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AFFAIRE : N° RG 21/02702
N° Portalis DBVC-V-B7F-G255
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de COUTANCES en date du 02 Septembre 2020 – RG n° 19/00063
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 16 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [L] [V] épouse [K]
[Localité 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES
INTIMEE :
S.A.S. PAMYEVE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Estelle GOURNAY, avocat au barreau de RENNES
DEBATS : A l’audience publique du 09 janvier 2023, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 16 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Pamyeve a embauché Mme [L] [V] épouse [K] en qualité d’employée à temps partiel à compter du 1er septembre 2011 et l’a licenciée, le 22 décembre 2018, pour faute grave.
Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Coutances le 29 août 2019 pour voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts à ce titre ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, pour atteinte à la vie privée, défaut de mise en place des entretiens professionnels, absence de formation. Elle a également demandé un rappel de prime de 13ième mois.
Par jugement du 2 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a condamné la SAS Pamyeve à verser à Mme [K] 2 000€ de dommages et intérêts pour absence d’entretiens professionnels, 4 000€ de dommages et intérêts pour absence de formation, 1 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté Mme [K] du surplus de ses demandes.
Mme [K] a interjeté appel du jugement, la SAS Pamyeve a formé appel incident.
Vu le jugement rendu le 2 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Coutances
Vu les dernières conclusions de Mme [K], appelante, communiquées et déposées le 10 juin 2022, tendant à voir infirmer le jugement (sauf en ce qui concerne l’indemnité allouée en application de l’article 700 du code de procédure civile), à voir écarter les pièces adverses 5,6, 7, 8 et 10, à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, à voir la SAS Pamyeve condamnée à lui verser 3 000€ de dommages et intérêts pour absence d’entretiens professionnels, 5 000€ pour absence de formation, 2 872,34€ (outre les congés payés afférents) d’indemnité compensatrice de préavis, 2 662,89€ d’indemnité de licenciement, 11 489,36€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 4 308,51€ de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée, 7 180,85€ de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, 1 436,17€, au principal, à titre de rappel de salaire sur 13ième mois, subsidiairement, pour perte de chance de percevoir la prime annuelle, 2 500€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile, tendant à dire que les ‘condamnations’ portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, à voir ordonner, sous astreinte, la remise de documents de fin de contrat conformes à la décision, de bulletins de paie rectifiés et la régularisation des cotisations dues auprès des caisses de protection sociale
Vu les dernières conclusions de la SAS Pamyeve, intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 15 mars 2022, tendant à voir le jugement confirmé quant aux déboutés prononcés, à le voir réformer quant aux condamnations prononcées et à voir Mme [K] déboutée de l’ensemble de ses demandes, subsidiairement, tendant à voir réduire à de ‘plus justes proportions’ les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à voir fixer l’indemnité compensatrice de préavis sur la base d’un salaire de 1 412,84€ mensuels, tendant à voir Mme [K] condamnée à lui verser 4 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et dire n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte.
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 14 décembre 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur l’exécution du contrat de travail
1-1) Sur l’absence d’entretiens professionnels
La SAS Pamyeve admet ne pas avoir réalisé d’entretiens professionnels pendant toute la durée du contrat de travail, en méconnaissance de l’article L6315-1 du code du travail et de l’article 12-11 de la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire, applicable.
Elle ne saurait utilement se prévaloir de l’absence de demandes en ce sens de Mme [K] puisqu’il s’agit d’une obligation qui lui incombe, que le salarié soit ou non demandeur.
Ces entretiens sont destinés, tous les deux ans, à évoquer les perspectives d’évolution professionnelle du salarié, en terme de qualification et d’emploi et à informer le salarié sur la validation des acquis de l’expérience, sur le compte personnel de formation et à le conseiller sur son évolution personnelle.
Mme [K] fait à juste titre valoir que l’absence de tels entretiens l’a privée des informations qu’elle aurait pu obtenir à cette occasion et de la chance d’obtenir une évolution professionnelle que de tels entretiens avaient précisément pour vocation d’évoquer.
La somme allouée en réparation par le conseil de prud’hommes est adaptée et sera confirmée.
1-2) Sur l’absence de formation
La SAS Pamyeve admet que Mme [K] n’a jamais bénéficié de formation pendant la durée du contrat de travail.
L’employeur est tenu d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste, veiller à leur capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Mme [K] ne soutient pas qu’elle n’était plus adaptée à son poste ou qu’une formation aurait été nécessaire pour maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard des évolutions dans son domaine.
Elle ne justifie pas non plus que sa recherche d’emploi serait rendue plus difficile à raison d’une absence de formation. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande.
2) Sur le licenciement
2-1) Sur l’atteinte à la vie privée
Mme [K] fait valoir que les pièces adverses 5, 6, 7, 8 et 10 (ou 11) portent atteinte à sa vie privée, elle demande donc qu’elle soient écartées s’agissant de preuves illicites et réclame également des dommages et intérêts.
Les pièces 5, 6, 7 et 8 sont, selon le bordereau adverse : ‘une extraction STIME et tickets de caisse’, des ‘tickets de caisse mentionnant des tarifs de complaisance’, ‘un récapitulatif des achats et bons de réduction’, des ‘tickets de caisse relatifs à l’utilisation des bons de réduction réservées à la clientèle’. Mme [K] vise également une cinquième pièce, la pièce 10 selon le dispositif de ses conclusions, la pièce 11 selon le corps de ses conclusions. Compte tenu de la nature respective des deux pièces et des raisons exposées ci-dessus pour lesquelles elle demande qu’elle soient écartées, il y a lieu de considérer que c’est la pièce 11 (‘tickets de caisse correspondant à l’extraction STIME’) qu’elle entendait viser et non la pièce 10 (‘Exemples de ‘bon magasin’) qui n’est pas de nature à porter atteinte à sa vie privée.
Il est constant que ces différentes pièces ont été établies en consultant les données collectées grâce à la carte de fidélité de Mme [K]. La SAS Pamyeve produit un document intitulé ‘politique de données personnelles carte fidélité Intermarché et communautés’ prévoyant que les données personnelles obtenues sont notamment utilisées pour contrôler les fraudes. Toutefois, ce document n’est pas signé par Mme [K] et rien n’établit qu’elle en ait eu connaissance. La SAS Pamyeve ne démontre donc pas qu’elle ait accepté l’utilisation de ses données personnelles.
L’extraction de ces données et leur utilisation portent atteinte à sa vie personnelle puisqu’elles permettent à l’employeur de connaître tous les achats personnels qu’elle a effectués. Mme [K] est donc fondée à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui a ainsi été occasionné. Il lui sera alloué 1 000€ de dommages et intérêts à ce titre.
La SAS Pamyeve n’établit pas, en outre, avoir informé ses salariés que les données recueillies grâce à leur carte de fidélité de client pourraient être utilisées dans le cadre de la relation de travail pour les contrôler.
Dès lors, les pièces litigieuses constituent des preuves illicites. La SAS Pamyeve n’établit ni même ne soutient, d’une part, qu’elles sont indispensables pour préserver l’équité du procès, d’autre part, qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux doits fondamentaux du salarié. Elles seront donc écartées des débats.
2-2) Sur le bien fondé du licenciement
La SAS Pamyeve reproche à Mme [K], d’une part, d’avoir bénéficié, du 21 juillet au 26 novembre 2018, de 25 achats au rayon boulangerie à des prix de complaisance pour une économie de 120,90€ et d’avoir, en contrepartie, encaissé les achats de la vendeuse en boulangerie (Mme [I] [K]) en déduisant des bons réservés à la clientèle, d’avoir, d’autre part, elle-même utilisé des bons d’achat réservés à la clientèle pour régler, à hauteur de 94€, des achats, alors que cette pratique est formellement interdite aux salariés en application du règlement intérieur.
Les achats critiqués ne sont pas démontrés puisque les pièces censées les établir ont été écartées des débats. En outre, la SAS Pamyeve n’établit pas que les achats de gâteaux ont été faits à des prix de complaisance, elle n’établit pas non plus qu’en contrepartie Mme [K] aurait encaissé les achats de sa collègue en déduisant des bons. Elle ne justifie pas de surcroît qu’il était interdit aux salariés d’utiliser les bons litigieux : elle ne produit en effet pas le règlement intérieur censé, selon la lettre de licenciement, l’interdire, ni aucune note de service en ce sens.
Dès lors, la SAS Pamyeve à qui cette charge incombe n’établit pas la réalité des faits reprochés ni, à les supposer même établis, leur caractère fautif. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse
2-3) Sur les conséquences financières
Mme [K] est fondée à obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts. Elle réclame également le règlement d’un 13ième mois.
‘ Les parties s’accordent sur le fait que Mme [K] peut prétendre à un préavis de deux mois mais divergent sur le salaire à prendre en compte (1 412,84€ selon la SAS Pamyeve, 1 436,17€ selon Mme [K]).
Ce salaire n’est pas le salaire moyen perçu par la salariée mais le salaire qu’elle aurait perçu si elle avait travaillé.
L’examen des 11 bulletins de paie antérieurs au licenciement produits établissent que le salaire habituel de Mme [K] s’élevait à 1 412,84€. Elle a perçu un salaire supérieur lorsqu’elle a travaillé un jour férié ou un dimanche. Rien n’établissant que tel aurait été le cas pendant la durée du préavis, il y a lieu de retenir son salaire habituel soit 1 412,84€.
L’indemnité compensatrice due est donc de 2 829,68€ bruts (outre les congés payés afférents).
‘ La somme réclamée par Mme [K] au titre de l’indemnité de licenciement n’est pas contestée par la SAS Pamyeve et sera donc retenue.
‘ Mme [K] peut prétendre compte tenu de son ancienneté (7 ans) à une indemnité maximale égale à 8 mois de salaire.
Il ressort d’un courrier de Pôle Emploi qu’au 22 février 2019, Mme [K] était en état de choc suite à son licenciement pour faute grave ce qui nécessitait un suivi intensif par un psychiatre, une période de réparation et de construction et ne lui permettait pas de chercher immédiatement un emploi. Le 13 mars 2019, aucune action n’était encore possible selon Pôle Emploi. Le 9 décembre 2019, des actions ont été définies dans le cadre d’un projet personnalisé d’accès à l’emploi.
Un psychiatre a certifié en février 2020 qu’elle bénéficiait d’un suivi régulier depuis février 2019.
Compte tenu de ces renseignements qui établissent l’importance du préjudice moral occasionné par le licenciement, des autres éléments connus : son âge (54 ans), son ancienneté (7 ans) son salaire moyen (1 438,30€), il y a lieu de lui allouer la somme réclamée (soit 11 489,36€).
‘ Mme [K] n’établit pas l’existence de circonstances vexatoires ayant entouré le licenciement, le recours à un licenciement pour faute grave, même injustifié, ne constituant pas, en lui-même, de telles circonstances, Mme [K] sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
‘ La convention collective nationale du commerce de détail à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, subordonne le paiement de la prime annuelle à la condition que le salarié soit titulaire d’un contrat de travail en vigueur au moment du versement soit le 31 décembre. Le contrat de Mme [K] ayant été rompu le 22 décembre 2018, la prime n’était pas due peu important le motif de la rupture et son caractère abusif. Mme [K] ne peut donc prétendre au paiement du 13ième mois sollicité.
Mme [K] demande subsidiairement des dommages et intérêts en faisant valoir qu’en la licenciant de manière abusive, la SAS Pamyeve lui a fait perdre une chance de percevoir cette prime. Mme [K] aurait perçu cette prime annuelle dépendant uniquement de sa présence dans l’entreprise si son contrat de travail avait toujours été en vigueur 9 jours seulement après la date à laquelle il a été rompu. Au moment du licenciement, sa chance de percevoir cette prime était donc particulièrement importante. La perte de cette chance occasionné par son licenciement sans cause réelle et sérieuse sera réparée par l’octroi de 1 400€ de dommages et intérêts.
3) Sur les points annexes
En application des articles 1231-5 et 6 du code civil, auxquels rien ne justifie de déroger, les sommes allouées produiront intérêts au taux légal :
– à compter du 31 août 2019, date de réception par la SAS Pamyeve de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation en ce qui concerne l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
– à compter du 3 septembre 2021, date de notification du jugement confirmé sur ce point en ce qui concerne les dommages et intérêts alloués pour défaut d’entretiens professionnels
– à compter de la date du présent arrêt pour les autres sommes accordées à titre de dommages et intérêts.
La SAS Pamyeve devra remettre à Mme [K], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt : des bulletins de paie complémentaires, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au présent arrêt. La présente décision fixant les droits de Mme [K], il est inutile de prévoir la remise d’un nouveau solde de tout compte qui ne constitue que l’inventaire des sommes versées. En l’absence d’éléments permettant de craindre l’inexécution de cette mesure, il n’y a pas lieu de l’assortir d’une astreinte.
La condamnation au paiement d’une somme brute emporte à la fois obligation de payer la somme nette correspondante au salarié et obligation de payer aux organismes de sécurité sociale les cotisations incluses dans cette somme. Il est dès lors inutile d’ordonner en plus la ‘régularisation des cotisations dues’.
La SAS Pamyeve devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [K] entre la date du licenciement et celle du jugement dans la limite de trois mois d’allocations.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS Pamyeve sera condamnée à lui verser 3 000€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
– Confirme le jugement en ce qu’il a condamné la SAS Pamyeve à verser à Mme [K] 2 000€ de dommages et intérêts pour absence d’entretiens professionnels
– Y ajoutant
– Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2021
– Réforme le jugement pour le surplus
– Statuant à nouveau
– Ecarte des débats les pièces 5, 6, 7, 8 et 11 produites par la SAS Pamyeve
– Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Condamne la SAS Pamyeve à verser à Mme [K] :
– 2 829,68€ bruts d’indemnité compensatrice de préavis outre 282,97€ bruts au titre des congés payés afférents
– 2 662,89€ d’indemnité de licenciement
avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2019
– 1 000€ de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée
– 11 489,36€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1 400€ de dommages et intérêts pour perte de chance de percevoir le 13ième mois
avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt
– Dit que la SAS Pamyeve devra remettre à Mme [K], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt : des bulletins de paie complémentaires, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au présent arrêt
– Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes principales
– Dit que la SAS Pamyeve devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [K] entre la date du licenciement et celle du jugement, dans la limite de trois mois d’allocations
– Condamne la SAS Pamyeve à verser à Mme [K] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamne la SAS Pamyeve aux entiers dépens de première instance et d’appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE