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VS/RLG
COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT N° 32 DU VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
AFFAIRE N° RG 20/00239 – N° Portalis DBV7-V-B7E-DGT5
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes de POINTE A PITRE du 28 janvier 2020- Section Encadrement –
APPELANT
Monsieur [M] [K]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Maître Jean-Nicolas GONAND (Toque 20), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMÉE
SAS NESTLE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître Christophe CUARTERO (Toque 101), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 7 novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente,
Mme Marie-Josée Bolnet, conseillère,
Madame Annabelle Clédat, conseillère.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 6 février 2023, date à laquelle le prononcé de l’arrêt a été prorogé au 27 février 2023.
GREFFIER Lors des débats : Mme Lucile Pommier, greffier principal.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 al 2 du code de procédure civile.
Signé par Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [M] [K] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à compter du 11 octobre 1993 par la société Nestlé France, en qualité de Responsable de Secteur GMS Martinique.
Il a successivement occupé, le poste de Promoteur des ventes, de Responsable de la région Martinique puis de la Région Guadeloupe-Guyane avant de devenir Responsable régional des ventes Antilles-Guyane par avenant du 20 mars 2013.
M. [K] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciemnt, qui s’est tenu le 17 juin 2016, cette convocation étant assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.
M. [M] [K] a été licencié par lettre du 23 juin 2016 pour faute grave.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, M. [M] [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre par requête du 22 juin 2018 afin d’obtenir le paiement de diverses sommes en lien avec l’exécution et la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 28 janvier 2020 le conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre a statué dans les termes suivants :
«- DIT ET JUGE la procédure de licenciement irrégulière mais la rupture contractuelle valablement motivée par la faute grave de M. [M] [K]
– DIT ET JUGE la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires comme étant injustifiée
– DÉBOUTE M. [M] [K] de tous ses chefs de demande
– REÇOIT la société Nestlé FRANCE en sa demande reconventionnelle
DÉBOUTE la SAS Nestlé FRANCE de sa demande relative à l’article 700 du Code de Procédure Civile
– LAISSE les entiers dépens à la charge de M. [M] [K]. ».
Par déclaration du 28 février 2020 M. [M] [K] a interjeté appel de ce jugement.
Les parties ont conclu et l’ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 mars 2022, M. [M] [K] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement rendu le 28 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Pointe à Pitre en ce qu’il a :
Dit et jugé la procédure de licenciement irrégulière mais la rupture contractuelle valablement motivée par la faute grave de M. [M] [K]
Dit et jugé la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires comme étant injustifiée
Débouté M. [M] [K] de tous ses chefs de demandes
Statuant à nouveau, de
– Juger que la procédure de licenciement est irrégulière,
– Juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– Condamner la société Nestlé à lui payer les sommes suivantes :
Indemnité compensatrice de préavis : 14 909,43 euros
Congés payés afférents : 1490,94 euros
Indemnité conventionnelle de licenciement : 65 849,98 euros
Dommages-intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse : 119 275,44 euros
– Juger qu’il n’était pas lié à la société Nestlé par un forfait annuel en jours,
– Condamner la société Nestlé à lui payer les sommes suivantes :
Heures supplémentaires : 233 509,00 euros
Congés payés afférents : 23 350,90 euros
– Condamner la société Nestlé aux entiers dépens outre au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, la société Nestlé France demande à la cour de :
A titre principal :
Confirmer le jugement rendu le 28 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Pointe à Pitre en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire :
Sur le licenciement :
Le DÉBOUTER de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; A titre très subsidiaire :
Le DÉBOUTER de sa demande en réparation des préjudices subis du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire, si la Cour considérait sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiée
LIMITER l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 82 168,02 euros, conformément à l’article L.1235-3 du Code du travail ;
Sur la convention de forfait en jours :
Le DÉBOUTER de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à ce titre ;
En toutes hypothèses, reconventionnellement :
CONDAMNER M. [M] [K] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Le CONDAMNER aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I / Sur le licenciement
A / S’agissant de la cause du licenciement
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis. La preuve en incombe à l’employeur.
Lorsque les juges considèrent que, contrairement à l’opinion de l’employeur, les faits invoqués par celui-ci pour licencier ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si les faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
« Nous faisons suite à l’entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement qui s’est tenu le 17 juin 7016, à Jarry. Vous n’avez pas souhaité être assisté lors de cet entretien. Nous vous avons exposé les motifs justifiant l’engagement d’une procédure de licenciement pour faute à votre égard. Nous les reprenons ci-après pour vous notifier votre licenciement pour faute grave
Nous vous avions convoqué à cet entretien, par lettre remise en main propre contre décharge le 8 juin 2016, vous informant d’une mise à pied à titre conservatoire jusqu’à la décision définitive.
Vous avez été engagé par notre Société le 11 octobre 1993 et vous occupez actuellement les fonctions de Responsable Régional des Ventes D.
Le responsable a pour mission de manager l’équipe commerciale, de négocier avec les clients distributeurs dans le cadre de la politique commerciale et du budget alloué.
Le Responsable Régional des Ventes D représente Nestlé auprès des clients
En qualité de Responsable Régional des ventes D, vous aviez donc les responsabilités suivantes :
*Proposer la politique commerciale toutes catégories Nestlé, tous circuits (GMS, 00H, VM) pour son territoire. Définir les plans d’actions vente et les plans de charge qui en découlent, suivre la mise en place de cette politique commerciale
*Définir les objectifs commerciaux de son équipe, taux de couverture et plan de charge, dans le cadre de la politique commerciale et les contrôler
*Négocier des accords locaux spécifiques et adaptés
*Optimiser et gérer les budgets liés aux accords locaux négociés avec les clients
*Partager, suivre et contrôler les objectifs et les résultats sur sa région
*Valider les plans d’action sectoriels
*Proposer et recommander des actions dans le cadre des Business plans
*Proposer et mettre en place les supports et moyens d’aide à la vente
*Développer le maillage régional (circuits de décision) en animant des leaders d’opinion
*Allouer et s’assurer de l’utilisation des moyens dédiés à sa région (budgets, bons de réduction, bacs / boxs, animation, etc.)
*Encadrer son équipe
Pour vous permettre de rendre compte de vos actions, et de votre suivi budgétaire synthétisé, vous avez à votre disposition un tableur « coût complet » en fonctionnement depuis de nombreuses années. La gestion des budgets qui fait partie intégrante de votre poste implique notamment la gestion d’un budget NIP (nouveaux Instruments promotionnels), correspondant au budget des promotions pouvant être réalisées au sein des enseignes, sous forme de mandat de réduction immédiate en caisse, et facturées par le client à l’issue de l’opération sous votre contrôle.
Pour mener à bien la gestion des budgets, votre assistante, Mme [B] [U], assure l’enregistrement des accords que vous lui remettez ainsi que les paiements que vous validez (accords dits de Coopération, participation publicitaire sur prospectus ou mise en avant en zone promotionnelle ou tête de gondole, Nouveaux Instruments Promotionnels …).
Or, la Société a constaté les faits suivants :
Le 18 mai 2016, en raison de l’organisation de l’audit des comptes prévu en juin 2016, vous avez informé M. [T] [P], votre manager, d’un dépassement de 285 000 euros sur l’enveloppe budgétaire NIP (Nouveaux Instruments Promotionnels) dont vous avez la délégation. Pour ce faire, vous avez utilisé un tableau qui n’est pas le tableau habituel de suivi « coût complet » précité.
Le 3 juin 2016, M. [T] [P] s’est rendu à la Martinique pour vérifier les chiffres et les tableaux de suivi des budgets dont vous aviez la charge. Il a alors pu constater un dépassement de budget NIP d’un montant de 1,6 millions d’euros alors que le budget qui vous avez été délégué pour cette enveloppe était de 450 000 euros.
Il apparaît que le tableau que vous avez présenté lors de votre réunion du 18 mai 2016, ne montrait pas la réalité de vos dépenses et dissimulait le dépassement réel de votre budget NIP. Vous avez intentionnellement montré dans ce tableau un dépassement de 285 000 euros dans votre tableau alors qu’après vérification, ce dépassement était de 1 600 030 euros.
Lors de ce contrôle, [T] [P] a constaté que des NIP ont été payés, alors que l’avantage consommateurs (réduction) n’était pas communiqué sur les prospectus magasins. Et ce, en totale contradiction avec la bonne utilisation d’un budget NIP.
Votre assistante, Mme [B] [U], vous a alerté en 2014 puis en 2015 des dépassements en cours. Vous lui avez répondu qu’il n’était pas nécessaire de s’inquiéter et d’en faire état, que la situation allait s’arranger. Suite à cette alerte, vous n’avez pas prévenu votre supérieur hiérarchique, ni le contrôleur de gestion alors qu’un redressement des dérives budgétaires était encore possible. Encore une fois, vous avez dissimulé le dépassement réel du budget N1P dont vous aviez la charge.
Vous nous avez expliqué avoir délégué la négociation des NIP aux responsables de secteurs, vos subordonnés, pour les points de vente et à M. [X] [A], responsable de région pour les grossistes. Par exemple, vous avez délégué le budget NIP à M. [X] [A], responsable de région pour le grossiste DISCOUNT CENTER alors que cela faisait partie intégrante de votre mission. De plus, vous nous avez expliqué ne pas ne pas avoir vérifié les quantités déclarées par M. [A] pour ce grossiste.
Vous avez donc délégué à vos subordonnés, des négociations et des budgets qui sont de votre responsabilité et n’avez pas effectué de contrôle.
Vos collaborateurs ont également fait état de quantités négociées sur les achats chez SODIAL NOUY, où vous avez décidé de réaliser une promotion sur container complet (avec sur chaque produit une remise différée facturée sur les achats en totalité) au lieu d’une promotion sur les sorties caisses comme prévu dans le contrat de mandat signé avec le client.
Cette pratique est contraire à la politique commerciale et hors des bonnes règles de suivi budgétaires.
Vos collaborateurs ont réalisé à votre demande des sur-promotions (c’est-à-dire des promotions ayant pour objet de déstocker des stocks résiduels) sur d’anciennes promotions. Par exemple, à Carrefour Destreland, vous avez réalisé une promotion NIP, en octobre 2015, pour l’opération ANNIVERSAIRE sur un stock déjà promotionné sur facture en août 2015-
Cette pratique de promotion en cascade traduit un grave dysfonctionnement de l’utilisation des promotions dont vous aviez la responsabilité et une faute dans la gestion du budget NIP, et ce en dissimulant cette pratique à votre hiérarchie.
Vous avez signé les factures au fur et à mesure de leur réception en apposant la mention « bon pour Accord », et les avez mises au paiement alors que vous saviez qu’il n’y avait plus de budget disponible. Vous avez ainsi aggravé en connaissance de cause le dépassement de budget dont vous aviez la charge sans en référer à votre hiérarchie.
Alors que le 18 mai 2016 vous alertiez votre manager d’un problème budgétaire, le 20 mai 2016. lors de votre réunion des ventes, vous avez présenté les montants des accords à proposer pour les opérations chocolats de fin d’année 2016. Vos collaborateurs vous alors ont alerté sur l’importance des montants accordés (des remises de 17% sur la campagne de chocolats de fin d’année et des promotions à hauteur de 8% sur les box en cumul avec les accords annuels). Vous leur avez répondu que les dépenses se compenseraient avec la baisse d’autres postes. Vous étiez au courant de la situation et saviez que cela n’était pas possible. Là encore, vous avez caché la réalité des faits et amplifié la dérive par votre inaction alors que vous étiez responsable de la gestion du budget NIP.
Ces graves manquements et la réalité d’une dissimulation de votre part nous ont contraints à vous mettre en mise à pied conservatoire.
Lors de notre entretien préalable, vous n’avez pas nié les faits qui vous sont reprochés. Vous avez confirmé avoir été dépassé par la situation et reconnu cette dérive.
Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont donc pas permis de modifier notre appréciation au sujet de la gravité des faits constitutifs d’une faute grave qui vous sont reprochés.
De telles dérives dans le pilotage budgétaire ne peuvent pas résulter de simples erreurs et traduisent à l’inverse une faute de votre part dans la gestion des budgets dont vous aviez la responsabilité directe du fait de vos fonctions. Vous avez intentionnellement présenté la situation de manière falsifiée afin de cacher la situation à votre hiérarchie.
Votre attitude mettant en cause la bonne marche de l’entreprise et rendant impossible votre maintien à votre poste, nous sommes contraints de mettre fin à votre contrat de travail. Par conséquent, nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave.
La rupture effective de nos relations contractuelles interviendra dès l’envoi du présent courrier. Votre mise à pied conservatoire ne sera donc pas rémunérée.
Nous vous rappelons que vous ne pouvez pas utiliser ou diffuser la politique commerciale ou tout autre document ou information confidentielle que vous auriez en votre possession.
Pour votre information, le compte personnel de formation (CPF) régi par les articles L 6323-1 et suivants du Code du travail) s’est substitué au DIF au 1er janvier 2015.
Vous pourrez inscrire le volume d’heures susmentionnées sur votre compte personnel de formation via le site internet www.moncompteforrnation.gouv.fr.
Jusqu’au 31 décembre 2020, si vous bénéficiez d’une formation dans le cadre de votre compte personnel de formation, ce volume d’heures sera mobilisé en premier lieu et, le cas échéant, pourra être complété par les heures inscrites sur votre compte personnel de formation
Enfin si vous justifiez d’une prise en charge par le régime d’assurance chômage, vous bénéficierez, à compter de la date de cessation de votre contrat de travail, du maintien à titre gratuit :
-Des garanties de frais de santé, à savoir des remboursements de soins liés à la maladie, l’accident ou la maternité ;
-Des garanties de prévoyance, liées à l’incapacité, l’invalidité et le décès.
Ce maintien des garanties durera, pendant une période égale au maximum à la durée d’indemnisation du chômage, et dans la limite de la durée du dernier contrat de travail (ou des derniers contrats consécutifs au sein de notre entreprise), sans pouvoir excéder 12 mois.
Les garanties maintenues seront identiques à celles en vigueur dans l’entreprise et seront applicables dans les mêmes conditions aux ayants droit qui étaient couverts à la date de cessation du contrat de travail.
Vous devrez justifier de votre prise en charge par le regime d’assurance chômage et informer dans les plus brefs délais le cas échéant de la cessation du versement des allocations chômage afin d’éviter tout bénéfice de prestations indues.
Nous prendrons contact avec vous rapidement afin que vous puissiez restituer l’ensemble des matériels (téléphone, ordinateur, voiture, carte city, etc.) et moyens (BRI, Tir groupé, etc.) mis à votre disposition par la Société.
Les sommes vous restant dues vous seront adressées par courrier ainsi que votre bulletin de paye. votre certificat de travail et votre attestation Pôle Emploi. »
Le licenciement de M. [M] [K] est donc motivé par les manquements suivants :
– de graves dépassements budgétaires relatifs aux offres promotionnelles NIP (Nouveaux Instruments Promotionnels) et des dérives dans la politique commerciale (délégations de négociation de budget, sur-promotions) ;
– une dissimulation intentionnelle des dépassements budgétaires.
* S’agissant des dépassements budgétaires, relatifs aux offres promotionnelles NIP (Nouveaux Instruments Promotionnels) et des dérives dans la politique commerciale
Les NIP se caractérisent par un contrat de mandat spécifique NIP que le fournisseur, la Société Nestlé France, signe avec son client, distributeur, à la suite d’un appel d’offre que ce dernier a émis ; ainsi, la société Nestlé France donne mandat à son client d’octroyer au consommateur en magasin un avantage promotionnel sur la vente de l’un de ses produits, et selon une mécanique, un taux de promotion et une période définis ; à la fin de la promotion, le client comptabilise ce qui a été vendu, ce qui a été octroyé au consommateur, et envoie, via une réédition de comptes, le détail au fournisseur ; il facture ensuite la Société Nestlé France de l’avantage qu’il a octroyé aux consommateurs.
La société Nestlé France produit un rapport d’audit réalisé en juin 2016 (pièce 9) dont il ressort que le dépassement du budget NIP n’a cessé de croître depuis 2014, alors que le budget global n’a pas augmenté :
– 2014 : 400 KE de dépassement, soit 800 KE de dépenses ;
– 2015 : 1 600 KE de dépassement, soit 2 000 KE de dépenses ;
– 2016 : 800 KE de dépassement en 6 mois, soit déjà 1 200 KE de dépenses en un semestre.
M. [M] [K] suivait une politique du « tout NIP », comme l’explique le Responsable du secteur MARTINIQUE, M. [D] [V], dans un courriel du 16 janvier 2019 :
« J’ai pu noter un véritable changement dans la politique NIP en 2015 sur la Martinique après le départ de Mr [N] (RR).
Mr [M] [K] (RC) a pris alors la supervision du territoire de la Martinique.
D’une politique modérée sur les propositions NIP (1 à 2 produits max par catalogue, liste restreinte de produits), nous sommes passé progressivement au « tout NIP », sous la demande de Mr [K]. C’est le RS qui allait négocier le plan promo en magasin. Mr [K] ne prenait pas de précautions sur la dépense faites par le magasin (PV, qté allouée/pdt) ».
M. [M] [K] tente de se déresponsabiliser en appuyant sur le fait que M. [T] [P], directeur d’établissement, était à l’origine de cette politique du « tout NIP ».
La société Nestlé France répond que si miser sur les promotions NIP n’a rien de déviant par essence, c’est la gestion du « tout NIP » telle que menée par M. [M] [K] qui l’était, puisqu’il acceptait tous les appels d’offres des clients, sans aucun regard sur le budget restant ;que s’il n’est pas contesté que les politiques sont décidées par le directeur d’établissement, et que ce dernier puisse être à l’origine de l’accentuation des promotions NIP, la mise en place de celles-ci et le respect des cadres imposés pour leur exécution relève toutefois du Responsable commercial, en l’occurrence de M. [M] [K].
S’agissant des dérives de la politique commerciale et l’absence de suivi des budgets promotionnels, il est établi que :
– M. [M] [K] envoyait ses responsables de secteurs faire des « offres dites « Hors pub » en complément des offres NIP et en superposition de précédentes offres NIP. Dans certains cas, ces hors pub s’apparentaient à une simple remise au distributeur, car l’avantage consommateur supposé n’était pas effectué. » (attestation de M. [V] pièce 15) ;
– M. [M] [K] a négocié une promotion NIP sur container complet avec un client grossiste SODIAL NOUY au mépris des Conditions Générales de Ventes ( pièces 36 : CGV 2015 ‘ et 37 : Offre promotionnelle SODIAL NOUY, déc. 2015) ;
– M. [M] [K] proposait des offres promotionnelles à fortes remises en fin d’année alors que ses prévisions auraient dû lui permettre de savoir qu’il ne disposait plus d’aucun budget. Ces pratiques suscitaient des interrogations de la part de ses collaborateurs (Pièce n 17 : Email de M. [P] M. [A], juin 2016 Pièce n 34 : Attestation M. [A]) ;
– M. [M] [K] acceptait de reconduire des promotions NIP après une première opération, jusqu’à écoulement du stock vendu au client, ce qui revenait à une double promotion (Pièce n 35 : Promotions août 2015 / NIP Oct. 2015 – Destreland) ;
– M. [M] [K] ne budgétisait pas les opérations qu’il décidait ainsi que le relève M. [T] [W], Directeur du pilotage commercial, constatait de nombreuses défaillances :
« Sans même parler de pré-évaluation, les opérations ne font l’objet d’aucun calcul, même grossier, du montant engagé ; même les ordres de grandeurs ne sont pas calculés, ce qui aboutit parfois à une opération représentant quasiment le budget annuel du client alors que 15-20 opérations sont planifiées. » (pièce 5) ;
– M. [M] [K] ne négociait pas lui-même les accords commerciaux relatifs aux NIP, mais les déléguait à ses responsables de secteurs, qui n’avaient aucune vision des budgets ; il se contentait de signer les mandats une fois ceux-ci négociés, sans aucun contrôle des négociations faites par ces derniers : « J’ai délégué la négociation des NIP aux RS par magasin et à [X] [A] pour les grossistes, notamment DISCOUNT CENTER, pour discount center, n’ai pas vérifié les quantités déclarées ».(pièce n 6 : Compte rendu d’entretien de M. [K] du 6 juin 2016) ;
– M. [M] [K] ne délimitait aucun budget à ses responsables commerciaux, les promotions négociées avec le client devenaient sans limite, étant entendu que les NIP étaient par la suite refacturés par le client à la société Nestlé France : M. [D] [V] atteste :
« Mes interrogations portaient sur le fait que les OP NIP étaient négociées au fil de l’année, sans directive sur les niveaux qu’il n’aurait pas fallu dépasser par magasin ».(Pièce 15 : Attestation de M. [V] Pièce n 16 : Email de M. [V], janv. 2019).
M. [M] [K] argue que les mandats NIP étaient négociés en début d’année, et soutient qu’aucun plafond n’était fixé par la Société Nestlé.
La société Nestlé France répond que l’accord annuel prévoit effectivement un pourcentage NIP qui doit être considéré comme un seuil de dépense promotionnelle qu’elle s’engage à investir chez le client pour l’année considérée ; que ce seuil symbolique accordé au client est à dissocier du budget global décidé en interne et qui fixe la marge de man’uvre du responsable commercial, à charge pour ce dernier de gérer à bon escient ce budget ; que M. [M] [K] est bien mal venu à se défendre ainsi car il avait parfaitement connaissance de l’existence des plafonds de budgets et de leur dépassement, la communication du tableau coût complet de l’année 2015 en étant la preuve irréfutable, la partie Objectif précisant lesdits plafonds.
La cour relève que le tableau « coût complet » de l’année 2015 comporte effectivement une partie Objectif précisant les plafonds.
M. [M] [K] indique également que la société Nestlé France n’aurait pas mis à sa disposition des outils de suivi adéquats, et dénonce l’inefficacité du tableau dit « coût complet », censé permettre ce suivi, affirmant que ce tableau ne mentionne que le coût théorique des offres promotionnelles négociées.
Il est cependant établi par les pièces du dossier que M. [M] [K] disposait d’un moyen efficace pour procéder au suivi de ses actions à savoir le tableau de suivi NIP, dont les résultats devaient être reportés dans la colonne correspondante du tableau « coût complet ». Ce tableau était également suivi par l’assistante de M. [M] [K], Mme [B] [U] qui reportait le budget disponible donné par M. [M] [K] et le montant des factures arrivant des clients pour indiquer le solde restant. Ce tableau permettait d’avoir une vision globale du budget NIP et une vision détaillée par opération.
Dans sa fonction de responsable commercial, M. [M] [K] avait la responsabilité du suivi de ce tableau. C’est via ce tableau que M. [M] [K] informait M. [T] [P] sur les dépenses commerciales.
Mme [B] [U], son assistante, indique avoir alerté M. [M] [K] des dépassements des budgets NIP, dès 2014. Ses collaborateurs l’interrogeaient également sur la politique qu’il menait. Les clients distributeurs, qui comparaient les politiques commerciales pratiquées par leurs autres fournisseurs, s’interrogeaient aussi et questionnaient les responsables de secteurs, présents sur le terrain, sur l’importance des volumes promotionnels de la société.
La réponse qui était donnée à tous par M. [M] [K] était un message rassurant, puisqu’il indiquait que ces dépassements se compensaient avec les autres budgets, et que « tout était sous contrôle ». (pièce n 14 : Attestation de Mme [B] [U] un Pièce n 16 : Email de M. [V] , janv. 2019 Pièce n 17 : Email de M. [A], juin 2016)
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le bien-fondé des griefs est établi.
* S’agissant de la dissimulation intentionnelle des dépassements budgétaires
Lors de son entretien du 6 juin 2016, M. [M] [K] ne nie pas avoir été alerté, mais concède qu’il ne s’en est pas préoccupé, faute d’avoir pris conscience de la réalité de ces dépassements. (pièce n 6 : Compte rendu entretien M. [K] du 6 juin 2016).
Il est constant que lorsqu’il a averti sa hiérarchie, M. [M] [K] a mentionné un dépassement budgétaire de 285’000 euros alors que l’audit a révélé un dépassement de 1’600’000 euros
La dissimulation de M. [M] [K] est d’ailleurs particulièrement significative sur le tableau coût complet de 2015, puisque ce dernier y a apposé un budget utilisé de 413 K, pour un objectif de 417K. ( Pièce n 30 : Zoom Pièce adverse 5).
M. [M] [K] soutient que ses supérieurs auraient été au courant des dépassements, et produit à l’appui de ses prétentions, deux supports PowerPoint.(Pièce adverse n 7 : Présentation au Directeur export, sept. 2015 Pièce adverse n 8 : Présentation au Directeur export, fév. 2016
Il ressort cependant d’un procès-verbal de constat d’huissier en date du août 2019 que M. [M] [K] ajoute des pages aux présentations permettant de faire croire qu’il aurait informé sa direction des dépassements. (Pièce n 38) : M. [M] [K] a rajouté des précisions, telle que la partie « Suivi NIP », inexistante sur le véritable document, et qu’il a volontairement modifié les chiffres correspondants, sur lesquels il s’appuie.
M. [M] [K] soutient que M. [T] [P], son supérieur, avait connaissance des dépassements puisqu’il pouvait avoir accès aux tableaux NIP et coût complet.
La société Nestlé France répond que M. [T] [P] définissait le cadre et le montant des budgets globaux annuels que M. [M] [K] devait respecter la mise à jour du tableau relevant de la responsabilité de ce dernier ; que M. [T] [P] ne pouvait donc aucunement prendre la mesure des dépassements dès lors que M. [M] [K] ne les avait pas fait apparaître sur le tableau coût complet ; que le tableau suivi NIP était un outil de gestion utile aux fonctions de M. [M] [K] et qu’il n’appartenait pas à son supérieur d’aller vérifier l’adéquation des montants reportés par celui-ci dans le tableau coût complet avec ce tableau de suivi ; que M. [T] [P] supervisait l’action de M. [M] [K], et vérifiait les chiffres que ce dernier décidait de lui reporter via le seul tableau global de suivi coût complet ; que l’accès théorique de M. [T] [P] au tableau de suivi NIP n’a donc aucunement pour effet de remettre en cause la dissimulation, puisque M. [M] [K] avait parfaitement conscience que le contrôle effectué par son supérieur se faisait via le seul tableau coût complet, qu’il a donc rempli en conséquence ; que M. [T] [P] n’a aucunement été licencié à la suite de ces événements, comme tente de faire croire M. [M] [K].
Pièce n 26 : Attestation de M. [J]
M. [M] [K] n’établit pas le contraire.
Il en résulte que le bien-fondé du grief est établi.
Conclusion
Il découle des développements qui précèdent que la société Nestlé France prouve un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
B / S’agissant des conséquences financières du licenciement
Le salarié licencié pour faute grave ne peut qu’être débouté de ses demandes d’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité de préavis et de congés payés y afférents.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté ces demandes.
II / Sur les heures supplémentaires
Selon son contrat de travail, M. [M] [K] était soumis à une convention de forfait en jours, prévue par accord collectif.
Il est établi au dossier que les conventions en forfait jours des cadres de la société Nestlé France étaient initialement régies par un accord collectif d’entreprise, négocié et conclu en1999 et qu’un avenant à cet accord, spécifique aux Forfait jours Cadres a été négocié avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise le 19 avril 2013.
Il apparaît à l’examen de ce texte que l’accord respecte toutes les dispositions légales édictées par la loi du 8 août 2016, prévoyant notamment dans un souci de protection de la santé des cadres au forfait-jours :
-Une répartition initiale de la charge de travail ;
-Une feuille de suivi mensuelle ;
-Des entretiens annuels et périodiques, devant se dérouler à l’occasion des entretiens d’évaluation.
En sus de cet accord collectif, l’avenant au contrat de travail de M. [M] [K], du 20 mars 2013, prévoit en son article 3 la durée du travail, en précisant le nombre de jours maximum travaillés sur l’année :
« La durée du travail est fixée à 216 jours maximum (215 jours + 1 journée de solidarité) dans le cadre d’une convention de forfait. Ce nombre de jours est réduit selon l’ancienneté acquise dans les conditions fixées par les accords. En ce qui vous concerne, le nombre de jours sera fixé à 216 jours. Compte-tenu de l’autonomie dont vous disposez dans l’organisation de votre temps de travail, vous vous engagez sur l’honneur à respecter en toutes circonstances le repos minimal quotidien de 11 heures consécutives, le repos hebdomadaire, ainsi que les durées maximales journalières et hebdomadaire de travail, à savoir respectivement 9 heures 30 et 45 heures.»
Contrairement à ce que soutient M. [M] [K], la société Nestlé France appliquait les dispositions conventionnelles précitées puis que sont produites les feuilles de présence de l’intéressé signées tant par lui que par son supérieur hiérarchique, ainsi que les comptes-rendus de ses entretien annuels.
Mme [R] [S] [Y], également Responsable commerciale, atteste :
« Je confirme que lorsque Mr [M] [K] travaillait au sein de l’équipe Nestlé, il avait le même supérieur hiérarchique que moi, soit Mr [T] [P]. J’avais conscience en tant que cadre que je suis au forfait jour avec des limites à ne pas dépasser par semaine. Mr [P] nous posait de manière formelle la question sur notre équilibre entre notre vie privée et notre vie professionnelle deux fois par an lors des entretiens annuels de janvier et de juin » (…) « Concernant la planification des tâches, nous connaissions tous les grands temps fort de notre agence sur l’année (campagne de chocolat de fin d’année à présenter en mai aux clients, plan opérationnel en juillet, présentation clients en Novembre, bilan en janvier…) » (Pièce n 29).
Il découle des développements qui précèdent que la convention de forfait jours signée par M. [M] [K] était parfaitement régulière et que l’intéressé ne peut qu’être débouté de sa demande de paiement de leurs supplémentaires.
III / Sur les demandes annexes
Il convient de condamner M. [M] [K], partie perdante du procès, à payer à la société Nestlé France la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre le 28 janvier 2020, en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [M] [K] à payer à la société Nestlé France la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [M] [K] aux entiers dépens ;
Rejette le surplus des demandes, plus amples ou contraires.
Le greffier, Le président,