Compte personnel de formation : 14 décembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02191

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Compte personnel de formation : 14 décembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02191
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 DÉCEMBRE 2022

N° RG 20/02191

N° Portalis DBV3-V-B7E-UCXA

AFFAIRE :

Société [T] ENTREPRISE INGENIERIE

C/

[X] [O] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : I

N° RG : F 19/00762

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Véronique DE LA TAILLE

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société [T] ENTREPRISE & INGENIERIE prise en la personne de son liquidateur amiable M. [I] [D] [V] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0148 et Me Nathalie VERSIGNY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0073

APPELANTE

****************

Monsieur [X] [O] [Y]

né le 11 avril 1966 à [Localité 5] (Portugal)

de nationalité portugaise

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Karine RIES de la SELAFA FIDUCIAL SOFIRAL, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 721 et Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [O] [Y] a été engagé par la société Buhr Ferrier [T] en qualité de maçon chef de file, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 8 avril 1999.

Le 1er octobre 2014, la société Buhr Ferrier [T] a été reprise par la société [T] Entreprise Ingénierie qui a régularisé un contrat de travail avec le salarié portant sur des fonctions de commis principal.

Cette société est spécialisée dans des travaux de maçonnerie générale et gros ‘uvre de bâtiment. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective des ETAM du bâtiment de la région parisienne.

Par lettre du 2 octobre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 12 octobre 2018.

Le 6 octobre 2018, l’associé unique et président de la société, M. [D] [T], a décidé de la liquidation amiable de la société.

Le salarié a été licencié par lettre du 24 octobre 2018 pour motif économique dans les termes suivants :

« Comme nous vous l’avons exposé au cours de notre entretien du 12 octobre 2018, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.

Celui-ci est justifié par les éléments suivants :

– Une baisse brutale du chiffre d’affaire dans un contexte déjà difficile et l’insuffisance de nouvelles commandes alors que les chantiers se terminent. Le départ inopiné du responsable des études fin juin a compromis les chances de trouver de nouveaux chantiers nécessaires à la bonne marche de l’entreprise.

– Des solutions alternatives comme l’activité partielle ont été mises en place, mais celles-ci se révèlent insuffisantes car la situation économique est critique et il faut prendre des mesures radicales.

– Aucune solution de reclassement n’a pu être trouvée. Nous avons examiné les solutions de reclassement, mais aucun poste susceptible de vous convenir n’est disponible et la situation économique actuelle ne nous permet pas de créer un nouveau poste ».

Le 4 juin 2019, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Boulone-Billancourt aux fins de requalification de son licenciement pour motif économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale, dont des heures supplémentaires, et à caractère indemnitaire.

Par jugement du 21 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section industrie) a :

– fixé le salaire de M. [O] [Y] à 4 500 euros mensuel brut,

– dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société [T] Entreprise Ingénierie prise en la personne de son liquidateur M. [D] [T] à verser à M. [O] [Y] les sommes de :

. 67 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi au titre d’une clause de non concurrence illicite,

. 26 645,91 euros et 2 664,59 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2016 à décembre 2016,

. 14 817,94 euros et 1 481,79 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2017 à juillet 2017,

. 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [O] [Y] du surplus de ses demandes,

– débouté la société [T] Entreprise Ingénierie prise en la personne de son liquidateur M. [T] de sa demande.

Par déclaration adressée au greffe le 6 octobre 2020, la société [T] Entreprise Ingénierie a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société [T] Entreprise Ingénierie demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 21 septembre 2020 en ce qu’il a :

. dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

. l’a condamnée à verser à M. [O] [Y] les sommes de :

* 67 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,

* 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi au titre d’une clause de non concurrence illicite,

* 26 645,91 euros et 2 664,59 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2016 à décembre 2016,

* 14 817,94 euros et 1 481,79 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38 ème heure de janvier 2017 à juillet 2017,

* 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’a déboutée de sa demande,

et statuant à nouveau,

– débouter M. [O] [Y] de ses demandes en paiement d’une somme de 450 euros à titre d’indemnité de congés payés afférente au 3ème mois de préavis, de 4.050 euros nets de dommages et intérêts au titre d’une clause de non concurrence illicite, de 67 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 14 825,34 nets de dommages et intérêts pour violation de l’obligation d’adaptation à l’évolution de l’emploi, de 4 500 euros au titre du préjudice résultant de la clause non concurrence dépourvue de contrepartie pécuniaire, de 26.645,91 euros auxquels s’ajoutent les congés payés pour un montant de 2 664,59 euros en paiement des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier à décembre 2016, de 14 817,94 euros auxquelles s’ajoutent les congés payés pour un montant de 1 481,79 euros, pour les heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier à décembre 2017,

– débouter M. [O] [Y] de ses demandes complémentaires,

– condamner M. [O] [Y] au paiement d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [O] [Y] en tous les dépens dont distraction au profit de Me de La Taille, avocat.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [O] [Y] demande à la cour de :

– infirmer partiellement le jugement rendu le 21 septembre 2020 en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de la société [T] Entreprise Ingénierie à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi ainsi que de son rappel d’indemnité de congés payés sur son troisième de préavis,

par conséquent,

– fixer le salaire habituel à hauteur de 4 500 euros bruts et la moyenne des salaires des 12 derniers mois à 4 941,78 euros bruts,

– condamner la société [T] Entreprise Ingénierie à lui payer l’indemnité de congés payés afférente au troisième mois de préavis qui lui a été versée par la société le 18 novembre 2019, soit 450 euros bruts (10% de 4 500 euros),

– juger de la violation par la [T] Entreprise Ingénierie de l’obligation d’adaptation à l’évolution de l’emploi à son égard,

– condamner la société [T] Entreprise Ingénierie à lui verser les sommes de :

. 14 825,34 euros nets au titre des dommages et intérêts,

. 4 050 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi au titre d’une clause de non concurrence illicite,

– confirmer le jugement du 21 septembre 2020 rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en toutes ses autres dispositions en ce qu’il a :

. dit son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. condamné la société [T] Entreprise Ingénierie à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 67 500 euros,

. dit illicite la clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie pécuniaire et allouer au salarié au titre du préjudice en résultant, la somme de 4 500 euros,

. condamné la société [T] Entreprise Ingénierie au paiement des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2016 à décembre 2016, en réajustant les sommes aux derniers calculs effectués, soit la somme de 26 030,91 euros, auxquelles s’ajouteront les congés payés afférents pour un montant de 2 603,09 euros,

. condamné la société [T] Entreprise Ingénierie au paiement des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2017 à juillet 2017, en réajustant les sommes aux derniers calculs effectués, soit la somme de 14 152,69 euros, auxquelles s’ajouteront les congés payés afférents pour un montant de 1 415,26 euros,

. ordonné la modification des documents de fin de contrat conformément au jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant le prononcé du jugement,

. condamné la société [T] Entreprise Ingénierie à lui verser la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant,

– ordonner en cas de besoin, une expertise graphologique de la lettre de démission datée du 29 juillet 2014 qu’il conteste avoir rédigée et signée,

– ordonner la modification des documents de fin de contrat conforme à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l’arrêt,

– ordonner le versement des intérêts aux taux légaux et la capitalisation des intérêts à compter de la saisine du bureau de conciliation et d’orientation pour les demandes ayant la nature de salaires et à compter de la décision à intervenir sur les autres demandes jusqu’à complet paiement, outre la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la société [T] Entreprise Ingénierie à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société [T] Entreprise Ingénierie aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les demandes relatives au temps de travail

Le salarié fait valoir qu’il a été engagé pour réaliser 38 heures par semaine et qu’il en a réalisé davantage ; que l’employeur a commis une fraude visant à déclarer pour lui un chômage partiel en maintenant son rythme de travail. Il ajoute qu’il produit des éléments de nature à étayer sa demande alors que l’employeur ne justifie pas de ses horaires.

En réplique, l’employeur estime que la question à trancher est celle de la sincérité et du caractère probant des justificatifs produits par le salarié, lesquels sont contredits d’une part par ceux que la société produit, au rang desquels les agendas 2016 et 2017 du salarié, remplis par les soins de ce dernier, et, d’autre part, par le caractère trop uniforme des horaires prétendument réalisés par le salarié. Il se prévaut en outre des contradictions du salarié pour conclure à l’absence de sincérité et de valeur probante des éléments qu’il produit.

***

L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé.

Il revient ainsi au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis – éléments factuels, le cas échéant établis par ses soins ‘ quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire et à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié soumet à la cour les éléments suivants :

. les courriers qu’il adressait à son employeur les 4 avril et 2 juillet 2017 pour revendiquer le paiement de ses heures supplémentaires et la réponse de l’employeur,

. un décompte établi sous forme de tableau rendant compte, pour chaque jour, de ses heures de prise/reprise de poste tenant compte de sa pause déjeuner, et de ses heures de fin de travail ; le décompte présente, pour chaque semaine entre janvier 2016 et juillet 2017, le nombre total d’heures travaillées ;

. un récapitulatif synthétique des heures ainsi comptabilisées avec leur ventilation, semaine après semaine, entre les heures supplémentaires majorées à 25 % et celles majorées à 50 % ;

. les témoignages de MM. [H] [E] et [E] [M], le premier attestant de la présence du salarié au bureau tous les soirs lorsqu’il l’appelait (sans toutefois préciser à quelle heure il appelait généralement) et le second, de la présence du salarié sur les chantiers avant 8 heures, de son arrivée au dépôt à 7 heures pour organiser les transports et de sa présence pour le passage des commandes de matériels après 18 heures le soir.

Ces éléments, et en particulier les décomptes, quand bien même ils ont été établis par le salarié pour les besoins de la cause et quand bien même ils révèlent une forte régularité, sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.

Pour ce faire, l’employeur produit les agendas 2016 et 2017 du salarié. Ainsi que le fait à juste titre observer l’employeur, ces agendas ont été renseignés de façon manuscrite par le salarié. Et ce dernier fait apparaître très généralement la mention « Bureau : 8h00 » alors que dans ses décomptes, le salarié indique commencer systématiquement à 7h30. Toutefois, l’indication « bureau : 8h00 » n’est pas incompatible avec un début de travail à 7h30 dès lors qu’il résulte de l’attestation de M. [E] [M] – précise sur ce point – qu’il pouvait advenir au salarié d’arriver sur les chantiers avant 8h00. En revanche, cette attestation montre que l’arrivée du salarié sur les chantiers avant 8h00 n’était pas systématique même si c’était « souvent » le cas de telle sorte que la systématicité alléguée par le salarié ne peut être retenue s’agissant de ses horaires de prise de poste, contredits par les agendas.

En ce qui concerne les heures de fin de travail, l’employeur relève la contradiction entre les horaires allégués par le salarié dans ses décomptes et les heures qu’il mentionnait dans ses agendas de 2016 et 2017 : selon ses décomptes le salarié finissait son travail à 19h15 du lundi au jeudi et à 18h45 le vendredi alors que les agendas qu’il renseignait lui-même portent des mentions différentes. Toutefois, les heures mentionnées par le salarié sur les agenda ne correspondent pas à ses heures de départ du bureau, le soir, mais à ses heures de retour au bureau après un rendez-vous dans la journée. Dès lors, les heures mentionnées dans les agendas ne rendent pas compte des heures auxquelles le salarié a cessé son travail. Par conséquent, l’employeur qui doit justifier des horaires de travail effectués par le salarié, ne peut se fonder sur lesdits agendas pour contredire les éléments précis apportés par le salarié s’agissant de ses heures de fin de travail.

A juste titre l’employeur explique que selon les agendas renseignés par le salarié, il était absent les matins des 4 et 5 janvier 2016 alors que le salarié revendique pour ces deux matinées des heures de travail effectif.

A juste titre également, l’employeur relève que dans ses décomptes, le salarié parvient à un résultat de 53h45 par semaine alors qu’en réalité, le résultat arithmétique était de 53h15.

Il en résulte que les résultats hebdomadaires figurant sur ses décomptes sont erronés. Toutefois, cette erreur de calcul n’est pas de nature à remettre en cause l’ensemble des décomptes puisque le calcul des heures quotidiennes, lui, est exact. Au demeurant, le salarié a présenté un nouveau calcul sur une base correcte.

Compte tenu des éléments qui précèdent, il doit être retenu que le salarié a accompli des heures de travail effectif au-delà des 38 heures hebdomadaires pour lesquelles il était normalement rémunéré. Il convient d’évaluer le rappel dû au salarié au titre de ses heures supplémentaires non rémunérées aux sommes suivantes :

. 19 002,56 euros pour 2016,

. 10 897,57 euros pour 2017.

S’agissant des congés payés afférents à ces sommes, l’employeur s’oppose à leur paiement, exposant que la société était affiliée à la caisse des congés du bâtiment.

Effectivement, l’employeur était affilié à la caisse des congés payés du BTP entre 2016 et 2018. L’employeur montre à cet égard qu’il a délivré à la caisse le certificat prévu à l’article D. 3141-34 du code du travail qui prévoit que « L’employeur remet au salarié, avant son départ en congé ou à la date de rupture de son contrat, un certificat en double exemplaire qui permet à ce dernier de justifier de ses droits à congé envers la caisse d’affiliation du dernier employeur.
Ce certificat indique le nombre d’heures de travail effectuées par le salarié dans l’entreprise pendant l’année de référence, le montant du dernier salaire horaire calculé conformément aux dispositions de l’article D. 3141-32 ainsi que la raison sociale et l’adresse de la caisse d’affiliation. »

Pour autant, dès lors, d’une part, que la cour a retenu que le salarié avait réalisé des heures supplémentaires qui ne lui avaient pas été rémunérées, et, d’autre part, que ces heures supplémentaires ouvrent droit aux congés payés afférents et , enfin, que le certificat remis par l’employeur en application de l’article D. 3141-34 du code du travail ne prend pas en compte toutes les heures de travail effectuées par le salarié, ce dernier ne pourra pas justifier de ses droits à congés auprès de la caisse.

En outre, selon le contrat de travail, l’affiliation de l’employeur à la caisse de congés payés du bâtiment n’exclut pas qu’il puisse régler les congés payés du salarié puisque l’article 3.3 du contrat de travail (article 3.3 congés payés) stipule : « ils (les congés payés) sont versés sur la base des appointements mensuels par la caisse des congés payés du bâtiment et des travaux publics. Le cas échéant, ils pourront ultérieurement être réglés directement par notre entreprise ».

Il en résulte que les congés payés afférents aux heures supplémentaires seront mis à la charge de l’employeur.

Infirmant le jugement, il conviendra en conséquence de condamner l’employeur à payer au salarié :

. la somme de 19 002,56 euros à titre de rappel de salaire pour l’année 2016, outre 1 900,26 euros  au titre des congés payés afférents,

. la somme de 10 897,57 euros à titre de rappel de salaire pour l’année 2017, outre 1089,76 euros  au titre des congés payés afférents.

Sur le licenciement

Sur le principe de concentration des prétentions

L’employeur soutient que le salarié a demandé à la cour de confirmer le dispositif du jugement qui lui a alloué 67 500 euros de intérêts au motif que l’entreprise n’apportait pas la preuve de recherches sérieuses de reclassement ni d’impossibilité de reclassement ; que par application du principe de concentration des prétentions et des dispositions de l’article 910-4 code de procédure civile, la cour n’est saisie que de la question du respect ou non de l’obligation de reclassement.

En réplique, le salarié objecte que le fait que le conseil de prud’hommes ait accueilli sa demande sur la base d’un des moyens qu’il présentait – le moyen tiré du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement – n’équivaut pas à un jugement reconnaissant l’existence des difficultés économiques.

***

L’article 561 code de procédure civile prévoit que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code.

L’article 910-4 du code de procédure civile prescrit par ailleurs qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En l’espèce, le salarié a, dès ses premières écritures (cf. conclusions signifiées par RPVA le 19 mars 2021), demandé la confirmation du jugement en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La lecture du jugement du conseil de prud’hommes révèle que celui-ci a considéré le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse en retenant que l’employeur avait méconnu son obligation de reclassement. Ce faisant, le conseil de prud’hommes a retenu l’un des deux moyens que lui présentait le salarié. Dès lors que ce moyen était de nature à justifier sa décision, le conseil de prud’hommes n’était pas tenu d’examiner l’autre moyen qui consistait, pour le salarié, à soutenir que le motif économique n’était pas établi.

Le fait que le conseil de prud’hommes n’ait pas examiné ce dernier moyen, n’implique pas, contrairement à ce que prétend la société, que soit définitivement acquise le bien-fondé du motif économique dès lors, d’une part, qu’il était inutile, pour le conseil de prud’hommes, d’examiner ce moyen puisqu’il en avait retenu un autre, et dès lors d’autre part que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit, de sorte qu’il entre dans les pouvoirs de la cour d’examiner tous les moyens présentés par le salarié au soutien de sa demande.

Saisie de l’entier litige, la cour est tenue d’examiner l’ensemble des moyens que le salarié lui soumet pour dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, en premier lieu celui relatif aux difficultés économiques.

Sur le fond

L’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement que le salarié a été licencié en raison de difficultés économiques (« Une baisse brutale du chiffre d’affaire dans un contexte déjà difficile et l’insuffisance de nouvelles commandes alors que les chantiers se terminent. Le départ inopiné du responsable des études fin juin a compromis les chances de trouver de nouveaux chantiers nécessaires à la bonne marche de l’entreprise. ») et non en raison d’une cessation d’activité, laquelle n’est pas évoquée dans la lettre de licenciement. La cessation d’activité de l’entreprise ‘ cause autonome de licenciement pour motif économique ‘ n’étant pas invoquée dans la lettre de licenciement, il importe peu que cette cessation d’activité ait effectivement été décidée le 6 octobre 2018 et que mention en ait été portée sur le registre Kbis de la société.

Surtout, la lettre de licenciement ne mentionne pas que le poste du salarié est supprimé, le licenciement étant pour cette seule raison, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au surplus, il ressort du registre unique du personnel de la société qu’à la date à laquelle la procédure de licenciement a été engagée (2 octobre 2018), la société comptait au moins 11 salariés mais moins de 50. Dès lors, pour justifier de ses difficultés économiques, la société devait être en mesure d’établir la matérialité d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à deux trimestres consécutifs.

A cet égard, la société produit ses pièces 43 et 54.

Si la société présente en pièce 43 ses bilan et compte de résultat, ils ne concernent que la période comprise entre le 30 juin 2018 et le 30 juin 2019 et ne permettent pas de mettre en lumière « une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à deux trimestres consécutifs » sachant que s’agissant d’un licenciement du 24 octobre 2018, l’employeur devait établir une baisse de deux trimestres consécutifs entre le 24 octobre 2017 et le 24 octobre 2018.

Quant à la pièce 54, il s’agit d’un document se décomposant en :

. des commandes entre janvier 2017 et juillet 2018,

. une synthèse (non signée) desdites commandes de 2017 et 2018, trimestre par trimestre, établie sur papier libre au moyen d’un outil informatique de type word .

La synthèse, qui n’est pas une pièce comptable, ne fait que reprendre la liste des commandes. La cour ne peut pas s’assurer de l’exhaustivité des commandes au moyen de cette seule pièce. D’ailleurs, la comparaison entre les pièces comptables produites (pièce 43) et ce qui est présenté comme une synthèse des commandes (pièce 54) démontre l’absence d’exhaustivité de la pièce 54 de l’employeur.

En effet, le compte de résultat de la société (pièce 43 p. 4) montre qu’elle a réalisé un chiffre d’affaires de 2 661 220 euros au 30 juin 2018. Ce chiffre d’affaires couvre la période comprise entre le 30 juin 2017 et le 30 juin 2018. Sur la même période, la pièce 54 de l’employeur fait état des commandes suivantes :

. juin 2017 : 68 600 euros ;

. 3ème trimestre 2017 : 394 153,83 euros ;

. 4ème trimestre 2017 : 24 386,20 euros ;

. 1er trimestre 2018 : 611 253 euros ;

. 2ème trimestre 2018 (juin 2018 compris) : 347 878 euros.

. soit un total de : 1 446 271,03 euros

Ainsi, la différence entre le chiffre d’affaires réalisé par la société entre le 30 juin 2017 et le 30 juin 2018 tel qu’il ressort de sa pièce comptable (2,66 millions d’euros) et ce que la société présente comme le total de ses commandes (1,45 millions d’euros) est telle (différence de 1,21 millions d’euros) que la fiabilité de sa pièce 54 est sujette à caution.

Elle ne suffit donc pas à démontrer « une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à deux trimestres consécutifs ».

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement.

Le salarié peut en conséquence prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail.

L’ancienneté du salarié est discutée.

Le salarié a initialement été engagé par la société Buhr Ferrier [T], juridiquement distincte de la société [T] Entreprise Ingénierie . Toutefois, il importe peu que le salarié ait ou non démissionné de la société Buhr Ferrier [T] par lettre du 29 juillet 2014 dès lors qu’il a été engagé par la société [T] Entreprise Ingénierie à compter du 1er octobre 2014 selon un contrat de travail signé le même jour, prévoyant expressément une reprise d’ancienneté depuis le 8 avril 1999 (cf. article 1.3 du contrat de travail : « Pour tenir compte de l’ancienneté acquise auprès de son précédent employeur, les parties conviennent de reprendre cette ancienneté au titre du présent contrat. Le salarié conserve ainsi tous les droits acquis au titre de cette ancienneté depuis la date d’entrée dans cette entreprise soit depuis le 08/04/1999 »).

Dès lors, il y a lieu de retenir une ancienneté de 19 ans 6 mois et 16 jours sans qu’il soit nécessaire de faire droit à la demande du salarié visant à ordonner une expertise graphologique de la lettre de démission du 29 juillet 2014.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 15 mois de salaire brut.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié, de son âge lors de la rupture (52 ans), de ce qu’il était toujours demandeur d’emploi au mois d’octobre 2019, de son niveau de rémunération (4 500 euros bruts par mois), de ses fonctions ultérieures de directeur général de la société Le Lys, laquelle exploite un fonds de commerce de supérette sous enseigne Franprix dont il n’a tiré personnellement aucune rémunération jusqu’au 8 juillet 2022, le conseil de prud’hommes a fait une exacte appréciation du préjudice résultant, pour le salarié, de la perte injustifié de son emploi en le réparant par une indemnité de 67 500 euros.

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

En ce qui concerne le préavis, il ressort des explications des parties qu’initialement, l’indemnité compensatrice de préavis accordée au salarié n’avait représenté que deux mois de salaire au lieu de trois ; que la société a en définitive payé le mois manquant au salarié (4 500 euros) sans pour autant payer les congés payés afférents à ce préavis. Sur ce point, le salarié demande le paiement des congés payés afférents (450 euros) ce à quoi s’oppose l’employeur qui excipe de son affiliation à la caisse de congés du BTP.

Ainsi que le montre la pièce 57 de l’employeur, il a payé au salarié, le 14 novembre 2019, la somme de 4 500 euros correspondant au troisième mois de préavis qui lui restait dû.

L’indemnité compensatrice de préavis ouvre droit à des congés payés.

Certes, l’employeur était affilié à la caisse des congés du BTP. Toutefois, le dernier certificat de congés produit par l’employeur ne couvre que la période allant du 1er décembre 2017 au 31 mars 2018. Aucun certificat ne couvre la période ultérieure. Or, l’indemnité compensatrice de congés payés était exigible en raison du licenciement prononcé le 24 octobre 2018 c’est-à-dire postérieurement à la période couverte par le dernier certificat.

Par ailleurs, comme relevé plus haut, le contrat de travail n’exclut pas que les congés payés puissent être réglés directement par l’entreprise.

Dès lors, infirmant le jugement, il convient de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 450 euros au titre des congés payés afférents au solde de l’indemnité compensatrice de préavis.

Sur la demande de dommages-intérêts relative à la clause de non-concurrence

Le salarié fait valoir que la clause de non-concurrence qui le lie à l’employeur est nulle en ce qu’elle ne prévoit aucune contrepartie financière ; qu’il en est résulté pour lui un préjudice tenant à ce qu’il a respecté la clause – qui n’avait pas été levée – en s’abstenant de présenter sa candidature à des offres d’emploi dans le secteur géographique de la clause.

En réplique, l’employeur, qui ne conteste pas que la clause est nulle pour défaut de contrepartie financière, conteste en revanche le préjudice allégué par le salarié, lequel ne justifie pas, pendant les trois mois de durée d’effet de la clause, d’une démarche de recherche d’emploi. Il rappelle en outre que le salarié gérait une supérette et vivait des bénéfices réalisés par son entreprise constituée entre lui et son épouse. Il offre de réparer le préjudice du salarié à raison de 1 350 euros correspondant à 10 % de la rémunération du salarié pendant trois mois.

***

Pour être valable, la clause de non-concurrence doit obéir cumulativement aux trois conditions suivantes : être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise, être limitée dans le temps et dans l’espace, comporter une contrepartie pécuniaire.

En l’espèce, le contrat de travail prévoit que : « [le salarié] s’engage, en cas de rupture du contrat de travail, pour quelque motif que ce soit :

. à ne pas entrer au service d’une société concurrente,

. à ne pas s’intéresser directement ou indirectement à toute activité pouvant concurrencer celle de la société (‘).

Cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de trois mois et limitée aux départements suivants : 75 et 92.

Elle s’appliquera à compter du jour de départ effectif [du salarié] de la société (‘). »

Comme en conviennent les deux parties, la clause de non-concurrence à laquelle le salarié était soumis est nulle comme n’étant assortie d’aucune contrepartie financière.

Le salarié a respecté la clause pendant les trois mois qui ont suivi son départ effectif de la société et il ressort des attestations du comptable de la société dont il était président, exploitant une supérette, qu’il ne tirait personnellement aucun revenu de son activité.

Le fait, pour le salarié, d’avoir été tenu de respecter une clause de non-concurrence illicite car ne prévoyant aucune contrepartie financière lui a causé un préjudice qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une indemnité de 4 050 euros correspondant à 30 % de la rémunération du salarié pendant 3 mois.

Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef et, statuant à nouveau, il conviendra de condamner l’employeur à payer la somme ainsi arrêtée au salarié.

Sur la demande de intérêts pour violation de l’obligation de formation et d’adaptation

Le salarié se fonde sur l’article L. 6321-1 code du travail et expose qu’il n’a bénéficié d’aucune formation pendant 7 ans, la dernière formation reçue datant de décembre 2011 (formation d’échafaudage).

En réplique, l’employeur objecte que le salarié ne justifie pas avoir exprimé auprès de lui ses besoins en formation ; qu’il s’est reconverti dans la gestion d’un Franprix ; qu’il ne justifie pas en quoi une formation complémentaire dans le bâtiment lui ferait aujourd’hui défaut ; que d’ailleurs, si le salarié avait eu besoin d’une formation, il aurait accepté le CSP qui lui était proposé, ce qu’il n’a pas fait ; qu’il ne justifie en définitive pas de son préjudice.

***

L’article L. 6321-1 code du travail impose à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Le manquement de l’employeur à son obligation d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi entraîne un préjudice distinct de celui résultant de la rupture.

En l’espèce, il n’est pas discuté que le salarié, engagé le 1er octobre 2014, n’a bénéficié d’aucune formation. Il n’est pas non plus discuté que la dernière formation suivie par le salarié datait de 2011, à une époque où il était employé par une autre société. Il s’ensuit qu’est établi le manquement de l’employeur à son obligation de maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi.

Toutefois, le salarié ne justifie pas du préjudice qu’il invoque.

En effet, il n’est pas établi que le salarié ait sollicité de son employeur qu’il lui fasse bénéficier d’une formation. Le fait qu’il ait écrit à Pôle emploi en juin 2020 pour se plaindre de ce que son employeur refusait de lui « faire faire des stages » en informatique n’établit pas qu’il aurait effectivement demandé une telle formation. Il a en outre été proposé au salarié, en application de l’article L. 1233-66 du code du travail, d’accepter un contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Or, le salarié n’a pas accepté ce CSP, lequel aurait pu lui permettre d’accéder aux formations dont il avait besoin, notamment en informatique. Le salarié bénéficiait également d’un crédit de 150 heures au titre de son compte personnel de formation (CPF) et il n’est pas établi qu’il en ait fait usage. Il pouvait donc bénéficier de formations et en particulier de formations en informatique qui, selon lui, auraient été nécessaires pour maintenir son employabilité. Au demeurant, ainsi que le fait observer à juste titre l’employeur, les pièces produites par le salarié, si elles montrent effectivement qu’il recherchait un travail en répondant à des offres d’emploi, ne montrent toutefois pas que c’est une lacune en informatique qui aurait justifié un refus de ses candidatures.

Il conviendra donc de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ce chef de demande.

Sur les intérêts

Les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter du jugement du conseil de prud’hommes s’agissant d’un arrêt confirmatif.

Les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire produiront quant à elles intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.

L’article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par le salarié et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.

Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur la remise des documents

Il conviendra de donner injonction à l’employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il a condamné la société [T] Entreprise Ingénierie à payer à M. [O] [Y] les sommes de 26 645,91 euros et 2 664,59 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2016 à décembre 2016, 14 817,94 euros et 1 481,79 euros de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de la 38ème heure de janvier 2017 à juillet 2017, 4 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi au titre d’une clause de non concurrence illicite, et en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande relative aux congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société [T] Entreprise Ingénierie à payer à M. [O] [Y] les sommes suivantes :

. 19 002,56 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour l’année 2016, outre 1900,26 euros au titre des congés payés afférents,

. 10 897,57 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour l’année 2017, outre 1089,76 euros au titre des congés payés afférents,

. 450 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis,

. 4 050 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi au titre d’une clause de non concurrence nulle,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

DONNE injonction à la société [T] Entreprise Ingénierie de remettre à M. [O] [Y] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

REJETTE la demande d’astreinte.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société [T] Entreprise Ingénierie à payer à M. [O] [Y] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [T] Entreprise Ingénierie aux dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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