariane PIERRE NOEL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0514
APPELANT
****************
SAS CARREFOUR MANAGEMENT
N° SIRET : 403 245 061
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J125
Représentant : Me Zora VILLALARD de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 Mai 2022, Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE
M. [E] [X] a été embauché à compter du 22 octobre 1990 par la société Carrefour France.
À compter de 2004, le contrat de travail de M. [X] a été transféré à la société Carrefour Management, appartenant au groupe Carrefour, et M. [X] a été affecté dans différents pays en tant que cadre par le biais d’avenants d’expatriation.
Par avenant d’expatriation à effet au 1er janvier 2013, la société Carrefour Management a affecté M. [X] auprès de la société Carrefour Commercio e Industria Lta en qualité de ‘directeur MDC Brésil’ et un contrat de travail a été signé avec cette société brésilienne.
À compter du 22 janvier 2016, le contrat de travail avec la société brésilienne a été rompu et M. [X] est redevenu salarié de la société Carrefour Management.
Par lettre du 15 juillet 2016, la société Carrefour Management a convoqué M. [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre du 29 juillet 2016, la société Carrefour Management, qui employait alors habituellement au moins onze salariés, a notifié à M. [X] son licenciement pour motif personnel.
Le 18 septembre 2017, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour contester son licenciement et demander la condamnation de la société Carrefour Management à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de fourniture de travail à son retour d’expatriation.
Par jugement du 13 juin 2019, le conseil de prud’hommes (section encadrement) a :
– condamné la société Carrefour Management à payer à M. [X] les somme de :
* 110 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté M. [X] de ses autres demandes ;
– dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de notification de la décision ;
– ordonné d’office le remboursement par la société Carrefour Management aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [X] dans la limite de deux mois ;
– débouté la société Carrefour Management de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Carrefour Management aux dépens.
Le 22 juillet 2019, M. [X] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 10 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, M. [X] demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sur le licenciement, de l’infirmer sur le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et le débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice distinct et, statuant à nouveau, de condamner la société Carrefour Management à lui payer les sommes suivantes, outre les dépens :
– 216 667 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 65 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de fourniture de travail à son retour d’expatriation et préjudice distinct ;
– 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions du 14 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, la société Carrefour Management demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sur le débouté de la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de fourniture du travail, de l’infirmer sur le licenciement, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens et statuant à nouveau de :
– débouter M. [X] de ses demandes ;
– condamner M. [X] à lui payer une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 18 mai 2022.
SUR CE :
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :
Considérant que la lettre de licenciement pour motif personnel notifiée à M. [X], après avoir rappelé les différents entretiens intervenus entre M. [X] et différents directeurs au sein du groupe Carrefour dans le cadre de son reclassement au retour d’expatriation, est ainsi rédigée : ‘(…) Dans le cadre d’une recherche de reclassement, vous avez rencontré le 31 mars 2016 [V] [L], directeur PFT France , entretien au cours duquel vous a été proposé le poste disponible de directeur de marché boulangerie pâtisserie, poste de statut cadre niveau SD1 situé au siège de Carrefour France à [Localité 4].
Il vous a été précisé que ce poste correspondait à votre niveau de responsabilités et votre statut de SD1 avec l’ensemble des avantages attachés à ce statut, et ce conformément aux règles applicables au sein de Carrefour en France en conservant un salaire annuel de référence équivalent.
Or, contre toute attente, vous n’avez pas entendu donner suite à cette proposition de poste.
Ce n’est que lorsque je vous ai relancé lors de notre rendez-vous du 27 avril 2016, sur votre absence d’intérêt pour cette proposition de poste que vous vous y êtes finalement intéressé. Or, à cette date, soit près d’un mois après l’entretien avec [V] [L] lors duquel il vous a proposé le poste, celui-ci n’était plus disponible.
Votre silence et votre absence d’intérêt par rapport à cette proposition sérieuse d’un poste de reclassement disponible, en parfaite adéquation avec vos compétences et votre statut au sein du groupe, de conformité avec vos engagements contractuels nous mettent dans l’impossibilité de vous reclasser au sein du groupe.
Après avoir constaté votre absence d’intérêt pour notre proposition de poste et l’impossibilité de trouver, malgré nos recherches sérieuses et actives d’autres postes de reclassement au sein du groupe correspondant à vos compétences professionnelles, votre niveau de responsabilité et vos attentes, nous n’avons d’autre choix que de vous notifier par la présente votre licenciement (…)’ ;
Considérant que M. [X] soutient que la société Carrefour Management n’a pas respecté son obligation de reclassement au sein du groupe, qu’il fonde implicitement sur les dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail, en ne procédant pas à des recherches loyales et sérieuses ; qu’il en déduit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et demande l’allocation d’une somme de 216 667 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que la société Carrefour Management soutient qu’elle a rempli de manière loyale et sérieuse son obligation de reclassement, qui est fondée sur l’avenant d’expatriation à effet au 1er janvier 2013 et non sur les dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail puisque la société brésilienne auprès de laquelle M. [X] était affecté est une société s’ur et non une filiale, et qu’elle justifie d’une impossibilité de reclassement ; qu’elle conclut que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et qu’il convient de débouter M. [X] de sa demande à ce titre;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi ; qu’en application de l’article L. 1232-1 du même code, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; que, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ; qu’aux termes de l’article L. 1231-5 du même code, lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein ;
Considérant en l’espèce et en premier lieu, que M. [X] ne démontre pas que la société brésilienne Carrefour Commercio e Industria Lta est une filiale de la société Carrefour Management au sens des dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail mentionnées ci-dessus, se bornant à développer des moyens inopérants relatifs au ‘groupe Carrefour’ qui méconnaissent les règles relatives à la personnalité morale ; que l’obligation de reclassement de M. [X] à la charge de la société Carrefour Management ne s’apprécie donc qu’au regard des stipulations de l’avenant à effet au 1er janvier 2013, que la société intimée interprète comme l’obligeant à justifier d’une impossibilité de reclassement ;
Qu’en second lieu, il ressort des débats et des pièces versées, et notamment des échanges de courriels entre M. [X], la direction des ressources humaines et M. [L], qu’aucun délai précis de candidature au poste de directeur de marché boulangerie-pâtisserie au sein de la société Carrefour France n’a été indiqué à l’appelant, ce dernier mentionnant dans son courriel de réponse du 27 avril 2016 ‘je pensais être encore dans les temps’ ; qu’elle n’est donc pas fondée à soutenir que M. [X] a candidaté trop tardivement à ce poste et qu’il n’était plus disponible à la fin du mois d’avril 2016, ce qui de surcroît n’est pas démontré par l’employeur ;
Que de plus, alors que dans un courriel du 26 février 2016, M. [K], ‘DRH siège France’ indiquait à la salariée chargée du reclassement de M. [X] (Mme [T]) de procéder à des recherches de reclassement auprès de M. [I], en charge des directions régionales des hypermarchés, la société Carrefour Management ne justifie d’aucune recherche en ce sens ni d’aucun entretien avec M. [I], contrairement à ce qui est mentionné dans la lettre de licenciement ;
Qu’il résulte de ce qui précède que contrairement à ce qu’elle soutient, la société Carrefour Management ne justifie pas avoir procédé à des recherches loyales et sérieuses de reclassement de M. [X] au sein du groupe Carrefour et d’une impossibilité de reclassement à ce titre ; que le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Qu’en conséquence, M. [X] est fondé à réclamer l’allocation d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu’eu égard à son âge (né en 1965), à son ancienneté (25 années), à sa rémunération des six derniers mois s’élevant au vu des pièces du dossier à 64 999,98 euros, à sa situation postérieure au licenciement (chômage justifié jusqu’au 6 septembre 2018), il y a lieu d’allouer une somme de 170 000 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Sur les dommages-intérêts pour défaut de fourniture de travail au retour d’expatriation et préjudices distincts :
Considérant en premier lieu que les pièces médicales versées aux débats ne permettent pas d’établir un lien de causalité direct et certain entre la dégradation de l’état de santé de l’appelant et l’absence de fourniture de travail pendant plusieurs mois à son retour d’expatriation puisqu’il est mentionné que cette dégradation existait depuis 2012 ;
Qu’en second lieu, M. [X] ne justifie d’aucun préjudice résultant du fait que son compte personnel de formation n’a pas été crédité de ses heures de formation et du fait que les documents relatifs à la portabilité de la mutuelle ne lui ont été adressés qu’au mois d’août 2017 ;
Qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de débouter M. [X] de sa demande de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il statue sur ces deux points ; qu’en outre, il y a lieu de condamner la société Carrefour Management à payer à M. [X] une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu’aux dépens d’appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société Carrefour Management à payer à M. [E] [X] les sommes suivantes :
– 170’000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Carrefour Management aux dépens d’appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,