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C1
N° RG 21/00792
N° Portalis DBVM-V-B7F-KX6E
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL GIRARD & ASSOCIES
Me Alain COLLOMB-REY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 07 FEVRIER 2023
Appel d’une décision (N° RG F 19/00491)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCE
en date du 28 janvier 2021
suivant déclaration d’appel du 11 février 2021
APPELANT :
Monsieur [K] [F]
né le 02 Octobre 1960 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Fabrice GIRARD de la SELARL GIRARD & ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCE, substitué par Me Francoise SILVAN, avocat au barreau de VALENCE,
INTIMEE :
S.C.A. CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Alain COLLOMB-REY, avocat au barreau de GRENOBLE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, Président
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,
DÉBATS :
A l’audience publique du 17 octobre 2022,
Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2022, prorogé au 07 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 07 février 2023.
Exposé du litige :
M. [F] a été embauché par la Cave Coopérative Clairette de [Localité 3] à compter du 1er octobre 1981, sous contrat d’embauche temporaire se terminant en décembre 1981, renouvelé pour 6 mois. Il est engagé ensuite comme aide magasinier sous contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 1982.
Il est devenu « chauffeur cariste magasinier » à compter de 1985.
Le 19 décembre 2016 il fait l’objet d’un avertissement notifié par courrier du 22 décembre 2016.
Le 11 avril 2017, il est victime d’un premier accident du travail et le 1er mars 2018, d’un second. Lors de la visite de reprise du 09 avril 2018 il est déclaré apte par le médecin du travail.
A la suite d’un nouvel examen médical le 07 novembre 2018, le médecin du travail le déclare apte avec différentes préconisations.
Suite à une étude de poste le 21 novembre 2018, le médecin du travail rend un nouvel avis par lequel il relève que le poste ne convient pas à l’état de santé du salarié et qu’il conviendrait de ne pas l’y laisser « si réalisable ».
M. [F] fait de nouveau l’objet d’un arrêt de travail du 22 mai au 31 mai 2019.
Il a été déclaré inapte le 14 juin 2019 à son poste de travail et licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement le 11 juillet 2019.
Le 30 août 2019, il est embauché par la CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE comme réceptionniste vendange par contrat à durée déterminée à terme incertain et a occupé ce poste jusqu’au 20 septembre 2019.
M. [F] a saisi le Conseil de prud’hommes de Valence le 16 décembre 2019 afin de voir juger son licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et obtenir les indemnités afférentes.
Par jugement du 28 janvier 2021, le conseil des prud’hommes de Valence a :
– Dit que l’inaptitude de M. [F] n’a pas d’origine professionnelle.
– Dit et jugé fondé le licenciement de M. [F] pour inaptitude physique d’origine non-professionnelle avec impossibilité de reclassement.
– Débouté M. [F] de l’intégralité de ses demandes.
– Condamné M. [F] à payer la somme de 200 euros à la CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE (SCA) au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– Mis à la charge de M. [F] les dépens de |’instance.
La décision a été notifiée aux parties et M. [F] en a interjeté appel.
Par conclusions du 08 septembre 2021, M. [F] demande à la cour d’appel de :
– Réformer le jugement du Conseil des prud’hommes de VALENCE,
– Dire nul le licenciement,
– Subsidiairement le dire sans cause réelle et sérieuse.
– Condamner dans tous les cas la société coopérative agricole CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à lui verser les sommes suivantes :
84 000 euros nets à titre de réparation des préjudices moraux, économiques et professionnels consécutifs à la nullité du licenciement, ou subsidiairement à l’absence de cause réelle et sérieuse ;
12 000 euros nets en réparation des préjudices résultant de son harcèlement moral ;
5 000 euros nets en réparation du préjudice résultant du défaut de formation et d’adaptation à son nouveau poste ;
27 018, 81 euros au titre du solde d’indemnité spéciale de licenciement ;
4 595,06 euros au titre de l’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis et 459, 51 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente.
– Dire que les intérêts légaux sur les dommages et intérêts courront à compter de la requête devant le Conseil des prud’hommes en application de l’article 1231-7 alinéa 1er in fine du code civil.
– Ordonner la remise d’une attestation pôle emploi et d’un reçu pour solde de tout compte rectifiés conformément au jugement.
– Condamner la S.C.A. CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à payer la somme de 3 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’Appel, et aux entiers dépens de l’instance d’appel et de première instance, y compris les frais de la sommation interpellative, outre 3 000 euros au titre de l’article 700 du CPC pour la procédure de première instance.
– Débouter la S.C.A. CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE de toutes ses demandes reconventionnelles ou sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 25 juin 2021, la CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE demande à la cour d’appel :
D’arrêter :
– Qu’il ne peut être fait reproche à l’employeur de n’avoir pas consulté le CSE en l’absence de proposition de reclassement,
– Qu’il n’y a pas lieu d’imputer la responsabilité de l’inaptitude à l’employeur,
– Qu’en conséquence il n’y a pas lieu à nullité ni, subsidiairement, à condamnation pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,
– Qu’en conséquence M. [F] sera débouté de toute demande de réparation de préjudices moraux, économiques et professionnels,
– Qu’il n’y a pas harcèlement moral,
– Qu’en conséquence M. [F] sera débouté de sa demande d’indemnisation des préjudices résultant d’un harcèlement,
– Qu’il n’y a pas lieu de relever un préjudice pour défaut de formation et qu’en conséquence M. [F] sera débouté de sa demande en réparation du préjudice résultant d’un défaut de formation,
Que l’inaptitude n’a pas d’origine professionnelle et qu’en conséquence M. [F] sera débouté de sa demande de bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement et d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
Subsidiairement cantonner les préjudices à ceux démontrés,
– Dire qu’il n’y a pas lieu à remise d’une attestation Pôle Emploi et d’un reçu pour solde de tout compte rectifié,
– Débouter M. [F] de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Confirmer en tous points le jugement entrepris, sauf en ce qu’il prononce l’application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SCEA CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE en le cantonnant à 200 euros et qu’il y a lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société coopérative CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à concurrence de 3 500 euros.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur le harcèlement moral :
Moyens des parties :
M. [F] soutient avoir été victime de harcèlement moral et dénonce les manquements suivants :
Un changement de poste de travail en l’absence de formation ou d’adaptation, suite à un avertissement du 22 décembre 2016, qui constituait une sanction déguisée et une double sanction illicite,
Une absence de formation à la pluridisciplinarité, pour retrouver ultérieurement du travail, il a dû lui-même financer sa formation quinquennale obligatoire pour le permis poids lourd, refusée par l’employeur.
Le non-respect des préconisations médicales et la violation de l’obligation de sécurité : Après une étude de poste, le 21 novembre 2018, le médecin du travail a envisagé une adaptation de poste pour pallier aux risques sur sa santé, ce qui confirme que le médecin a constaté que le poste n’était pas adapté mais encore qu’il était aménageable. L’employeur pouvait le remettre sur son ancien poste ou le muter sur un poste moins éreintant mais il a été maintenu à ce poste sans aménagement malgré un avis médical du 07 décembre 2018 et l’employeur n’a pas plus sollicité le médecin du travail pour s’assurer de la concordance du poste avec la nouvelle aptitude avec réserves. Quand le médecin du travail a évoqué pour la première fois le 29 juillet 2019 l’impossibilité de reclassement, cela signifiait que faute de toute volonté de l’employeur d’adapter ce poste imposé au salarié en 2017, ou de lui fournir un autre poste, le médecin a été contraint de le déclarer inapte pour préserver sa santé.
La société CAVE [Localité 3] JAILLANCE conteste tout fait de harcèlement moral et expose sur les manquements allégués par le salarié que :
Sur l’allégation de changement de poste et de sanction illicite et la formation : Ce changement d’affectation ne constitue pas une sanction disciplinaire, il n’y a pas eu de déclassification et les nouvelles tâches correspondent à sa fonction et à sa qualification de cariste magasinier et non d’opérateur prise de mousse, poste qui n’existe pas au sein de la société coopérative.
Sur les formations : M. [F] a reçu des formations et lui assurant une fin de carrière sans problème d’employabilité.
Sur l’obligation de sécurité et le respect des préconisations médicales, l’affectation maintenue au poste ne conduit certainement pas à constater une faute de l’employeur par aggravation de l’effort physique, dès lors qu’il s’agit bien encore d’un poste de magasinier cariste. Suite à l’étude de poste réalisée le 21 novembre 2018, le médecin du travail a estimé que le travail fait à ce poste convenait très mal à l’état de santé et qu’il serait opportun de ne plus le laisser à ce poste si c’est réalisable. L’avis du 14 juin 2019 reprend les mêmes observations, le médecin du travail admet que le reclassement est difficile et abandonne sa position antérieure pour reconnaitre une inaptitude. La réaffectation à l’ancien poste n’était pas réalisable puisque le salarié avait été sanctionné en raison de sa défaillance professionnelle à ce poste et les préconisations médicales faisaient obstacle même à une réaffectation au poste de l’atelier de dégorgeage.
Réponse de la cour,
Aux termes des articles L.1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Suivants les dispositions de l’article L 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Le harcèlement moral n’est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l’ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d’un salarié défaillant dans la mise en ‘uvre de ses fonctions.
Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispensent pas celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.
En application des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l’inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur.
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, M. [F] qui allègue avoir été victime de harcèlement moral fait état de plusieurs manquements.
Sur le changement de poste intervenu postérieurement à l’avertissement du 22 décembre 2016, M. [F] argue tout d’abord qu’il s’agirait d’une « mutation sanction » opérée sans son accord.
Il n’est pas contesté que le salarié, initialement recruté comme aide magasinier a ensuite été affecté à la fonction de « chauffeur cariste magasinier » et qu’il a fait l’objet d’un avertissement le 22 décembre 2016.
La lettre d’avertissement du 22 décembre 2016, relève que l’erreur commise par le salarié, à savoir le chargement de deux palettes de qualité « conventionnelle » qui ont dégorgé dans la cuve prévue pour le bio, n’est pas la première erreur de ce type commise par le salarié. M. [F] ne conteste pas la matérialité de sa faute dans la présente procédure.
En janvier 2017, il a été affecté à un autre poste, sans que cette nouvelle affectation ne donne lieu à la signature d’un avenant et M. [F] argue qu’il s’agissait d’un poste différend du poste initialement occupé, étant plus « physique-difficile et ingrat ». Il produit à l’appui de cette allégation :
L’attestation de M. [O], ancien collègue cariste chauffeur magasinier qui relate que le poste initialement occupé par le salarié n’était pas « pénible physiquement » et que « suite à son accident du travail’ « son deuxième poste n’était pas compatible physiquement suite à son accident du travail ;
L’attestation de M. [D], cariste qui indique la même chose s’agissant du poste occupé avant janvier 2017 et que « après son accident de travail, M. [F] aurait très bien pu reprendre son poste. Par contre le second poste m’a semblé incompatible physiquement après l’accident de travail qu’il a subi ».
La cour relève qu’aucune de ces attestations ne fait état du caractère dégradant ou « physique » de ce poste mais portent toutes deux sur sa compatibilité avec l’état de santé du salarié, non pas à compter de janvier 2017, mais suite à son accident d’un travail intervenu en avril 2017 (écrasement du pied par le chariot élévateur d’une collègue). Aucun avis médical, avant celui du 07 novembre 2018 n’émet de réserves quant à ce poste, cet avis faisant suite à un nouvel accident du travail intervenu en mars 2018 (chute en descendant du chariot élévateur).
Par ailleurs, M. [F] qui compare, aux termes de ses écritures, le poste de « chauffeur cariste magasinier » et celui d’« opérateur prise de mousse » auquel il a été affecté, ne produit aucune pièce permettant de comparer les caractéristiques des deux postes et ainsi démontrer qu’il changeait fondamentalement de fonction.
Ces seuls éléments ne permettent donc pas à la cour de se convaincre que ce changement d’attribution était en lien avec l’avertissement prononcé. Mais encore, étant rappelé que dans le cadre de son pouvoir de direction l’employeur peut affecter un salarié à des tâches différentes sous réserve qu’elles correspondent à ses qualifications. M. [F] ne démontre pas que cette nouvelle affectation ne relevait pas de ses qualifications ou encore requérait des compétences différentes de celles requises dans l’exercice de ses précédentes attributions et aurait ainsi necéssité une formation complémentaire. M. [F] n’établit donc pas le manquement à une obligation de formation ni une rétrogradation, M. [F] admettant d’ailleurs que sa rémunération est demeurée identique. Ce manquement n’est pas établi.
Sur les formations dispensées durant la relation contractuelle, il n’est pas contesté que l’employeur doit veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi, au regard, notamment, de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations et préserver leur capacité à se maintenir dans leur emploi ou à en trouver un autre, dans ou à l’extérieur de l’entreprise. M. [F] argue d’un refus de formation pour le permis poids lourd par son employeur et verse des justificatifs de suivi d’un stage portant sur la « formation obligatoire-transport de marchandise » du 25 juin au 29 juin 2018 dont le coût a été pris en charge via son compte personnel de formation. La cour observe que l’employeur produit un relevé de formation sur lequel figurent uniquement 3 formations dispensées en 2016 alors que le salarié a été embauché en 1982 (CDI), ceci ne permettant pas de considérer qu’il a été satisfait aux prescriptions de l’article L. 6321-1 du code du travail qui prévoient que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail, veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences. La matérialité de ce manquement est établie.
Sur l’obligation de sécurité, le respect des préconisations médicales et la question de l’adaptation de son poste, M. [F] verse l’avis du médecin du travail rendu le 07 décembre 2018. Aux termes de cet avis, le médecin du travail indique : “Il ne doit pas monter et descendre de façon répétitive du chariot élévateur. Il doit éviter de travailler debout ou en marchant sur un sol glissant et/ou mouillé. Il doit éviter les travaux comprenant des postures contraignantes pour son rachis lombaire, pour son genou droit et pour son pied droit, surtout si ces postures sont prolongées et/ou répétitives. Il ne doit pas faire d’effort intense avec son rachis lombaire et son membre inférieur droit dans son ensemble. Cet avis mentionne un échange avec l’employeur le 21 novembre 2018 après l’étude de poste et précise que, suite à celle-ci, il est apparu au médecin que « le travail qu’il fait à la prise de mousse convient très mal à son état de santé et qu’il serait opportun de ne plus le laisser à ce poste si cela est réalisable ».
Cet avis fait suite à un accident du travail intervenu en avril 2017 et un autre du 1er mars 2018 (chute en descendant du chariot), M. [F] étant déclaré apte à la reprise le 09 avril 2018 au poste de cariste à la prise de mousse.
Le 14 juin 2019, un nouvel avis médical est rendu, lequel conduira au licenciement pour inaptitude de M. [F], le médecin du travail déclarant le salarié « totalement et définitivement inapte à son poste d’opérateur à la prise de mousse ». Cet avis reprend, mot pour mot, les préconisations du 07 décembre 2018 et relève qu’« un reclassement s’avère indispensable, bien que cela soit difficile, après en avoir discuté avec le directeur technique et logistique M. [H], lors de l’étude de poste et lors de notre entretien du 03 juin 2019. »
Cet avis fait état d’une étude de poste du salarié le 21 octobre 2018, d’une étude des conditions de travail le 03 juin 2019.
Le médecin du travail rédacteur de ces avis, le Dr [L], atteste le 29 juillet 2019 avoir suivi le salarié depuis plusieurs années dans le cadre de ses fonctions et avoir fait le concernant une demande de RQTH le 20 novembre 2018 « avec une fiche de liaison explicite suite à une succession de problèmes de santé et plusieurs accidents du travail ». Il ajoute avoir « mis inapte » le salarié après « avoir vainement essayé de le reclasser ».
Le salarié étant demeuré au même poste malgré deux accidents du travail à l’origine des préconisations médicales, son état de santé aboutissant à une déclaration d’inaptitude, la matérialité du manquement à l’obligation de sécurité et de santé du salarié en application des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail qui dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs est avérée.
M. [F] établit ainsi l’existence matérielle de faits précis, concordants et répétés, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre. Il incombe par conséquent à l’employeur de démontrer que les faits ainsi établis sont étrangers à tout harcèlement moral.
S’agissant des formations dispensées au cours de la carrière du salarié, l’employeur produit une attestation de suivi d’une formation « cariste recyclage » de 07 heures effectuée le 19 février 2016. La société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE verse par ailleurs le bilan individuel de formation du salarié pour l’année 2016 qui mentionne, outre la formation du 19 février 2016, une formation « hygiène, food defense » suivie le 21 janvier 2016 et « incendie, utilisation des extincteurs » suivie les 17 et 18 novembre 2016.
L’employeur, qui allègue que le salarié a reçu des formations lui assurant une fin de carrière sans problème d’employabilité n’en justifie pas. Ainsi, le fait conclu selon lequel les « chances de retravailler sont augmentées par les cessions de matériels » dont le salarié a régulièrement bénéficié ne saurait dispenser l’employeur du respect des dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail qui prévoit que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail, veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il y a lieu de rappeler que cette obligation de l’employeur de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi existe même en l’absence d’évolution de l’emploi ou de développement prévisible de la carrière du salarié et relève de l’initiative de l’employeur, peu important que le salarié n’ait pas demandé de formations au cours de l’exécution du contrat de travail ni sollicité une évolution de son emploi rendant nécessaire une adaptation à son poste de travail.
Il doit être relevé que sur les 3 formations dispensées à M. [F] en 2016 alors qu’il occupait le même poste depuis 1985, une seule est en lien avec les fonctions exercées par le salarié, les deux autres portant sur la sécurité et l’hygiène ne pouvant pas être considérées comme des formations en lien avec le poste du salarié
Sur l’obligation de sécurité et le respect des préconisations médicales, la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE admet que M. [F] a été maintenu au poste de cariste magasinier au sein du service « prise de mousse » postérieurement à l’avis médical du 07 novembre 2018. l’employeur argue ainsi qu’il « n’imposait aucune mesure particulière, le poste de chauffeur magasinier cariste affecté à la prise de mousse n’exposant pas le salarié aux risques signalés ».
Il n’est pas contesté qu’aucune démarche n’a été entreprise par l’employeur pour adapter le poste occupé ou encore justifié de recherche d’un poste adapté à l’état de santé du salarié. Il n’est en réalité justifié de telles démarches de recherche qu’après l’avis d’inaptitude du 14 juin 2019 dans le cadre de l’obligation de reclassement.
Il est pourtant établi que M. [F], qui avait été victime d’un accident du travail le 14 avril 2017 et le 1er mars 2018, a toujours été déclaré apte à exercer les fonctions de cariste. Toutefois les préconisations du médecin du travail sont rédigées comme suit en novembre 2018 : « il serait opportun de ne plus le laisser à ce poste si c’est réalisable » étant rappelé que l’accident du 1er mars 2018 a été provoqué par une chute en descendant du chariot sur le sol glissant. Le médecin relève surtout clairement, même s’il ne formule pas d’injonction à l’employeur, que « ce poste convenait très mal à l’état de santé » du salarié.
Si les préconisations médicales rendaient difficile, comme le soutient l’employeur, l’affectation du salarié à un autre poste de cariste, l’employeur ne permet donc pas à la cour de céans d’être assurée qu’aucun autre poste compatible avec les recommandations médicales n’existait au sein de l’entreprise entre l’avis d’inaptitude du 07 novembre 2018 et celui du 14 juin 2019 ni que des recherches ont effectivement été faites.
Enfin, s’agissant de l’éventualité d’un retour du salarié sur sa précédente affectation (ligne de dégorgeage), la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE ne produit aucun élément permettant de confirmer l’incompatibilité alléguée de ce poste avec l’état de santé du salarié, ou d’éventuelles observations du médecin du travail à ce sujet. L’employeur se limite ainsi à arguer que « ce v’u est strictement incompatible avec sa défaillance professionnelle sur cette même ligne, ayant justifié une sanction disciplinaire » et donc du « risque manifeste de récidive au regard des antécédents d’erreurs relevés contre M.[F] ».
L’employeur échoue donc à démontrer que les faits matériellement établis par M. [F] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.
Compte tenu des circonstances du harcèlement subi consistant notamment pendant plusieurs années à ne pas préserver la santé du salarié, il convient de condamner la Société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE au paiement de la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.
Par ailleurs, la cour de céans ayant en outre constaté que l’employeur n’avait pas respecté l’obligation de formation lui incombant, le préjudice en découlant pour M. [F] sera justement réparé par la condamnation de la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude :
Moyens des parties :
M. [F] expose que le licenciement est nul car son inaptitude est d’origine professionnelle et l’employeur n’a pas respecté les obligations spécifiques pour préserver son emploi de travailleur handicapé. Il soutient en outre à titre subsidiaire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, la procédure n’ayant pas été respectée par défaut de consultation du CSE qui devait être saisi en cas d’impossibilité de reclassement.
La société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE expose pour sa part que le licenciement est fondé sur l’inaptitude du salarié, aucun manquement n’étant établi. La consultation du CSE n’est requise qu’en cas de proposition de reclassement ce qui n’a pas été le cas, y compris quand l’inaptitude est d’origine professionnelle. Au surplus, une défaillance dans la consultation du CSE n’entraîne pas la nullité du licenciement.
Réponse de la cour,
Aux termes des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Il en résulte que le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l’inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le salarié a été reconnu travailleur handicapé par décision du 03 mai 2019, la CADPH ayant été saisie par le médecin du travail suite à l’accident du 11 avril 2017. Il n’est cependant pas justifié par M. [F] que cette décision ait été portée à la connaissance de son employeur.
Il a été jugé par le Cour de céans que les faits de harcèlement moral étaient établis notamment eu égard à l’absence de prise en compte des recommandations médicales et de l’état de santé du salarié. La cour dispose dès lors d’éléments suffisants pour considérer que l’inaptitude du salarié trouve sa cause directe et certaine dans les actes de harcèlement moral dont elle a été victime.
Par conséquent, sans avoir à se prononcer sur les autres moyens soulevés, il y a lieu de déclarer son licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, par voie d’infirmation du jugement déféré.
M. [F] était âgé de 59 ans au moment de la rupture de son contrat de travail et bénéficiait d’une ancienneté de 37 ans. Il convient de condamner la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à lui payer la somme de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi en conséquence de la rupture du contrat de travail.
La société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE doit être en outre condamnée au paiement des sommes suivantes :
27 018,81 euros au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement doublée en application des dispositions de l’article L.1226-14 et R1234-2 du code du travail,
4 530 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 453 euros de congés payés y afférents.
Sur la remise d’une attestation POLE EMPLOI et d’un bulletin de salaire rectifiés :
Il convient d’ordonner à la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE de remettre à M. [F] une attestation Pôle emploi et documents de fin de contrat de travail lui permettant notamment d’exercer son droit aux prestations sociales et conformes au présent arrêt dans le mois de la notification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
La société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE, partie perdante qui sera condamnée aux dépens de première instance et en cause d’appel et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, devra payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE M. [F] recevable en son appel,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation,
DIT que M. [F] a été victime de faits de harcèlement moral,
DIT que la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE n’a pas respecté l’obligation de formation,
DIT que l’inaptitude de M. [F] trouve son origine dans les faits de harcèlement moral,
CONDAMNE la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à payer à M. [F] les sommes suivantes :
5 000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,
1 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation,
50 000 euros de dommages et intérêt pour nullité du licenciement,
27 018, 81 euros au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
4 530 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 453 euros de congés payés y afférents.
RAPPELLE que chacune des sommes allouées au salarié produira des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes,
Y ajoutant,
ORDONNE à la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE de remettre à M. [F] une attestation Pôle emploi et les documents de fin de contrat de travail lui permettant notamment d’exercer son droit aux prestations sociales et conformes au présent arrêt dans le mois de la notification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision,
CONDAMNE la société CAVE DE [Localité 3] JAILLANCE à payer la somme de 2 000 euros à M. [K] [F] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens en cause d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean-Pierre Delavenay, Président, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, Le Président,