Compte personnel de formation : 6 décembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00202

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Compte personnel de formation : 6 décembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00202
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ARRÊT N°

N° RG 20/00202 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HTWB

CRL/DO

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON

19 décembre 2019

RG :F 18/00464

S.A.S. LAFARGEHOLCIM BETONS

C/

[D]

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

S.A.S. LAFARGEHOLCIM BETONS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Marc PATIN de l’AARPI LEXT, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [I] [D]

né le 11 Octobre 1985 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Philippe MOURET, avocat au barreau D’AVIGNON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 13 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Novembre 2022, prorogé ce jour.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 06 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [I] [D] a été engagé par la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est dans le cadre d’un contrat de professionnalisation signé le 6 novembre 2009 aux termes duquel il était engagé pour préparer le poste d’agent technique de centrale BTE.

À l’issu de ce contrat de professionnalisation, était régularisé un contrat de travail à durée déterminée en date du 10 septembre 2010 dont l’objet était le remplacement d’un salarié au poste de conducteur de centrale.

Le 10 mars 2011, les parties concluaient un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 12 mars 2011. M. [D] continuait d’occuper son poste de conducteur de centrale.

Le 28 octobre 2016, le salarié était victime d’un accident du travail, et placé en arrêt de travail jusqu’en mars 2017.

Suite à deux visites médicales de reprises le 7 février puis le 22 mars 2017, le médecin du travail le déclarait apte avec comme recommandation : ‘éviter le nettoyage du malaxeur et les efforts violents et port de charges lourdes supérieures à 20 kg durant encore un mois’.

Par courrier du 18 avril 2018, M. [D] était convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 17 mai 2018, la société notifiait à M. [D] son licenciement pour faute simple pour avoir subitement et délibérément lancé dans un accès de colère, une chaise de l’entreprise, en état de marche, par-dessus une rambarde à 4 mètres au-dessus du sol.

Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, le 26 septembre 2018, M. [D] saisissait le conseil de prud’hommes d’Avignon en paiement d’indemnités de rupture et de diverses sommes lequel, par jugement contradictoire du 19 décembre 2019, a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse

– condamné la SAS Lafargeholcim Bétons à verser à M. [D] [I]:

* 18 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– dit que les sommes accordées à titre indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision

– ordonné la capitalisation des intérêts

– dit que le salaire brut moyen de M. [D] pour les trois derniers mois est de 2 814 euros

– ordonné l’exécution provisoire sur l’intégralité des dommages et intérêts accordés à M. [D]

– débouté M. [D] du surplus de ses demandes

-débouté la SAS Lafargeholcim Bétons de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de la SAS Lafargeholcim Bétons.

Par acte du 16 janvier 2020, la société Lafargeholcim Bétons a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 17 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 septembre 2022 à 16 heures. L’affaire a été fixée à l’audience du 27 septembre 2022 à 14 heures.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 juillet 2020, la SAS Lafargeholcim Bétons demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [D] sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il l’a condamné à verser à M. [D] [I] 18 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à sa charge

Statuant à nouveau,

– constater que le 6 avril 2018, M. [D] a, sous l’effet de la colère, lancé subitement et volontairement depuis son poste de commande, au-dessus d’une rambarde, un siège de l’entreprise en état de fonctionnement, qui s’est écrasé 4 mètres plus bas par terre, le rendant inutilisable,

– constater que deux personnes attestent de ces faits dont s’est rendu coupable M. [D], et que sa réaction sur le danger de son action a été : « C’est la vie »,

– constater qu’il n’y a qu’un seul centraliste sur le site d'[Localité 3], qu’il s’agit de M. [D], et qu’il n’y a pas le moindre doute sur l’identité de la personne qui a lancé le siège incriminé,

– constater que M. [D], au cours de son entretien préalable de licenciement, a effectivement reconnu avoir volontairement « laissé tomber » le siège depuis son poste de commande situé à 4 mètres de hauteur,

– constater que M. [D] n’a jamais émis le moindre regret et ne s’est jamais engagé à ne plus reproduire cette action, qu’il ne considère pas comme dangereuse,

– constater que M. [D] a suivi de nombreuses formations professionnelles à l’initiative de la société et savait donc que lancer un objet depuis 4 mètres de hauteur était dangereux et prohibé,

– constater que lancer une chaise depuis 4 mètres constitue en tant que tel un acte illicite et forcément dangereux,

– constater que M. [D] était connu dans l’entreprise pour être agressif à l’égard de ses interlocuteurs et méprisant pour les règles de sécurité,

– constater que M. [D] avait déjà plusieurs semaines auparavant détruit un téléphone de l’entreprise « PTI » et l’avait rendu inutilisable,

– constater qu’elle a satisfait à l’ensemble des exigences posées par la médecine du travail,

– constater qu’elle a effectué des revues des conditions de travail de M. [D] afin de les améliorer, en lien avec le médecin du travail,

– constater que jamais la médecine du travail ne l’a incriminée pour les conditions de travail de M. [D] , ni n’a indiqué qu’elle n’avait pas respecté ses préconisations ou ses obligations légales,

– constater que le médecin du travail a toujours jugé apte M. [D] ,

– constater que jamais M. [D] ne s’est plaint au cours de sa relation de travail de ses conditions de travail, de la dégradation de sa santé en raison de l’exercice de sa fonction, ou de manquement de la société à ses obligations de protection de la santé et de la sécurité des salariés,

– constater que le licenciement pour faute simple de M. [D] est sans aucun lien avec un quelconque état de santé,

En conséquence,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [D] sans cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a jugé qu’elle avait respecté les préconisations du médecin du travail et que le licenciement n’avait pas été prononcé dans des circonstances vexatoires,

– rejeter l’intégralité des demandes de M. [D], outre appel incident,

Reconventionnellement :

– condamner M. [D] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

– le licenciement pour faute simple de M. [D] est fondé car celui ci a délibérément, parce qu’il était en colère, jeté une chaise du haut de son poste de commande. Son action est grave car elle aurait pu emporter des conséquences lourdes. En outre, il a volontairement cassé le téléphone de l’entreprise, un PTI (poste téléphonique de protection) pour travailleur isolé.

– l’acte de M. [D] est d’autant plus grave qu’il connaissait parfaitement les règles de sécurité applicables au sein de la société puisqu’il avait reçu de la société de nombreuses formations professionnelles.

– contrairement à ce qu’affirme M. [D], elle n’a jamais accepté une quelconque habitude de laisser tomber des objets depuis 4 mètres de haut.

– elle a bien respecté les préconisations du médecin du travail de non-utilisation du malaxeur pendant un mois, et que M. [D] ne souffrait d’aucune difficulté physique pour exercer sa fonction. Elle expose que:

* l’avis du médecin du 22 mars 2017 avait une durée d’un mois, et devait donc être appliqué jusqu’au 22 avril 2017 ;

* du 22 mars 2017 au 22 avril 2017, M. [D] n’a pas utilisé de malaxeur comme le préconisait le médecin du travail

* le 10 mai 2017, M. [D] a revu le médecin du travail qui l’a jugé apte et sans aucune restriction technique.

– M. [D] ne démontre pas le préjudice moral qu’il aurait subi.

En l’état de ses dernières écritures en date du 08 juillet 2020, contenant appel incident, M. [I] [D] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes qui :

* dit et juge son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

– confirmer le jugement qui condamne la SAS Lafargeholcim Bétons à lui payer :

* à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 18 000 euros

* et 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– infirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau,

– condamner la SAS Lafargeholcim Bétons, prise en la personne de son représentant légal en exercice, d’avoir à lui payer à titre de :

* dommages et intérêts pour non-respect des préconisations du médecin du travail : 5000 euros,

* dommages et intérêts pour préjudice moral : 5000 euros,

– dire et juger que ces sommes produiront intérêts à compter de la demande en justice,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– débouter la SAS Lafargeholcim Bétons de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la SAS Lafargeholcim Bétons, prise en la personne de son représentant légal en exercice, d’avoir à lui payer la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles en cause d’appel,

– la condamner aux entiers dépens.

Il fait valoir que :

– son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et explique que :

* il n’a pas lancé de chaise mais a tout simplement laissé tomber une chaise qui était inutilisable, qui ne roulait plus, qui gênait le passage et qui était dangereuse, d’une hauteur de trois mètres ;

* cette pratique de jeter est une pratique habituelle dans l’entreprise comme cela est justifié par les attestations;

* il a toujours respecté les consignes de sécurité ;

* il n’est en aucun cas responsable du problème matériel concernant le PTI, et ce grief est prescrit,

– les deux attestations doivent être écartées, la première ne nomme pas M. [D] mais parle du centraliste, et la seconde ne fait que rapporter les propos de M. [D],

– les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement ne sont absolument pas constitués et ne sauraient motiver la rupture de son contrat de travail pour faute.

– pendant 8 ans, il n’a jamais eu la moindre remarque, ni la moindre sanction.

– l’employeur n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail qui l’avait déclaré apte mais avec des restrictions mais qu’il a été amené à nettoyer le malaxeur alors ce que cela lui avait été interdit par le médecin du travail ( attestations 8 et 9 de l’employeur ).

– il a subi un préjudice financier et moral particulièrement important consécutivement à la rupture de son contrat de travail.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS

Demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

M. [I] [D] a été victime d’un accident le 28 octobre 2017, pris en charge par la Caisse Primaire d’assurance maladie de Vaucluse au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Le 7 février 2017, suite à la visite de reprise le médecin du travail l’a déclaré apte, précisant dans la rubrique conclusions ‘ éviter le nettoyage du malaxeur durant 1 mois’.

Le 22 mars 2017, une nouvelle visite avait lieu à la demande du salarié, et le médecin du travail concluait à l’aptitude, précisant dans la rubrique conclusions ‘ éviter le nettoyage du malaxeur et les efforts violents et port de charges lourdes supérieures à 20 kg durant encore 1 mois’.

M. [I] [D] sollicite la condamnation de la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est à lui verser 5.000 euros de dommages et intérêts pour non respect des préconisations du médecin du travail au motif qu’il a été amené à nettoyer le malaxeur avant le 22 avril 2017 et vise au soutien de sa demande son propre courriel produit par la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est dans lequel il indique le 27 février 2018 ‘ le PTI ne fonctionne plus. Il faudrait en récupérer un parce que vu que le matin et le soir je suis tout seul. Quand il faut nettoyer le malaxeur ça pose problème si il arrive quelque chose. La solution en attendant d’en avoir un , c’est que quelqu’un reste le soir car le collègue au chargeur finit à 17h. Merci de faire le nécessaire pour avoir un téléphone dans les meilleurs délais’

La SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est conteste cette demande et soutient que les préconisations ont été respectées.

Force est de constater que ce seul courriel ne suffit pas à établir que M. [I] [D] a été amené à nettoyer le malaxeur, son message ne faisant que s’interroger sur l’hypothèse où il devrait le faire en l’absence de collègue. Par ailleurs, l’avis du médecin du travail ne vise pas une interdiction de procéder à cette action mais recommande de l’éviter.

Enfin, M. [I] [D] ne justifie d’aucun préjudice au soutien de sa demande de dommages et intérêts.

En conséquence c’est à juste titre que les premiers juges l’ont débouté de sa demande et leur décision sera confirmée sur ce point.

Demandes relatives à la rupture du contrat de travail

M. [I] [D] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par courrier en date du 17 mai 2018, rédigé dans les termes suivants :

‘ Monsieur,

Nous faisons suite à l’entretien préalable auquel vous avez été convoqué par lettre suivie en date du 18 avril 2018. Vous avez été reçu par Monsieur [J] [L], Chef de centre et Madame [S] [Y], Responsable des Ressources Humaines, le 26 avril 2018 à 14h00 au sein de nos locaux situés à [Localité 4]. Vous vous êtes présenté accompagné de Monsieur [G] [R], salarié de la société en qualité de Technicien de Laboratoire.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les faits que nous vous reprochions et sollicité vos explications.

En effet, le 6 avril 2018, au matin, alors que vous étiez en charge de la production du site d'[Localité 3] auquel vous êtes rattaché, un de vos collègue a constaté lors de son arrivée sur le site qu’un fauteuil de bureau était au sol au niveau de la piste de chargement au pied du poste de commande. Votre collègue, constatant cette situation anormale, s’est enquis auprès de vous de la raison de la présence de ce fauteuil au sol. Vous lui avez alors expliqué que, le fauteuil se trouvant dans le passage, gênait vos allées et venues et que ‘ sous le coup de la colère’, vous l’aviez projeté par-dessus la rambarde. Celui-ci vous a signalé la dangerosité d’une telle réaction, ce à quoi vous lui auriez répondu ‘c’est la vie’ comme le précise son attestation en date du 2 mai 2018.

De plus, un de nos sous-traitants qui se trouvait sur place au moment des faits, confirme l’état dans lequel vous vous trouviez à ce moment-là : ‘ j’ai vu le centraliste s’énerver et prendre une chaise de bureau et la jeter par- dessus la rambarde’, conformément à son attestation datée du 14 mai 2018.

Lors de l’entretien préalable, nous avons attiré votre attention sur la dangerosité de cet acte. En effet, la projection du fauteuil aurait pu avoir de graves conséquences si celui-ci avait heurté lors de sa chute un objet, du matériel, et dans l’hypothèse la plus grave, une personne, collègue ou un client qui aurait pu se trouver à cet endroit.

Nous avons été très surpris de votre réaction lors de l’entretien, consistant à minimiser la gravité des faits.

Il est pourtant à noter que de tels mouvements de colère se traduisant par des gestes violents de votre part ont déjà été à déplorer, puisque le 27 février dernier, votre Direction a été informée d’une dégradation de matériel sur le site d'[Localité 3]. Un téléphone ‘PTI’ ( équipement de travailleur isolé) avait été retrouvé détérioré et été remplacé en urgence, compte tenu du caractère indispensable d’un tel matériel. Vous avez reconnu à ce propos avoir tendance à manifester votre nervosité en vous ‘défoulant’ sur du matériel, ce qui s’était notamment passé avec le téléphone ‘PTI’ en question.

Au-delà du coût non négligeable que cela représente ( environ 500 €pour le téléphone PTI) ce type de réaction ne peut en aucun cas être toléré puisqu’il témoigne d’un tempérament colérique mal maîtrisé, en totale opposition avec nos valeurs.

En effet, ces réactions impulsives violentes présentent un risque certain pour votre propre sécurité ainsi que celle de nos collaborateurs et clients que vous mettez en danger de façon aussi bien directe – risque d’être heurté par le fauteuil projeté – qu’indirecte – détérioration du matériel nécessaire à votre sécurité.

Outre la violation des valeurs de notre Groupe, prônant avant toute chose la santé et la sécurité de nos collaborateurs, vous avez également enfreint par de tels agissements l’obligation de sécurité mise à votre charge par l’article L 4122-1 du code du travail. Nous tenons par ailleurs pour utile de vous rappeler que la société LafargeHolcim Bétons est elle-même tenue d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses collaborateurs et doit à ce titre prévenir, ou faire cesser le cas échéant, toute situation présentant un risque pour la santé physique et mentale de ses salariés.

Pour ces raisons, et au regard des faits qui vous sont reprochés, ainsi que des explications insatisfaisantes que vous nous avez apportées lors de l’entretien, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute simple.

La rupture du contrat de travail prendra effet à l’issue de votre préavis de deux mois que nous vous dispensons d’exécuter. La date de réception de la présente marquera le point de départ de votre préavis.

Par ailleurs, compte tenu de la motivation de votre licenciement, la période de mise à pied conservatoire précédant la prise de décision définitive vous sera rétroactivement rémunérée.

Nous vous informons que sous réserve de réunir les conditions requises, vous pourrez bénéficier, à titre gratuit, du maintien des garanties frais de santé ( maladie, accident, maternité ) et prévoyance ( décès, incapacité, invalidité) prévues par le contrat de prévoyance souscrit par l’entreprise, pendant cotre indemnisation par le régime de l’assurance chômage dans la limite de la durée de votre contrat de travail et en tout état de cause dans la limite de douze mois conformément à l’article L 911-8 du code de la sécurité sociale. Les garanties maintenues sont identiques à celles en vigueur dans l’entreprise.

A toutes fins utiles, nous vous informons que vos droits à la formation professionnelle peuvent être mobilisés dans le cadre du compte personnel de formation.

Nous vous ferons parvenir, par lettre recommandée avec accusé de réception, votre solde de tout compte ainsi que votre attestation Pôle emploi et certificat de travail dès qu’ils seront établis.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de notre sincère considération.’

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être existante et exacte. La cause sérieuse concerne une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles. La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire.

Le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige doit être apprécié au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que, si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce.

Si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.

Si l’article L1332-4 du code du travail prévoit en principe qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance, en revanche ce texte ne s’oppose à pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai.

Enfin, selon le principe « non bis in idem », une même faute ne peut faire l’objet de deux sanctions successives. Le prononcé de la première sanction « épuise » le pouvoir disciplinaire de l’employeur. Ainsi, dès lors que le salarié a déjà été sanctionné pour des faits considérés comme fautifs par l’employeur, les mêmes faits ne peuvent fonder un licenciement. U n licenciement motivé par les seuls griefs déjà sanctionnés sur le plan disciplinaire serait sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, le grief retenu par la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est consiste dans le fait d’avoir le 6 avril 2018, jeté sous le coup de la colère, depuis le poste de commande, par dessus une rambarde située à 4 mètres du sol un fauteuil de bureau, lequel est tombé sur la piste de chargement.

Pour démontrer la réalité de ce grief, la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est verse aux débats :

– une attestation de M. [B] [H] qui se présente comme chauffeur poids-lourds et indique: ‘ le matin quand je suis arrivé à la centrale de Lafarge [Localité 3], j’ai vu le centraliste s’énerver et prendre une chaise de bureau et la jeter par dessus la rambarde d’une hauteur d’à peu près 4 à 5 mètres les faits se sont déroulés le 6 avril 2018″,

– une attestation de Mme [A] [T], qui se présente comme commerciale et indique : ‘le 6 avril à 8h30 du matin en arrivant sur les lieux ( centrale d'[Localité 3]) je me rends compte que le fauteuil du site de production servant à s’asseoir se retrouve au sol sur la piste de chargement. A ma grande surprise, je demande explication à Mr [D] ( chef de centrale) celui-ci me répondant devant un chauffeur que le fauteuil se trouvé au milieu, à chaque fois qu’il recule, celui-ci vient lui taper dans le dos, il a donc volé; Je demande la raison : sous l’effet de la colère. Je lui réponds que son comportement n’est pas professionnel et que son acte est dangereux. Il me répond ‘c’est la vie’.’,

– la photographie d’un siège de bureau couché au sol,

– un courriel en date du 12 avril 2018, adressé par M. [J] [L], chef de centre Vaucluse à Mme [S] [Y] qui fait référence aux faits du 6 avril 2018 et précise : ‘ en ce qui concerne la journée du 6 avril, pour relater la cause, c’est la contrariété d’une annulation client le matin même qui a mis [I] dans un état de colère intense. De plus, la dégradation du matériel professionnel ce n’est pas la première fois : chaise – fauteuil – portable PTI – cafetière …. (…) Mr [D] peut être gentil un jour et colérique le lendemain’,

– des échanges de courriels en date du 27 février 2017 relatifs au fait que le téléphone PTI ne fonctionne plus, et dans lesquels il est demandé à M. [I] [D] d’en prendre soin en raison de son prix,

– une attestation de M. [J] [L] qui se présente comme chef de centre et indique que ‘le fait de jeter d’un étage du matériel par dessus une rambarde n’a jamais été une pratique consacrée au sein de notre agence. Cette pratique à risque va à l’encontre de nos valeurs sécurité qui doivent être véhiculées par l’ensemble de notre personnel’.

Pour remettre en cause ces éléments, M. [I] [D] soutient qu’il existe un doute sur le déroulement des faits dès lors que Mme [T] n’était pas témoin direct de ceux-ci et ne fait qu’interpréter ses propos, et que le chauffeur ne le désigne pas nominativement mais parle du ‘centraliste’.

Il soutient que le fait de jeter les objets de cette façon est une pratique courante, et verse en ce sens trois attestations de collègues qui indiquent pratiquer de la sorte pour évacuer des détritus, cartons vides et mis à plat, seaux de colorants.

Enfin, il explique qu’il était sur la passerelle et qu’il a laissé tombé une chaise qui était inutilisable, qui ne roulait plus et qui gênait le passage et était dangereuse, ce qui était une pratique habituelle.

Concernant le téléphone PTI, il soutient qu’il s’agissait d’un problème de batterie dont il n’est en aucun cas responsable.

Par ailleurs, il soutient qu’il a toujours été soucieux des questions de sécurité et n’a jamais eu de remarques pendant toute la durée de ses contrats de travail sur ce point.

Ceci étant, force est de constater que M. [I] [D] ne peut pas soutenir d’une part qu’il a laissé tomber une chaise, ce qui sous-entend qu’il s’agirait d’un geste involontaire, et expliquer qu’il s’agit d’une pratique courante pour évacuer un matériel dont il ne démontre pas autrement que par sa propre affirmation qu’il aurait été défectueux.

Au surplus, les attestations qu’il verse aux débats mentionnent le fait de jeter des détritus ou des cartons vides, dont le poids, et donc l’impact en cas de chute sur une personne, est bien moindre que celui d’un fauteuil de bureau. Il n’est donc démontré aucune pratique courante au sein de la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est tendant à jeter du mobilier par dessus les rambardes pour éviter d’avoir à les transporter dans les escaliers.

Enfin, il ne démontre pas qu’une autre personne que lui aurait pu être désignée comme étant le centraliste qui a jeté la chaise le 6 avril 2018, comme en atteste M. [H].

Ainsi, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, il n’existe aucun doute sur le fait que M. [I] [D] a le 6 avril 2018 volontairement jeté depuis le poste de commande, à 4 mètres du sol, du matériel en état de fonctionnement, appartenant à son employeur, sous le coup de la colère, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires.

L’absence d’antécédents disciplinaires est sans incidence sur l’appréciation de la gravité de ces faits, et la désinvolture avec laquelle M. [I] [D] les décrit interroge sur sa capacité à en mesurer le risque.

Ainsi, ces faits, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si la défectuosité d’un téléphone PTI en février 2018 est imputable ou non à M. [I] [D] à qui il a été demandé par courriel de prendre soin de son matériel, sont d’une gravité suffisante pour caractériser la cause réelle et sérieuse du licenciement dont le salarié à fait l’objet.

En conséquence, le licenciement de M. [I] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse et la décision déférée sera infirmée en ce sens, et l’intimé sera débouté de l’ensemble de ses demandes indemnitaires subséquentes.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 19 décembre par le conseil de prud’hommes d’Avignon sauf en ce qu’il a débouté M. [I] [D] de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect des préconisations du médecin du travail et pour préjudice moral,

et statuant à nouveau sur les éléments infirmés,

Juge que le licenciement de M. [I] [D] notifié par la SAS Lafargeholcim Bétons Sud Est par courrier du 17 mai 2018 est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [I] [D] de ses demandes indemnitaires,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d’obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire,

Condamne M. [I] [D] aux dépens de la procédure d’appel.

Arrêt signé par le président et par le greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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