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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 OCTOBRE 2022
N° RG 21/00512 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UKL6
AFFAIRE :
[I] [S]
C/
S.A.R.L. PORTAGE ENERGIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 18/01860
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jean-Laurent EMOD
Me Grégoire BRAVAIS de la SCP D.D.A Avocats
Expédition numérique délivrée à POLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [I] [S]
née le 24 Juillet 1979 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Jean-Laurent EMOD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 242
APPELANTE
****************
S.A.R.L. PORTAGE ENERGIE
N° SIRET : 752 571 471
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Grégoire BRAVAIS de la SCP D.D.A Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P43
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
FAITS ET PROCÉDURE,
Par contrat à durée indéterminée de chantier du 12 janvier 2015, Madame [I] [S] a été engagée à compter du 17 février 2015 par la société à responsabilité limitée Portage Energie, en qualité de coordinatrice logistique du personnel. Au titre de ce contrat, la salariée était en charge de la logistique du personnel relative au projet Kaombo au sein de la société Technip France. La convention collective est celle des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils (syntec).
Par courrier du 27 décembre 2017, la société a notifié à la salariée son licenciement pour clôture de ses tâches dans le cadre du projet pour lequel elle avait été engagée.
Par requête reçue au greffe le 13 juillet 2018, Madame [I] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin notamment de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 22 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– dit et jugé que la rupture du contrat de travail de Madame [I] [S] avec la société Portage Energie était régulière,
– débouté Madame [I] [S] de toutes ses demandes,
– débouté la société Portage Energie de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chacune des parties supporterait les éventuels dépens pour ce qui les concerne.
Par déclaration au greffe du 18 février 2021, la salariée a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
Dit et jugé que la rupture de son contrat de travail avec la société Portage Energie est régulière,
L’a déboutée de toutes ses demandes,
Dit que chacune des parties supportera les éventuels dépens pour ce qui les concerne ;
et le confirmer en ce qu’il a :
Débouté la société Portage énergie de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
statuant à nouveau, y ajoutant :
– débouter toutes les demandes, fins et prétentions de la société Portage Energie,
– juger que son licenciement est irrégulier et est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Portage Energie à lui payer la somme de 3 943,42 euros au titre de l’indemnité compensatrice concernant l’omission de l’information sur l’accès prioritaire du salarié licencié au dispositif de formation dans la lettre de licenciement ;
– condamner la société Portage Energie à lui payer la somme de 3 943,42 euros au titre du non-respect des 2 jours ouvrables entre l’entretien préalable et le licenciement non-disciplinaire.
– condamner la société Portage Energie à lui payer la somme forfaitaire complémentaire de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir tenté de tromper les magistrats de la cour d’appel de Versailles en ayant prétendu que la question du non-respect des deux jours ouvrables consisterait en une demande nouvelle comme ayant été présentée pour la première fois en cause d’appel ;
– condamner la société Portage énergie à lui payer la somme de 15 773,68 euros au titre de l’indemnité compensatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société Portage énergie à lui verser la somme de 2 500 euros au titre du préjudice moral subi et à titre forfaitaire justifié par toutes les contre-vérités fournies tant au moment du licenciement qu’à présent en justice pour les besoins de la cause ;
– condamner la société Portage Energie à verser à Madame [S] la somme de 3000 euros à hauteur de ce que l’employeur réclame lui-même au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ainsi qu’aux dépens consécutifs aux frais de signification en application de l’article 902 du code de procédure civile.
La salariée fait essentiellement valoir que :
– elle doit être doublement indemnisée au titre d’un licenciement irrégulier, d’une part, en l’absence de mention au sein de la lettre de licenciement des possibilités d’accès prioritaire au dispositif de formation instituée par l’article 4 de l’accord (avenant n° 11 du 8 juillet 1993) dont celles proposées par la Fafiec, d’autre part, compte tenu du non-respect des deux jours ouvrables entre l’entretien préalable et la lettre de licenciement puisque toute la procédure est intervenue le 27 décembre 2017 ;
– le licenciement n’est pas fondé faute pour l’employeur de démontrer l’achèvement sur le chantier des tâches contractuellement confiées comme l’impossibilité de réemploi sur un autre chantier ou mission ; elle a été licenciée avant que le projet Kaombo ait été achevé alors que la durée de son contrat de travail était liée au plus tard à l’achèvement de ce projet, et même avant l’achèvement de ses tâches qui faute de définition contractuelle plus précise consistaient en la coordination du personnel de ce projet; des mails en attestent ; ainsi, l’un des managers de la société cliente Technip fixe la planification d’une opération pour le projet Kaombo au 21 mars 2018 suivant son mail groupé du 25 janvier 2018 ; de plus, l’employeur n’a pas respecté son obligation de tentative de reclassement en affirmant qu’il n’y avait pas de poste pour elle et en transmettant son curriculum vitae à la société Airswift ;
– en application de l’article L.1235 du code du travail, elle sollicite une indemnité égale à quatre mois de salaire.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 23 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la société demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
en conséquence :
– débouter Madame [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner Madame [S] à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Madame [S] aux entiers débours et dépens.
L’employeur fait essentiellement valoir que :
– la demande relative au délai de deux jours entre l’entretien préalable et la lettre de licenciement est nouvelle en appel au sens de l’article 564 du code civil; elle doit être déclarée irrecevable ;
– les heures créditées sur le compte personnel de formation de la salariée sont toujours à sa disposition, et elle a la possibilité de les utiliser quand elle le souhaite; elle ne justifie d’aucun préjudice ;
– la salariée était coordinatrice logistique du personnel au sein de la société Technip, et était affectée sur le site de celle-ci à [Localité 6] ; le projet Kaombo, dans sa globalité, n’est pas le chantier prévu au contrat ; or, les pièces adverses sont relatives à des missions en Angola et tout le personnel affecté au projet Kaombo sur le site Technip à [Localité 6] a été démobilisé à la fin du mois de décembre 2017 ; si la salariée avait été concernée directement et au quotidien par des opérations menées en Angola, ses fonctions spécifiques de coordination du personnel, d’organisation de voyages et obtentions de visas de travail, auraient été maintenues ; celle-ci n’a effectué que quelques déplacements très limités en nombre en Angola; ses tentatives, réelles, de reclassement de la salariée ont été vaines eu égard à la petite taille de l’entreprise qui employait une quarantaine de salariés ; aucun poste similaire n’était vacant à la date de rupture du contrat de travail, y compris au sein de la société Airswift ;
– la salariée ne justifie pas d’un préjudice distinct.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 29 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement :
– La demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect du délai de deux jours ouvrables entre la date de l’entretien préalable et celle de l’expédition de la lettre de licenciement prévu par l’article L.1232-6 du code du travail, n’est pas nouvelle en application des dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile, dès lors qu’il résulte des éléments de procédure que l’appelant a formé devant le premier juge une demande indemnitaire au titre d’un licenciement irrégulier.
Cependant, si ce délai n’a pas été respecté, la lettre de licenciement ayant été expédiée le 27 décembre 2017 après l’entretien préalable qui s’est tenu à cette date, la salariée ne justifie pas de son préjudice. En conséquence, elle doit être déboutée de sa demande formée de ce chef.
– De même, s’il résulte des articles 2 et 4, que l’employeur ne conteste pas pouvoir lui être opposés, de l’avenant n° 11 du 8 juillet 1993 relatif aux fins de chantier dans l’ingénierie, que la lettre de licenciement devait mentionner les possibilités d’accès au dispositif de formation relevant du fonds d’assurance formation ingénierie, études et conseils (Fafiec), dès lors que le salarié concerné peut bénéficier d’un accès prioritaire aux formations proposées par ce fonds en exprimant une telle demande dans un délai de six mois à compter de la notification du licenciement, force est de constater l’absence de toute démonstration d’un préjudice découlant de cette omission quand il ressort de son mail du 26 janvier 2018 que la salariée, qui occupait des fonctions de coordinatrice logistique du personnel, avait fait à cette date des démarches auprès de l’organisme paritaire collecteur agréé Opcalia, lequel avait remplacé le Fafiec à compter de l’année 2018 comme indiqué par l’employeur dans un mail du 8 février 2018, ce dont il résulte que la salariée, licenciée le 27 décembre 2017, a été en mesure d’exercer tous ses droits en la matière dans les délais requis, celle-ci ne justifiant d’aucune perte de chance. Elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts formulée à ce titre.
– La lettre du 27 décembre 2017 respecte l’exigence de motivation en ce qu’elle énonce à titre de motif du licenciement les faits objectifs, précis et matériellement vérifiables qui suivent:
‘ …Vous avez été embauchée par Contrat à Durée Indéterminée Chantier en date du 17 février 2015 pour la durée des travaux relevant de votre spécialité sur le chantier Projet KAOMBO Client TECHNIP.
Les tâches effectuées de ce projet sur lesquelles vous êtes actuellement employée ont été clôturées le 22 décembre 2017.
A cette date, nous ne sommes pas en mesure de vous proposer un poste sur un autre chantier de l’entreprise et nous sommes donc contraints de procéder à la rupture de votre contrat.
Votre préavis commencera à courir à la date de présentation de cette lettre recommandée pour se terminer le 26 mars 2018 …’
Il ressort du contrat de travail à durée indéterminée du 12 janvier 2015 que la salariée a été embauchée à compter du 16 février 2015 pour le chantier ‘Projet KAOMBO – Client TECHNIP’; que celle-ci devait occuper des fonctions de coordinatrice logistique du personnel, statut cadre ; qu’elle était en charge de tâches relatives à la logistique du personnel concernant le projet Kaombo ‘de la Société Cliente TECHNIP’, devant exercer ses fonctions pour les besoins du chantier, soit au siège de ‘Technip France’ à [Localité 5], soit dans un lieu défini par la société cliente Technip, celle-ci pouvant être amenée à tout moment et selon les besoins de la société Portage Energie et de la société Technip, à effectuer divers déplacements tant en France qu’à l’étranger.
Selon l’employeur, en dépit du copilotage du projet Kaombo par la société Technip et la prolongation de ce projet au-delà de la rupture du contrat de travail de la salariée, cette dernière n’avait plus aucune mission à accomplir au mois de décembre 2017 en raison de l’ achèvement de ses missions sur le site de la société Technip à [Localité 6]. Il se fonde essentiellement sur un mail envoyé le 13 octobre 2020 par Madame [G] qui indique qu’en tant qu’employée ‘Account Manager’ de la société Airswift, elle était en charge du dossier de prestation de la salariée, et que les tâches de cette dernière s’inséraient dans la mission de coordination logistique du personnel de la société Technip dans le cadre du projet Kaombo sur le site de [Localité 6], ajoutant que : ‘ L’équipe du Projet Kaombo chez Technip [Localité 6] a été démobilisée entièrement fin décembre 2017″.
Toutefois, outre qu’une stricte limitation des missions de la salariée à une équipe dédiée au projet Kaombo sur le site de [Localité 6] et une démobilisation de cette équipe à la date indiquée, ne sont corroborées par aucun élément, les missions de la salariée n’étaient pas restreintes, en l’état de la lecture de son contrat de travail, à la logistique du personnel relié à un site particulier, celle-ci étant chargée du personnel de la société Technip relié au projet Kaombo, le cas échéant dans le cadre de déplacements à l’étranger dont l’existence, même ponctuelle, n’est pas contestée.
Au surplus, il résulte de mails datant de l’année 2018 que du personnel de la société Technip est resté affecté au projet Kaombo à cette date.
Ainsi, en application de l’article L. 1236-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, il y a lieu de dire que le licenciement
est dénué de cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Compte tenu de l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise au moment de la rupture ( trois ans), de son âge (38 ans), de sa capacité à retrouver un emploi résultant des éléments fournis, et de l’effectif de l’entreprise, au moins égal à onze, il y a lieu de lui allouer la somme de 15773,68 euros nets (quatre mois de salaire brut mensuel de référence) à titre de dommages et intérêts en application des dispositions alors en vigueur de l’article L.1235-3 du code du travail.
Sur la demande en paiement d’une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts :
Il n’apparaît pas que l’irrecevabilité qui a été soulevée en cause d’appel par l’intimée, fût-elle non-fondée, procède d’un usage abusif ou dilatoire de ses droits procéduraux, en l’absence notamment d’une intention malveillante ou d’une mauvaise foi évidente. Il n’est justifié d’aucune préjudice à ce titre. Cette demande sera également en voie de rejet.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application les dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées à la salariée par Pôle Emploi du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur les frais irrépétibles :
En équité, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit de la salariée à laquelle la somme de 2500 euros sera allouée au titre des frais irrépétibles.
Sur les dépens :
L’employeur, partie succombante, supportera la charge des entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud’homale et par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement entrepris.
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit le licenciement de Madame [I] [S] sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la Sarl Portage Energie à payer à Madame [I] [S] la somme de 15773,68 euros nets au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la Sarl Portage Energie à payer à Madame [I] [S] la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Ordonne le remboursement par la Sarl Portage Energie des indemnités de chômage versées par Pôle Emploi à Madame [I] [S] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Dit qu’une copie du présent arrêt doit être adressée à l’organisme social par le greffe.
Déboute les parties pour le surplus.
Condamne la Sarl Portage Energie aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,La PRÉSIDENTE,